4. La matérialisation de la prétendue
"mission civilisatrice" de l'Europe en Afrique
Pendant longtemps, les européocentristes
à l'instar de Hegel, J. Arthur de Gobineau et bien d'autres, ont
taxé l'Afrique d'un continent sans histoire et donc, sans civilisation.
A partir du XIXe siècle en Europe où les camps
s'étaient formés pour débattre au sujet de la
nécessité ou non de faire le colonialisme dans le reste du monde,
certains religieux, eux-aussi, prirent position en faveur de ce terrible
phénomène en pensant que l'église est la seule source de
la "vraie" civilisation, du bonheur des hommes et de la paix des peuples. Le
Cardinal d'Alger, son éminence Lavigerie, était par exemple
convaincu, comme beaucoup de ses contemporains, que l'Afrique où se
déclarent les ambitions européennes, a besoin de cette
civilisation qui apporte à l'évolution de l'humanité un
supplément d'âme3.
1 Emmanuel Ghomsi, «
Les bamiléké du Cameroun : Essai d'étude historique des
origines à 1920 », Thèse de Doctorat d'état
3e cycle, Université de Paris panthéon Sorbonne, 1972,
p 40.
2 Michel Simeu Kamdem, «
La ville de Dschang, Etude... p.23.
3 Célestine
Fouellefak Kana, « Le christianisme occidental à l'épreuve
des valeurs religieuses africaines : le cas du catholicisme en pays
Bamiléké au Cameroun 1906-1995 », Thèse de doctorat
en Histoire, Université Lumière Lyon 2, 2004-2005,
p.10.
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Dans le même ordre d'idées, F. de Vitoria
estimait que le but ultime de la colonisation est d'amener progressivement les
peuples de la culture inférieure à abdiquer à leur droit
à une culture propre, pour communier à l'unique culture des
"nations civilisées"1. En d'autres termes, s'agissait-il
d'apporter la civilisation aux peuples considérés comme sauvages
et barbares. Au 19e siècle, cette formule devient
idéologique et justifie la colonisation. Dans ses poèmes
choisis, Ruyard Kipling évoque la responsabilité qui incombe
à l'homme blanc de civiliser les peuples de couleur à travers sa
célèbre doctrine du «fardeau de l'homme blanc
2». Il devient ainsi impossible pour les missionnaires se
rendant en Afrique de séparer la foi de la civilisation, car
guidés par la pensée de ces théoriciens de
l'impérialisme européen.
La "mission civilisatrice" consistait donc à
déposséder l'Africain de sa culture et à lui imposer une
autre. Ceci devait être possible à travers
l'évangélisation et la scolarisation. Les infrastructures
allaient forcément accompagner ces actions en faveur de la civilisation
occidentale et au détriment de l'africaine.
En somme, nous pouvons remarquer que plusieurs raisons
ont influencé la construction des infrastructures coloniales à
Dschang. Les premières constructions étaient
réalisées pour imposer la domination, matérialiser la
supériorité de la race blanche sur la race noire et aussi pour
organiser et contrôler le pillage des ressources du sol et du sous-sol.
Les raisons étaient claires, mais après la décision de
vouloir construire, l'équation du matériau et de la ressource
humaine se posa avec acuité.
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