B- Les fondements conjoncturels de la naissance de
l'EIFORCES « du dehors »
La naissance de l'école internationale des
stratèges de sécurité d'Awae au Cameroun trouve sa raison
d'être dans les différentes crises sécuritaires que vit le
monde. Dans un monde de plus en plus interconnecté où le principe
de frontière à tendance à disparaitre pour céder
place au village planétaire, tous les acteurs sont conviés afin
de construire un espace d'épanouissement prospère et stable. Le
Cameroun a répondu à ce défi à travers la
création de l'EIFORCES. En mettant sur pied cet établissement,
les autorités camerounaises veulent apporter des réponses aux
situations crisogenes extérieures. Dans cette réflexion, l'accent
est mis sur la présentation de ces crises sécuritaires du
dehors.
1. Les attentats du 11 septembre 2001 :
la riposte contre le terrorisme
Le 11 septembre 2001, le monde vit un évènement
historique qui va changer le cours de l'histoire. Il s'agit des attentats
perpétrés sur le sol américain par dix-neuf terroristes
appartenant à Al Quaida. Ces derniers vont prendre d'assaut
quatre avions de ligne37. Deux de
35
ces avions auront pour cible les tours jumelles du World Trade
Center à New York. Ils vont s'écraser sur le centre de la
puissance économique américaine. Un autre de ces avions
s'écrase sur le pentagone à Washington, bâtiment abritant
le quartier général des forces armées américaines.
Le quatrième échoue au niveau de la maison Blanche siège
de la présidence américaine, lieu incarnant la puissance de la
politique et la diplomatie américaine. Ces attentats portent un coup
à l'orgueil des Etats Unis et à l'ordre mondial. Au lendemain de
la deuxième guerre mondiale les Etats Unis héritent de la lourde
responsabilité de protéger et préserver la
sécurité mondiale.
Les terroristes choisissent une heure haute symbole dans le
quotidien des américains pour attaquer ces édifices incarnant le
Soft-power américain38. Il s'agit de 9 heures sur la
côte Est des Etats Unis et 15 heures en Europe39. L'objectif
est d'installer la psychose auprès de la communauté
américaine et internationale. Ceci grâce à l'effet
communicationnel. En effet, au moment où les faits se déroulent,
les téléspectateurs vivent en direct l'effondrement des tours
jumelles, la remise en question de l'hégémonie américaine
et de l'ordre mondial. La communauté internationale se mobilise pour
barrer la voie à cet ennemi. Il s'agit des groupes terroristes.
L'entrée en scène de cet acteur a suscité
des vives mobilisations auprès des autorités américaines
et de la communauté internationale. Pour ralentir les effets
néfastes du terrorisme, les acteurs mondiaux remettent la
sécurité au centre du débat. L'on passe de la
sécurité domestique auxiliaire de la sécurité
intérieure à une sécurité allant au-delà des
frontières. La nouvelle approche sécuritaire devient proactive.
Désormais, les moyens sont mis en oeuvre afin d'anticiper tous les actes
terroristes. Parmi ces outils d'anticipation des actes terroristes, il y' a la
création de structures d'encadrement sécuritaire. C'est le cas de
l'école internationale camerounaise d'Awae qui oeuvre pour un
renforcement des capacités en matière de lutte contre le
terrorisme. Ce renforcement des capacités s'effectue dans un
environnement pédagogique hautement coopératif
(coopération policière).
Le Cameroun très attaché aux valeurs de paix et
de solidarité internationale, va créer une école de
sécurité internationale dont le but est, de former des experts
dans le champ sécuritaire afin d'anticiper sur des menaces
sécuritaires et terroristes. Les dirigeants camerounais en créant
l'EIFORCES ont à coeur de répondre aux problèmes
sécuritaires qui frappent le monde. La création de cette
école trouve sa raison d'être dans d'autres faits
38 Une expression employée comme synonyme de
politique d'influence (économique, culturelle, idéologique)
initiée par l'Etat américain.
39 A. Bernard, " Le 11 septembre ", p. 3.
36
marquants de crises sécuritaires perturbant la
stabilité du monde en général et l'Afrique en particulier.
