Le rôle et la place des états dans le fonctionnement de la cour pénale internationale( Télécharger le fichier original )par Désiré Yirsob Dabire Université de Genève - DEA de droit international public 2006 |
CHAPITRE 3 :LES CONSEQUENCES DE LA NON COOPERATION
« L'Union Européenne refuse l'entrée de la Croatie pour non coopération avec le TPIY »165(*). Cette décision qui intervient à la suite de plusieurs injonctions faites à la Croatie aussi bien par l'UE que par le Conseil de sécurité - incitant ce pays à prendre des mesures en vue de l'arrestation et du transfert de l'un de ses généraux qui fait l'objet de poursuites devant le TPIY166(*) - est une forme de sanction. Il peut être étonnant qu'une mesure de telle nature soit prise par l'Union Européenne (UE), contre la Croatie qui ne coopère pas ou pas assez avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Ce tribunal est en effet un organe établi par le Conseil de sécurité de l'ONU, et à défaut du tribunal lui-même, on pourrait s'attendre à ce que ce soit le Conseil qui réagisse ainsi contre la Croatie. D'un autre coté, cette situation est compréhensible. Le tribunal est en effet dépourvu d'un réel pouvoir de sanction contre les Etats en de telles circonstances. De plus, le Conseil de sécurité, organe politique, a du mal à réagir également. Lorsque pareille situation survient devant le TPIY, organe subsidiaire du Conseil de sécurité des Nation Unies, l'on peut s'interroger sur ce qui adviendra devant la Cour pénale internationale, juridiction qui est également tributaire de la coopération des Etats. Certes, dans le cas de cette Cour, la même obligation de coopérer est affirmée pour les Etats mais elle procède d'une source différente qui est le traité de Rome. Cette différence d'établissement est fondamentale. Des situations de non coopération avec la CPI ne sont pourtant pas à exclure, et ce pour plusieurs raisons. Qu'adviendra-t-il alors en pareille circonstance ? Une telle éventualité entraînerait sans aucun doute des conséquences, tant au regard du droit international général (section 1) que du Statut de la Cour lui-même (section 2). Section 1 : Les conséquences au regard du droit international général : laresponsabilité internationale de l'EtatEn droit international, en particulier en droit de la responsabilité, le non respect d'une obligation (conventionnelle ou non) entraîne la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat en cause. Ce système de responsabilité internationale obéit à des règles précises qu'il convient de rappeler et d'appliquer au cadre de notre sujet, avant de présenter comment ces règles pourraient trouver application dans le cas du traité de Rome instituant la CPI (paragraphe 1). Il conviendrait d'analyser par ailleurs, les raisons que pourraient invoquer certains Etats qui ne remplissent pas leur obligation de coopérer, en nous fondant sur l'expérience des juridictions pénales internationales préexistantes, avant d'aborder les implications de ce manque de coopération (paragraphe 2). Paragraphe 1 : La responsabilité internationale de l'Etat167(*) pour non coopération avec la Cour au regard des règles de droit international général sur la responsabilitéEn vertu des principes établis du droit international, la mise en oeuvre de la responsabilité d'un Etat obéit à des conditions précises (A) et entraîne des conséquences à l'égard de celui-ci (B). A- Les conditions de mise en oeuvre L'article premier du projet d'articles de la Commission du droit international de l'ONU (CDI) sur la responsabilité internationale des Etats pour fait internationalement illicite dispose que « Tout fait internationalement illicite de l'Etat engage sa responsabilité internationale »168(*). L'Etat doit se rendre coupable d'un acte internationalement illicite pour que puisse être engagée sa responsabilité internationale. Par fait internationalement illicite, il faut entendre l'acte qui constitue une violation d'une obligation internationale et qui est attribuable à un Etat169(*). Un tel acte doit remplir à la fois des conditions subjectives et objectives. 1- La condition subjective : l'imputabilité de l'acte à l'Etat Pour que la violation d'une obligation internationale soit établie, il faut que l'acte en cause soit attribuable ou encore imputable à un Etat, c'est à dire « qu'un rattachement puisse être opéré entre l'évènement ou le comportement incriminé et l'Etat dont on recherche la responsabilité »170(*). Il faut que l'acte ou le fait ait été l'oeuvre d'un organe de l'Etat ou d'une entité pouvant être considérée comme tel au moment de la commission de l'acte illicite. En effet, « est considéré comme fait de l'Etat d'après le droit international, le comportement de tout organe de l'Etat ayant ce statut d'après le droit interne de l'Etat »171(*). Il convient alors