Inventaire de quelques vestiges coloniaux matériels dans la ville de Dschang(1907-1957)par Yannick Guerin Diffouo Universite de Dschang - Master 2014 |
3. Le Secteur de Modernisation des Cultures d'Altitude (SEMCA)Ancien Jardin d'essais créé en 1908 par l'administration allemande, la Station expérimentale de Dschang s'était, après la Première Guerre Mondiale, orientée vers la caféiculture. Les nouveaux responsables avaient, en particulier, procédé à l'introduction de diverses espèces de Coffea : C. robusta, C. exselsa, C. dewevrei, C. liberica, etc., avec toutefois, une primauté accordée au Coffea arabica. Puis en 1928, avec les premières plantations, la station avait délibérément opté pour les arbres à 1 Entretien avec Joseph Lecoq Fouellefack le 15 mars 2014 dans son bureau 2 Entretien avec René Poundé le 12 février 2014 à son domicile 73 quinquina et commencé leur sélection à grande échelle en 19341. L'arrêté du 21 mai 1942 en avait fait la Station expérimentale du quinquina, la production de la quinine antipaludéenne étant alors de première importance. Après la Seconde Guerre Mondiale, l'ancien Jardin d'essais de Dschang2 s'agrandit encore, jusqu'à opérer en cinq pôles d'activités. Parmi ces derniers, ceux de Dschang et de Bansoa furent les plus importants. La Station de Dschang, stricto sensu, regroupant la direction-administration, le laboratoire, l'usine artisanale (qui s'arrête en 1953), des parcelles d'études, des plantations industrielles3. Les arbres à quinquina y couvrent environ 35 hectares en 1953. La Station de Dschang reste dirigée après 1945 par Marcel Lagarde, son fondateur des années 1930. Secondé à partir de 1948 par Paul Biard, il anime une équipe de recherche constituée notamment par les ingénieurs Brunot et Pierre Thelu et les conducteurs Rolland et Lassalle. En 1953, par un arrêté n°6440 du 29 décembre, la Station du quinquina de Dschang (dont l'intérêt faiblit face à la montée des anti paludéens de synthèse) devient Station expérimentale de l'Ouest chargée des cultures d'altitude. Cette conversion s'accompagne d'une diversification des cultures étudiées : arbres à quinquina, théier, caféier d'Arabie, aleurites, pomme de terre, etc. Le décret n°58-167 du 24 novembre 1958 (voir l'intégralité du décret en annexe n°10) portant réorganisation du SEMCA a procédé à l'africanisation de cette institution. Après l'indépendance du Cameroun la gestion de la station sera confiée à l'IRAT en 1964, jusqu'à sa prise en charge par l'ONAREST, en 1974. Nous allons nous intéresser ici à deux principales constructions qui sont l'usine de la station de traitement de Quinquina et l'Usine à café. 1 René Tourte, Histoire de la recherche agricole en Afrique tropicale francophone, volume 6, De l'empire colonial à l'Afrique indépendante 1945 - 1960, Montpellier, Décembre 2011, p.237. 2 ANY 1AC 17624 Distribution quinine aux enfants européens 1955 3 René Tourte, Histoire de la recherche agricole... p.237. 74 a. L'usine de la station de traitement du Quinquina Ville : Dschang Propriétaire : Etat du Cameroun (MINUIT) Type de bâtiment : usine Matériaux : béton, agglos en ciment, vitre, bois, tôles. Nombre de niveaux : rez + 2 et une cave Nombre de bâtiments compris : 01 Dimension : non connue Photo 22: l'Usine de traitement du quinquina Source : Cliché Y.G. Diffouo, Mars 2014, Dschang L'usine de traitement de Quinquina qui reste un peu en forme, malgré le fait qu'elle soit abandonnée, demeure l'unique preuve irréfutable de la production de quinquina en Région Bamiléké il y a une cinquantaine d'année. L'usine du quinquina est composée d'une cave, d'un rez de chaussée, d'un premier étage de même longueur. Le deuxième étage occupe en longueur la moitié du bâtiment au sol. Deux toitures à deux pentes couvrent l'ensemble du bâtiment en forme d'escalier. Le matériau utilisé pour la couverture est la tôle. Au dernier étage, une porte surmontée d'une ouverture d'aération en frise de béton, deux fenêtres vitrées, quatre ouvertures frisées d'aération du premier étage accompagnent trois fenêtres vitrées et une espèce de porte fenêtre frisée. Au rez, quatre portes dont trois étaient certainement utilisées pour les besoins de livraison de matières premières et de sortie de produits finis et une à l'usage du personnel. Une rangée de fenêtres vitrées embellit le bâtiment. La partie de cet immeuble qui prolonge le rez et qui 75 comporte un étage semble avoir été ajouté, certainement