Du principe de non-refoulement face au défi de l’immigration clandestine dans le bassin méditerranéenpar Du Congo Bakunzi Université libre des pays des grands lacs - Licence en Droit 2022 |
Paragraphe 2. LA PROTECTION A TRAVERS LE DROIT PENAL INTERNATIONALLe droit pénal international est défini comme l'ensemble des règles du droit pénal relatives aux infractions présentantun élément d'extranéité ainsi qu'aux crimes internationaux95(*) Nous choisissons cette expression en opposition au droit international pénal qui, lui, a trait ensemble des règles du droit international public, pour l'essentielconventionnel, portant sur l'incrimination et la répression des crimes internationaux (Idem) qui sont commis par des individus et qui sont poursuivis par des juridictions internationales répressives. Les infractions de cette section sont punies par des juridictions nationales. Le trafic de migrants est une infraction universelle (A) complétée par la criminalisation d'autres types de criminalité transnationale (B). A. LA CRIMINALISATION UNIVERSELLE DU TRAFIC DE MIGRANTSPar manque de voies légales pour se déplacer, les migrants font l'objet de trafic. Il est fait obligation aux États de criminaliser le trafic de migrants (1) sur la base du régime juridique international en vigueur (2).
Le trafic de migrants est défini à l'article 3 (a) du Protocole de Palerme sur le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.96(*) Il s'agit du « fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un avantage matériel, l'entrée illégale dans un État partie d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État ».97(*) Selon le même article, l'entrée illégale est définie comme le « franchissement de frontières alors que les conditions nécessaires à l'entrée légale dans l'État d'accueil ne sont pas satisfaisantes ».98(*) Les termes utilisés en anglais pour qualifier le trafic de migrants sont très différents. Il convient donc de les distinguer avant d'aller plus loin. Il y a une différence de terminologie entre l'anglais et le français sur cette question. En effet, le « trafic de migrants » se dit `smuggling' en anglais, tandis que le « trafic d'êtres humains » correspond au `traficking' en anglais.99(*)Le trafic implique donc des personnes consentantes. Certaines personnes n'ont de contrôle ni sur leur voyage ni sur leur futur dans le pays de destination, il s'agit de la traite. Celle-ci est définie à l'article 3 (a) du protocole sur la traite des personnes (le transport par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation). Il n'y a toutefois pas d'immunité totale pour les victimes du trafic. Il existe bel et bien une obligation pour les États de ne pas entamer de poursuites judiciaires à l'encontre des migrants victimes du trafic (Article 5 protocole), mais une autre disposition, l'article 6 (4) vient en porte-à-faux. Il dispose qu' « aucune disposition du présent Protocole n'empêche un État Partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans sondroit interne, une infraction ». Les migrants peuvent être alors poursuivis pour avoir enfreint les règles migratoires de l'État concerné.100(*) Les textes obligent les États à criminaliser le trafic de migrants et les modalités de leurs compétences en la matière.
Le protocole de Palerme oblige les États parties à incriminer et punir le trafic de migrants (Article 3). Pour les États parties au protocole et à la convention donc, une obligation de criminaliser le trafic sur leur territoire s'impose. Selon l'article 6 : 1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel, Au trafic illicite de migrants. Lorsque les actes ont été commis afin de permettre le trafic illicite de migrants. Les États doivent également punir les actes aidant à la commission de l'infraction c'est-à-dire la « fabrication d'un document de voyage ou d'identité frauduleux »; le « fait de procurer, de fournir ou de posséder un tel document » ; le « fait de permettre à une personne, qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent, de demeurer dans l'État concerné, sans satisfaire aux conditions nécessaires au séjour légal dans ledit État, par les moyens mentionnés ». La tentative est également punie c'est-à-dire le « fait de tenter de commettre une infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article » de même que la complicité, le « fait de se rendre complice » d'une infraction établie par les dispositions précédentes. Les traitements humains et dégradants sont mentionnés par le fait de mettre en danger ou de risquer de mettre en danger la vie ou la sécurité des migrants concernés ou au traitement inhumain ou dégradant de ces migrants, y compris pour l'exploitation. La mise en application de la répression exige l'entrée illégale dans un État partie. La tentative d'entrée illégale peut servir en haute mer. La criminalisation ne s'applique qu'aux infractions transnationales selon l'article 4 du Protocole. Elle vise les trafiquants seulement mais il n'existe pas d'immunité pour les migrants en cas de violation des règles d'immigration.101(*) En effet selon l'article 6 alinéa 4 du protocole, « Aucune disposition du présent Protocole n'empêche un État Partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne, une infraction. Les éléments du crime sont le mens rea et l'actus