de s'interroger sur l'organe qui peut être qualifié d'organe de l'Etat, agissant donc en son nom et pouvant engager sa responsabilité. Selon l'article 4(2) du projet d'articles de la CDI, la qualification d'organe de l'Etat relève uniquement du droit interne de cet Etat. C'est donc la législation nationale de l'Etat qui détermine quel organe peut être considéré comme agissant en son nom et pour son compte. L'Etat, souverain dans son organisation interne, peut lui seul attribuer à un organe la qualité d'organe étatique. Le droit international intervient cependant pour reconnaître la qualité d'organe de l'Etat à certaines entités qui, même si elles ne sont pas reconnues comme telle par le droit interne, sont assimilées à des organes de l'Etat. En effet, du fait que ces entités agissent sous le contrôle de l'Etat ou remplissent des taches qui lui sont en principe dévolues, le droit international leur reconnaît cette qualité d'organes d'Etat, tout au moins pour la circonstance de l'évènement en cause ; ceci en vue de permettre que soit engagée la responsabilité de l'Etat et ainsi permettre la réparation du dommage survenu. Ainsi, le projet de code de la Commission du droit international énumère en ces articles 5 et suivants, des organes dont le comportement illicite est attribuable à l'Etat du fait de leur position ou des activités qu'ils mènent et qui constituent un fait illicite ou ont été à l'origine de ce fait. C'est ainsi que : - le comportement d'un organe mis à la disposition d'un autre Etat est attribuable au second ; - le comportement d'une personne ou entité qui excède les pouvoirs et instructions qui lui ont été octroyés par l'Etat engage néanmoins ce dernier, - les actes d'une personne ou groupe de personnes accomplis sous la direction ou le contrôle de l'Etat, ou encore adoptés par cet Etat après leur commission engagent celui-ci ; - et enfin des actes accomplis par une personne ou un groupe de personnes, exerçant des prérogatives de la puissance publique, en cas de carence ou en l'absence de l'Etat l'engage néanmoins. Dans le cas de la Cour par exemple, il est indéniable que l'inexécution d'une demande de coopération serait attribuable à l'Etat requis. C'est en effet à ce dernier qu'est adressée la demande et c'est à lui de prendre les mesures et de donner les instructions nécessaires à ses organes compétents pour satisfaire à la demande de coopération. A coté de cette condition subjective, il y a aussi une condition dite objective que doit remplir l'acte dénoncé. 2- La violation d'une obligation internationale : la condition objective a- Les caractères de la violation Il faut d'abord que soit observée dans le comportement de l'Etat, une action ou une omission constituant la violation d'une obligation qui lui incombe au regard du droit international. Ensuite, l'origine conventionnelle ou coutumière de l'obligation n'a aucune pertinence dans l'appréciation de l'illicite. Quelle que soit la source de la règle qui prescrit l'obligation, sa violation est constituée dès lors qu'un manquement est constaté172(*). La violation peut en outre être constituée par un acte positif (action) ou négatif (omission). Enfin, il faut que la règle ou l'obligation violée soit en vigueur à l'égard de l'Etat en cause au moment où la violation se produit173(*). Par exemple, dans l'affaire du détroit de Corfou devant la Cour internationale de justice, l'Albanie et la Grande Bretagne avaient vu leurs responsabilités engagées, respectivement pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires à la sécurité dans ses eaux territoriales (omission), et pour avoir procédé au déminage dans lesdites eaux en violant le territoire et la souveraineté de l'Albanie (action)174(*). L'exemple de l'inexécution d'une demande de coopération de la Cour peut être maintenu pour illustrer une violation de l'obligation de coopérer avec la Cour. Une telle inexécution, lorsqu'elle ne peut pas être justifiée par l'Etat requis dans les conditions prévues par le Statut175(*), constitue une violation par cet Etat de son obligation internationale envers la Cour. Il convient cependant de distinguer entre l'inexécution d'une demande émanant de la Cour qui serait due à un manque de volonté de l'Etat requis, et une impossibilité d'exécuter qui pourrait résulter de facteurs indépendants de cet Etat176(*). Cette distinction est importante car seule la première situation peut fonder la responsabilité de l'Etat requis. Par ailleurs, la possibilité d'une justification suggère la question plus générale des circonstances excluant l'illicéité dans le droit de la responsabilité. b - L'absence de circonstances excluant l'illicéité 177(*) Pour que l'acte en cause puisse définitivement constituer une violation du droit international, il ne doit pas être couvert par une circonstance