C'est le cas des crises sécuritaires qu'a vécu la Côte
d'Ivoire. Le Cameroun sous l'égide des Nations Unies a eu à
déployer ses forces de sécurité dans ce pays ami. Les
autorités camerounaises en dehors de l'envoi d'un contingent ont
pensé apporter une solution aux crises sécuritaires
internationales.
2- Les crises ivoiriennes : L'urgence d'une
amélioration de la gouvernance sécuritaire
Les crises ivoiriennes sont les fruits des causes
structurelles et conjoncturelles. L'analyse des mobiles structurels, fait
évoquer les pesanteurs historiques. Il est question à ce niveau
de la configuration politico-administrative héritée de la
période coloniale40. Pendant cette période, les colons
lors du processus d'installation des administrations avaient
privilégié les zones permettant l'écoulement aisé
des produits de premières nécessités aux
périphériques. Le maillage administratif et économique
coloniale en Côte d'Ivoire est plus accentué à Abidjan au
détriment du nord du pays41.
Cette implantation donne suite à des disparités.
Elles sont observables au niveau infrastructurel. Certaines zones sont plus
émancipées que d'autres. Et la présence de l'Etat est
à travers ses services publics est inexistante. En Côte d'Ivoire,
le Sud du pays se développe considérablement par rapport au Nord
du pays. A ces disparités administrative-économique, il faut
ajouter le processus d'étatisation survenu avant la construction d'un
sentiment d'appartenance à une même entité
territoriale42. Après l'obtention de sa souveraineté
la construction d'un sentiment d'appartenance se fait autour du
président Boigny. Avec la réouverture démocratique,
l'adoption d'une constitution démocratique a amplifié les
tensions latentes dans le pays. Néanmoins, le pays va connaitre la tenue
d'une élection présidentielle.
Les résultats de celle-ci vont reconduire au pouvoir le
président sortant. Il n'ira pas au terme de ce mandat car en 1993 il
décède. Son successeur est le Président de
l'Assemblée Nationale Henri Kona Bédié a la charge de
terminer le mandat et d'organiser une élection. Ce fut le cas en 1995
lorsqu'il organise la deuxième élection à l'ère du
multipartisme. Cette dernière est tachée de plusieurs
irrégularités et se tient dans un climat violent.
Néanmoins, le nouveau pouvoir va tenir les commandes du pays jusqu'en
1999. Date à laquelle le pays fait face à un coup d'état
orchestré par un groupe de soldats.
40 N. Labonté," La guerre civile en
côte d'Ivoire : L'influence des facteurs économiques, politiques
et identitaires", Mémoire en Droit, Université de Laval,
2006, p. 73.
41 Ibid.
42 Ibid.
37
En décembre 1999, un groupe militaire déclarant
faire partie d'une mission onusienne en Centrafrique réclamant leurs
primes prendre d'assaut la télévision et la radio nationale
ivoirienne. Le lendemain de cette prise d'assauts sur la
télévision nationale, le général Guéi
annonce le délogement de Bédie comme Président et de son
gouvernement43. Les commandes du pays vont être
assurées par le comité national du salut dont le
général Guéi est le meneur. Ce comité dit vouloir
balayer la maison. Cela suppose préparer un terrain propice pour la
tenue d'une l'élection transparence.
Passant de la parole à l'acte, une élection a
lieu le 22 septembre 2000. Au lendemain de l'élection, la commission
électorale annonce le candidat de FPI en tête des résultats
de cette élection. Le général Guéi candidat
à cette élection dans une annonce télévisée
discrédite les résultats de la commission électorale.
Refusant de céder le pouvoir au candidat du FPI. Face à cette
situation des mobilisations menées par les militants du FPI avec le
soutien de certains éléments des forces de défense et de
sécurité donnent lieu au délogement du
général Guéi. Ces manifestations coutent la vie à
76 personnes à Yopougon44.
