Le rôle et la place des états dans le fonctionnement de la cour pénale internationale( Télécharger le fichier original )par Désiré Yirsob Dabire Université de Genève - DEA de droit international public 2006 |
CHAPITRE 1 :LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CPI),PREMIERE JURIDICTION INTERNATIONALE PENALE PERMANENTE.La CPI est unique en son genre. Aucune des juridictions pénales supranationales qui ont existé ou qui existent encore ne cumulent ses deux caractéristiques. Elle est à la fois internationale et permanente. Des tribunaux pénaux multilatéraux22(*) ad hoc, aux tribunaux pénaux internationaux ad hoc23(*), on aboutit avec la CPI, à une instance pénale internationale permanente. Il va sans dire qu'une nette évolution s'est opérée (section 1), avec une implication toujours plus importante de la communauté des Etats. La CPI est aujourd'hui pleinement fonctionnelle et il est important qu'elle puisse exercer et assumer le rôle qui lui est dévolu au sein du système international (section 2). Section 1 : Les origines de la CourLa Cour Pénale Internationale est l'aboutissement d'une évolution dont les origines se retrouvent bien avant les tribunaux militaires de la fin de la seconde guerre mondiale (paragraphe 1). Partie d'une initiative individuelle au départ, l'idée de créer une juridiction pénale permanente va se transposer progressivement au niveau étatique (paragraphe 2). Paragraphe 1 : L'évolution vers la CPILe chemin vers la Cour issue du Statut de Rome pourrait être présenté en deux étapes, marquées par des interruptions multiples. D'abord par un aperçu qualifié d'historique (A), ensuite par une vue sur une période plus récente qui est la mieux connue (B). A - Aspects historiques24(*). L'un des précurseurs de l'idée de création d'une Cour criminelle internationale fut Gustave Moynier25(*). Ce dernier émit en 1872 l'idée de mettre en place un tribunal de cinq membres (dont un représentant par belligérant et trois désignés par les Etats neutres), afin de punir les atrocités commises lors du conflit franco prussien26(*). L'initiative échoua et ne connut pas plus de succès lorsqu'elle fut renouvelée deux décennies plus tard, en 1895, lors d'une session de l'Institut de Droit International en Angleterre. Cette première série d'échecs ne freina pas pour autant l'action qui avait été lancée. Ainsi, l'initiative fut de nouveau remise en marche, pour aboutir à la convention de La Haye de 190727(*). Avec pourtant une compétence limitée à la capture internationale de navire (piraterie), le tribunal international prévu dans cette convention ne vit jamais le jour malgré la bonne volonté de quelques puissances. La fin de la 1ère guerre mondiale vit renaître le projet de créer une Cour pénale internationale. La conférence de paix de 1919 instaura une commission qui décida de la création d'une juridiction pénale internationale. Mais les ambitions de cette commission furent revues à la baisse à cause d'objections manifestées par certains Etats, avec en tête les Etats Unis. En définitive, seul un tribunal interallié fut créé par le traité de Versailles qui mit fin à la guerre de 1914 - 1918, avec pour seule mission de juger Guillaume II l'empereur allemand27(*). Mais, une fois de plus, cette instance n'aura jamais l'occasion d'entrer en activité puisque le principal et seul accusé, entre temps réfugié aux Pays-Bas, ne sera jamais extradé par ce pays27(*). Plus tard, avec l'avènement de la Société Des Nations, il fut décidé de la création de la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI). Le baron Deschamps, alors président de la commission chargée de réfléchir sur les statuts de cette Cour, émit une idée assez originale : celle d'annexer à la CPJI une haute cour de justice internationale qui statuerait sur les crimes contre le droit des gens. Cependant, bien que soutenue par l'ensemble de la Commission, cette idée fut jugée prématurée par l'assemblée des Etats qui ne donna pas de suite à l'initiative. Malgré ces infortunes, ce projet a continué d'être entretenu. C'est ainsi qu'avec la fin de la 2ème guerre mondiale et les horreurs qui l'ont minées, la perspective de mise sur les rails d'une instance répressive internationale va ressurgir et même connaître un certain aboutissement. En effet, les puissances alliées vainqueurs de la guerre, instaurèrent par l'Accord de Londres du 8 août 1945, le tribunal militaire international de Nuremberg, et celui de Tokyo en 1946 par la Déclaration du commandant des forces alliées. Ces tribunaux avaient pour mission de juger les criminels de guerre nazis de l'Allemagne d'Hitler27(*), et Japonais. Malgré les nombreuses critiques dont ils furent l'objet28(*), ces tribunaux ont été la première manifestation concrète de la justice pénale internationale moderne. Quelques années après ces procès historiques, la communauté internationale, plus homogène avec la naissance de l'ONU, signa à New York en décembre 