excluant l'illicéité. Les circonstances excluant l'illicéité sont des exceptions qui permettent de par leur survenance, en rapport avec le fait en cause, d'annuler la violation de l'obligation internationale. Comme l'indique leur appellation, ces circonstances écartent en amont l'illicéité du fait, qui sans elles, constituerait une violation d'une obligation internationale178(*). En conséquence, la question de la responsabilité de l'Etat auteur du fait ne se pose plus, puisque le fait générateur de celle-ci n'existe pas179(*). Les circonstances excluant l'illicéité, de même que les conditions de leur application sont énoncées et définies au chapitre V du projet d'articles de la CDI. Ce sont respectivement, le consentement de l'Etat à l'accomplissement du fait à son égard (art. 20 du projet), la légitime défense (art. 21 du projet), la situation de contre-mesure du fait en cause (art. 22 du projet), la force majeure ayant entraînée l'accomplissement du fait (art. 23 du projet), la détresse (art. 24 du projet), et enfin l'état de nécessité (art. 25 du projet)180(*). Par exemple la situation exposée à l'article 72 du Statut, peut constituer une circonstance excluant l'illicéité dans le cas d'un Etat requis d'une demande de coopération par la Cour, et donc rendre licite un refus de coopérer de celui-ci. En vertu de cette disposition, un Etat peut refuser sa coopération à la Cour pour des raisons de sécurité nationale. En effet, une telle situation peut entrer dans la définition d'un état de nécessité, si par exemple, dans une hypothèse de crise, un gouvernement se doit de garder secrètes des informations d'ordre stratégique qui, si elles étaient divulguées, pourraient sérieusement nuire à ses forces. Ces circonstances n'ont cependant aucun effet lorsque le fait en cause est commis en violation de normes impératives du droit international général pour lesquelles il n'est permis aucune dérogation. C'est ce qui ressort de l'article 40 du projet de la CDI. Lorsque ces conditions objectives et subjectives sont remplies et lorsque aucune circonstance n'exclut l'illicéité du comportement en cause, alors peut être engagée la responsabilité internationale de l'Etat fautif par le ou les Etats qui ont subit un préjudice. La responsabilité internationale de l'Etat résulte donc du fait internationalement illicite. La définition de ce dernier élaborée par la CDI à l'article 1 du projet de 2001, ne mentionne pas le dommage comme un élément constitutif du fait illicite. On s'interroge alors sur la nécessité de l'existence d'un dommage pour que soit engagée la responsabilité internationale de l'Etat. En doctrine deux thèses existent à ce sujet181(*). La première est celle dite du « dommage inhérent » à l'illicite. Selon cette acception, le préjudice pour un Etat existe dans le fait même qu'une violation ait été commise, c'est le préjudice juridique182(*). Ainsi, pour les tenants de cette position, le dommage est indissociable de la violation puisque la seconde implique automatiquement le premier. Cette solution est en accord avec l'article 1er du texte de la CDI dans la mesure où la question du dommage ne se pose plus pour qu'il y ait responsabilité, dès lors qu'il y a constat de la violation d'une obligation internationale. Quant à la seconde, elle développe l'idée du dommage consécutif. Selon cette thèse, le dommage est un résultat de la violation, il n'est pas implicite à celle-ci mais en est une conséquence. La responsabilité, notamment l'étendue de la réparation due par l'Etat fautif, sera donc proportionnelle au dommage produit. Ici la nécessité de déterminer un dommage répond donc au besoin d'évaluation de la réparation. En résumé, les deux thèses évoquent un préjudice, tout au moins juridique, pour fonder la responsabilité internationale de l'Etat, bien qu'elles lui confèrent des fonctions différentes. Pour sa part, la CDI affirme que la question du dommage n'est généralement pas nécessaire. Elle est cependant fonction des situations individuellement prises, aucun principe général n'en détermine alors le régime juridique. C'est en effet le contenu de la règle primaire en cause qui est déterminant183(*). Ce dommage peut alors se présenter sous deux formes : il peut être direct ou indirect. Le dommage direct ou encore dommage immédiat, est celui qui atteint directement un sujet de droit international (l'Etat en l'occurrence) dans ses droits184(*). Le dommage indirect ou médiat survient par l'intermédiaire d'une personne privée, physique ou morale, ayant la nationalité d'un Etat et pour laquelle ce dernier peut prendre « fait et cause »185(*). Qu'est ce qui pourrait constituer un dommage résultant d'un manque de coopération envers la Cour ? Vraisemblablement le retard dans l'enquête de la Cour et peut être même la suspension pure et simple de cette enquête, s'il s'agit d'une opération capitale pour la poursuite de l'enquête comme par exemple l'arrestation du principal accusé. On pourrait même soutenir l'idée que la violation d'une obligation de coopérer est en elle-même constitutive de dommage, si l'on considère le rôle primordial que joue la coopération des Etats dans la bonne marche de la Cour. Une absence de coopération là où celle-ci est indispensable, et c'est le cas dans la majorité des situations, est forcément dommageable pour la Cour186(*).