pour augmenter la capacité de production de l'usine par rapport à celle de 1953. L'usine avait pour mission de faire des recherches scientifiques sur la culture du quinquina. Les travaux d'expérimentation et de vulgarisation devaient se faire sur une surface de quatre vingt hectares1. Ce bâtiment a été construit en deux temps2. D'abord en 1945 pour la première partie, celle qui comporte un rez + 2 pour servir comme une usine artisanale de fabrication de sulfate de quinine avec une capacité de 400 kg de sels de quinquina. Cette usine fonctionnera jusqu'en 1955. La culture du quinquina étant entrée dans la phase industrielle proprement dite, l'extension du bâtiment de l'usine fut réalisée en 1955. Et en 1956, l'ensemble de l'unité ouvrit ses portes avec une capacité annuelle de production de 13,5 tonnes de sulfate de quinine. Ce joyau de l'époque ne fonctionnera que de 1956 à 1957 avec le rendement de 1500 kg de sulfate de quinine entièrement consommé au Cameroun. Il semble que la cause principale de la fermeture de l'usine est soit liée à l'apparition des produits synthétiques importés moins chers sur le marché. La station d'essai de Dschang qui prend le nom de « station expérimentale de quinquina » est créée par arrêté N° 623 du 24 mai 1942 à Douala (en pleine guerre mondiale) par le Gouverneur du Cameroun français, M. Cournarie, qui abroge l'arrêté du 22 mars 1937 portant station agricole. Marcel Lagarde, ingénieur de première classe des travaux agricoles arrive à Dschang vers 1935. Et selon les termes de l'arrêté du 02 novembre 1939, il est nommé Chef de la région du Noun3. Au total, un effectif de 20 à 35 personnels logés dans environ 23 cases. Lagarde part de Dschang en 1963. La structure est désormais divisée en trois stations : la SEMCA avec pour Chef M. Moukouri, la station quinquina avec pour Chef M. Ngounou Saddrack. La station de l'Institut de Recherche Agricole 1 Archives Départementales de la préfecture. 2 Ibid. 3 Entretien avec René Poundé le 12 février 2014 à son domicile 76 Tropicale (IRAT). Des noms de Chefs tels MM. Picco, Dupez, Coste, Regnault, Rippere marqueront de manière indélébile la recherche, la vulgarisation et la production du quinquina et de la sulfate de quinquina à Dschang1. Les cases des cadres indigènes au nombre de 23 ont été construites en 1926, puis réaménagées et restaurées en 1965, de même que la case n° 2 de M. Lagarde. En 1944 seront construites 15 cases, entre 1947 et 1949, 03 cases en 1951, 01 case et le reste des 03 autres cases à l'époque contemporaine. A l'origine, la région agricole cède à la station expérimentale du quinquina un terrain d'environ 83 hectares dans lequel sont installés les immeubles suivants : habitations du directeur (1927) ; magasin hangar de la station (1927), plate forme à fumier (1931) ; ombrière à toit mobile (1934) ; bouverie (1927) ; bouverie couverte en nattes (1939) ; magasin hangar du jardin d'essai (1939) ; bureau laboratoire (1939).2 Pour permettre à la nouvelle station de fonctionner, la France allouera un crédit de 8 413 700 FCFA (pour achat du matériel mobilier et immobilier). Pour les matériaux, produits et fournitures consommables, une somme de 6 659 343 FCFA. Ces crédits ont été consommés en 1942 lors de la mise sur pied effective de la station quinquina.3 L'ex-région agricole cède à la station expérimentale un cheptel comprenant 42 bovidés qui seront augmentés de 12 veaux nés après cession, et de19 boeufs dressés servant aux attelages. Ce troupeau fournissait le fumier nécessaire aux plants de la station. Il sera crée en 1943 la station de Dschang avec une superficie de 30 hectares, et l'annexe de Bansoa d'une superficie de 126 hectares. Les plantations villageoises représentaient 216 hectares. La reprise de la culture du quinquina fut inscrite au deuxième plan quinquennal du Cameroun comme objectif prioritaire en 1965. Sous l'appellation « relance de la culture du quinquina », cette tentative de relance se fera grâce au financement octroyé par la France à la République du 1 Archives de l'IRAD de Dschang 2 Ibid. 3 Ibid. 77 Cameroun à travers le protocole de financement N° 98004800 entre le Fonds d'aide de la coopération représenté par l'ambassadeur de la France au Cameroun et le gouvernement de la république du Cameroun. Au courant de la même année fut signée entre le Cameroun et un groupe financier européen, une convention portant création de la société quinquina