2. Un accord de financement métropolitain
Le financement de ces infrastructures venait
directement de la métropole. Zacharie Saha le confirme quand il
écrit, parlant de l`administration du Kamerun par les Allemands : "Le
gouverneur est en effet la plus haute autorité de la police, de
l`armée et de la justice dans une certaine mesure. Les questions
budgétaires par exemple se traitaient en réalité à
Berlin3 ». Et au sujet de l`administration du Bezirk,
il affirme que les questions budgétaires et militaires exigeaient
particulièrement l`approbation du gouverneur qui agit par circulaire le
plus souvent4.
Pour le cas de la France, les gouverneurs
généraux de la fédération utilisaient les
ressources des redevances et négociaient avec le ministère des
colonies les emprunts indispensables à toute réalisation
d`envergure5
1 Institut National du
Patrimoine, Architecture coloniale et patrimoine, l'expérience
française, Paris, Somogy edition d'art, 2005, p11.
2 Père Goustan le
Bayon, Les prêtres du Sacré-Coeur et la naissance de
l'église au Cameroun, Paris, Procure des missions SCJ, 1986,
p.129.
3 Zacharie Saha, « Le
Bezirk de Dschang ...p.49.
4 Ibid. p.50.
5 Institut National du
Patrimoine, Architecture coloniale et...p 20.
38
Au sujet du financement des oeuvres religieuses, le
père Goustan affirme que « Toutes les constructions
nécessitaient de l'argent. Certes, les bienfaiteurs donnaient
généreusement ; mais il fallait faire appel aussi aux
chrétiens du pays. Même pauvres, ils devaient apprendre à
ne pas être toujours des assistés 1». Mais les
missionnaires ne sont pas délaissés par l'administration, ils
reçoivent de temps en temps les subventions étatiques. Ainsi, les
écoles missionnaires de la période coloniale allemande sont
financièrement soutenues par le fonds public, l'objectif est que les
élèves apprécient la grandeur civilisationnelle du
Reich.2 Jean Paul Messina allant dans le même sens, explique
les raisons de ce soutien de l'administration, en ces termes :
Bismarck n'admet les missions chrétiennes au
Cameroun que dans la mesure où elles contribuent à soutenir
l'action coloniale dans le pays, c'est-à-dire révéler aux
colonisés la grandeur de la civilisation du Reich et à les
éduquer à la soumission aux lois et règlements
de l'administration coloniale3.
Notons enfin qu'à regarder de très
près, le financement des travaux infrastructurels, à travers le
FIDES4, par la France à partir de la fin de la
Deuxième
Guerre Mondiale, ne la prédisposait pas
à songer un jour à son départ du Cameroun
particulièrement et des colonies en général. Nous pouvons
nous-mêmes nous rendre compte à travers cet extrait de l'ouvrage
Kamerun ! Une guerre cachée aux origines
de la françafrique qui dit :
la loi du 30 avril 1946 institue le FIDES...alors
même que le Cameroun n'a plus de statut véritable à cette
date...le territoire est curieusement le mieux loti, et de loin, de toutes les
possessions françaises d'Afrique dans la répartition des fonds
FIDES. Curieusement également, est la façon dont, dans ce
territoire privilégié, ces fonds sont affectés : sur 36.5
millions de francs débloqués entre 1947 et 1953, 85% vont aux
infrastructures et 10% seulement aux « équipements sociaux »
(alors qu'en AOF les fonds destinés aux infrastructures ne
dépassent pas 50%). Ce qui témoigne assez clairement que l'ordre
des
1 Père Goustan le
Bayon, Les prêtres du Sacré-Coeur ...p.129.
2 Ibid. p78.
3 Cité par Junior
Binyam, « Les pères à la remorque des colons », in
les cahiers de
Mutations, le vrai visage de l'église
catholique au Cameroun, Vol 056, Mars 2009, p.3.
4 Pour plus d'informations
sur le FIDES au Cameroun, lire Norbert A. Melingui Ayissi, « Les
fondamentaux d'une diplomatie harmonieuse et dynamique ; le cas de la
coopération économique et sociale de la France au Cameroun
1916-1960 », in Analele universitatii "dunaréa de jos",
Galatti, seria 19, Istoria, Tom VIII, 2009, pp193-212.
39
« priorités » n'est pas tout à
fait celui qu'affiche le gouvernement et que la France est bien
décidée à rester au Cameroun.1
Dans le même ordre d'idées Marc Michel
analysant la politique coloniale française en Afrique noire conclut qu'
en réalité, le discours officiel français à
l'égard de l'Afrique noire fut une variation continuelle sur les
thèmes de l'assimilation et de l'association qui masqua jusqu'au bout un
esprit d'intégration que René Pleven reconnaissait à
Brazzaville en soulignant que la préoccupation constante de cette
conférence était "l'incorporation des masses indigènes
dans le monde français"2.
Donc, la France n'a jamais souhaité
l'émancipation des colonies ou leur accession à la
souveraineté internationale sur le plan socio-économique et
politique. D'ailleurs Marc Michel jugeant les réalisations sociales en
Afrique dira : « Que de bonnes intentions ! Et que de lenteurs dans les
réalisations si l'on en juge par l'état de l'enseignement en 1919
ou de la santé en 19393 ».
En définitive, l`architecture coloniale est
essentiellement urbaine. A une première vague de constructions
édifiées avec les matériaux locaux (bois, terre,
paille...) succède une vague de constructions en matériaux
importés, préfabriqués et démontables, en bois puis
rapidement un métal avant l`emploi du béton
armé4. Dès lors, la question qui taraude notre esprit
est celle de savoir la façon avec laquelle les colons ont
intégré les indigènes à tous ces « projets
coloniaux ».
|