En somme et d'une part, le préjudice subit par la Cour est l'inaction de celle-ci, l'impossibilité pour elle de remplir sa mission dans une affaire où elle devrait normalement exercer sa compétence, du fait de la non coopération des Etats requis. D'autre part, les Etats aussi ressentent un dommage juridique dans la mesure où l'inaction de la Cour engendre, si elle se prolonge, une situation d'impunité. Si les auteurs de crimes qui touchent l'ensemble des Etats restent sans sanction, c'est en effet toute la justice pénale internationale qui est mise à mal, à cause du non respect de ces normes. Le fait illicite étant accompli et le préjudice constaté, il s'en suit, en droit international, des conséquences qui peuvent être de plusieurs ordres. B- Les conséquences de la mise en jeu de la responsabilité internationale de l'Etat A l'instar du droit interne où un fait produisant un dommage oblige son auteur ou le répondant de celui-ci à réparation187(*), le droit international attache comme conséquence de la responsabilité d'un sujet de droit international la « réparation intégrale du préjudice causé »188(*). L'effet principal de la responsabilité internationale pour fait internationalement illicite est donc la réparation du préjudice (1). Cependant cette responsabilité peut générer d'autres implications (2). 1- La réparation du préjudice par l'Etat fautif Un Etat, lorsqu'il est reconnu responsable de la violation d'un engagement internationale, a l'obligation principale de réparer le préjudice causé par cette violation, nonobstant bien sûr celles de faire cesser l'acte illicite et de garantir la non répétition de cet acte189(*). Ce principe est reconnu en droit international190(*) et a été rappelé à plusieurs reprises par la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI). Ainsi dans l'affaire de l'usine de Chorzow, la Cour affirmait que « c'est un principe du droit international, voire une conception générale du droit, que toute violation d'un engagement comporte l'obligation de réparer »191(*). Selon la CDI, la réparation à laquelle la responsabilité donne lieu peut s'opérer de plusieurs manières. Cette pluralité de modes de réparation est la conséquence de ce que le préjudice causé peut lui aussi se présenter sous des formes diverses aussi bien matérielles que morales192(*). La réparation peut donc consister en une satisfaction, une indemnisation ou encore en une restitution, accomplies « séparément ou conjointement par l'Etat responsable »193(*). Tout d'abord, le mode de réparation qu'est la restitution ou encore restauration, consiste (lorsque son exécution est possible) dans la remise en l'état de la situation dans son état d'avant la survenance du dommage. Son but est d' « effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et de rétablir l'état qui aurait vraissemblablement existé si l'acte fautif n'avait pas été commis », comme l'a reconnu la CPJI dans l'arrêt rendu dans l'affaire de l'usine de Chorzow. Cette forme de réparation qui est de loin la meilleure lorsqu'elle est bien appliquée, est aussi assez difficile à mettre en oeuvre. En effet, il est souvent impossible de remettre la situation dans son état d'origine, de revenir en arrière lorsqu'un dommage est déjà survenu. En l'espèce, pour un Etat coupable de ne pas avoir coopérer avec la CPI, la meilleure réparation est l'accomplissement des mesures requises par la Cour dans sa demande de coopération. Cette action permettrait de relancer le cours de l'enquête, effaçant de ce fait les conséquences de sa violation, malgré le fait que le retard accusé dans l'enquête ne puisse être rattrapé. Il y a ensuite l'indemnisation qui est prévue à l'article 35 du projet d'articles de la CDI. Il a pour but de compenser le dommage lorsque la restitution s'avère impossible. Il consiste en une somme d'argent versée à l'Etat lésé, dont le montant est proportionnel à l'importance du dommage subi ou du gain manqué résultant de l'acte illicite. Ces deux premières formes de réparation interviennent généralement lorsque le dommage est matériellement estimable. En pratique, dans le cadre de la CPI, il est difficile de quantifier un dommage résultant d'une non coopération, de sorte qu'il peut être malaisé de déterminer le montant de l'indemnisation due. Concrètement, on pourrait