du Cameroun « QUINICAM ». Le promoteur représentant le groupe financier n'honorera pas ses engagements et l'usine restera fermée. L'usine de transformation de la quinine et des produits dérivés de l'écorce du quinquina local produit le sulfate de quinine qui entre dans la fabrication de produits de consommation courante comme le rhum, le martini, les Schweppes. Un rapport de 1949 explique que l'extension des plantations de la station nécessite une usine de traitement de plus grande puissance que celle prévue à l'origine. Les crédits d'engagements actuellement de l'ordre de 19.5 millions et 5.6 millions sont consommés pour les bâtiments de la station (ateliers, bureaux, logements) et le matériel de réparation de l'atelier. Au sujet des 11 millions engagés pour les hangars et les bâtiments de l'usine, les dépenses déjà effectuées sont de l'ordre de 6.5 millions pour la construction d'un logement et d'un hangar1. Sur 548 hectares cédés à Lagarde à Dschang en 1955, les bâtiments réservés à la garde des machines, le laboratoire, la chaudière, l'étable occupèrent quatre hectares sans omettre les étangs. Ces bâtiments sont aujourd'hui abandonnés à la merci des vandales de la ville2. 1 ANY 1AC 507/3 Production agricole, 2 Marie Chieufack, « L'administration coloniale française et les mutations sociales et économiques dans la région Bamileké entre 1919 et 1959 », Mémoire de DIPES 2 en Histoire, ENS Yaoundé, 2010-2011, pp.55-56. 78 Photo 23: L'intérieur de l'usine de quinquina victime du vandalisme Source : Cliché Y.G. Diffouo, Mars 2014, Dschang Les machines qui permettaient à l'usine de faire la transformation des écorces du quinquina en quinine, ont été victimes des actes de vandalisme de la part des populations. Un groupe d'experts des géants pharmaceutiques Pechiney-Ugine Kuman a, en 1977-1978, réalisé une étude de faisabilité du projet de réouverture de l'usine1. Mais, l'usine est restée fermée et par la suite vandalisée, Faute de preneurs pour les écorces de leurs arbres, les paysans ont transformé la plante précieuse en bois de chauffage. Mêmes les autorités préfectorales n'ont pas été en reste dans le découragement du projet puisqu'on constate que les plantations d'expérimentation du centre urbain de Dschang ont été détruites et leurs terres distribuées ou vendues en lots à ceux qui voulaient construire des maisons d'habitation2. On constate qu'à la place des plantations de quinquina, poussent aujourd'hui comme des champignons, des constructions immobilières. Les travaux, menés sous l'autorité de l'ingénieur des Services de l'agriculture Marcel Lagarde, avaient été complétés en 1938, à Dschang même, par des plantations de Cinchona Ledgeriana (quinquina jaune) aux écorces très riches en quinine mais de culture délicate, et de Cinchona succirubra (quinquina rouge) aux écorces peu pauvres en quinine, mais plus rustiques. 1 Entretien avec René Poundé le 12 février 2014 à son domicile 2 Idem 79 Un laboratoire spécialement conçu et équipé pour les analyses, en appui aux travaux de sélection, avait fonctionné à Dschang dès 1940. Et le 21 mai 1942 avait été officiellement créé, par arrêté du gouverneur Pierre Cournarie, la Station expérimentale du Quinquina, dont la direction fut naturellement confiée à l'agronome Lagarde1. Le parc motorisé avec tracteurs à chenilles et à roues intervient dans cette région, principalement dans l'importante Station du quinquina de Dschang et annexes de plus en plus en actions directes par unités de culture et en milieu paysan, dans le cadre du Secteur Expérimental de Modernisation des Cultures d'Altitude, SEM-CA. « Dschang possède ainsi la deuxième collection mondiale de variétés de quinquinas connus, rejoignant le niveau de l'Indonésie 2». b. L'usine de café La production camerounaise de café, qui n'était que de quelques tonnes commercialisées en 1930, avait atteint 6.000 tonnes exportées en 1939 grâce aux efforts du Service de l'agriculture, notamment de René Coste, infatigable promoteur du café d'Arabie dans les régions Bamoum et Bamiléké3. Après la Seconde Guerre Mondiale, cette production repart assez rapidement dans les quatre principales régions productrices : l'ouest, dans le Mungo avec le Robusta ; en pays Bamoun et Bamiléké avec l'Arabica ; au sud et à l'est avec le Robusta (et l'Excelsa). Dès 1945 les exportations de café camerounais dépassent, avec 7.000 tonnes, le niveau d'avant-guerre. Priorité accordée au caféier d'Arabie4. Avec son climat frais et sa végétation étagée, Dschang a été le premier foyer de la culture du café. L'histoire de cette culture à Dschang remonte aux années 1920. En effet il faut remarquer que, les Allemands avaient déjà expérimenté sans succès le café pendant leur règne. Les Français, à leur tour, expérimentent le café arabica à 1 Archives Départementales de la Menoua 2 René Tourte, Histoire de la recherche agricole en Afrique tropicale francophone, volume 6, De l'empire colonial à l'Afrique indépendante 1945 - 1960, Montpellier, Décembre 2011, p.834. 