III. MATERIAUX ET RESSOURCES HUMAINES NECESSAIRES A LA
CONSTRUCTI ON ARCHITECTURALE
Il est question dans cette partie de
s'intéresser à trois éléments importants à
savoir, la technique et le matériau utilisés pour la construction
notamment la transition de la technique et du matériau locaux vers ceux
importés, le financement des infrastructures accordé par la
métropole et enfin les conditions de recrutement et de travail de la
main d'oeuvre.
1 Célestine Fouellefak
Kana, « Le christianisme occidental... p.11.
2 Ruyard Kipling,
Poèmes choisis, Paris, 1949, p.340.
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1. Un mélange de technique et de matériaux
allogène et autochtone
Une civilisation est le fruit du contact de l'homme
avec la nature. Avant l`arrivée des Européens, les Africains
avaient une façon de construire en fonction des instruments que la
nature mettait à leur disposition. Jacques Maquet en
caractérisant les civilisations en Afrique, constate que « plus
rudimentaires sont les techniques [de production matérielle], plus
grande est l'importance du milieu naturel. Ce qui explique que les limites
spatiales de certaines civilisations coïncident avec des régions
naturelles où domine telle végétation ou tel climat
1». Les populations des grassfields
n'échappent pas à cette catégorisation de Maquet. A partir
des éléments puisés dans leur milieu naturel
constitué par exemple des raphiales dans les vallons, des arbres de la
forêt, ils produisent des objets nécessaires à leur vie.
J.P. Warnier et P. Nkwi le réconnaissent en ces termes : «Nowadays,
the grassfields, as the name indicates, belong to the grass savanna area of
West and Central Africa...Rituals always incorporate elements of the
environment, and they tend to be conservative...in many rituals performed by
grassfields peoples, the basic ingredients are taken from forest crops and
plants2». Ce rattachement de l'Africain
à son milieu naturel et à sa culture a amené les
Européens à dire que le continent africain n'était
constitué que des « barbares » et des « sauvages
».
Cependant, les premiers africanistes, en parlant d'une
multiplicité de « religions » en Afrique noire, avouaient par
là leur ignorance de la spiritualité africaine. Dominique Zahan
fait partie de ceux qui sont entrés en profondeur pour davantage cerner
cette relation entre l'Africain et l'univers. Ainsi, il reconnaît que
« l'homme est la clé de voûte de l'édifice religieux
africain...La religion est donc essentiellement fonction de
l'élément humain et de son univers, la terre3 ».
Ce qui nous intéresse dans cette affirmation est le duo homme-Univers
(terre). C'est la terre, l'espace, le milieu naturel qui donnent un sens
à la vie de l'homme. Les productions
1 Jacques Maquet, Les
civilisations noires, Paris, Marabout Université, p18.
2 Paul Nkwi et jean Pierre
Warnier, Elements for a history of the western grassfields,
Yaoundé, Department of Sociology, 1982, p.23.
3 Dominique Zahan,
Religion, Spiritualité et pensée africaines, Paris,
Payot, 1970, pp13-16.
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matérielles, étant l'un des
éléments fondamentaux faisant partie du concept de civilisation,
témoigne de l'activité du génie créateur de l'homme
en relation avec le milieu naturel.
C'est d'ailleurs pour cette raison que certaines
civilisations en Afrique ont inspiré les colons dans l`architecture
parce qu'elles maitrisaient mieux leur environnement que ces étrangers.
Ces derniers furent obligés de commencer à construire avec les
matériaux et les techniques locaux avant de les changer progressivement.
Cet exemple de Thierry Joffroy et Fane Yamoussa concernant les maçons de
Djenné est évocateur :
les constructions architecturales de Djenné ont
inspiré pendant longtemps les architectes chargés de la
réalisation des bâtiments de l`administration coloniale dans toute
l`Afrique de l'ouest. Ses bâtisseurs sont encore des véritables
virtuoses, capable de réaliser de grands chantiers de construction avec
pour toute matières premières ce qu'ils trouvent dans
l`environnement proche de la ville. Principalement la terre
déposée par le fleuve et le bois de rônier (palmier dont
les branches sont en forme d'éventail)1.
De façon générale, Manfred Von
Mende, distingue trois grandes phases dans l`évolution des techniques de
constructions coloniales allemandes. Tout d` abord, les Allemands ont
commencé à faire leurs édifices avec des matériaux
et des méthodes de constructions locales particulièrement avec un
soubassement en terre, des rondins en bois, des nattes, des toits à
double pente, généralement ayant une durée de vie moins
longues2. Dans le même ordre d`idée Edith Ngomedje
remarque que « les Allemands perpétuèrent l'utilisation des
matériaux locaux, ils décidèrent d`enrayer les
insuffisances de ceux-ci dans les constructions de type traditionnel. Ils
allièrent dès lors aux techniques trouvées sur place leur
expérience propre 3».
1 Thierry Joffroy et Fane
Yamoussa, « Les maçons de Djenné, virtuoses de l'art de
bâtir en terre », in Les villes africaines et leurs
patrimoines, Paris, Riveneuve éditions, 2012,
PP.171-172.