concevoir par exemple le versement d'un montant à la Cour pour les frais supplémentaires engagés pour le maintien en détention du ou des accusés, ou pour la protection des victimes, en raison du retard accusé dans la procédure. Lorsqu'il survient un dommage moral, il est plus souvent réparé par la satisfaction. Celle-ci peut se présenter sous la forme d'excuses officielles ou de sanctions contre l'organe responsable de la violation dommageable. La réparation peut même dans ce cas être constituée par la simple constatation de la violation d'une obligation194(*). Toutes ces formes de réparation en conséquence d'un fait illicite sont mises en oeuvre par l'Etat responsable. Il existe aussi des conséquences de la responsabilité qui elles sont déclenchées par les autres Etats intéressés. 2- Les réactions possibles des autres Etats à un fait internationalement illicite Quel(s) Etat(s) peut(vent) être considéré(s) comme ayant subi une atteinte dans ses(leurs) droits par un manquement à l'obligation de coopérer envers la CPI, et comment peut(vent)-il(s) demander le respect de cette obligation ? a- La détermination des Etats pouvant invoquer la responsabilité internationale Il convient d'emblée de déterminer l' «Etat lésé», et ceci pour deux raisons principales. C'est à celui-ci qu'est reconnu en premier le droit d'invoquer la responsabilité de l'Etat fautif, et c'est encore lui qui a le pouvoir de recourir à des contre-mesures195(*). Le projet d'articles élaboré par la CDI, considère comme Etat lésé, ayant qualité pour invoquer la responsabilité de l'Etat fautif, un Etat qui, pris individuellement, est dans les conditions énumérées à l'article 42. Selon cette disposition, l'Etat lésé est celui à qui l'obligation est due. Lorsque l'obligation est due à un groupe d'Etats, l'Etat lésé est celui qui est spécialement atteint par la violation commise. Dans le cadre de la coopération avec la CPI par exemple, il est possible de considérer comme spécialement atteint par la violation, au sens de l'article 42(b.i), l'Etat qui a été le théâtre du crime sujet de l'enquête et qui souhaite voir la Cour terminer son enquête, afin de parvenir à instaurer la paix, lorsque la poursuite de criminels est une étape dans la résolution d'une crise interne. Ensuite, il est reconnu aussi le droit d'invoquer la responsabilité internationale, à d'autres Etats. Il s'agit de «tout Etat autre qu'un Etat lésé» tel que défini à l'article 48 du projet d'articles. Aux termes de cet article, peuvent être considérés comme tels, les autres Etats qui ont un intérêt collectif dans le respect de l'obligation violée, dans la mesure où ils font partie d'un groupe d'Etats auxquels cette obligation est due. De plus, lorsque l'obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble, tout autre Etat peut être rangé dans cette catégorie. Dans ce dernier cas, l'on peut se trouver aussi dans la situation d'une violation grave au sens de l'article 40 du projet. Dans cette hypothèse en effet, tous les Etats ont un droit d'invoquer la responsabilité internationale et même un devoir de coopérer à toute action en vue de mettre fin à la violation196(*). Il convient cependant de souligner que les Etats autres que l'Etat lésé sont limités dans leurs actions en réponse à la violation. Ces derniers ne peuvent demander la cessation de l'illicite et la réparation du dommage engendré que par des mesures licites197(*) tandis que l'Etat lésé a en plus le droit de recourir à des contre-mesures.
Dans le cadre de la CPI, la lecture de ces différentes dispositions, conduit au résultat suivant : lorsqu'il se produit une violation de l'obligation de coopérer, les Etats parties dans leur ensemble peuvent (en tant que lésé ou autres) invoquer la responsabilité de l'Etat en cause. L'obligation de coopérer due à la Cour, est requise des Etats parties pour le bon déroulement des activités de celle-ci, la répression efficace des crimes internationaux. Cet objectif représente l'intérêt collectif des Etats parties. Et ceux-ci peuvent exiger la mise en oeuvre de la responsabilité internationale dans l'intérêt de l'Etat lésé tel qu'il a été perçu ci dessus, mais aussi dans leur intérêt propre. Ainsi, tous les Etats parties sont concernés en cas de manquement à l'obligation de coopérer envers la Cour, obligation qui a même été qualifiée à juste titre de «erga omne partes » c'est à dire obligation impérative de droit internationale en vigueur cependant seulement entre les Etats parties au Statut198(*). De ce fait, ces derniers peuvent réagir contre l'Etat fautif, individuellement ou collectivement selon les mécanismes prévus par le droit international. Chaque Etat partie à la CPI a un intérêt, au moins juridique, à ce que la coopération soit mise en oeuvre par tous les autres, et peut donc demander la réparation d'un