Le candidat du FPI Laurent Gbagbo est rétabli dans ses
droits par la cour suprême. Il accède un pouvoir dans un
environnement otage de plusieurs tensions. Ces tensions vont déboucher
le 19 décembre 2002 sur une tentative de coup d'état qui va muter
en une rébellion armée. Les rues d'Abidjan connaissent le 19
septembre 2002 une fusillade. Orchestré par un groupe de mutins de
l'armée régulière ayant pour leader Soro Guillaume. Ce
mouvement de mutins fustige le délestage que vivent les populations du
Nord45. Cette crise politico-militaire va déboucher sur une
division ethno-politique. Le Nord du pays musulman est soupçonné
de soutenir la rébellion et le sud semble très proche du
pouvoir.
Cette division ethno-politique va mettre de l'huile au feu. Le
pays vit une balkanisation territoriale dans laquelle la rébellion
occupe les deux tiers du territoire46. Les populations hors zone du
contrôle de l'Etat sont victimes de plusieurs atrocités de la part
des rebelles.
La détérioration sécuritaire que la Cote
d'Ivoire vit à travers cette crise politico-militaire suscite
l'attention de la communauté internationale. Pour une sortie de crise la
France va convoquer les différentes parties à Marcoussis en
janvier 2003. Les clauses de cette rencontre ne sont pas respectées par
les différentes parties. Ce qui conduit à la rencontre d'Accra en
juillet 2004. L'implémentation de ces accords semble impossible dans
un
43 N. Labonté, "la guerre civile...",
p. 37.
44 RAIDH, "Cote d'Ivoire : une décennie de
crises graves non encore punis ", Freedom House, p. 10.
45 Ibid.
46 Ibid
38
environnement sujet à la violence. Les forces de
sécurité ivoiriennes sont dans l'incapacité de garantir la
sécurité sur l'ensemble du territoire47. Les troupes
françaises sur le sol ivoirien demandent le soutien d'un contingent
onusien. L'arrivée de ce dernier n'a pas pu garantir la mise en place du
processus de paix48.
Les crises ivoiriennes soulèvent le débat sur la
capacité des forces de sécurité africaines à faire
face aux problèmes sécuritaires. Dans le cas d'espèce l'on
voit une armée victime d'un schisme en interne. Au problème
d'encadrement et formation sécuritaire donc souffre l'armée
ivoirienne, s'ajouter l'éternel débat sur l'inefficacité
des missions de Maintien de la Paix de l'ONU en terre africaine. Les
autorités camerounaises décident de créer un
établissement sécuritaire. Ce dernier a pour mission de former
les administrateurs sécuritaires nationaux et étrangers dans les
domaines de la sécurité intérieure et extérieure.
L'Afrique francophone connait un déficit chronique de ces forces de
sécurité dans les Opérations de Maintien de la Paix des
Nations Unies. Or, la majeure partie des opérations onusiennes en
Afrique se tiennent en zone francophone. Les Etats africains sont ainsi
interpellés à réajuster les politiques sécuritaires
afin de faciliter une présence plus conséquente des acteurs
sécuritaires et civils aux OMP.
3- La minorisation policière francophone aux
OMP : l'EIFORCES instrument de revitalisation
Au lendemain de la guerre froide le conseil de
sécurité des Nations Unies va se réajuster face à
la généralisation des conflits intra-étatiques en Afrique.
Ces conflits causent la dilatation de l'Etat central provoquant une
détérioration de la sécurité intérieure,
extérieure et expose la population à divers types de souffrances.
Pour remédier à cette situation l'ONU va faire recours au
chapitre VII sur le droit humanitaire pour concevoir une nouvelle
génération des opérations de Maintien de la Paix. Dans le
désir de mettre les acteurs sécuritaires africains au coeur des
mécanismes de résolution de leurs conflits et afin de leur
permettre d'acquérir l'expérience.
L'ONU va se déployer sur les zones conflictogenes
africaines ceci grâce à ses casques blues et de ces experts
civils. Les forces de sécurité africaines prennent part à
cette activité. Dans l'intervalle 1989 à 1994, le nombre de
casques bleus d'origine africaine est équivalent à 10.000 hommes.
Ils sont majoritairement issus des Etats d'Afrique anglophone49. A
savoir
47 M.E. Owona Nguini, " la Cote d'Ivoire entre paix et
guerre", Enjeux n° 22 Janvier-mars , 2005, p. 3.
