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Du principe de non-refoulement face au défi de l’immigration clandestine dans le bassin méditerranéen


par Du Congo Bakunzi
Université libre des pays des grands lacs  - Licence en Droit 2022
  

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Section II. LA PROTECTION JUDICIAIRE

Comme nous venons de le voir ci-haut, le migrant en situation irrégulière comme tout autre être humain a des droits liés à sa personne que l'on doit respecter en tout temps. Néanmoins plusieurs États d'accueil des migrants et même certains États de transit à l'instar de la Libye ne cessent de bafouer les droits de ceux-ci en les soumettant à des traitements inhumains et dégradants sous prétexte de décourager le phénomène migratoire en Europe.

L'article 34 de la CEDH garantit le droit de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une requête individuelle en cas de violation des droits de l'homme.

Dans cette section nous allons voir par quels mécanismes un individu peut saisir la CourEDH (Paragraphe 1) et nous ferons ensuite une analyse jurisprudentielle d'un arrêt rendu par la CourEDH sur les traitements inhumains et dégradants à l'encontre des migrants (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. LA REQUÊTE AUPRÈS DE LA CEDH

Aux termes de l'article 34 de la CEDH qui dispose que :

La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit.112(*)

La Cour a décrit le droit de saisine par un individu comme l'une des « clés de voûte du mécanisme » de sauvegarde des droits de l'homme et considère qu'il est une garantie fondamentale de l'efficacité de la CEDH. Ce droit est néanmoins soumis à un ensemble de conditions. En vertu des articles 32, 34 et 35 de la CEDH, les requérants doivent être victimes d'une violation des droits reconnus dans cette convention et ne peuvent saisir la Cour qu'après avoir épuisé toutes les voies de recours internes et dans un certain délai. La CourEDH a produit une vaste jurisprudence sur les critères de recevabilité d'une requête individuelle auprès d'elle.

Dans ce paragraphe nous essaierons deux réponses à deux principales questions : Quelles sont les conditions préalables pour qu'un migrant puisse saisir la CourEDH ? (A) Est-ce qu'un migrant peut solliciter les mesures provisoires ? (B).

A. CONDITIONS PRÉALABLES POUR SAISIR LA CourEDH

Tous les requérants, y compris les migrants, sont soumis aux conditions définies par la CEDH et par la CourEDH en ce qui concerne la compétence de la Cour et la recevabilité de leur requête.

En vertu de l'article 32 de la CEDH, la Cour est compétente pour statuer sur « toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles ». De plus, s'il existe un doute à ce sujet, elle est compétente pour décider elle-même et régler le différend.

1. Le statut du requérant et la notion de victime

Pour qu'un individu puisse saisir la CourEDH, il doit être une victime d'une violation des droits garantis par la CEDH (a) ou soit l'individu peut être une victime potentielle (b).

a) Le requérant doit être une victime

En vertu de l'article 34 de la CEDH, toute personne qui saisit la Cour d'une requête doit être victime d'une violation des droits garantis par la Convention. Ce point soulève la question suivante : qui peut être considéré comme une victime au sens de l'article 34 ?

La Cour a établi que la notion de victime est un concept autonome, ce qui autorise une interprétation téléologique, en opposition à une interprétation littérale. La CourEDH n'est donc pas liée par les définitions et les dispositions réglementaires internes et devrait interpréter la notion de victime sans formalisme excessif, à la lumière des conditions de vie d'aujourd'hui et en tenant compte du fait que le statut de victime peut, dans certains cas, être lié au bien-fondé de la cause.113(*)

Il ressort de ce qui précède que l'interprétation souple de la notion de victime a permis à la CourEDH de développer sa jurisprudence de façon à reconnaître le statut requis pour les victimes directes et les victimes indirectes.114(*)

Les « victimes directes » désignent en toute logique les requérants directement concernés par l'acte ou l'omission qui a prétendument porté atteinte aux droits qui leur sont garantis par la Convention, dans la mesure où ils n'étaient pas, ne serait-ce qu'en partie, responsables de cette violation.115(*)