manquement à l'obligation de coopérer.199(*) b- Les actions possibles de l'Etat lésé et des Etats autres que l'Etat lésé contre l'Etat responsable D'abord, il y a la mise en jeu de la responsabilité internationale et la demande de réparation, qui peuvent être accomplis par exemple par le biais d'une action devant la Cour Internationale de Justice. L'Etat lésé peut ensuite entreprendre d'autres actions, notamment lorsque l'Etat fautif ne réagit pas. Ces réactions, plus connues sous le nom de contre-mesures, sont essentiellement ce qu'on appelait des mesures de représailles200(*). Ce sont donc des réactions qui interviennent lorsque l'acte internationalement illicite perdure ou lorsque l'Etat responsable n'a pas exécuté son obligation de réparation. Ces mesures, qui sont « des inexécutions temporaires d'obligations internationales » sont mises en oeuvre par l'Etat lésé par le fait illicite, dans le souci d'amener l'autre Etat à s'acquitter de ses obligations et de sauvegarder ses intérêts. La faculté de recourir à des contre-mesures n'est reconnue qu'à l'Etat lésé en vertu de l'article 49 du projet de la CDI 201(*). Dans le cas de la CPI, les contre-mesures de l'Etat lésé devraient en conséquence uniquement avoir pour but de contraindre l'Etat fautif à exécuter son obligation. Ces mesures pourraient se traduire par des sanctions ou restrictions économiques. Il ne devrait donc pas être permis par exemple des contre-mesures qui consistent en des actes identiques à ceux qui ont déclenchés la responsabilité. Ceci se justifie dans la mesure où, d'une part, l'obligation de coopérer est due à la Cour et non à l'Etat fautif (qui sont deux entités distinctes). D'autre part, une contre-mesure est sensée être dirigée contre ce dernier202(*) dans l'objectif de l'amener à exécuter son obligation. La mesure envisagée devrait donc n'atteindre directement que l'Etat fautif. Un Etat qui adopte le refus de coopérer comme contre-mesure à un refus de coopérer pourrait donc voir sa propre responsabilité engagée envers la Cour. Ces contre-mesures sont cependant reconnues par le droit international qui les organise et ne sont donc plus illicites lorsqu'elles sont prises dans les normes203(*). En effet, le chapitre II du projet de la CDI est consacré aux dispositions sur les conditions d'exercice de ces contre-mesures. Ainsi, celles-ci ne peuvent être que temporaires et n'avoir pour seul objectif que d' « amener cet Etat [responsable] à s'acquitter des obligations qui lui incombent ». En outre, certaines obligations ne peuvent faire l'objet de contre-mesures du fait de leur caractère fondamental pour la société internationale dans son ensemble, ce sont essentiellement celles relatives aux normes de jus cogens et aux droits humains204(*). Ensuite, à coté des contre-mesures de l'Etat lésé, on peut aussi observer les réactions des autres Etats. C'est le cas par exemple lorsque la violation intervient dans le cadre d'une organisation internationale. Les organes de décision de certaines organisations ont le pouvoir de prendre des sanctions collectives au nom de tous les membres ou d'autoriser leurs membres à prendre des mesures individuelles. Ces réactions qui ne sont pas des contre-mesures ont le même objectif que celles-ci, obliger l'Etat responsable à honorer ses engagements. C'est le cas de l'ONU, organisation internationale par excellence, au sein de laquelle est organisé un système de sanction collective par le biais du Conseil de sécurité. En matière de sanction, ledit Conseil peut également intervenir dans le cadre de la CPI, lorsque c'est lui qui l'a saisi par une décision sur la base du Chapitre VII de la Charte205(*). Ces sanctions collectives dans le cadre d'une organisation internationale peuvent également s'apprécier dans le cadre de la CPI qui est également une organisation internationale mise en place par le traité de Rome. En outre, elle met à la charge de ses membres - et même en certaines circonstances, des non membres - des obligations qui malheureusement peuvent être violées par ces derniers. Quid alors de la mise en oeuvre de la responsabilité internationale dans le cadre de cette instance internationale ? * 165 Cf. le bulletin d'information n°7, mai-août 2005, de l'association Track Impunity ALways (TRIAL). L'Union Européenne reproche en effet à la Croatie de ne pas avoir encore livré au TPIY, le général Ante Gotovina se trouvant sur son territoire et qui est l'objet d'un mandat d'arrêt pour crime de guerre depuis 2001. * 166 Cf. infra. Chapitre 3, section 2. * 167Les règles de la responsabilité internationale de l'Etat sont essentiellement contenues dans le projet d'articles de la Commission du droit international de l'ONU (CDI) (Cf. DAVID E., VAN ASSCHE C., Code de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2è éd., 2004, pp. 431- 