3 René Tourte, Histoire de la recherche agricole en Afrique..., P.855. 4 ANY 1AC 507/3 Production agricole, 80 Dschang (Dschang coffee) et robusta dans le Noun et eurent des résultats concluants1. Pendant le partage du Cameroun entre Français et Britanniques après le départ des Allemands, les Britanniques ont cédé la ville de Dschang à la France à cause de l'infertilité de son sol. Cette raison est confirmée par le résident anglais à Dschang en 1920 quand il dit : « il [résident anglais] abandonnait le grassfields aux Français parce que rien ne pouvait y pousser en dehors des cultures indigènes, et que les Anglais prenaient le territoire des Bangwa parce qu'il y avait des palmiers à huile2». La suite des événements tourne à l'avantage des Français car, au lieu de continuer à expérimenter le café robusta, ils se sont tournés vers l'arabica. Celui-ci rend la Région bamiléké plus importante économiquement. Marcel Lagarde est celui qui a beaucoup influencé la vulgarisation de la caféiculture dans les hautes de l'ouest car il était responsable3 du SEMCA. Plusieurs mouvements coopératifs à vocation agricole virent le jour, à l'instar de la Coopérative Indigène des Planteurs Bamiléké de Café Arabica (CIPBCA) créé en 1932. La Coopérative Agricole des Planteurs Bamiléké de Café Arabica est créée en 1933, la première ayant été dissoute parce qu'elle était une émanation des colons4. Le tout premier planteur de café dans la Menoua est Ndah Sabir, un Haoussa qui avait été employé par Lagarde Marcel pour s'occuper de la première pépinière de Café. Ayant vu comment on prend soin de cette plante. Il décida de soustraire un plant et de la planter chez lui. Il sera emprisonné et, dès sa sortie deux semaines après, il eut de l'administration, l'autorisation de cultiver cette plante5. C'est bien après que l'usine du café sera mise en place. 1 Berlise Guedia Dongmo, « Les investissements agricoles ...p.73. 2 Martin Kueté, « Café, caféiculteurs et vie politique dans les hautes terres de l'ouest-Cameroun », les cahiers d'outre-mer [En ligne], 243/2008, mis en ligne le 01 juillet 2011, consulté le 12 février 2014. URL : http://com.revues.org/5310 ; DOI : 10.4000/com.5310 3 Journal des débats de l'ATCAM, session ordinaire de Mai 1955, séance plénière du 13 mai 1955. 4 Lucie S. Guekam Tiokou, « Le mouvement coopératif dans la région de Dschang 1932-1994 », Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé 1, 2003-04, p.4. 5 Entretien avec Etienne Gouné, le 02 Juin 2014 à son domicile à Foto. 81 Photo 24: Usine à café de la SEMCA Source : Cliché Y.G. Diffouo, Mars 2014, Dschang Cette usine avait pour rôle de décortiquer, et de conditionner les cerises de café, les mettre dans les sacs en vue de leur exportation, la transformation se faisant en Europe. Les machines sont toujours à l'intérieur de l'usine. L'usine de café (voir la disposition schématique de l'usine en annexe n°9) était la seule industrie dans la ville de Dschang jusque dans les années 19401. Elle avait pour rôle de décortiquer, et de conditionner les cerises de café, les mettre dans les sacs en vue de leur exportation. Puisqu'elle était une émanation des colons, les indigènes y étaient traités avec mépris. Ce qui les amena à créer la COOPCOLV (coopérative de collecte et de vente du café). L'Ouest-Cameroun en général et les pays Bamiléké et Bamoun en particulier sont le terroir du caféier et des cultures vivrières, « On y trouve une grande quantité d'appareils de traitement en sec du café, particulièrement des décortiqueuses, de nombreux dépulpeurs » et un « grand nombre de moulins à maïs chez les Bamilékés ». En pays Bamoun, « se trouvent des concessions européennes où est cultivé le café Arabica. C'est là que se placent d'importantes installations de traitement du café par voie humide 2». |
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