1948 la convention sur la répression du crime de génocide. La particularité de ce texte est qu'il prévoit en son article 6, une cour criminelle internationale 29(*), compétente pour connaître des crimes commis en violation de ses dispositions. Cette cour ne fut pas mise en place une fois de plus, mais cette convention donna une grande impulsion pour des réflexions sérieuses sur les textes d'une future cour criminelle internationale. B - Evolution contemporaine 30(*) En prenant pour repère les travaux dans le cadre de l'ONU, il a fallu cinquante années pour aboutir à l'adoption du Statut de la cour pénale internationale, dont l'article 6 de la Convention de 1948 envisageait la création. A la demande de l'Assemblée Générale, la Commission du Droit International avait, dès le début des années cinquante, entrepris une étude sur la question. Ses travaux connurent cependant une léthargie, due au contexte de la guerre froide et aux divergences d'idéologies qui empêchaient tout débat constructif. Le silence dura jusqu'à la session annuelle de l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1989. C'est en effet au cours de cette session, que Trinidad et Tobago proposa de reprendre les réflexions sur une cour pénale permanente31(*). Le véritable tournant interviendra cependant quelques années plus tard, avec la création par le Conseil de sécurité de l'ONU, et ce successivement, des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex Yougoslavie en 199332(*) et pour le Rwanda en 199433(*), en vertu des pouvoirs du chapitre VII de la Charte. Ainsi et à l'instar des sursauts précédents, ce sont des conflits de grandes ampleurs qui ont justifié la résurgence de l'idée de mettre en place un tribunal pénal international. Pour la première fois depuis Nuremberg et Tokyo, la répression pénale internationale des crimes considérés comme des offenses à l'humanité toute entière devenait réalité. Les évènements atroces de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, ajoutés à la controverse suscitée par la création des deux tribunaux pénaux internationaux ont réussi à convaincre nombre d'Etats que la création d'une cour permanente internationale, au moyen d'une convention multilatérale était la solution la meilleure. En effet, ces tribunaux ont été qualifiés d'illégaux et d'illégitime au regard du mode et du fondement juridique de leur création par le Conseil de sécurité des Nations Unies 34(*). La Commission du Droit International fut en mesure de présenter un projet de statut à l'Assemblée Générale dès 1994. Ce projet fut examiné par un comité ad hoc établi en 1995, et dont le rapport fut encore soumis à un comité préparatoire. C'est le projet consolidé par ce comité préparatoire qui a constitué le document de base des négociations de la conférence diplomatique de Rome. Cette conférence qui s'est tenue du 15 juin au 17 juillet 1998, avait pour but de mettre au point la version définitive du Statut de la Cour Pénale Internationale et surtout d'obtenir son adoption par les Etats. * 22 Ce furent les tribunaux, de Nuremberg issu de l'accord de Londres du 8 août 1945 et de Tokyo créé par la Déclaration de 1946 du commandant Mac Arthur installés par les forces Alliées vainqueurs de la 2è guerre, pour juger les responsables allemands et japonais, des crimes commis pendant la 2è guerre mondiale. * 23 Il s'agit des tribunaux pénaux internationaux créés par deux résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu, pour l'ex-Yougoslavie de 1993 (Résolution 808 du 22 février) et pour le Rwanda de 1994 (résolution 955 du 8 novembre). * 24 Cf. l'introduction de BOURDON W., La Cour Pénale Internationale : le Statut de Rome, précité note 12, pp. 13-24. * 25 Gustave Moynier (1826-1910) est un juriste et humaniste suisse, il fut un membre fondateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1863. * 26 Ce conflit opposa la France aux Lands d'Allemagne. Débuté en juillet 1870, il a pris fin avec le traité de Frankfort du 10 mai 1871, sur une défaite de la France. 27 Il s'agit de la Convention (XII) relative à l'établissement d'une Cour internationale de prises signée à La Haye, 18 octobre 1907. 28 Guillaume II fut condamné pour « offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités », selon les termes de l'article 227 du traité de Versailles. 