La préparation de la loi de finances au Sénégalpar Babacar CISS Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master 2 en Droit Public 2020 |
Section 2 : Les procédures d'urgence ou dérogatoiresPar concours de circonstances, des complications peuvent venir perturber l'adoption, par procédure normale, de la loi de finances. En raison de cette probabilité, des procédures d'urgence ou dérogatoires sont prévues par la Constitution et/ou la loi organique, selon que le retard provient du Gouvernement ou du Parlement, afin de pallier les inconvénients qui sont nés du retard ou de la non approbation et promulgation de la loi de financesdans les délais.133(*)Dans la mesure où le projet de loi de finances n'est pas déposé dans le délai pour que le Parlement puisse disposer, à la fin de la session budgétaire, du délai de 60 jours, l'article 58 de la directive n°6 de 2009 dispose que la session budgétaire est, de plein droit et immédiatement, suivie d'une session extraordinaire dont la durée ne peut cependant excéder le nombre de jours nécessaire pour compléter le délai de 60 jours. Dans la même logique, la Constitution du Sénégal prévoit que si par suite d'un cas de force majeure,le projet de loi de finances n'a pu être déposé en temps utile pour que l'Assemblée dispose,avant la fin de la session fixée, de ce délai prévu, la session estimmédiatement et de plein droit prolongé jusqu'à l'adoption de la loi de finances.134(*) Sous cieux étrangers on constate l'existence de lois dérogatoires. En France par exemple, le Gouvernement peut, en cas d'urgence, demander au Parlement le vote de projet d'uneloi partiel135(*), ou d'une loi spéciale136(*)ou encore d'une loi particulière. En revanche, au Sénégal ou plus généralement dans l'espace UEMOA, il est loisibleà l'exécutif, en cas d'impossibilité d'approbation de la loi de finances en raison de ces circonstances susvisées, de faire usage de son pouvoir règlementaire pourla mettre en vigueur (Paragraphe 2) ou de procéder à sa mise en exécution par douzième provisoire (Paragraphe 1) pour assurer la continuité du service public. Paragraphe 1 : La règle du douzième provisoireDans la majorité des régimes démocratiques et républicains, l'État doit voir son budget annuel être adopté avant la fin de l'exercice budgétaire précédent, afin d'assurer une transition complète avec l'exercice budgétaire suivant. Toutefois, il arrive que la loi de finances de l'année suivante ne soit pas votée à temps. Si certains pays, comme les États-Unis, acceptent d'opérer un shutdown137(*), d'autres ont mis en place une méthode pour engager des dépenses avant le vote effectif de la loi de finances suivante. Méthode qui trouve son origine en France avant d'être appliquée dans plusieurs autres pays, le douzième provisoire est un concept juridique selon lequel, lorsque la loi de financesn'est pas votée, promulguée et publiée avantl'entame de l'exercice auquel il se rapporte138(*),le Gouvernementpeut engager des dépenses équivalentes à un douzième du budget prévu par la loi de finances de l'année précédente. Cette permission découle de l'article 58 de la directive n°6-2009/CM/UEMOA qui prévoit que, « compte tenu des dispositions propres aux Constitutions des Etats membres, le gouvernement est autorisé à poursuivre la perception des impôts et à reprendre les dépenses du budget de l'année précédente, par douzième provisoire. » C'est-à-dire mois après mois.139(*)Cette technique a été créée sous la Troisième République françaises lorsque, du fait d'une absence de rationalisation du parlementarisme, les lois definances étaient souvent votées en retard.140(*)Il était, dès lors, nécessaire d'user de cette méthode du douzième provisoire afin d'assurer la continuité du service public le temps que la loi définitive soit votée.141(*) On peut lire à travers le glossaire du cadre harmonisé des finances publiques de l'UEMOA quelorsque la loi de finances de l'année n'a pas pu être adoptéeavant le début de l'exercice par le Parlement, selon les délaisqui encadrent la procédure de vote, les douzièmes provisoirespermettent d'assurer la continuité de l'action de l'Etat. Ilsaccordent pour une période d'un mois reconductible lesouvertures de crédit et les autorisations de percevoir lesimpôts et revenus publics nécessaires pour assurer lacontinuité des services sur la base du budget de l'annéeprécédente.142(*) Cette pratique