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Jouissance des terres et garantie


par Jules NDEODEME
Université de Yaoundé 2 - Master recherche en droit 2021
  

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Paragraphe 2 : Les droits réels de jouissance sur le domaine national susceptibles de garantie

Le domaine national est constitué des terres qui ne sont pas classées dans le domaine public ou privé de l'Etat et de ses démembrements ainsi que de celles qui n'ont pas fait l'objet d'une appropriation ayant menée à la délivrance d'un titre foncier. Les modalités de gestion de ce domaine sont l'affectation aux personnes publiques, le bail et la concession104(*). Le bail emphytéotique comme assiette de garantie a été vu précédemment.

S'agissant de la concession, elle est une technique par laquelle l'Etat reconnait aux particuliers à travers un acte administratif déterminé105(*) un droit de jouissance voire un droit de propriété sur des terres. Les modalités de gestion du domaine national qui l'instituent ne la définit pas mais en explique amplement le mécanisme. Comme évoqué ci-haut, la concession est double. Elle est définitive lorsqu'elle mène directement à la reconnaissance d'un droit de propriété définitif au profit du bénéficiaire. Mais avant la concession définitive, l'aspirant à la propriété des terres doit d'abord bénéficier d'une concession provisoire qui lui permet de mettre en valeur et faire des investissements sur lesdites terres. La concession provisoire constitue une technique conférant un droit réel de jouissance des terres susceptible de garantie (A) pendant sa durée. Cette voie menant à la propriété définitive constitue la voie de l'immatriculation indirecte. La voie de l'immatriculation directe est offerte aux occupants et exploitants du domaine national avant le 05 août 1974. Avant l'immatriculation, leur droit est un droit réel de jouissance des terres susceptible de garantie (B).

A. La concession provisoire : droit susceptible de garantie

La concession provisoire est « octroyée pour des projets de développement entrant dans le cadre des options économiques, sociales ou culturelles de la nation106(*) ». Au regard de cette disposition, il est clair que les investissements pour lesquels les concessions provisoires sont octroyées ne sont pas limités. Et notamment, les terres pouvant être accordées en concessions provisoires peuvent servir aussi bien pour des besoins d'usage et d'habitation des familles que pour des besoins commerciaux et économiques de toute catégorie.

Les concessions provisoires constituent aujourd'hui la principale voie d'accès à la propriété immobilière sur les vastes terres du domaine national. 15% à peine des terres occupées au Cameroun étant immatriculées, la voie de la concession provisoire qui s'impose aux occupants et exploitants du domaine national devient une technique majeure de reconnaissance des droits réels107(*).

En effet, lorsque les terres concernées par la demande de concession provisoire sont de moins de 50 hectares, la concession est attribuée par arrêté du Ministre en charge des Domaines. Lorsqu'il s'agit plutôt des terres dépassant la superficie sus évoquée, l'attribution est faite par un Décret du Président de la République. Dans tous les cas, un cahier des charges détermine les droits et les obligations du concessionnaire.

La concession prend fin à l'expiration du délai de 5 ans pour lequel elle est attribuée et exceptionnellement à l'expiration du délai de renouvellement. Le décès du titulaire met fin à la concession lorsque ses héritiers n'ont pas demandé la cession à leur profit du droit de jouissance dont bénéficiait le de cujus. Le non-respect des obligations contenues dans le cahier des charges, l'aliénation sans le consentement de l'administration, la mise sous procédure collective en cas de cessation de paiements ainsi que la concession définitive sont d'autres modes d'extinction du droit de jouissance que constitue la concession provisoire.

Il s'évince de ce qui précède que la concession provisoire est très précaire puisqu'elle ne dure que cinq (05) ans et exceptionnellement plus. Mais elle constitue un droit réel aliénable, sous quelques conditions, d'où son admission comme susceptible d'être objet de garantie. Elle peut même être un objet de garantie efficace pour des crédits de court terme et de faible valeur. La concession provisoire est érigée en droit réel susceptible de garantie aux termes de l'article 18 alinéa 2 du décret sus évoqué fixant les modalités de gestion du domaine national. Les dispositions dudit article sont reprises par le décret n°2015/3580/PM du 11 août 2015 en son article 21. Toujours sur le domaine national, un autre droit réel de jouissance est admis, pourtant aucun titre ne le constate. Il s'agit d'une prérogative légale qui reconnait la jouissance à certaines personnes et leur permet d'obtenir un titre foncier en vertu de leur simple jouissance.

