La République Démocratique du Congo et la lutte contre la prolifération des groupes armés, bilan et perspectives.par Potient MUKADI BIAKAPIDIABO Université de Kananga - Graduat 2020 |
§ 4 PROLIFERATION OU CANSERISATION DES GROUPES ARMESEn raison de la prolifération de petits groupes armés et de la disparition des mouvements rebelles de plus grande ampleur, la configuration des groupes armés dans l'Est du Congo est de plus en plus fragmentée. Cette fragmentation résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs, à savoir l'implication croissante d'acteurs politiques au niveau micro-local dans la politique militarisée, la volatilité de la dynamique des conflits locaux, et le recours à des politiques militaires contre-productives, notamment à des opérations militaires. Depuis la fin de l'intégration globale des groupes rebelles dans l'armée nationale congolaise, les opérations militaires représentent la stratégie de prédilection pour lutter contre les groupes armés. Ces opérations militaires ne s'inscrivent pas dans le cadre de démarches politiques plus larges visant à convaincre les groupes armés de déposer les armes. Il est impératif de concevoir des politiques axées principalement sur les out de la dynamique des conflits. Groupes armés à proprement parler ainsi que sur leurs réseaux de soutien politico- économique, et de compléter ces politiques par une réforme de l'armée et des mesures pour venir à bout de la dynamisation des conflits.54(*) Après la défaite militaire de la rébellion du M23 en novembre 2013, la mobilisation armée s'est poursuivie à un rythme effréné dans l'est de la République démocratique du Congo. Malgré cette défaite, peu des militaires constituent la principale stratégie de stabilisation. Il est par conséquent impératif d'élaborer des politiques alternatives qui, non seulement cherchent à convaincre les groupes armés de déposer les armes, mais qui se penchent également sur leurs réseaux de soutien politique et économique au sens large. Comment expliquer la prolifération des groupes armés ? L'apparition récente d'une multitude de petits groupes armés peut s'expliquer par la conjugaison de trois facteurs : premièrement, l'implication croissante d'acteurs politiques au niveau micro-local dans la mobilisation armée, entraînant une «démocratisation » de la politique militarisée ; deuxièmement, la volatilité permanente de la dynamique des conflits locaux ; et troisièmement, le recours à des politiques militaires contre-production. 1. La « démocratisation » de la politique militarisée55(*)Pendant la première décennie qui a suivi la Seconde Guerre du Congo (1998-2003), ce sont principalement les élites nationales et provinciales qui ont été l'élément moteur décisif de la nouvelle mobilisation armée, en lien avec des acteurs régionaux. Une insatisfaction face aux développements qui ont suivi la conclusion des accords souvent imputable à une baisse de leur pouvoir, de leur statut et de leurs revenus a poussé de nombreux chefs militaires ainsi que des décideurs politiques et des hommes d'affaires alliés à refuser de déposer les armes ou à créer de nouveaux groupes armés. En parallèle, affirmant représenter les communautés dont ils étaient originaires, ces entrepreneurs politico-militaires ont fait valoir des griefs irrésolus, tels que l'insécurité permanente et les conflits relatifs au territoire, à l'identité, à l'autorité locale et aux ressources. En raison d'interdépendances entre, d'une part, la concurrence inter-élites et, d'autre part, les conflits entre et au sein des communautés, la mobilisation armée d'un groupe a souvent favorisé la mobilisation d'autres groupes qui craignaient de se retrouver comparativement désavantagés. Cette logique est à rapprocher du dilemme de sécurité, qui signifie que des groupes et des élites renforcent leur position militaire lorsqu'ils se sentent menacés ou dominés. Pour les acteurs politiques, l'instauration de liens avec les groupes armés présente de nombreux avantages. Premièrement, elle renforce leur pouvoir au sein de leur circonscription. Elle leur permet d'accroître leur influence sur les autorités locales, mais elle leur confère aussi un avantage dans les conflits et dans le cadre de la compétition électorale et économique. En outre, l'établissement de liens avec des groupes armés permet aux acteurs politiques d'accroître leur soutien populaire, surtout lorsque ces groupes armés sont perçus comme protégeant les intérêts et la sécurité des communautés. Une position de pouvoir renforcée au niveau local peut ainsi se traduire par un accès accru aux cercles du pouvoir provinciaux et nationaux. Grâce à l'influence qu'ils exercent sur les groupes armés et à leur capacité à mobiliser des partisans à l'échelon local, les politiciens et les hommes d'affaires deviennent des personnalités avec lesquelles il faut compter. Les individus au pouvoir se retrouvent donc contraints de s'assurer du concours de ces groupes pour éviter qu'ils ne provoquent une insécurité et qu'ils n'agissent contre leurs intérêts. Ces dernières années, cependant, les avantages associés à l'établissement de relations avec des groupes armés du moins dans l'arène politique nationale semblent avoir progressivement diminué. Ce type de collaboration ne garantit plus systématiquement que l'on obtienne un poste de haut niveau au sein de l'appareil politico-administratif ou des services de sécurité. Néanmoins, au niveau provincial et local, la manipulation des groupes armés continue de produire des résultats. Par conséquent, un éventail toujours plus large d'acteurs politiques adopte cette stratégie, phénomène que l'on peut qualifier de « démocratisation » de la politique militarisée. Il est de plus en plus fréquent que l'activité des groupes armés soit nourrie par des chefs coutumiers puissants, d'autres autorités locales, des ministres et des députés provinciaux, des candidats malheureux des candidats aux élections qui n'arrivent pas à obtenir suffisamment de voix, des chefs de moyennes entreprises ou des commandants de rang intermédiaire. Cette « démocratisation » de la politique militarisée souligne la fragilité relative du centre politique Kinshasa étant incapable de contrôler la myriade de réseaux du pouvoir concurrentiels dispersée à travers tout le pays. Mais il faut avouer qu'elle n'est guère incitée à y veiller, la fragmentation politique désamorçant et réduisant les menaces auxquelles le régime est confronté. En outre, les liens entre les élites nationales et leur base de soutien au niveau local sont parfois fragiles. Résultat : les entrepreneurs politico-militaires d'un niveau inférieur ont à leur disposition un espace de plus en plus large, et parfois, les groupes armés se fragmentent lorsque les commandants, une fois privés de l'autorité et des ressources que leur procuraient les élites nationales, ne parviennent pas à maintenir une cohérence au niveau local. * 54VERWEIJEN.J et IGUMARWAKENGE.C, Comprendre la prolifération des groupes armés dans l'est de la RDC, RVI SPRP Projet Usalama Briefing, 2015 p. 1 * 55Idem. |
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