443), réaffirmé par la résolution de l'Assemblée Générale de l'organisation lors de sa séance plénière du 12 décembre 2001 (A/RES/56/83). V. également sur cette question, ALLAND D., Droit international public, Paris, P.U.F., 2000, pp. 399 et ss ; N'GUYEN Q. D., DAILLIER P. ET PELLET A., Droit international public, précité note 66, pp. 760 et ss ; CASSESE A., International Law, Oxford University Press, 2005, pp. 245 et ss ; EVANS D. M., International Law, Oxford, Oxford University Press, 2003, pp. 445 et ss. V. encore les commentaires du projet de la CDI, par la Commission elle-même dans son rapport de 2001 à L'AGNU, Doc. A/56/10, pp. 29-365 (en ligne http://www.un.org/law/ilc/reports/2001/2001report.htm); et aussi CRAWFORD J., Les articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l'Etat, introduction texte et commentaires, Paris, Pedone, 2003, 462 p. * 168 Cf. note 170. * 169 Cf. l'article 2 du projet d'articles de la CDI. * 170 V. ALLAND D., Droit international public, précité, note 170, p. 405. * 171 Cf. l'article 4 du projet d'articles de la CDI. * 172 CASSESE A., International Law, précité note 170, p. 251. * 173 Ibid. * 174 Cf. affaire du détroit de Corfou, Albanie vs Gde Bretagne, CIJ, Rec. 1949, p .4. V. aussi la jurisprudence de la CIJ sur les questions de responsabilité des Etats, l'affaire Nicaragua, USA vs Nicaragua, CIJ, Rec. 1986, pp. 14-150 ; l'affaire du personnel diplomatique des Etats-Unis à Téhéran, CIJ Rec. 1980, pp. 4-46. * 175 Par exemple dans les conditions de l'article 72, si l'inexécution consiste en une rétention d'informations par l'Etat. * 176 Ce peut être par exemple le cas de l'impossibilité d'arrêter une personne recherchée par la Cour mais protégée par un groupe armé qui oppose une résistance. * 177 La question des circonstances excluant l'illicéité ne fera l'objet que d'un bref développement étant donné que la préoccupation centrale est celle des conséquences en cas de responsabilité. V. sur la question des circonstances excluant l'illicéité, ALLAND D., Droit international public, précité note 170, pp. 422 et ss ; EVANS D. M., International Law, précité note 170, pp. 462 et ss ; N'GUYEN Q. D., DAILLIER P. ET PELLET A., Droit international public, précité note 66, pp. 782 et ss ; SALMON J., « Les circonstances excluant l'illicéité », in La responsabilité internationale, Institut de Hautes Etudes Internationales de Paris, Paris, Pedone, 1987, pp. 89-225. Dans un tout autre contexte, celui de la responsabilité pénale individuelle, le Statut de la CPI, évoque des « Motifs d'exonération de la responsabilité pénale » en son article 31. Ceux-ci peuvent être considérés comme l'équivalent pour la responsabilité pénale individuelle des circonstances excluant l'illicéité pour les Etats. * 178 Cf. le rapport de AGO R. sur la responsabilité internationale des Etats, Annuaire de la Commission du Droit International, 1979, II, para. 55, p. 31. * 179 Dans son projet adopté en 2001, la CDI a définitivement tranché la question de savoir si les circonstances excluant l'illicéité agissaient seulement sur la responsabilité en laissant subsister la violation, ou directement sur la violation (CRAWFORD J., Les articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l'Etat, introduction texte et commentaires, précité note 170, p.190 ; ALLAND D., Droit international public, précité note 170, p. 423). L'appellation retenue par la Commission, de même que par exemple la formule « l'illicéité du fait d'un Etat non conforme à l'une de ses obligations internationales à l'égard d'un autre est exclue si,... », utilisée au début des articles 21 à 24, montrent clairement que c'est la violation elle-même qui est effacée en cas de circonstances excluant l'illicéité. * 180 Pour des développements sur les définitions et les conditions des circonstances excluant l'illicéité, v. CRAWFORD J., Les articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l'Etat, introduction texte et commentaires, précité note 170, pp. 190-224. * 181 V. pour un exposé des deux thèses en présence, BOLLECKER-STERN B., Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973, pp. 36 et ss. * 182 V. STERN B., « Le concept de préjudice juridique », in Annuaire Français de Droit International, Paris, CNRS Editions, 2001, pp. 3- 44. * 183 Cf. le paragraphe 9 des commentaires de l'article 2 du projet d'articles de la CDI, précité note 170. * 184 Exemple de dommage immédiat, dans l'affaire du personnel diplomatique entre les Etats-Unis et l'Iran, où l'ambassade- territoire étatique par définition- des Etats-Unis a été violé et son personnel notamment les diplomates, pris en otage. V. sur la question des dommages EVANS D. M., International Law, précité note 170, pp. 459 et ss ; DUPUY P.