2 Manfred Von Mende,
« Techniques de construction des édifices allemands au Cameroun de
1884 à 1916 », in Wolfgang Lauber (ed), L'architecture
allemande au Cameroun, Stuttgart, édition Karl Krämer, 1988, p
42.
3 Edith Njokou Ngomedje,
« L'histoire à travers les monuments cachés de
Yaoundé 1887-1963 », Mémoire de Maîtrise en Histoire,
Université de Yaoundé 1, septembre 2002, p 13.
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Photo 3: Mission centrale de Dschang construite par les
Pères Pallotins en 1906
Source : Archives privées R. Poundé,
Dschang
Construite par les Pères Pallotins, elle est
l'illustration parfaite de la construction faite à base du
matériau trouvé dans la nature. On voit le toit en chaume soutenu
par des poteaux en bois et à côté une représentation
de la forêt dans laquelle est sorti le bois utilisé.
La photo ci-dessus est l'illustration parfaite de
l'utilisation des matériaux locaux par les Allemands dans les colonies
notamment à Dschang. Le toit est en nattes, les poteaux de la devanture
en bois.
La seconde phase est la méthode de construction
par assemblage. Ici on commence par un soubassement massif
réalisé en béton qui protège les murs des eaux de
ruissèlement et permet d`éviter la pente, ensuite les murs,
plafonds et toitures sont construits sur un ou deux étages et pourvus
d`un revêtement de matériaux divers. Pour l`ossature, on utilisait
soit de l`acier, soit des bois conifères venant d`Allemagne. C`est
à partir de 1888 que les briques cuites sont fabriquées dans les
moules en métal. La toiture était constituée, soit de
plusieurs couches de carton bitume posées sur une couverture en bois,
soit de tôles ondulées avec aménagement d`un système
de ventilation pour aérer et oxygéner l`intérieur. Le nom
du quartier Briqueterie à Yaoundé vient du fait que cet espace a
abrité les machines allemandes servant à la fabrication des
briques cuites. C'est grâce aux briques fabriquées par ces
machines que l'ancien palais présidentiel et beaucoup d'autres
bâtiments se trouvant à côté ont été
bâtis1.
1 Entretien avec Jean
Claude Tchouankap, le 14 mai 2014 à son domicile.
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La dernière phase est la méthode de
construction en dur. Dans le but de démontrer les progrès
technologiques, on commence très tôt à construire les
mûrs et les plafonds en matériaux durs (briques de terre,
bétons et béton armé). Ces constructions étaient
plus onéreuses car elles nécessitaient plus de temps et il
fallait importer tous les liants (chaux, ciment, plâtre).
Il devient donc aisé de reconnaitre que, les
constructions coloniales sont constituées d`un matériel local,
facile à trouver, d'un autre importé, préfabriqué
et démontable. Cet agencement témoigne de l`évolution
même de la technique de construction des infrastructures coloniales dans
le temps. Malheureusement, la dépendance de l`Afrique vis-à-vis
de l`Europe concernant ce matériel s`amplifie comme le confirme Edith
Ngomedje : « avec les Français, les bâtiments en
brique prirent [...] du recul pour céder la place aux constructions en
parpaings ce qui rendit plus dépendants de l`Europe en matière de
batissement de maisons et des bureaux administratifs ou
privés1 ».
En ce qui concerne la conception des plans de ces
édifices, Fritz Wilhelm2 parlant de la période
allemande, nous fait savoir qu'il est à remarquer que, tout au moins,
les plans de ce que l'on appelle les édifices à caractère
officiel, tels que les bâtiments administratifs, écoles,
hôpitaux et habitations de fonctionnaires, furent réalisés
par la "Berliner Bauant3", tout d`abord selon le modèle
prussien...reprenant à des fins décoratives tous les ornements
puisés dans le sac à malices du passé.
A partir de cette affirmation, nous comprenons que
presque tous les bâtiments datant de la période coloniale peuvent
être détectés à partir des analyses faites sur un
bâtiment colonial puisqu'ils étaient conçus par un
même service technique. En outre,
1 Edith Njokou Ngomedje,
« L'histoire à travers ...p 16.
2 Fritz Wilhelm, «
L'architecture coloniale allemande dans le cadre du développement de
l'architecture à la fin du XIXe siècle jusqu'au début du
néolibéralisme », in Wolfgang Lauber (ed),
L'architecture allemande au Cameroun, Stuttgart, édition Karl
Krämer, 1988, pp37-38.
3 Mot de la langue allemande
qui signifie la direction de la construction à Berlin
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l'architecture coloniale a même influencé
les constructions en métropole comme les pavillons coloniaux du jardin
d'agronomie tropicale de Nogent-sur-marneen France1.
Pendant la période française, les
constructions se faisaient par ceux qu'on appelait les conducteurs de travaux.
C'est bien plus tard qu'apparut un ordre des architectes au Cameroun (voir
annexe n°4) chargé de la conception des édifices publics et
la construction des habitations des fonctionnaires était confiée
à la S.A.P (Société Africaine de Prévoyance)
.
Pour ce qui est des infrastructures religieuses,
notons qu'elles étaient construites au début, surtout sur des
plans faits par des missionnaires eux-mêmes. Mais au fur et à
mesure que les constructions devenaient plus importantes, il a fallut faire
appel aux architectes2.
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