Les « victimes indirectes » désignent les personnes qui prétendent avoir un lien particulier et personnel avec la victime directe. La CourEDH a par exemple accepté une requête déposée par la femme d'une victime pour allégation de violation de l'article 2 de la CEDH, ainsi que celle de la mère d'une personne dont la disparition, en raison d'une garde à vue, avait prétendument porté atteinte à l'article 3 de la CEDH.116(*)

Par ailleurs, seule une personne vivante soit la victime elle-même, soit une personne agissant en son nom est autorisée à saisir la Cour d'une requête. La Cour a ainsi conclu que le grief d'une personne décédée était irrecevable bien que formulé par un représentant. Cela étant, si la victime décède après avoir présenté sa requête, la Cour peut accepter que des membres de la famille suffisamment impliqués poursuivent la procédure. Elle considère que, dans certains cas, la protection des droits de l'homme lui impose de poursuivre l'examen du grief au lieu de rayer l'affaire du rôle automatiquement, indépendamment du décès du premier requérant.117(*)

Enfin, le statut de victime doit être justifié pendant toute la durée de la procédure. Si, à un moment donné, les autorités nationales prennent des mesures pour reconnaître expressément la violation et la redresser, le requérant perd son statut.

A titre d'exemple dans l'affaire Burdov c. Russie, 7 mai 2002, paragraphe 30 : « La Cour rappelle qu'il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. A cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention. »118(*)

b) Le requérant peut être une victime potentielle

La CourEDH a souligné que le critère d'incidence directe de la violation ne peut pas être appliqué de façon stricte et mécanique. Elle a donc défini la notion de « victime potentielle » et reconnu, au cas par cas, le statut requis de victime à des personnes qui n'étaient pas victimes d'une violation directe, mais seulement des victimes potentielles.119(*)

Le développement de cette notion revêt une importance particulière pour les migrants. Ainsi qu'il est expliqué ci-dessous, le droit à un recours effectif en cas d'éloignement doit avoir un effet suspensif, le but étant d'assurer une protection effective contre les risques auxquels le requérant pourrait être exposé dans le pays de destination, notamment contre les violations de l'article 3 de la CEDH. La CourEDH a ainsi conclu au caractère hypothétique de violations de la CEDH en cas d'éloignement du requérant, du fait qu'il pourrait être victime de torture et de mauvais traitements, d'un procès non équitable, d'une détention arbitraire ou d'une violation de son droit à la vie familiale par exemple.

2. Obligation d'épuiser les voies de recours internes

La règle concernant l'épuisement des voies de recours internes, qui est un principe du droit international coutumier, est inscrite dans la jurisprudence de la CIJ ainsi que dans de nombreux instruments internationaux de protection des droits de l'homme. Dans la CEDH, cette règle est expressément prévue à l'article 35 § 1 : « [l]a Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus ».120(*)

Dans l'affaire A, B et C c. Irlande, la CourEDH a expliqué que « [ces voies de recours internes] doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies. »121(*)

Cette obligation s'explique d'une part par le rôle subsidiaire joué par la CourEDH et d'autre part par la nécessité de donner aux juridictions internes la possibilité de prévenir ou de redresser la violation avant qu'une procédure soit engagée au niveau international. Elle est également liée au fait que les Etats sont tenus de fournir un recours effectif, conformément à l'article 13 de la CEDH. La CourEDH considère qu'il s'agit d'un principe fondamental et d'un aspect indispensable du système de protection de la CEDH.122(*)

A l'instar de la notion de victime, la règle de l'épuisement des voies de recours internes doit être appliquée sans formalisme excessif et interprétée avec souplesse, à la lumière des circonstances propres à chaque cause. Par exemple, la CourEDH a estimé qu'il serait excessif d'exiger d'un requérant qu'il utilise les voies de recours internes que même la plus haute juridiction de l'Etat concerné n'a pas jugé obligatoires. De plus, le fait d'imposer au requérant l'utilisation d'une voie de recours qui constitue un obstacle disproportionné et porte atteinte au droit de saisir la CourEDH d'une requête a aussi été considéré comme excessif.123(*)

En outre, pour que la règle s'applique, les voies de recours internes doivent être disponibles et accessibles en théorie comme en pratique.124(*)

3. Le délai de six mois

L'article 35 § 1 de la CEDH prévoit également un délai limite pour introduire une re- quête. Cet article établit que pour être recevable, la requête doit être déposée « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ».125(*) Sur ce sujet également, la CourEDH a développé une abondante jurisprudence en interprétant et en précisant cette obligation temporelle.