- M., Droit international public, Paris, Dalloz, 2004, pp. 480 et ss. * 185 Cf. affaire Mavrommatis, Grèce c. Gde Bretagne, arrêt du 30 Août 1924. CPJI, Série A, 1924, n°2, pp. 6-37. * 186 Dans une telle situation, le dommage se déduit de la règle primaire qui définit l'obligation de coopérer, ou du moins du non respect de celle-ci. En conséquence, il n'est pas besoin de rechercher ailleurs que dans ce non respect, un préjudice en plus des conditions objective et subjective pour que soit fondée la responsabilité. Cette idée est conforme à celle développée par la CDI au paragraphe 6 des commentaires de l'article 30 du projet d'articles. * 187 Exemple du droit suisse avec l'article 41 du code des obligations du 30 mars 1911. Cf. SCYBOZ et GILLIERON, Code civil suisse et code des obligations annotés, Payot, Lausanne, 1972, Partie II, p.19. * 188 Cf.l' article 31 du projet d'articles de la CDI. * 189 « (L)a responsabilité internationale est aujourd'hui multiforme et comporterait, dans le cas général, cinq aspects différents : maintien de l'obligation de respecter la règle violée (article 29), cessation de la violation (article 30.1), assurances et garanties de non-répétition (art. 30(2)), réparation (art. 31) autorisation donnée à l'Etat lésé d'adopter des contre-mesures (article 49). », cf. STERN B., « Le concept de préjudice juridique », précité note 184, p. 9. * 190 V. COMBACAUD J. et SUR S., Droit international public, précité note 128, p. 525 ; aussi CARREAU D., Droit international Public, Paris, Pedone, 2004, pp. 476 et ss. * 191 Arrêt du 13 Septembre 1928, CPJI, Série A, n°17, pp. 4-65. * 192 Le droit international reconnaît en effet le dommage moral depuis une sentence arbitrale de 1928, rendue dans l'affaire dite des veuves du Lusitania entre l'Allemagne et les USA, R.S.A. vol. VII, pp. 35-37. * 193 Cf. article 34 du projet d'articles de la CDI. * 194 Cf. article 37 du projet d'articles de la CDI. Cette constatation peut émaner de l'Etat responsable lui-même, ou encore d'une instance internationale. C'est le cas dans cette dernière hypothèse dans l'affaire du Rainbow Warrior entre la France et la Nlle Zélande, point 8 de la sentence arbitrale du 30 avril 1990. V. Revue Générale de Droit International Public, 1990, p. 878 ; ou encore dans l'affaire du mandat d'arrêt, en ligne http://www.icj-cij.org/cijwww/cdocket/cCOBE/ccobejudgment/ccobe_cjudgment_20020214.PDF, para. 75. (visité le 31 janvier 2006). * 195 Cf. infra. le paragraphe b) suivant. * 196 Cf. l'article 41 du projet d'articles de la CDI. * 197 Cf. les articles 48(2) et 54 du projet d'articles de la CDI. * 198 Cf. CIAMPI A., « The obligation to cooperate », précité note 105, p.1636. * 199 Cf. UBEDA M., « Obligation de coopérer », in ASCENCIO H., DECAUX E. et PELLET A. (dir.), Droit international pénal, précité note 76, p. 954 ; aussi TRIFFTERER O., Commentary of the Rome Statute of the international Criminal Court : Observer's notes article by article, précité note 104, p. 1068. * 200 Il existait aussi la notion de mesures de rétorsion. Elles sont observées par exemple en cas de manquement à des règles de courtoisie internationale et non des obligations juridiques. En outre, elles ne sont pas illicites à la base contrairement aux mesures de représailles, qui sont des actions illicites prises en réponse à des actes eux-mêmes illicites. Sur la question des mesures de rétorsion, v. VERHOEVEN J., Droit International Public, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 658. * 201 En outre, l'article 48 semble limiter les actions des Etats autres que l'Etat lésé (Cf. note 197). Cela peut s'expliquer par le fait que les contre-mesures sont par nature des violations du droit, et il est logique que l'autorisation d'y recourir soit accordée très restrictivement. * 202 Cf. l'article 49(2) du projet d'articles de la CDI. * 203 Les conditions de contre-mesures sont énumérées au chapitre 2 de la partie III du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité internationale des Etats. * 204 Cf. l'article 50 du projet d'articles de la CDI. * 205 Dans le cas particulier de l'ONU, le recours au Conseil de sécurité par la Cour en cas de non coopération, intervient lorsque la saisine émane de ce dernier. C'est donc dans ces cas de saisine que le Conseil pourra prendre des sanctions éventuelles (toujours sur la base du chapitre VII de la Charte) contre l'Etat fautif, que celui-ci soit partie ou non au Statut. Dans ces cas en effet, la distinction Etat partie et Etat non partie est sans importance. Cependant, il peut tout aussi bien être envisagé, lorsque la non coopération d'un Etat intervient dans des situations ou entraîne la survenance de circonstances entrant dans le champ du chapitre VII de la Charte, que le Conseil de sécurité puisse intervenir directement sans être saisi par la Cour. |
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