reus. Le mens rea signifie que le trafic doit avoir été commis pour obtenir un bénéfice financier ou matériel. L'actus reus consiste à participer activement dans le trafic en fournissant les documents frauduleux ou avoir physiquement fait traverser les frontières aux migrants.102(*) L'ONUDC a schématisé cette définition comme suit. Il s'agit du fait d'assurer l'entrée illégale d'une personne dans un État dont elle n'est pas ressortissante pour en tirer profit.103(*) De manière préventive également, l'article 10 du Protocole encourage l'échange d'informations entre États qui se trouvent dans une zone couramment utilisée pour le trafic de migrants. Après avoir décrit les obligations des États ci-dessus, il faut maintenant se pencher sur les titres de compétences que détiennent les États en fonction des différentes zones maritimes. Il faut distinguer les zones sous souveraineté (eaux intérieures et mer territoriale) et les zones maritimes sous juridiction (zone contiguë et zone économique exclusive). Dans les zones sous souveraineté, celle-ci est absolue tandis que dans les zones sous juridiction, cette souveraineté est relative et n'est exercée que dans une optique précise. Au-delà des zones présentées se trouve la haute mer. En premier lieu, la haute mer est un espace situé au-delà de la mer territoriale et de la zone contigüe au-delà donc de 24 mille marins. Sa définition par l'article 86 de la Convention de Montego Bay est négative : la haute mer comporte toutes les parties de la mer qui ne sont pas inclues dans la zone économique exclusive, dans la mer territoriale ou les eaux intérieures ou les eaux archipélagiques. Dans la zone économique exclusive, la liberté de navigation s'applique.104(*) En principe, en matière de trafic de migrants, seul l'État de pavillon est compétent. L'État qui souhaite intervenir doit demander l'autorisation à l'État de pavillon105(*) Seuls les navires de guerre de l'État de pavillon peuvent interférer avec le mouvement d'un navire. Le fondement est la règle de la territorialité qui donne à l'État de pavillon une compétence plénière et exclusive sur les navires qui battent son pavillon.L'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus en 1927 a affirmé qu'« aucun État ne peut exercer des actes de juridiction quelconque sur des navires étrangers ».106(*) Les bases juridiques de la loi de pavillon sont multiples et nombreuses. Il y a en effet la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer en son article 6 reprises par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 en ses articles 87, 92, et 92.1. L'État de pavillon exerce une souveraineté entière et exclusive sur les navires battant son pavillon et régit les domaines de la navigation, de la pêche et en matière de protection du milieu marin. Cette compétence exclusive de l'État de pavillon est consacrée par la CIJ dans l'arrêt Détroit de Corfou du 9 avril 1949.107(*) En matière d'interdiction et de répression de la traite des esclaves, seul l'État de pavillon est compétent pour juger les coupables108(*) Le trafic de migrants n'est pas envisagé par la convention de Montego Bay ; elle ne permet donc pas de droits de visite spécifiques.109(*)Il faut l'autorisation de l'État de pavillon. Cependant, un titre de compétence peut être exercé par l'État côtier dans une circonstance particulière : la poursuite chaude. En effet, seul l'État côtier face à un navire intercepté suite à une poursuite chaude dispose d'une base juridique pour poursuivre le trafic. Le droit de poursuite chaude est un transfert en haute mer des compétences de police. * 95S. GUINCHARD et T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 823. * 96Article 3 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention contre la criminalité transnationale organisée, ouvert à signature à Palerme le 12 décembre 2000. * 97Idem. * 98Idem. * 99S. GUGGISBERG, « Le trafic illicite de migrants en mer » In Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP (dir.), La criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie de Droit International de la Haye, 2014, p. 243. * 100T. OBOKATA, « The Legal Framework Concerning the Smuggling of Migrants at Sea under the UN Protocol on the Smuggling of Migrants by Land, Sea and Air » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p.156. * 101S. GUGGISBERG, Op. Cit., p. 248. * 102C. BROLAN, « An Analysis of the Human Smuggling Trade and the Protocol Against the Smuggling of Migrants by Land, Air and Sea (2000) from a Refugee Protection Perspective », International Journal of Refugee Law, (2002), p. 584. * 103ONUDC, Cadre d'action international pour l'application du Protocole relatif au trafic illicite de migrants, 2013, p. 4. * 104 S. GUGGISBERG, Op. Cit., p. 265. * 105 Voir l'article 8 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention contre la criminalité transnationale organisée, Palerme le 12 décembre 2000. * 106Ludivine RICHEFEU, Op. Cit., p. 164. * 107COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Détroit de Corfou, 1949. * 108 A. DUMOUCHEL, Les atteintes à la sûreté en Haute-mer, Mémoire pour le Master recherche Relations internationales Option Sécurité et Défense, Paris, Université Panthéon-Assas-Paris II, 2008, p.75. * 109Idem |
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