a pour objetd'autoriser le Gouvernement à percevoir les impôts existant au 31 décembre de l'année précédent le commencement du nouvel exercice, de rendre applicables pour un ou plusieurs mois d'autres dispositions essentielles de la loi budgétaire et d'autoriser le Gouvernement à effectuer, pendant la même période, les dépenses prévues au projet de budget (ou au dernier budget voté) jusqu'à concurrence d'un montant global proportionnel à cette période. Dans une approche plus rigoureuse, les dépenses à effectuer sont limitées au montant, proportionnel à la période concernée, des recettes escomptées. Les « douzièmes provisoires » constituentdes pré-budgets partiels pour un ou plusieurs mois, qui sont ensuite repris dans le budget proprement dit.La procédure des « douzièmes provisoires » contrevient au principe de l'annualité budgétaire. Aussiest-elle contraire au principe de l'unité budgétaire, puisque si plusieurs douzièmes doivent être votéssuccessivement, on aboutit à un morcellement du budget.En France cette procédure n'était plus appliquée depuis les années 60, c'est en2013, pour permettre au nouveau Gouvernement issu des élections anticipées d'octobre depréparer son budget pour 2014, que la Chambre des Députés a voté en décembre 2013 une loi de« douzièmes provisoires » portant sur les mois de janvier à avril 2014. Le budget pour 2014 estfinalement adopté an avril 2014.143(*) Par la suite, une loi adopté le 12 juillet 2014 et relative à la coordination et à la gouvernance des finances publiques a prévu par son article 10 les douzièmes provisoires par le paragraphe suivant :« Au cas où le budget n'est pas voté avant le premier janvier de l'exercice auquel il s'applique, le Gouvernement présente un projet de loi l'autorisant à recouvrer les impôts existant au 31 décembre de l'année précédent l'exercice, à rendre applicables pour un ou plusieurs mois d'autres dispositions et à effectuer, pendant la même période, les dépenses figurant dans des tableaux annexés. Les recettes perçues ainsi que les dépenses engagées au cours de cette période et liquidées au cours de l'exercice sont reprises dans le budget voté de l'exercice. »144(*)Outre cette procédure de douzième provisoire, la LOLF 2020 autorise le chef de l'Etat à valider par décret le projet de loi de finances dont le vote a été retardé par le Parlement. * 133 Stéphanie DAMAREY, L'essentiel des Finances publiques, Gualino, 8ème édition 2020, P.62 * 134Article 68 de la Constitution du Sénégal, alinéa 4 * 135 Article 47 de la Constitution française : « si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de l'exercice, le gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés. » * 136 France, article 45.2° de la loi organique de 2001. * 137Terme anglo-saxon qui signifie que le Gouvernement des Etats-Unis cesse toute activité, faute de moyens votés par le congrès. Toutefois, malgré le shutdown, les services médicaux et militaires doivent continuer à fonctionner. * 138Matthieu HOUSER, Les finances Publiques aux concours, La Documentation française, édition 2016, P.88. * 139A. DIOUKHANE, Les Finances Publiques dans l'UEMOA : Le Budget du Sénégal, Harmattan, 2015, P.129. * 140Stéphanie DAMAREY, L'essentiel des finances publiques, Edition 2021. * 141Fabienne BOCK, Finances publiques en temps de guerre, 1914-1918 : Déstabilisation et recomposition des pouvoirs, Institut de la gestion publique et du développement économique, 9 décembre 2016. * 142Glossaire du Cadre Harmonisé des Finances Publiques de l'UEMOA, la Commission, P.32. * 143Loi du 20 décembre 2013 ayant pour objet : d'autoriser le Gouvernement à effectuer, au cours des mois de janvier à avril 2014, les dépenses figurant aux tableaux annexés à la présente loi ;d'autoriser le Gouvernement à recouvrer les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 2013 d'après les lois et tarifs qui en règlent l'assiette et la perception ;de proroger certaines dispositions de la loi du 21 décembre 2012 concernant le budget des recettes et des dépenses de l'Etat pour l'exercice 2013 [...]. * 144 Loi du 12 juillet 2014 relative à la coordination et à la gouvernance des finances publiques et modifiant la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'Etat ainsi que la loi modifiée du 10 mars 1969 portant institution d'une inspection générale des finances. |
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