La République Démocratique du Congo et la lutte contre la prolifération des groupes armés, bilan et perspectives.par Potient MUKADI BIAKAPIDIABO Université de Kananga - Graduat 2020 |
2. Volatilité de la dynamique des conflits locaux56(*)Au cours des deux dernières décennies, le désamorçage de la dynamique des conflits locaux dans l'Est du Congo n'a guère avancé. Ainsi, une multitude de conflits, souvent liés aux problématiques que sont l'autorité locale, l'identité et l'accès à la terre et aux autres ressources naturelles, continuent d'engendrer un regain de volatilité. Par ailleurs, la capacité à régler les conflits n'a pas beaucoup évolué. Les cadres réglementaires et juridiques existants sont en effet ambigus, ne sont pas appliqués, ou sont mal harmonisés. Qui plus est, la capacité des autorités civiles en matière d'application des lois est mise à mal tant par les hommes forts militaires que par une faible légitimité. Les mécanismes alternatifs de résolution des litiges financés par les bailleurs de fonds n'ont ni réussi à compenser ce déficit ni à résoudre les dossiers bloqués par les intérêts des élites et l'implication d'acteurs armés. La dynamique des conflits contribue à une mobilisation armée initiée ou soutenue par les acteurs politiques locaux, ce qui incite les gens à prendre les armes ou leur permet de justifier leur décision de le faire. Pour leur part, les groupes armés essaient d'exploiter ces conflits et de leur donner de l'ampleur afin de mobiliser un soutien populaire et parmi les élites, souvent tout en affirmant qu'ils représentent les intérêts de telle partie au conflit et de ses réseaux au sens large. Ces comportements entraînent une militarisation profonde du mécanisme de règlement des litiges, leur résolution n'en devenant que plus difficile. Lorsqu'une partie à un litige se sert d'acteurs armés pour renforcer sa position, ses concurrents se sentent contraints d'en faire autant. En raison de la multitude d'acteurs armés susceptibles d'être présents dans une même zone qu'il s'agisse d'autres groupes armés ou d'unités de l'armée, on a rarement du mal à se faire des alliés armés. Il en résulte des interactions complexes entre la présence de multiples factions armées et l'existence de multiples conflits locaux, dont les entrepreneurs politico-militaires locaux sont l'élément central. 3. Des politiques militaires contre-productives57(*)Les politiques adoptées jusqu'à présent pour venir à bout des groupes armés n'ont pas réussi à empêcher leur prolifération. Elles ont même été contre-productives. Précédemment, l'un des principaux moyens de convaincre les groupes armés congolais de déposer les armes avait consisté à négocier leur intégration dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Dans ce cadre, des représentants du gouvernement, souvent des officiers FARDC et des politiciens, ouvraient des négociations secrètes avec les dirigeants des groupes armés concernant les modalités de leur intégration. Ces modalités concernaient, dans la plupart des cas, l'obtention de grades et de postes au sein des FARDC, un versement en espèces et d'autres formes de paiement informel et, dans certains cas, une garantie de ne pas redéployer les troupes dans des zones éloignées de leur ancien fief. Aux groupes armés qui avaient un agenda politique, on promettait parfois de répondre à leurs revendications politiques, même si celles-ci n'apparaissaient pas forcément dans les accords écrits. Il était d'ailleurs rare que revendications soient écoutées, les différentes parties s'accusant alors de ce que les modalités de l'accord avaient été bafouées. Le fait de promettre des grades et des postes élevés aux chefs des groupes armés et de leur conférer une impunité pour leurs crimes passés en a incité d'autres à prendre les armes. En outre, il est arrivé que des officiers intégrés désertent de nouveau s'ils jugeaient que les traitements qu'ils avaient perçus étaient décevants, s'ils craignaient d'être persécutés ou si l'on cherchait finalement à les redéployer loin de leur ancien fief. Dans d'autres cas, seuls les principaux chefs des groupes armés ont été intégrés dans l'armée, les troupes continuant d'opérer sous les ordres de différents commandants. Ainsi, la politique axée sur des négociations et une intégration dans l'armée n'a que rarement réussi à éliminer définitivement les groupes armés. Ce phénomène s'est accompagné d'une baisse de l'activité minière et d'une hausse des tensions dans le secteur minier artisanal moteur clé de l'économie dans l'est du Congo en raison de la chute vertigineuse du prix des matières