La République Démocratique du Congo et la lutte contre la prolifération des groupes armés, bilan et perspectives.par Potient MUKADI BIAKAPIDIABO Université de Kananga - Graduat 2020 |
§ 3 GENEALOGIE DES GROUPES ARMES A L'EST DE LA RDCLa mobilisation armée dans ce qui constitue aujourd'hui l'Est de la RDC est antérieure au colonialisme. En effet, les négociants arabo-swahilis qui, pendant la seconde moitié du XIXème siècle, contrôlaient des grandes parties de l'Est du Congo créèrent des milices quasi professionnelles pour organiser des rafles d'esclaves, ce qui entraîna l'organisation d'une résistance locale. Les tendances expansionnistes du roi rwandais Rwagubiri dans les années 1890 provoquèrent également une contre-mobilisation qui se solda par une prolifération de milices liées aux communautés locales. La fin de l'époque coloniale connut ensuite certaines formes localisées et millénaristes de résistance armée visant en général l'Etat colonial et ses politiques prédatrices de taxation et de travail forcé. Citons à titre d'exemples la rébellion Binji-Binji de 1931 au Sud-Kivu, les différentes révoltes Nyabingi à Rutshuru (1910-1930) et le soulèvement du Kitawala (inspiré du « Watchtower », les Témoins de Jéhovah) de 1944 à Walikale. Ce n'est toutefois qu'à l'indépendance, en 1960, que la rébellion se propagea à grande échelle. Les premières années du Congo indépendant virent l'émergence de rudes rivalités politiques provoquées par des idéologies concurrentes et une lutte autour de la décentralisation. Les principales fractures opposèrent les défenseurs d'un Etat centralisé puissant, regroupés autour du Premier ministre Patrice Lumumba, aux fédéralistes représentés par le Président Joseph Kasavubu. Petit à petit, les partisans de l'unitarisme devinrent ouvertement anti-impérialistes et les fédéralistes furent perçus comme favorables aux puissances occidentales. Mais cette dichotomie fondamentale masque la fragmentation qui caractérisa la politique de l'après-indépendance, des dizaines de partis surgissant dans ce nouvel espace politique, souvent en défendant des programmes très localisés et en bénéficiant d'un soutien ethnique bien défini. Le Kivu ne dérogea pas à cette règle: entre 1960 et 1965, cette province sombra dans le chaos, et les affiliations ethniques s'imbriquèrent dans ou prirent le pas sur les clivages politiques et autres, caractéristique de la politique congolaise qui perdure aujourd'hui51(*). Ces clivages imbriqués furent manifestes lors de la principale rébellion qui éclata dans les Kivus (Nord et Sud) après l'indépendance. Dans le territoire d'Uvira, au Sud-Kivu, le politicien radical Musa Marandura lança un mouvement de protestation contre le gouvernement central et les chefs coutumiers locaux, qu'il considérait comme des conservateurs au service de l'impérialisme occidental. Pour obtenir un appui, Marandura, dont les principaux partisans étaient issus de la communauté Fulero, commença également à faire campagne contre les Rundi, la communauté voisine, affirmant que comme ils avaient émigré du Burundi, ils n'avaient pas droit au pouvoir coutumier. Une dynamique similaire apparut dans les montagnes des Hauts-Plateaux qui dominent l'Uvira, où des rebelles de la communauté Bembé combattirent les milices Banyamulenge alliées aux forces gouvernementales, perçues comme des immigrants venus du Rwanda. Ainsi, les projets politiques nationaux et locaux commencèrent à se chevaucher, se renforçant mutuellement. Au Nord-Kivu, dans les années qui suivirent l'indépendance, les considérations politiques d'envergure nationale et internationale furent reléguées au second plan par les antagonismes ethniques locaux. La « guerre Kinyarwanda », qui progressa par coups entre 1962 et 1965, opposa les Hutus et les Tutsis, venus du Rwanda pendant ou juste après la période coloniale, aux populations Hunde, Tembo et Nyanga. Ces immigrants, qui représentaient désormais la majorité démographique de certaines régions des territoires de Masisi et de Rutshuru, aux côtés des populations hutuphones qui vivaient déjà dans ces régions avant la colonisation, se virent refuser l'accès au pouvoir coutumier. Etant donné que les élections leur permettraient de transformer leur poids démographique en un véritable pouvoir politique, l'introduction de la démocratie et la refonte simultanée des frontières provinciales conduisirent à une escalade des tensions. On tenta de priver ce groupe de ses droits de représentation, mais cela provoqua de rudes combats avant les élections de 1965 qui laissèrent un souvenir amer parmi toutes les parties52(*). Pendant cette période, l'ouverture de l'espace politique et la concurrence électorale alimentèrent une violente mobilisation, en partie révélatrice des manipulations des politiciens qui apportèrent l'organisation et les fonds nécessaires pour transformer les griefs locaux en violence. Sous l'influence de révolutionnaires nationaux et internationaux comme « Che » Guevara, certaines de ces violences prirent la forme d'une rébellion. Si, par exemple, Marandura était parvenu à déclencher des protestations au niveau local, ce n'est qu'une fois que les représentants du révolutionnaire Conseil national de libération (CNL) prirent le contrôle et se mirent à organiser les manifestations sous une forme militaire que ce mouvement populaire se transforma en rébellion53(*). Les soulèvements de la période post indépendance furent certes intenses, mais de courte durée. Joseph-Désiré Mobutu, après avoir renversé le gouvernement élu en 1965, réussit à réprimer les insurrections dans les Kivus, même si des poches de résistance persistèrent à Fizi (Sud-Kivu) et dans la région de Ruwenzori (Nord-Kivu). Cependant, avant de retrouver sa suprématie coercitive, Mobutu dut attendre l'aide de mercenaires étrangers et un généreux soutien militaire pour pouvoir redresser l'Armée nationale congolaise (ANC), fort fragile, notamment une aide aérienne américaine. L'instauration par Mobutu d'un régime à parti unique et le développement d'un réseau de clientélisme présidentiel marqué, qui dominèrent à la fois l'administration et des composants cruciaux de l'appareil sécuritaire, eurent pour effet d'empêcher une véritable mobilisation armée pendant près de trois décennies. * 51VLASSENROOT, K Sud-Kivu : Identité, territoire et pouvoir dans l'est du Congo, Londres : Institut de la Vallée du Rift, 2013, pp. 25-32. * 52BUCYALIMWE MARARO, S Land, Power and EthnicConflict in Masisi (Congo-Kinshasa), 1940-1994, in International Journal of AfricanHistoricalStudies, 1997, pp. 503-538. * 53VERHAEGEN, B Rébellions au Congo. Tome 1, Bruxelles/Léopoldville : CRISP, IRES et INEP, 1966, pp. 292-295. |
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