Cette règle trouve sa justification dans la promotion de la sécurité du droit et dans la nécessité de ne pas laisser l'incertitude s'installer pendant des périodes déraisonnable- ment longues. Ainsi, tandis qu'une période de six mois est jugée suffisante pour que le requérant puisse décider de la pertinence de saisir la CEDH et des arguments à présenter, ce délai permet également un examen juste des faits, que l'écoulement du temps rendrait plus difficile et moins sûr pour les autorités comme pour les autres personnes concernées.126(*)

La règle des six mois suppose qu'une juridiction interne ait rendu une décision définitive concernant les doléances du requérant au regard de l'objet de son grief. Le délai court à partir du moment où la décision passe en force de chose jugée. Par ailleurs, la CourEDH a établi que seules comptent les voies de recours normales et effectives afin d'éviter que le requérant ne soit tenté de contourner le délai limite en portant des griefs abusifs devant des organes inappropriés. De même, les pourvois en révision ou les recours extraordinaires ne sont pas pris en compte et ne permettent pas, en principe, de prolonger le délai de six mois, à moins qu'aucun autre recours n'ait été disponible.127(*)

La CourEDH a établi que le délai court à compter du jour suivant la date à laquelle la décision définitive a été rendue publique ou a été communiquée au requérant ou à son représentant.128(*)

Quant à la date d'introduction de la requête, l'article 47 § 5 du règlement de la Cour (entré en vigueur le 1er mai 2012) énonce que : « Aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention, la requête est en règle générale réputée introduite à la date de la première communication du requérant exposant - même sommairement - son objet, à condition qu'un formulaire de requête dûment rempli ait été soumis dans les délais fixés par la Cour. Si elle l'estime justifié, la Cour peut toutefois décider de retenir une autre date ».129(*)

4. La requête ne doit pas être essentiellement la même qu'une autre requête déjà soumise à la CREDH ou à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement

Cette règle, qui figure à l'article 35 § 2 de la CEDH, signifie qu'une requête qui est essentiellement identique à une autre et qui ne contient pas de faits ou d'éléments nouveaux sera déclarée irrecevable. La CourEDH a établi qu'une requête sera considérée comme essentiellement identique à une autre lorsque les faits, le grief et les parties concernées sont les mêmes. Pour entrer dans le champ d'application de l'article 35 § 2 de la CEDH, les autres procédures internationales doivent revêtir un caractère public, international, judiciaire et indépendant.130(*)

Ces règles ont pour objet d'éviter les affaires redondantes et la multiplication des procédures internationales portant sur une même affaire.131(*)

* 112 Voir l'article 34 de la CEDH

* 113 Y. KTISTAKIS, la protection des migrants au titre de la convention européenne des droits de l'homme et de la charte sociale européenne, Paris, Conseil de l'Europe, 2014, p. 114 disponible sur : https://rm.coe.int/16806f140a

* 114Y. KTISTAKIS, la protection des migrants au titre de la convention européenne des droits de l'homme et de la charte sociale européenne, Paris, Conseil de l'Europe, 2014, p. 114 disponible sur : https://rm.coe.int/16806f140a

* 115Idem.

* 116Idem.

* 117Ibidem, 214.

* 118CourEDH, requite 12345/54, Burdov c. Russie, 2OO2.

* 119 Y. KTISTAKIS, Op. Cit., p. 224.

* 120 Voir l'article 35 de la CEDH.

* 121 CourEDH, requête 25579 de l'affaire A, B et C c. Irlande, 2006

* 122 Voir article 13 de la CEDH.

* 123 Y. KTISTAKIS, Op.Cit., p.225

* 124Idem.

* 125 Article 35 de la Convention européenne des droits de l'homme, Rome, 1953.

* 126Idem.

* 127 Article 35 de la Convention européenne des droits de l'homme, Rome, 1953.

* 128Idem.

* 129 Article 27 du règlement de la CourEDH, 2012.

* 130 Article 35 du règlement de la CourEDH, 2012

* 131Idem.

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