Le rôle et la place des états dans le fonctionnement de la cour pénale internationale( Télécharger le fichier original )par Désiré Yirsob Dabire Université de Genève - DEA de droit international public 2006 |
Paragraphe 2 : La participation des Etats à la procédure devant la CourComme il a été relevé dans les développements précédents, la Cour a besoin des Etats pour fonctionner. Cette nécessaire intervention des Etats se manifeste dès les débuts d'une affaire devant la Cour. Les Etats parties ont en effet la possibilité de déclencher une procédure, en déférant une situation devant la Cour (A). Ont-ils cependant le droit ou le pouvoir de l'arrêter (B)? A- La faculté de déférer une situation devant la Cour Les articles 13(a) et 14 du Statut de Rome donnent aux Etats parties, en même temps qu'au procureur de la Cour et au Conseil de sécurité de l'ONU, le pouvoir de déférer « une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis », selon les termes de l'article 14. Il leur revient en quelque sorte de porter plainte. C'est ici la plus importante des prérogatives accordées aux Etats devant la CPI. La saisine de la Cour par un Etat partie est l'hypothèse la plus favorable, notamment lorsque la situation déférée se déroule sur son sol. Dans un tel cas, le principe voudrait que les organes judiciaires de l'Etat puissent entamer une action et rechercher et juger les responsables, ou extrader ces derniers vers un Etat qui s'estimerait compétent pour de telles actions. Ce serait une parfaite application du principe aut dedere aut judicare en droit international pénal127(*), auquel sont astreints les Etats. Il peut arriver que pour plusieurs raisons, un Etat ne puisse pas respecter ce principe. C'est dans de telles conditions qu'intervient la Cour qui, par le jeu de la complémentarité128(*) qui est au coeur de son fonctionnement, peut être saisie par un Etat et connaître du crime en cause129(*). L'intervention de la Cour est une solution permettant de suppléer la carence de l'Etat. Ainsi, le recours à la CPI n'est pas systématique, même si une affaire entre dans sa compétence. Celle-ci n'est que complémentaire des juridictions nationales qui ont la primauté de juridiction sur les crimes qui se commettent à l'intérieur des frontières de l'Etat (compétence territoriale) ou en dehors (compétence universelle). Mais lorsque la Cour doit intervenir, il est souhaitable qu'elle soit saisie à l'initiative de l'Etat concerné par la situation en cause. De cette manière en effet, sa collaboration pourra être plus facile à obtenir, dans la mesure où il aura un intérêt particulier à ce que l'affaire connaisse un dénouement. La saisine par le procureur agissant proprio mutu ou encore par le Conseil de sécurité, sont des hypothèses dans lesquelles le ou les Etats concernés pourraient se sentir frustrés, vu le caractère supplétif de l'une et / ou contraignant de l'autre ; cela pourraient entamer la volonté de l'Etat directement impliqué de coopérer pleinement avec la Cour130(*). En effet, aucun Etat souverain n'apprécie d'agir par contrainte ou sous une pression, venant d'un autre Etat ou de tout autre organisme. Ce pouvoir ainsi reconnu aux Etats pourrait être la clé du succès futur de la Cour, s'il est employé à bon escient. Il est avantageux pour l'instance internationale que les trois premières affaires dont elle a été saisie, aient été déférées par des Etats parties agissant sur une initiative volontaire. En effet, aussi bien l'Ouganda, la RDC que la République Centrafricaine ont saisi la Cour de leur plein gré, concernant des faits s'étant déroulés sur leur sol, après avoir constaté la fragilité de leur système judiciaire et le contexte particulier de leurs Etats. Ces initiatives sont à saluer. Par contre, on constate déjà l'hostilité du Soudan quant à coopérer avec la Cour, vu que la situation dans ce pays a été déférée par le Conseil de sécurité. Il est donc avantageux pour le fonctionnement efficient de la Cour, que celle-ci soit saisie par des initiatives volontaires d'Etats parties. Cela favorise une pleine coopération de leur part131(*). Ce mode de saisine offre en effet plus de garanties pour la coopération efficace des Etats, notamment ceux qui en ont pris l'initiative. Cette intervention des Etats dans l'activité de la Cour est de loin la plus directe et la plus bénéfique pour elle. Peut-on alors considérer le refus d'un Etat de saisir la Cour d'une affaire, comme un manque de coopération ? En principe non, puisque les Etats sont les premiers responsables de la répression des crimes