48 Ibid.
49 B. Traore, "L'Afrique dans les opérations
de Maintien de la Paix : Evolutions d'une participation de plus en plus
importante", Bamako, Rev hist archéol afri (Godo Godo), 2012,
p. 6.
39
Ghana (1780), Zambie (1307) et le Kenya (1099). Pour pallier
à ce gap sécuritaire, plusieurs initiatives sont mises en place
par les acteurs africains et internationaux.
La France sous l'égide des Nations Unies lance un
programme de renforcement des capacités des forces africaines en
199450. Ce programme vise à rebooter le niveau capacitaire
des forces africaines dans le domaine du Maintien de la Paix. Il est question
de faire des africains les garants des opérations de Maintien de la Paix
dans leur continent. Et pour ça le REMCAP leur fournit des
compétences nécessaires dans la conception,
l'opérationnalisation des missions de Maintien de la Paix. A travers le
projet Recamp la France apporte un appui aux Etats africains en matière
de démocratie, du respect des droits de l'Homme et de partage
d'expertise stratégique militaire et policière51. Le
Cameroun au travers de son Centre de Perfectionnement aux Techniques de
Maintien de l'Ordre (CPTMO) créé en 2000 bénéficie
de ce programme. Il devient une école nationale à vocation
régionale. Permettant la formation de plusieurs éléments
de gendarmerie (sous-officiers et officiers) au maintien de l'ordre. Cette
école en quelques années d'existence va contribuer largement au
rehaussement capacitaire des forces de sécurité d'Afrique et
particulièrement d'Afrique francophone.
En juillet 2004 alors qu'a lieu une cérémonie de
remise des épaules aux stagiaires du CPTMO présidé par le
Secrétaire d'Etat à la Défense en Charge de la Gendarmerie
Nationale, l'ambassadeur des Pays Bas louant les efforts du Cameroun, va
émettre l'idée de création d'une structure
policière plus grande. L'idée émise par le diplomate des
Pays Bas sera débattue par des officiers de gendarmerie camerounais
outillés dans les domaines du maintien de l'ordre et de la paix. Les
participants discutent sur une possible création d'un
établissement d'une grande envergure permettant l'amélioration de
la gouvernance sécuritaire au Cameroun, en Afrique et dans le monde.
Après une période de stagnation des
débats en 2006, le Ministre Délégué en Charge de la
Défense met sur pied un groupe interministériel en charge de
maturer le projet de création d'un centre international assurant la
formation sécuritaire de plusieurs acteurs policiers, gendarmes
africains et étrangers52. Les travaux sont assurés par
le Général de brigade OBAMA Isidore. Les intervenants
appartenaient à plusieurs services ministériels. Entre autre :
les experts du Ministère des Relations Extérieures, les membres
du Secrétariat Général
50 L. Moneuse, Infanterie, "Améliorer notre
modèle de « formation des formateurs » du PMO : le Recamp
rénové, une piste sérieuse pour compléter
l'offre français", 6e BIMa, Edition : avril 2020, p.
27.
51 B. Yangono Houmkimi, "L'évolution de
l'intégration sous régionale en Afrique Centrale de l'AEF
à la CEMAC 1919-2017 : permanences et mutations", Mémoire en
Histoire, Université de Yaoundé I, 2019, p. 92.
52 Issa Modibo, 38 ans, Chef bureau informatique et
reprographie à l'EIFORCES, Awae, le 07 mars 2022.
40
à la Présidence de la République du
Cameroun, les Experts de la Délégation Générale
à la Sureté Nationale et du Ministre de la Planification et de
l'Aménagement du Territoire.
Les attentes à l'égard de cette structure sont
énormes. Les acteurs nationaux et internationaux souhaitent s'appuyer
sur cette structure pour drainer un nombre important des acteurs francophones
de la CEEAC vers une grande participation aux OMP53. Le projet de
création de l'EIFORCES a été accompagné par une
élaboration des textes garantissant le bon fonctionnement de la
structure. L'exposé sur les contours juridiques et normatifs encadrant
l'EIFORCES aura lieu dans les lignes suivantes.
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