29 Les Pays-Bas ont estimé à l'époque que le crime dont était accusé le Kaiser allemand était de nature politique et ne pouvait donc pas donner lieu à l'extradition de ce dernier. V. BASSIOUNI Ch., « Projet de code pénal international », in Revue internationale de droit pénal, Toulouse, Erès, 1er et 2è trimestre, 1981, p. 55. * 27 Après avoir jugé 22 accusés, le tribunal de Nuremberg prononça 12 condamnations à mort (par pendaison) 3 emprisonnements à vie, 4 peines entre 10 et 20 ans et 3 acquittements. * 28 Le tribunal de Nuremberg a été traité de tribunal rendant la justice des vainqueurs, ne respectant pas de surcroît le principe de légalité dans la mesure où son statut, contenant les définitions des crimes qu'il devait juger, est intervenu après la commission desdits crimes. V. sur la question TAVERNIER P., « L'expérience des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda », in Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 828, Genève, CICR, 1997, pp. 647-663 ; PAECH N., « Les apports du procès de Nuremberg au droit pénal international de l'époque », in Le procès de Nuremberg, conséquences et actualisation, actes du colloque international, Université Libre de Bruxelles, 27 mars 1987, Bruxelles, Bruylant, Université de Bruxelles, 1988, pp. 23-30 ; WIEVIORKA A., « Les procès de Nuremberg et d'Eichmann, en perspective », in DESTEXHE A. et FORET M., De Nuremberg à la Haye et Arusha, Bruxelles, Bruylant, 1997, pp. 23-37. * 29 Cet article dispose en effet que : « Les personnes accusées (...) seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction. » Cf. la résolution 260 A (III) de l'AGNU, en ligne http://daccessdds.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/044/31/IMG/NR004431.pdf?OpenElement. (visité le 30 janvier 2006). * 30 V. Les travaux du colloque de l'Association Droit et Démocratie du 20 octobre 1998, La Cour Pénale Internationale, précité note 11, pp. 6-7 ; V. aussi, BOURDON W., La Cour Pénale Internationale : le Statut de Rome, précité note 12, pp.14-24 ; également BASSIOUNI Ch., « Etude historique : 1919-1998 », in Nouvelles études pénales, 13 quater, Toulouse, Erès, 1999, pp. 1-44 ; BROOMHALL B « La CPI, présentation générale et coopération des Etats », ibid., pp. 50-54. * 31 Cf. SOLERA O., « Complementary jurisdiction and international criminal justice », in Revue Internationale de la Croix Rouge, n° 845, Genève, CICR, 2002, p. 145. Ainsi, dans une résolution (Res. 44/39) du 4 décembre 1989, l'Assemblée Générale des Nations Unies demanda à la Commission du Droit International de bien vouloir « étudier la question de la création d'une cour de justice pénale internationale (...) ». * 32 Par la résolution (CS) 808 du 22 février 1993. * 33 Par la résolution (CS) 955 du 08 novembre 1994. * 34 Des avis controversés ont été émis dès la création du tribunal pour l'ex Yougoslavie, sur la question de la légalité et même de la légitimité de ces tribunaux au vu de leur mode de création. Ces tribunaux ont été considérés comme illégaux, parce qu'ils ne respecteraient pas le principe selon lequel un tribunal doit être établi par une loi. En outre, le Conseil de sécurité aurait outrepassé ses pouvoirs au regard du Chapitre VII (article 41) de la Charte en créant un organe judiciaire. Ainsi PELLET A. (Cf. « Le tribunal criminel international pour l'ex Yougoslavie : Poudre aux yeux ou avancée décisive », in Revue Générale de Droit international Public, Paris, Pedone, 1994, pp.16 et ss.) et DAVID E. («Le TPIY » in Revue Belge de Droit International, 1992-2, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 567-569), défendaient l'idée de la légitimité et de la légalité du TPIY, tandis qu'il y avait une certaine opposition (ANDRIES A., « Les aléas juridiques de la création du tribunal international pour les crimes de guerre commis depuis 1991 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie », in Journal des procès (Bruxelles), n°239, 14 mai 1993, pp. 17 et ss.). La tenue des deux procès Tadic et Akayesu respectivement devant le TPIY et le TPIR, de même que les critiques qui ont été formulées par les avocats de la défense des accusés et les arrêts qui ont été rendus ont permis à la jurisprudence de se prononcer dans le sens de la régularité des deux tribunaux. V. à ce sujet les affaires Tadic (Jugement de la Chambre d'appel du 2 Octobre 1995- www.un.org/icty) devant le TPIY et l'affaire Kanyabashi (TPIR-96-15-T, 18 Juin 1997) devant le TPIR ; également l'affaire Milosevic devant la Cour européenne de droits de l'homme, ECHR, Slobodan Milosevic c/ the Netherlands, décision du 19 mars 2002, req. n° 77631/1l (La requête de Slobodan Miloeviæ a été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes des Pays-Bas, conformément à l'article 35 para. 1 et 4 de la Convention.) Ces décisions n'ont cependant pas stoppé les débats contradictoires sur le sujet. V. STERN B., « Légalité et compétence du Tribunal pénal international pour le Rwanda : l'affaire Kanyabashi », sur le site Actualité et Droit International, février 1999 ( http://www.ridi.org/adi visité le 30 décembre 2005) et les avis opposés, « Le TPIY, un tribunal hors la loi », in VERGES J., Justice pour le peuple serbe, Lausanne, L'âge d'homme, 2003, pp. 87-105 ; et l'avis collectif constatant l'illégalité du tribunal, de DRAGO R., ZORGBIBE Ch., DECOCQ A. et DANA A-Ch, ibid., pp. 107-157. Aujourd'hui le TPIY est en phase d'arriver au délai limite de 2008, qui lui a été fixé par le Conseil de sécurité pour terminer sa mission. |
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