internationaux et que la Cour n'est que complémentaire. Le problème pour un Etat dans une telle hypothèse, pourrait être constitué par le fait qu'il n'engage pas non plus de poursuites au niveau interne. Mais dans ce cas la Cour, et particulièrement le procureur, pourrait utiliser son pouvoir propre et se saisir de l'affaire. Des interrogations s'imposent cependant, en particulier celle de savoir si le pouvoir d'agir des Etats pour déclencher l'action de la Cour implique la possibilité pour ces derniers de suspendre ou d'interrompre une action en cours? B- La possibilité pour un Etat de suspendre ou d'interrompre l'action de la Il a été constaté que pour des raisons multiples, essentiellement de négociations de paix et ou de réconciliation nationale, nombre d'Etats en conflit ou en fin de période de crise interne ont choisi d'autres voies que la voie judiciaire132(*), pour arriver à obtenir une paix durable et un accord entre acteurs et protagonistes des crises133(*). Il est possible d'envisager que certains Etats ne soient pas très disposés à aller devant la Cour ou pensent même à un éventuel retrait du renvoi de l'affaire qu'ils ont eu l'initiative de déposer devant elle. C'est l'hypothèse où, un Etat qui a déféré devant la Cour une situation qui s'est déroulée (ou non) sur son territoire, voudrait que l'enquête et les poursuites soient interrompues afin de relâcher la pression sur tels ou tels protagonistes et favoriser ainsi des pourparlers plus sereins. Cette hypothèse encore virtuelle certes134(*), non envisagée par le Statut (1), soulève bien quelques interrogations (2). 1- Une faculté non reconnue par le Statut Tout d'abord, la possibilité pour un Etat de retirer son renvoi, ou pour un quelconque Etat de suspendre l'action de la Cour n'est pas prévue dans les dispositions du Statut. L'hypothèse prévue à l'article 53(3) peut seulement permettre à l'Etat de contester et de faire réexaminer une décision de la Cour de ne pas poursuivre dans une affaire qu'il aurait déférée. Aucune possibilité n'est donc prévue pour l'Etat de se rétracter et de contraindre la Cour à arrêter son action. Même le retrait éventuel de celui-ci du Statut ne le permettrait pas, dans la mesure où ce retrait n'est pas rétroactif et laisse subsister toute action déjà entamée par le procureur ainsi que les obligations qui en découlent135(*). La seule éventualité de suspension d'une procédure de la Cour par une intervention extérieure reconnue par le Statut, est le pouvoir accordé au Conseil de sécurité par l'article 16. On peut en déduire que, si le Statut est muet sur une telle faculté pour les Etats, qui est pourtant une question d'une grande importance, c'est bien parce qu'il entend l'exclure purement et simplement. Est-il par ailleurs possible de reconnaître un tel pouvoir aux Etats par l'interprétation des dispositions du Statut ? Traditionnellement dans certains systèmes internes de droit pénal, la partie civile a le pouvoir de retirer sa plainte, ou de désister lorsqu'elle estime que ses intérêts ne sont plus en cause, après par exemple une transaction avec l'accusé. Ce pouvoir est reconnu bien qu'il ne suspend ni n'interrompt l'action publique exercée par le procureur au nom de la société136(*). La situation peut être assimilée à quelques exceptions près en droit international pénal137(*). En effet, lorsqu'un Etat défère une situation devant le procureur, ce dernier décide de mener une enquête au nom de la communauté internationale toute entière138(*) ou, tout au moins, de la communauté des Etats parties au Statut. Ainsi, une fois une situation déférée au procureur, l'Etat déférant ne devrait plus pouvoir suspendre ou interrompre de sa propre initiative l'action du procureur. En effet, une fois que l'affaire se retrouve devant le bureau du procureur, elle échappe totalement à l'Etat qui l'a déférée. Ce dernier ne peut exercer sur le procureur aucune influence, aucune action de manière à orienter la procédure dans un sens ou dans un autre. Cela est d'autant plus vrai que « (S) es membres [le bureau du procureur] ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune source extérieure »139(*). Reconnaître un tel pouvoir aux Etats, pourrait remettre fortement en cause l'indépendance de la Cour, et notamment du procureur, gage de la crédibilité et de l'efficacité de cette juridiction. La CPI a pour mission de sanctionner les auteurs des crimes les plus graves, et de permettre ainsi de prévenir la commission de crimes similaires. En déférant une situation présentant ces crimes, l'Etat se déclare implicitement