premières, de la présence croissante du secteur minier industriel et de changements au niveau du cadre réglementaire. La conjugaison de ces différents facteurs a entraîné un élan spontané vers la fragmentation. De plus en plus de petits groupes armés ont aggravé le climat d'insécurité et les conflits locaux, lesquels ont nourri une nouvelle vague de mobilisation armée notamment en raison de scissions au sein des groupes armés existants et une militarisation des conflits locaux encore plus forte. Malgré le peu de réussite qu'ont connu les opérations militaires dans la lutte contre la mobilisation armée, le gouvernement a continué d'y recourir avec vigueur. Le gouvernement de Kinshasa, face à l'échec de plusieurs processus de négociation et d'intégration menés en 2012 et 2013, a décidé de mettre un terme à l'intégration globale des groupes armés au sein des FARDC. Les combattants rebelles peuvent encore aujourd'hui être intégrés dans l'armée, mais à titre individuel et seulement après avoir suivi une formation dans les bases militaires de Kamina ou de Kitona.58(*) Ceux qui souhaitent regagner la vie civile peuvent, en théorie, passer par un nouveau programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) annoncé en décembre 2013. Cependant, le gouvernement n'ayant pas réussi à mobiliser les fonds et à instaurer les structures organisationnelles nécessaires, la mise en oeuvre de ce plan a été lente.9 Entre-temps, les opérations Sokola « Nettoyer » I et II, lancées en 2014 et 2015 contre les mouvements rebelles étrangers des FDLR et des Allied Democratic Forces (ADF, Forces démocratiques alliées), ont accentué la volatilité et la fragmentation, d'autant plus que ces groupes sont profondément ancrés dans la politique locale. Implications au niveau des politiques La présence d'une multitude de groupes armés dans l'Est du Congo, devenus compétitifs et concurrentiels dans une série d'alliances et de contre-alliances, a provoqué une profonde instabilité. Tout d'abord, elle gêne l'identification des auteurs de violations dans certains contextes, il est de plus en plus difficile d'attribuer les atrocités et les violations à un groupe particulier. Il en résulte un climat d'impunité et d'incertitude. Ensuite, les populations se sentent de plus en plus prises au piège entre des factions armées concurrentielles, se faisant accuser de collaborer avec tel ou tel groupe et se voyant infliger une punition en conséquence. En outre, dans des contextes extrêmement fragmentés, chaque événement qui affecte la dynamique du conflit et les constellations du pouvoir local, par exemple les opérations militaires, déclenche une réaction en chaîne qui peut facilement déraper. Puisque plusieurs dilemmes d'ordre sécuritaire sont imbriqués, la montée en puissance ou l'affaiblissement d'une faction est susceptible d'inviter les groupes concurrents à démontrer leur force. Cela a une forte incidence sur les opérations militaires. Celles-ci ne visent généralement qu'un groupe particulier, et il est rare que les FARDC parviennent à instaurer un contrôle et une sécurité efficaces. Par conséquent, ces opérations ne contribuent souvent qu'à légèrement secouer le kaléidoscope des groupes armés, sans réduire leur influence ou leur nombre. Pour résumer, la lutte contre la prolifération des groupes armés dans l'est du Congo présente un véritable défi et exige une démarche de longue haleine. Une première étape, tant pour le gouvernement congolais que pour les acteurs internationaux, pourrait consister à élaborer de nouvelles politiques axées spécifiquement sur les groupes armés eux-mêmes. En effet, hormis des opérations militaires relativement ponctuelles, il n'existe pas à l'heure actuelle de politique globale visant à convaincre les groupes armés de déposer les armes. Ceux d'entre eux qui seraient disposés à négocier leur reddition ne savent toujours pas précisément quelles conditions et quelles perspectives leur seront proposées. On constate également que trop rares sont les efforts destinés à lutter contre la problématique des élites politiques et économiques qui nourrissent la mobilisation armée qu'il s'agisse d'exiger d'elles qu'elles rendent directement compte de leurs actes, d'entraver leurs opérations ou de les convaincre de changer de comportement en les soumettant à des pressions d'ordre social et moral. Pourtant, toute mesure de lutte contre la mobilisation qui ne se rapprocherait pas de ces élites a peu de chances d'être durable. * 56VERWEIJEN.J et IGUMARWAKENGE.C, Op.cit. p. 3 * 57Idem * 58 Ibidem |
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