2. L'entrée du marché "A"
Propriétaire : Commune de Dschang
Usage : administratif/commercial /
touristique
Site : Centre urbain de la ville
Exécutant : non connu
Année d'exécution : entre 1940 et 1950,
mais a connu une importante
innovation et transformation entre 1950 et
1958
Matériaux utilisés : briquettes de terre
cuite, béton, pierre, bois, tôles en
aluminium, bambou de raphia, chaume, chaux
colorée, peinture à eau, vitre
Niveau : rez-de-chaussée
Nombre de bâtiments : c'est un corps de
bâtiment en longueur comportant à l'origine deux espaces
fermés et des stands d'exposition ouvertes face rue
principale
1 Ibid. p.104.
2 Entretien avec René
Poundé le 12 février 2014 à son domicile
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en forme de galerie et à son arrière,
à l'origine, il y avait une esplanade qui aujourd'hui a
été détruite et reconstruite en une multitude de
boutiques.
Photo 21: L'entrée du marché "A" de
Dschang
Source : Archives privées R. Poundé,
Dschang
Des poteaux en bétons soutiennent les toits
coniques faits en paille déposés sur un enchainement de Bambou
attaché, très visible lors de la réfection (photo
n°2). L'affluence des populations en ce lieu signifie que c'est un jour de
marché (Photo n°1)
Le bâtiment est constitué en son centre
de trois cases dont celle du milieu, circulaire est ouverte et tient lieu de
porche d'entrée à l'image des porches d'entrée des
Chefferies traditionnelles. Elle est construite sur des poteaux en béton
sur lesquels repose un toit conique. Grâce à sa hauteur, elle
domine les deux cases carrées fermées situées de part et
d'autre d'elle. Ces dernières cases supportent aussi des toits coniques
avec une toiture en chaume posée (pour, semble-t-il, des raisons de
sécurité et de durabilité) sur de la toile en aluminium
tressée de tiges de bambous-raphia. Ces trois cases dominent par la
hauteur de leurs toits coniques, le reste de la structure. De part et d'autres
de ces trois entrées s'allongent deux galeries fermées par un mur
à leur arrière, aujourd'hui uniquement ouvertes à
l'avant1 avec un toit en tôle ondulée soutenue à
équidistance par des poteaux. Le toit vraisemblablement devait
être à l'origine recouvert de chaume entrelacé dans un
treble de bambous
1 La fermeture par un mur
date de la période post-indépendante
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raphia posés sur la tôle1.
Cette technique traditionnelle qui consiste à couvrir le toit par le
chaume soigneusement tissée entre elle et les bambous était dans
les années 50 l'oeuvre d'un certain Sonhafouo originaire de Bangang venu
à Dschang spécialement pour ce travail.2 Les escaliers
qui permettent de passer sous les trois toits coniques afin d'entrer dans le
marché sont l'oeuvre de l'européen
Marineau3.
La galerie est ouverte sur la rue et devaient servir
de lieu d'exposition par les artistes et artisans d'art. Elle est
prolongée aux deux extrémités par deux cases. L'une qui
abrite les bureaux de l'office de tourisme de Dschang devait servir de bureaux
au responsable le plus important du marché. En effet, non seulement elle
contient un bureau que jouxte à l'intérieur une toilette mais, en
plus, sa porte d'entrée monumentale, en bois dur était finement
sculptée et il y avait une salle devant servir, soit de
secrétariat, soit de hall d'attente. Hélas, lors de
l'aménagement de ce bureau aux fins de servir d'office du
tourisme4, comme par hérésie ou par ignorance, ce
joyau, qui en lui-même était témoin chargé de
l'histoire de l'artisanat et d'art d'au moins les cinquante dernières
années à Dschang, a été enlevé et
remplacé par une double porte en fer et la seconde vitrée. La
seconde case, située à l'autre bout a longtemps servi d'atelier
de création au défunt artiste plasticien Pop Namara5.
Enfin, des artistes peintres ont transformé le mur arrière en
espace où ils ont peints (ou écrits leur nom) en grandeur nature
les personnages les plus en vue de la scène publique de Dschang à
l'instar de M. Panka Paul.
Ce bâtiment probablement construit dans les
années 1950 est symbolique en ce sens que son architecture même
est calquée sur celle des porches des Chefferies traditionnelles
bamiléké. Cette architecture qui symbolise la force, la
puissance, la pérennité, l'union d'un peuple, est en même
temps symbole de prestige, de richesse, mais aussi de sécurité et
de justice6. L'administration coloniale ne s'y est pas
trompée
1 Entretien avec Louis
Ngadjeu le 15 mars 2014 au Marché « A » de Dschang
2 Entretien avec Mathias
Koutio le 17 Juin 2014 à son domicile
3 Entretien avec Norbert
Yefoue le 17 Juin 2014 à son domicile
4 Entretien avec René
Poundé le 12 février 2014 à son domicile
5 Idem
6 Idem
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dans son désir de frapper l'imaginaire
populaire, même si la visée de développement touristique
n'était pas loin. De même, il s'est agit d'imposer ce lieu comme
le véritable centre d'une cité urbaine en plein essor. Au plan
stratégique, il ne faut pas oublier que ce fameux marché "A"
était occupé par des maisons commerciales ou la succursale des
maisons européennes qui avaient le monopole de la vente des produits
manufacturés1. Face à cette entrée, autour de
la place s'alignaient, les maisons commerciales, les banques, l'unique
pharmacie de la cité, etc... Les commerçants locaux
étaient au versant du marché "B" qui est la suite du
marché indigène.
En choisissant ce symbole de la Chefferie comme
entrée du marché, l'administration coloniale avait réussi
à utiliser allègrement les représentations symboliques du
pouvoir indigène pour marquer sa propre domination. La preuve se trouve
dans le regard jeté sur la liste des produits vendus à cet
endroit pendant la colonisation à savoir : produits manufacturés,
charcuterie, lait, épicerie fine, produits maraîchers non
consommés par les locaux, vins, etc2.
En observant ce bâtiment, on se rend compte
qu'il a subi au fil des temps quelques transformations qui n'ont pas
modifié profondément sa structure. Nous pensons ici au mur qui a
été élevé à l'intérieur même de
celui-ci. C'est aussi un exemple typique de mélange des architectures
occidentale (française précisément) et traditionnelle
Bamiléké.
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