B. Le droit réel de jouissance des occupants et exploitants des dépendances du domaine national au 4 août 1974

L'article 17 de l'ordonnance fixant le régime foncier dispose ainsi : « Les dépendances du domaine national sont attribuées par voie de concession, bail ou affectation dans des conditions déterminées par décret.

Toutefois, les collectivités coutumières, leurs membres ou toute autre personne de nationalité camerounaise qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance, occupent ou exploitent paisiblement des dépendances de la première catégorie prévue à l'article 15, continueront à les occuper ou à les exploiter. Ils pourront sur leur demande obtenir des titres de propriété conformément aux dispositions du décret prévues à l'article 7. »

L'article 15 évoqué dans cette disposition est relatif à la catégorisation du domaine national en deux dépendances, la première est celle occupée ou exploitée alors que la seconde est libre de toute occupation. Les terres concernées par le deuxième alinéa de l'article 17 sus-cité sont donc les terres exploitées ou occupées à l'entrée en vigueur de l'ordonnance fixant le régime foncier. Il est clair qu'au profit desdites collectivités et personnes, un droit réel de jouissance est reconnu. Un droit de jouissance qui plus est susceptible d'être transformé en droit de propriété à la simple demande de l'occupant ou de l'exploitant.

Le droit dont sont titulaire les exploitants et occupants du domaine national avant le 05 août 1974 est susceptible de garantie et notamment d'hypothèque. Au moment de constituer cette hypothèque, le Notaire doit requérir l'immatriculation des terres occupées et exploitées au profit de la personne qui les occupent et exploitent et entend donc les mettre en garantie. Ainsi, l'ordonnance fixant le régime foncier a consacré un droit réel de jouissance prêt à se transformer en droit de propriété lorsque l'occupant ou l'exploitant demande l'immatriculation.

L'admission de ce droit de jouissance comme pouvant faire l'objet de l'hypothèque est juste pour au moins deux raisons. La première raison tient au fait que le droit de jouissance ainsi consacré n'est en lui-même que temporaire, la difficulté propre à une personne de procéder à cette conversion ne doit donc pas occulter le fait que son occupation et son exploitation valent d'importants investissements ou plutôt le fait que la disponibilité du crédit permettrait lesdits investissements. Il n'est pas faux que la reine des garanties étant l'hypothèque, un immeuble ou des terres immatriculées lui seront demandés pour l'octroi dudit crédit. Avec la possibilité d'utiliser un simple droit de jouissance, les diligences nécessaires peuvent être faites et le crédit octroyé.

Le domaine national regorge, au regard de ce qui précède, l'essentiel des droits de jouissance des terres susceptibles d'être mis en garantie de remboursement des crédits. Les divers baux, la concession provisoire et les droits des exploitants ou occupants du domaine national avant le 05 août 1974 sont les droits dont bénéficient la grande majorité des camerounais.

En conclusion, quelques démembrements du droit de propriété conférant jouissance des terres et présentant préalablement des caractères d'aliénabilité et de saisissabilité peuvent constituer l'assiette d'une garantie de remboursement des crédits. Il en est de même des droits réels que le législateur a bien voulu conférer dans les terres des domaines à travers les mécanismes sus évoqués. Le territoire camerounais est largement constitué du domaine national, c'est la raison pour laquelle les droits de jouissance conférés à ceux qui l'exploite mènent majoritairement à l'acquisition de la propriété. C'est le cas des droits des exploitants et occupants du domaine national avant le 05 août 1974. Leur droit de jouissance doit au préalable être transformé en droit de propriété et les terres occupées ou exploitées peuvent être hypothéquées. La nature de la garantie portant sur ce droit est identifiée ; il s'agit de l'hypothèque. Portant également sur les terres, la question se pose de savoir si les autres droits réels de jouissance entrent-ils également dans l'assiette de l'hypothèque.

* 104 Article 17 de l'ordonnance fixant le régime foncier.

* 105 Un arrêté du Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières lorsqu'il s'agit de moins de 50 hectares ou un décret du Président de la République lorsque la superficie est de plus de 50 hectares.

* 106 Article 2 du décret n°76-166 du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine national.

* 107 A lire l'article 4 du décret suscité, il peut en être conclu que seules les terres non occupées ou exploitées peuvent faire l'objet de concession provisoire. Il y a lieu d'envisager que l'occupation et l'exploitation dont il s'agit ne peuvent pas valoir dans le sens où il s'agit des terres vierges. En réalité, ce texte vise à écarter de l'assiette de la concession provisoire les terres déjà immatriculées au profit de l'Etat ou des particuliers et celles ayant été mises en valeur avant le 4 août 1974. Sont également exclus les terres relevant du domaine public.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote