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Jouissance des terres et garantie


par Jules NDEODEME
Université de Yaoundé 2 - Master recherche en droit 2021
  

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Paragraphe 1 : Les baux, droits réels susceptibles de garantie

Le bail est un contrat de louage par lequel l'une des parties appelée bailleur s'engage, moyennant un prix que l'autre partie appelée preneur s'oblige à payer, à procurer à celle-ci, pendant un certain temps, la jouissance d'une chose mobilière ou immobilière58(*). A partir de cette définition, il s'évince que le bail est considéré plus comme un droit personnel qu'un droit réel. La question de l'admission du bail comme droit réel se trouve donc âprement discuté et fait l'objet de beaucoup d'écrits59(*). La relation qu'il implique semble être double.

La première relation est celle du preneur et du bailleur, entre les deux il y a obligation de l'un envers l'autre, il s'agit là d'un droit personnel. La seconde relation est toute autre, c'est celle du preneur avec la chose louée. Le preneur a sur la chose qui lui est louée un droit réel. Portant sur les terres, la valeur économique de ce droit peut ne pas être suffisante pour constituer garantie si ledit bail est de très courte durée et fondé sur un système de loyers qui rémunère exactement la valeur de la jouissance. Ceci pour la raison que ce bail ne peut pas susciter la confiance d'un prêteur encore que le montant des loyers à payer ne permettra pas forcément de procurer au créancier la valeur dont il entend recouvrer. Mais il y a des baux donnant droit réel de jouissance sur les terres pendant de très longue durée en plus de représenter une valeur économique forte, ils ne sont pas dépouillés de la temporalité mais ils en viennent à pouvoir susciter confiance de la part du créancier bénéficiaire. Il s'agit du bail emphytéotique (A) et du bail à construction (B), qu'ils soient des baux civils ou à usage professionnel60(*).

A. Le bail emphytéotique

Le bail emphytéotique61(*) est un bail par lequel un propriétaire concède la jouissance d'un immeuble pour une durée de 18 à 99 ans, moyennant une redevance annuelle modique appelée canon emphytéotique et sous l'obligation de planter ou d'améliorer l'immeuble loué, à un preneur nommé emphytéote qui acquiert le droit réel d'emphytéose62(*).

Il est clair à partir de cette définition que le droit reconnu à l'emphytéote est un droit réel63(*), conféré à une personne par le propriétaire sur ses terres. La particularité de ce droit est qu'il est toujours de longue durée, ce qui a l'avantage de constituer pour un prêteur, même pour celui qui a consenti un prêt à long terme à l'emphytéote, un droit qu'il pourra réaliser en cas de défaillance de celui-ci, le débiteur de sa créance ou la caution, à l'exigibilité de la créance et ainsi se faire payer par préférence.

Il y a à distinguer le bail emphytéotique du bail ordinaire puisque ce dernier est conclu pour une durée plus courte avec des loyers de valeur élevée64(*). Le bénéfice est pourtant le même, il s'agit de la jouissance des terres. En effet, les deux défauts, relevés ci-avant, à mettre au passif du bail ordinaire fait qu'il soit difficile de l'admettre comme droit réel susceptible de garantie65(*). Dans certains cas, les baux ordinaires sont intransmissibles et conclus avec la condition de ne pas pouvoir faire l'objet de garantie. Ils n'autorisent pas la conclusion des baux par le preneur à d'autres personnes sur les mêmes terres. C'est l'interdiction de la sous-location. Contrairement aux baux ordinaires, les baux emphytéotiques sont naturellement admis pour faire l'objet de garantie66(*).

L'usufruit présente quelques caractères semblables avec le bail emphytéotique, la réelle distinction étant sur le point de ce que l'usufruit n'est pas toujours transmissible et donc ne peut pas toujours faire l'objet de garantie. Les deux droits confèrent le droit d'usage et le droit de percevoir les fruits des terres, qu'ils soient naturels, civils ou même industriels. L'usufruit résulte très souvent d'un contrat conclu intuitupersonae ou même plutôt d'une disposition légale67(*). A son sujet, la doctrine admet volontiers qu'elleest« peu pratiquée à cause de la fragilité du gage qui s'éteint avec ce droit temporaire. »68(*) L'usufruit est un droit réel de jouissance à caractère viager et il reste admis que le simple fait de voir ce droit disparaître aussitôt après le décès du débiteur, jamais prévisible, n'est d'aucun secours à un créancier qui croyait s'en prévaloir pour le paiement de sa créance, même après le décès du débiteur.