incapable de les poursuivre lui-même. Il va sans dire que si cet Etat a le pouvoir de dessaisir la Cour, il est probable que les inculpés ne soient pas traités de façon impartiale ou, à l'opposé, demeurent dans une totale impunité, toute situation qui contraste fortement avec les buts de la CPI. De plus, on peut craindre qu'une telle possibilité de suspendre ou d'interrompre une procédure devant la Cour, si elle était reconnue, favorise bien des dérives de la part des Etats, qui pourraient l'utiliser comme un moyen de pression sur leur potentiels adversaires et se servir de la Cour à des fins politiques, ce qui est à l'opposé de la mission assignée à cette instance. Par ailleurs, il est indéniable que dans l'accomplissement de sa tâche, le procureur doit prendre en considération l'intérêt de la justice et plus généralement celui du pays impliqué. Mais il reste et doit rester seul et impartial dans l'appréciation de ce facteur. Le Statut accorde ce pouvoir de suspendre l'action de la Cour au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il apparaît logique que ce soit un organe supra national, agissant au nom de tous les Etats, qui soit doté du pouvoir de suspendre une action menée pour le compte de ceux-ci pris collectivement, et non un Etat agissant individuellement. 2- Les moyens possibles pour un Etat de faire suspendre ou interrompre l'enquête du procureur Les Etats n'ont pas la possibilité de suspendre encore moins d'interrompre unilatéralement une enquête ou des poursuites devant la Cour. Cependant, à la lecture du Statut, il semble que certaines dispositions puissent leur permettre d'arriver à cette fin, en faisant appel aux organes qui sont dotés de ce pouvoir, en l'occurrence le procureur et le Conseil de sécurité. Ainsi, deux voies pourraient être utilisées par un Etat qui envisage de faire interrompre une procédure engagée à propos d'une situation déférée par lui. La première pourrait découler de l'article 16 du Statut. Cet article autorise le Conseil de sécurité, agissant sur la base du chapitre VII, à suspendre une enquête de la Cour pour une période renouvelable de douze mois. En effet si une demande est faite en ce sens par une résolution positive du Conseil de sécurité 140(*), le procureur peut et même doit suspendre son enquête pour une période de douze mois. En conséquence, il pourrait être possible pour l'Etat en cause de saisir le Conseil afin que celui-ci puisse agir en sa faveur auprès de la Cour. Il faudrait d'abord que sa situation puisse satisfaire aux conditions du chapitre VII, et ensuite une cohérente argumentation pouvant justifier une action du Conseil sur la base de ce chapitre et la nécessité que cette action du Conseil aille dans le sens souhaité par cet Etat. Quant à la seconde, elle découle d'une interprétation de l'article 53. D'abord, le paragraphe 2 reconnaît au procureur le pouvoir de ne pas poursuivre s'il n'a pas de « motifs suffisants (...) parce que poursuivre ne servirait pas les intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances (...) », ensuite, le paragraphe 4 lui permet de reconsidérer sa décision de poursuivre ou non si des faits ou circonstances nouveaux sont avérés. Il serait ainsi envisageable pour l'Etat de plaider auprès du procureur, afin que celui-ci décide de ne pas poursuivre au vu des circonstances particulières qui pourraient prévaloir en l'espèce. Ces dispositions, même si elles doivent s'interpréter de façon très restrictive, peuvent recouvrir plusieurs situations. Il revient donc à l'Etat qui les invoque, de défendre au mieux ses arguments sur l'intérêt de la suspension de la procédure pour son pays et pour le retour à une meilleure situation sur son territoire. Cette argumentation devrait être fondée sur de solides éléments de preuve, dans la mesure où la décision du procureur de ne pas poursuivre est soumise au contrôle de la chambre préliminaire, qui doit la confirmer pour la rendre effective141(*). Cette hypothèse fait surgir la délicate question de la conciliation entre la nécessité d'une réconciliation durable et celle de la justice et de la lutte contre l'impunité, qui visent cependant toutes le même objectif, la paix et la stabilité pour les Etats142(*). * 127 Cf. note 77. * 128 V. les développements sur la complémentarité, supra. p.18. * 129 Encore faut-il que l'affaire soit déclarée recevable par la Cour en vertu des conditions de recevabilité prévues à l'article 17 du Statut. * 130 C'est l'exemple la situation au Soudan (Darfour), qui a été déférée à la Cour par le Conseil de sécurité. V. infra. (chap.3, sect.1) à propos des raisons de la non coopération des Etats. * 131 Cette affirmation ne signifie en aucun cas que la saisine de la Cour dans les autres hypothèses est systématiquement vouée à un échec de la procédure engagée, mais seulement que dans ces autres hypothèses la coopération des Etats, sera moins facile à obtenir. * 132 « (...) La paix passe par la négociation, et (...) la négociation se marie mal avec l'accusation », cette affirmation faite à propos de la médiation du Conseil de sécurité dans la résolution des conflits est tout aussi vraie pour les cas de dialogue interne. Cf. LAUCCI C., « Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour Pénale Internationale », précité note 54, p. 146. * 133 C'est par exemple le cas avec la commission de réconciliation en Afrique du sud ou plus récemment en Sierra Léone, ou de l'Instance Equité et Réconciliation au Maroc, qui sont des instances dotées de compétences non judiciaires. V. sur ce sujet pour le cas du Maroc le rapport de la FIDH sur le séminaire tenu dans ce pays en mars 2004 « Les Commissions de vérité et de réconciliation : l'expérience marocaine » http://www.fidh.org/article.php3?id_article=1659, plus généralement voir http://www.ier.ma (Visité le 30 décembre 2005). * 134 Il a été évoqué en effet en introduction, le cas de l'Ouganda qui a envisagé de faire interrompre l'enquête de la Cour pour favoriser le processus de paix interne. * 135 Cf. article 127(2) du Statut. * 136V. sur cette question en droit français, LEVASSEUR G., CHAVANNE A., MONTREUIL J. et BOULOC B., Droit pénal général et procédure pénale, Paris, Sirey, 1999, p. 112. * 137 La comparaison peut être faite entre l'Etat qui défère une situation devant la Cour et la partie (civile) qui porte plainte devant le procureur en droit interne. La victime en droit interne agit en effet sur initiative propre et le procureur est seul habilité à examiner la plainte déférée et à décider de poursuivre. En cas de poursuite pénale, le procureur représente devant le juge pénal toute la société et non la victime seule, qui elle n'a d'emprise que sur le volet civil (c'est-à-dire sur la question de la réparation du dommage qu'elle a subi) ; l'aspect pénal lui échappe. Devant la Cour, le procureur agit au nom de la communauté internationale. * 138 Les crimes poursuivis sont en effet « les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale », cf. article 5 du Statut. * 139 Cf. article 42 du Statut relatif au bureau du procureur. L'indépendance de la Cour et du procureur est garantie par le Statut. * 140 Cette résolution positive doit être prise par un vote unanime de tous les membres pour la suspension de l'enquête. Donc sans le veto contraire d'un membre permanent. V. SHABAS W., An introduction to the International Criminal Court, 2nd ed., Cambridge University Press, 2004, pp. 82 et ss. * 141 Cf. article 53(3.b) du Statut. * 142 Il s'avère souvent pénible d'une part, d'obtenir l'arrêt des hostilités entre les différentes parties au conflit, lorsque certains responsables sentent peser sur eux le risque de poursuites judiciaires pour leurs actions durant le conflit. D'autre part, il est difficile pour les victimes et leurs ayants droit, d'admettre une impunité totale des responsables même en contre partie de l'arrêt du conflit ou des tensions. Le cas du Libéria avec le dirigeant Charles Taylor est assez évocateur de cette question. Son départ en exil a été décisif dans l'obtention d'un cesser le feu dans ce pays. Mais, le problème de son transfert devant le tribunal spécial de Freetown par le Nigeria qui lui a accordé l'exil se pose aujourd'hui. C'est un dilemme que certains pays ont essayé de résoudre par des processus autres que strictement judiciaires. Ce fut le cas en Afrique du Sud, à la chute du régime de l'apartheid au début des années 90, avec la Commission vérité-réconciliation, au Rwanda avec les juridictions « gacaca » (Cf. NZANZUWERA F., « Les juridictions gacaca, une réponse au génocide rwandais ou le difficile équilibre entre châtiment et pardon », in BURGOGUE LARSEN L. (dir.), La répression internationale du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 109-120.) ; ou encore au Maroc (Cf. supra, note 103). V. aussi sur cette question HUYSE L., « Amnistie, commission de la vérité ou justice », in DEXTEXTHE A. et FORET M. (dir.), De Nuremberg à La Haye et Arusha, précité note 31, pp. 81-84 ; et CHRETIEN J.P., « Impunité et réconciliation au Rwanda et Burundi », ibid., pp. 73-80 |
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