Le bail emphytéotique fort de sa longue durée69(*) et de sa valeur économique considérable se place donc comme un droit réel de jouissance des terres pouvant incontestablement faire l'objet de garantie70(*). Cette forme de droit réel était à ses origines considérée comme spécifique au domaine de l'agriculture, c'est pour cela que s'est développée le mécanisme de bail à construction qui a les mêmes caractères.

B. Le bail à construction

Le bail à construction est un bail de longue durée allant de 18 à 99 ans, qui, conférant au preneur un droit réel immobilier, avec faculté de céder, hypothéquer ou apporter ce droit en société, l'oblige à édifier sur le terrain loué des constructions, moyennant, en tout ou partie, la remise au bailleur des édifices et, s'il est stipulé, un loyer révisable.71(*)

Ce qui a été dit pour le bail emphytéotique est valable pour le bail à construction. Ainsi donc, il s'agit tout aussi d'un droit réel de jouissance des terres susceptible de garantie. Le preneur à bail a le droit de mettre en garantie ses droits sur les terres qui lui sont données. Il est considéré comme véritable propriétaire pendant la longue durée de son bail72(*). Il est évident qu'avec la possibilité de sous louer les constructions, la valeur économique qui se dégage est considérable, ce qui peut notamment susciter confiance de la part du prêteur de fonds.

Le droit réel de jouissance des terres qu'est le bail à construction constitue avec le bail emphytéotique d'excellents droits de jouissance à affecter à la garantie de remboursement. Tout de même, ils ne sont pas les seuls démembrements du droit de propriété ayant ces propriétés économiques utilisables aux fins de garantie. D'autres mécanismes comme le droit de superficie et les droits de jouissance spéciale, en pleine reconnaissance et développement, peuvent aussi constituer l'assiette des garanties.

* 58 Cette définition tirée du vocabulaire juridique est empruntée à l'article 1709 du code civil applicable au Cameroun.

* 59 Le bail est au coeur de la distinction entre droit réel et droit personnel mais en réalité il a plutôt plus contribué à les rapprocher. M. PLANIOL, Traité de droit civil, 1e éd, t 1, n°2158 et s. MICHAS, Le droit réel considéré comme une obligation passive universelle, thèse, Paris, 1990. F. HAGE-CHAHINE, in Essai d'une nouvelle classification des droits privés, RTD Civ. 1982, pp. 705 s.

* 60 Le bail à usage professionnel est substitué à l'ancien bail commercial. Il est organisé aux articles 101 et suivants de l'AUDCG révisé le 15 décembre 2010. La qualification de bail commercial ou désormais de bail à usage professionnel ne fait pas de cette convention une à distinguer du bail emphytéotique et du bail à construction qui peuvent être tous deux commerciaux et civils.A. FOKO, « Bail commercial / Bail à usage professionnel », in Encyclopédie du droit OHADA, Porto - Novo, Lamy, 2011, pp. 400-439

* 61 C'est un mécanisme consacré par une loi du 25 juin 1902.

* 62 G. CORNU (Sous la direction de), Vocabulaire Juridique, op. cit. pp.118 et 396

* 63 Sa nature de droit réel ne fait l'objet d'aucune spéculation. V. B. BOCCARA, Du bail emphytéotique, REDI 1964, p.448

* 64 VIATTE, « Du bail emphytéotique et de sa distinction du bail ordinaire à longue durée », Rev. Loyers, 1973, p. 302.

* 65 TERRE F. et SIMLER Ph., Droit civil. Les biens, 9e éd, Paris, Dalloz, 2014, n°928

* 66Article 1er de la loi du 25 juin 1902 sus-évoqué.

* 67 Cas de l'usufruit du conjoint survivant sur les biens de la succession de l'époux décédé (article 767 du code civil applicable au Cameroun) ou de l'usufruit des père et mère sur certains biens de leurs enfants décédés(article 754 du code civil applicable au Cameroun)

* 68 Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les sûretés, op. cit , n°665

* 69 Ce temps faisait que l'emphytéote soit vu comme le véritable propriétaire alors qu'il n'a qu'un droit de jouissance. TERRE F. et SIMLER Ph., Droit civil. Les biens,op. cit. n°928

* 70 Cass. Civ, 3e 12 mars 1970 et 13 mai 1998.

* 71G. CORNU (Sous la direction de), Vocabulaire Juridique, op. cit. p.117

* 72TERRE F. et SIMLER Ph., Droit civil. Les biens,op. cit. n°936

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote