Jouissance des terres et garantiepar Jules NDEODEME Université de Yaoundé 2 - Master recherche en droit 2021 |
SOMMAIREINTRODUCTION GENERALE...................................................................1 PREMIERE PARTIE : LA POSSIBILITE DECLAREE DE RECOURIR A LA JOUISSANCE DES TERRES COMME GARANTIE........................................11 CHAPITRE I : L'IDENTIFICATION DES DROITS REELS DE JOUISSANCE DES TERRES SUSCEPTIBLES DE GARANTIE......................................................14 SECTION I : LES DEMEMBREMENTS DE LA PROPRIETE IMMOBILIERE CONFERANT JOUISSANCE ADMIS COMME OBJET DE GARANTIE..................15 SECTION II : LES DROITS REELS DE JOUISSANCE DES TERRES DOMANIALES SUSCEPTIBLES DE GARANTIE..................................................................23 CHAPITRE II : LA NATURE JURIDIQUE DE LA GARANTIE PORTANT SUR LA JOUISSANCE DES TERRES : L'HYPOTHEQUE ...............................................31 SECTION I : L'IDENTIFICATION DE LA GARANTIE AU MOYEN DES DROITS DE JOUISSANCE DES TERRES COMME HYPOTHEQUE.......................................32 SECTION II : LES CARACTERISTIQUES DE L'HYPOTHEQUE DE LA JOUISSANCE DES TERRES..........................................................................................39 DEUXIEME PARTIE : UNE POSSIBILITE INCONSISTANTE QUANT AUXMODALITES D'UTILISATION DE LADITE JOUISSANCE COMME GARANTIE..........................................................................................48 CHAPITRE I : L'INCONSISTANCE PAR LE RECOURS DEMESURE AUX REGLES DU REGIME DE L'HYPOTHEQUE DE L'IMMEUBLE.......................................51 SECTION I : LE RECOURS AUX REGLES DE CONSTITUTION DE L'HYPOTHEQUE DE L'IMMEUBLE....................................................................................52 SECTION II : LE RECOURS AUX REGLES RELATIVES AUX EFFETS DE L'HYPOTHEQUE DE L'IMMEUBLE.............................................................59 CHAPITRE II : L'INSTITUTION D'UN REGIME SPECIFIQUE A L'HYPOTHEQUE DE LA JOUISSANCE DES TERRES COMME SOLUTION ENVISAGEABLE................65 SECTION I : UNE NECESSITE PARTIELLEMENT PRISE EN COMPTE PAR LES TEXTES................................................................................................66 SECTION II : UNE PRISE EN COMPTE A PARFAIRE POUR INSUFFISANCES ET INADAPTATIONS...................................................................................73 CONCLUSION GENERALE......................................................................83 INTRODUCTION GENERALEUn auteur affirme avec conviction que « l'évolution du monde des affaires et le développement économique ne peuvent s'effectuer aisément que si des opérateurs économiques ont la possibilité et la facilité d'accès aux crédits »1(*). Toute économie doit sa croissance à la disponibilité du crédit et à son usage. En effet, « le crédit est indispensable dans tous les rouages de la vie économique, de la production à la consommation»2(*). Lorsque les entrepreneurs, investisseurs, producteurs et consommateurs n'ont pas respectivement de fonds nécessaires à la mise en oeuvre de leurs projets, à la réalisation de leur production et à la satisfaction de leur besoin de consommation, ce qui est le cas pour la majorité d'entre eux, ils recourent aux possibilités de financement offertes par les établissements de crédits ou mêmes par des fournisseurs et autres personnes impliquées dans la vie des affaires. Le crédit qui vient de credere (croire) se définit comme le « soutien financier qui consiste en une opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d'argent à la disposition d'une autre personne en raison de la confiance qu'elle lui fait »3(*). La simple confiance, sans objectivité sur la situation de celui qui fait la demande de crédit, n'est pas de nature à déterminer l'offre de crédit, s'il ne s'agit pas d'un don. Et un don suppose la cession d'un bien ou d'une somme d'argent sans attente de remboursement. Il ne peut donc s'assimiler à un crédit. Pour Max WEBER, le « crédit» au sens large du terme [est] toute cession de droits de disposer de quelques biens matériels que ce soit contre la promesse future d'une cession équivalente de droits »4(*). La technique du crédit s'analyse en une sorte d'échange « d'un droit de disposer de valeurs matérielles ou monétaires, présentement non disponibles mais disponibles en abondance dans l'avenir, contre un droit de disposition disponible mais non destiné à l'usage de l'emprunteur »5(*). Le crédit participe de la mise à disposition de certains moyens en vue d'atteindre certains objectifs ou de satisfaire des intérêts déterminés, moyens sans lesquels ces objectifs ne seront jamais atteints, ou peut-être seront-ils atteints tardivement. Pour éviter que l'atteinte des objectifs ou la satisfaction des intérêts soit improbable ou même impossible, tous peuvent recourir au crédit en fonction de leurs besoins et de leur possibilité de rembourser, cette dernière est la condition essentielle de consentement au crédit. Les gouvernements encouragent leurs citoyens à recourir aux crédits, de même qu'ils y font recours également pour leur fonctionnement et pour la réalisation de leurs programmes politiques. La place primordiale du crédit dans le développement des économies et des affaires est perceptible à travers des rapports comme ceux établis par les organismes financiers comme la Banque Mondiale. Cet organisme établit chaque année des rapports appelés Doing Business6(*). Ces rapportssont les résultats d'enquêtes et analyses prenant en compte divers aspects de la vie des affaires. Il s'agit du classement des pays en terme d'ouverture et de rentabilitédes investissements et donc des économies favorables au développement des affaires. Le Cameroun occupe le 167e rang sur 190 pays dans le classement mondialDoing Business2020. Ce classement met un accent particulier sur le facteur financement7(*). Le financement ou le crédit est intimement lié au remboursement qui doit intervenir à l'échéance, l'instant d'exigibilité de la créance. Le remboursement se réalise de manière conditionnée puisque la solvabilité du débiteur8(*) est le facteur déterminant. Dans les contextes socio-économiques de sous-développement comme en Afrique subsaharienne et au Cameroun particulièrement, les conditions d'accès au crédit peuvent se trouver mieux organisées alors que les modalités devant conduire au remboursement du même crédit sont comme quasiment sous-organisées. Pour bénéficier d'un crédit, il faut pouvoir rassurer le financier sur les réelles capacités de rembourser9(*) et pour ça, des garanties sont prévues. Selon le Lexique des Termes Juridiques10(*) la garantie peut être l' « obligation mise à la charge d'un contractant destinée à assurer la jouissance paisible de fait et de droit de la chose remise à l'autre partie, alors même que le trouble ne résulte pas de son fait ». Egalement, la garantie s'entend comme ensemble des « moyens juridiques permettant de garantir le créancier contre le risque d'insolvabilité du débiteur ; en ce sens, il s'agit du synonyme de sûreté. » La sûreté est bien moins qu'une garantie dans la mesure où certaines garanties ne constituent pas des sûretés alors que toutes les sûretés sont des garanties. C'est précisément la définition du Vocabulaire Juridique11(*) qui explicite cette notion de garantie. Il la définit en effet comme : « tout mécanisme qui prémunit une personne contre une perte pécuniaire [...] c'est en réalité un terme générique doté d'un sens d'évocation employé seul et chargé de sens de précision associé à d'autres ». Il rappelle que la garantie est parfois synonyme de sûreté12(*), dans son sens strict, « mais une sûreté n'est qu'une espèce de garantie ». Sur la relation entre la garantie et la sûreté, un auteur établit que la garantie est une notion fonctionnelle, englobant la sûreté, et cette dernière n'est qu'une notion conceptuelle13(*). Il est plus approprié de retenir la garantie dans son sens strict qui s'assimile à la sûreté telle que définie ci-avant. La garantie peut donc s'entendre comme le mécanisme consistant à affecter un bien ou un ensemble de biens, une propriété ou tout un patrimoine, et éventuellementun droit de jouissance, à la satisfaction du droit d'un créancier à être remboursé. En effet, en vue du remboursement des crédits, le droit de gage général14(*)est une garantie15(*) bien qu'il ne puisse malheureusement pas toujours suffire à asseoir la conviction du financier sur la solvabilité de son débiteur16(*) à l'exigibilité de la créance. Dans la mesure où le droit de gage général ne représente pas une garantie suffisante au remboursement, les chances d'accès au crédit s'amenuisent considérablement. D'ailleurs, « le seul droit de gage général ne permet [...] pas au créancier de se prémunir contre l'insolvabilité future du débiteur.»17(*)En plus du droit de gage général, le droit a donc dû prévoir des garanties offrant plus de sécurité au financier en vue de son remboursement le moment venu. Les garanties de remboursement des créances sont contenues dans divers textes communautaires18(*) et dispositions éparses, des lois19(*) et règlements20(*), et certaines techniques adoptées par les établissements de crédits21(*) et les prêteurs n'en constituent pas moins des garanties de recouvrement, peut-être moins fiables mais tout de même utilisées. Il s'établit que l'entrepreneur ou même toute autre personne nécessitant du crédit a une panoplie de droits auxquels il peut faire recours pour garantir le remboursement du crédit dont il a besoin. Initialement, le code civil organisait les garanties autour des biens mais aussi des personnes qui se portaient garantes du remboursement du crédit octroyé à une autre personne. Les garanties sont dites personnelles pour renvoyer à l' « action supplémentaire » d'une tierce personne à la garantie du remboursement au créancier d'une dette contractée par une autre personne. Les garanties sont dites réelles22(*) pour établir qu'elles sont constituées sur des choses sur lesquelles peuvent porter des droits réels c'est-à-dire des droits portant directement sur la chose et procurant à son titulaire tout ou partie de l'utilité de cette chose23(*). Ces biens sont classés en deux groupes, les meubles et les immeubles. Il y a notamment d'un côté les meubles par nature, par anticipation et par détermination de la loi, et de l'autre côté il y a les immeubles par nature, par destination et par l'objet auquel ils s'appliquent. Sur les meubles sont notamment constitués le gage, le nantissement, le droit de rétention, les privilèges généraux et spéciaux. Sur les immeubles étaient constitués l'hypothèque et l'antichrèse24(*) en plus des privilèges généraux accordés à certains créanciers sur les immeubles de leurs débiteurs. Les garanties réelles ont connu une certaine évolution et aujourd'hui, elles portent aussi bien sur les biens que sur le droit de propriété25(*) d'une personne sur des biens déterminés ou simplement déterminables. Ce qui fonde la spécificité des nouvelles garanties ainsi inventées ou réutilisées26(*) et portant sur la propriété, ce sont les modalités de leurs réalisations27(*). Les garanties classiques sont réalisées difficilement puisque très souvent les biens objet des garanties n'appartiennent pas aux créanciers et ceux-ci doivent vendre lesdits biens de leurs débiteurs ou peut-être demander que la propriété leur en soit attribuée. Pourtant, dans le cadre des propriétés garanties, les biens appartiennent aux créanciers - même si cela n'est pas souvent accompagné de la possession et ou de la jouissance du bien - ou même, ils possèdent le bien et en jouit bien que la propriété dudit bien ait été cédée et ils ont les garanties qu'offrent, en plus, les actions pétitoires et possessoires auxquelles ils ont la possibilité de faire recours, le cas échéant. Ainsi donc, un bien peut être utilisé comme garantie, la propriété du même bien peut également être utilisée à cette fin. Souvent, dans le cadre des propriétés garanties ou même dans le simple exercice des prérogatives conférées sur les terres par le droit de propriété ou la loi, un tiers peut bénéficier du droit de jouissance. La jouissance est une notion juridique qui dérive de jouir et en latin, il s'agit de `gaudere'. Selon le Doyen Cornu, la jouissance peut s'entendre d'une part, comme des « bénéfices et avantages divers attachés à la possession d'un bien ou d'un patrimoine ». D'autre part, la jouissance est entendue comme « l'usage (usus, droit de se servir personnellement de la chose) jusqu'à désigner parfois une espèce particulière d'usufruit (jouissance légale des parents), mais s'oppose toujours à la disposition du capital frugifère(la chose objet de jouissance) »28(*). La jouissance peut être définie comme « l'utilisation d'une chose (usus) et le droit de percevoir les fruits d'une chose, de les conserver ou de les consommer (fructus) »29(*). Puisque le droit de propriété30(*) offre trois attributs que sont l'usus, le fructus et l'abusus, la jouissance c'est la réunion de l'usus et du fructus. Tout de même, l'un comme l'autre peut exclusivement constituer la jouissance. Il n'est pas exclu par ailleurs que la jouissance se fasse en vertu d'aucun droit, c'est la jouissance de fait. Peu importe, il s'agit de la jouissance des terres lorsque des biens immeubles sont concernés. La terre peut être assimilée au mot « terrain » qui dérive de la même racine. L'adjectif terrain31(*) dérive du latin terrenum ou terrenus, ce qui est formé de terre. Abstraitement, terrain renvoie à l'idée d'étendue, de limites. Il s'agit du « synonyme de champ ou de domaine d'application » ou même du « lieu auquel se circonscrit un débat (terrain de discussion) ou un accord (terrain d'entente) »32(*). Concrètement, c'est « une parcelle de terre, portion de territoire ». La terre emprunte la définition concrète du terrain, c'est les parties ou portions du globe33(*), c'est aussi l'étendue du territoire d'un Etat, d'une région. « Jouissance des terres »comme expression, au regard des définitions ci-avant retenues, s'entend comme l'usage par habitation ou par exercice d'activités économiques diverses sur desterres et le droit de percevoir ainsi que de disposer des fruits issus de cet usage des terres. La jouissance par habitation consiste en l'érection des constructions en vue d'y habiter ou même la prise de possession des constructions déjà érigées et leur éventuelle amélioration pour y habiter. La jouissance des terres sert à une activité économique à partir du moment où les terres et constructions érigées sont louées ou sous louées et utilisées dans le cadre d'activités professionnelles civiles, artisanales, industrielles et commerciales diverses. Les conventions ouvrant droit à jouissance déterminent en bien des cas la nature de la jouissance dont bénéficie le titulaire, toujours est-il que l'utilité économique de la jouissance est conséquente. La jouissance des terres qui est un droit exercé par une personne sur des terres peut être cessible ou non. La jouissance des terres peut découler de l'exercice des attributs sus-évoqués du droit de propriété sur des terres que de la simple possession ou plus encore d'une jouissance de fait qui peut même être réprimée. Un auteur explique à ce propos que : «au Cameroun, deux types de prérogatives sont reconnues et protégées au profit des personnes et communautés sur les terres : la propriété et la possession.»34(*) Alors que la propriété ne pose pas de difficulté sérieuse35(*) puisque c'est la situation presqu'idéale36(*) à laquelle tous doivent parvenir, il n'en est pas de même de la possession. « La possession est la prérogative de fait reconnue aux personnes et communautés qui, sans titre, occupent paisiblement un espace du domaine national, en y édifiant leurs maisons, plantations ou en y exerçant des activités d'élevage. »37(*)Mais puisque la possession d'une chose ne confère pas en elle-même un droit absolu comme la propriété, il y a incontestablement un souci à n'être que possesseur. Pire lorsque dans le contexte camerounais, la propriété immobilière ne peut pas s'acquérir par la prescription et que le titre foncier est la certification officielle de la propriété immobilière38(*). Il est important de signaler que la jouissance des terres peut être de fait, c'est la simple possession sans aucun titre, une jouissance de pur fait. Il est hasardeux de croire aussi que toute possession est illégale puisque même sans titre, il peut être reconnu un véritable droit réel à certains occupants et exploitants du domaine national, ceux d'avant 05 août 1974 en occurrence. Sur ce même domaine national, il peut être reconnu des droits réels de jouissance à travers la concession provisoire et les baux. Dans ces cas, il ne s'agit plus de la jouissance sans titre puisqu'un acte constate toujours telle jouissance. Sur d'autres terres domaniales, certains droits réels peuvent aussi être constitués. Il s'agit du droit d'occupation et d'exploitation du domaine public artificiel déclassé et des divers baux considérés comme droits réels de jouissance sur le domaine privé de l'Etat lui-même et de ses démembrements. En vertu de ces divers droits, les titulaires réalisent des impenses. Ce sont des investissements qui améliorent l'état des terres ou des constructions, installations et ouvrages érigés sur des terres. Elles constituent des plus-values d'une valeur économique certaine. Les démembrements du droit de propriété quant à eux sont de véritable droits réels et confèrent, pour certains, un droit de jouissance. Il s'agit des droits de l'usufruitier et des droits conférés dans le cadre des droit d'usage et d'habitation, de superficie, des baux emphytéotique, à construction et sont davantage admis divers droits réels de jouissance spéciale dits innomés39(*). Les modalités de jouissance sont les mêmes, elles consistent en la possession en vue de tirer des terres diverses utilités économiques des constructions et investissements réalisés par le cédant ou le cessionnaire lui-même. La jouissance des terres peut ainsi représenterune prérogative, un droit conféré par la loi ou un règlement, par une décision de justice ou par une convention, la propriété est également une prérogative, un droit40(*).Toutefois, la propriété confère une prérogative absolue qui recouvre sans conteste le droit de jouissance. Par ailleurs, la propriété peut servir de garantie, c'est très ancien. Et même cette garantie connait un régime consolidé par les caractères absolu, définitif et perpétuel du droit de propriété. Ces caractères ne sont pas tous reconnus aux droits de jouissance des terres. La préoccupation est de connaître si la jouissance des terres résultant de la propriété ou de la simple possession peut servir de garantie. La jouissance des terres de fait est impossible à constituer l'assiette d'une garantie pour le simple fait de ne pas résulter d'un titre et donc de ne pas être un droit véritablement établi ou conféré par un texte. Pour le cas de la jouissance des terres exercéeen vertu d'un texte de droit quelconque ou d'une convention des parties, la réponse ne peut être aussi radicale et la question suivante se pose réellement : la jouissance des terres de droit peut-elle servir de garantie de remboursement des crédits ? L'intérêt de répondre à cette question découle de ce qu'elle permet de déterminer et d'évaluer les droits de jouissance des terres pouvant servir de garantie et les modalités suivant lesquelles cette garantie peut être constituée et mise en oeuvre. Il a été relevé ci-haut le lien étroit entre le crédit et la garantie. Bien avant, dans une perspective socio-économique, ont été montrés la place et le rôle des financements c'est-à-dire du crédit sur l'évolution et la croissance des économies ainsi que les répercussions sur les ambitions d'émergence des nations. En effet, dans des contextes propres aux pays en voie de développement comme au Cameroun et en Afrique globalement, le besoin de crédit est primordial mais les crédits ne sont pas suffisamment accessibles pour la majorité des populations du fait de leur niveau d'insolvabilité très élevé41(*) pour certains et pour défaut d'immeubles à proposer comme garantie pour d'autres, l'hypothèque étant la garantie favorite. La possibilité de varier et de diversifier l'assiette des biens et droits qu'ils offrent en garantie au remboursement des crédits auxquels ils prétendent améliore nettement leur chance. L'étude de la jouissance des terres et garantie s'attèle à montrer comment la jouissance des terres de droit comme l'usage par habitation ou par exercice d'activités économiques sur des terres et le droit de percevoir ainsi que de disposer des fruits issus de cet usage des terres peut servir comme outil aidant à prémunir un créancier contre une perte financière qui surviendrait du fait de l'insolvabilité de son débiteur qui bénéficie pourtant de certains droits de jouissance des terres. L'idée est donc de ressortir dans quelles mesures un créancier peut obtenir, de son débiteur qui jouit de droit d'une terre, ladite jouissance pour assurer le recouvrement de sa créance. Pour trouverdes réponses à la question de recherche posée, ont été utilisées, d'une part, l'exégèse42(*) qui a servi pour étudier, analyser et expliquer les textes internationaux et communautaires, législatifs et règlementaires, les jurisprudences des diverses juridictions et les travaux doctrinaux auxquels recours ont été faits aussi bien pour expliquer les textes que pour explorer les solutions déjà proposées et s'en inspirer. D'autre part, la méthode de la libre recherche scientifique43(*) a été utilisée pour proposer des solutions et faire des constructions juridiques à partir des logiques et raisonnements établis en science juridique. Le recours à ces méthodes ont permis de parvenir au résultat selon lequel les droits réels de jouissance des terres sont divers et tous ne sont pas susceptibles de faire l'objet de garantie. Cette garantie s'identifie comme hypothèque. Cette identification à la « mère des garanties » fait transposer à la garantie portant sur les droits réels de jouissance des terres l'essentiel des règles qui la constitue et qui régissent ses effets. Les modalités d'utilisation des droits réels de jouissance sont donc quasiment celles de l'hypothèque de l'immeuble. A l'analyse, cette assimilation est un handicap à l'utilisation desdits droits qui ne représentent simplement que des utilités sur des terres. Des spécificités déjà prises en compte doivent s'étendre et amener à constituer une véritable garantie avec un régime spécifique. Il y a donc une possibilité déclarée de recourir à la jouissance des terres comme garantie (Première partie). Tenant aux modalités d'utilisation de cette jouissance comme garantie, ladite possibilité se révèle inconsistante (Deuxième partie).Ceci par l'emprunt aux règles de l'hypothèque, empruntfait quelques fois de manière insuffisante et inadaptée d'où la nécessité de lui organiser un régime juridique propre.La possibilité d'utiliser la jouissance des terres comme objet de garantie est donc à recadrer. * 1 S. BENMESSAOUD, Les garanties des crédits bancaires. Etude comparée, Mémoire de Magister, Université d'ORAN, 2013, p.1 * 2 PH. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les Sûretés, par L. AYNES et P. CROCQ, 14e éd, Paris, LGDJ, 2020, n°1. * 3G. CORNU (Sous la Direction de), Vocabulaire Juridique, 11e éd, Paris, PUF, 2016, p.286 * 4 M. WEBER, Economie et Société, Tome 1 Les catégories de la sociologie, trad. J. CHAVY, PLON, 1995, p. 125 * 5 Idem. * 6 Le classement est disponible à l'adresse internet suivante : www.doingbusiness.org. Le profil de l'économie camerounaise et le rapport Doing Business 2020 concernant exclusivement le Cameroun peuvent être téléchargés à ladite adresse internet. * 7 Il s'agit de l'indice Doing Business n°5 : Getting credit (l'accès au crédit), Movable collateral laws and credit information systems (le droit des sûretés réelles et l'accès à l'information sur le crédit sont les éléments analysés et évalués). Pour cet indice le Cameroun a un point de 60 sur 100 et est classé 80e. * 8 C'est l'indice Doing Businessn°10 : Resolving insolvency (le règlement des questions d'insolvabilité) ; Time, cost, outcome and recovery rate for a commercial insolvency and the strength of the legal framework for insolvency (le temps, le coût, le résultat et le taux de remboursement pour une insolvabilité résultant du cours des affaires et la vigueur du cadre légal contre l'insolvabilité sont les éléments analysés et évalués). Ce rapport établit que la solvabilité du débiteur au Cameroun est hautement problématique. En effet, le Cameroun a un point de 36,6 sur 100 et occupe le 129e rang. Ceci préfigure de la souplesse des mesures de garantie mises en place ou peut-être même du manque de prise en compte des diverses potentialités du débiteur pouvant conduire à l'apurement de son passif. * 9 Relativement aux mesures d'évaluation de la capacité de remboursement des emprunteurs, la loi n°2019/019 du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l'activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la micro finance au Cameroun énumèrent quelques pièces et documents que ceux-ci doivent fournir en vue de conclure la convention de crédit. Ces pièces et documents sont de manière de non exhaustive indiquées à l'article 4 alinéa 2 de ladite loi. * 10S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des Termes Juridiques, op. cit. pp.1020-1021. * 11G. CORNU, op. cit. pp.486-488. * 12 La sûreté elle-même se définit en effet comme « l'affectation à la satisfaction du créancier d'un bien, d'un ensemble de biens ou d'un patrimoine, par l'adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat de base, d'un droit d'agir, accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique en remédiant aux insuffisances de son droit de gage général, sans être pour autant une source de profit, et dont la mise en oeuvre satisfait le créancier en éteignant la créance en tout ou partie, directement ou indirectement. ». P. CROCQ, Propriété et garantie, Thèse, Université de Paris II, LGDJ, 1995, n°282. * 13 P. CROCQ, Propriété et garantie, op. cit. n°287. * 14 C'est le sens des articles 2092 et 2093 du code civil et de l'article 28 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d'exécution. Le droit de gage général est la prérogative qui appartient à tout créancier et qui lui permet, en cas d'exigibilité de sa dette et en cas de non-paiement volontaire et spontané de sa créance par le débiteur, de saisir les biens de son débiteur et de les vendre pour se faire payer sur le prix de ceux-ci. * 15C. DAUCHEZ, Le principe de spécialité en droit des sûretés réelles, Thèse, Université de Toulouse, 2013, n°94. L'auteur explique que l'ancien droit français ne connaissait pas le droit de gage général mais le prévoyait dans l'hypothèque générale. C'était donc une hypothèque qui recouvrait l'attribut du droit de gage général. L'avènement du code civil en 1804 consacre le droit de gage général distinctement de l'hypothèque. * 16 Il en est ainsi parce que le droit de gage général n'offre pas aux créanciers les avantages reconnus aux sûretés. Ces avantages sont notamment le droit de suite et le droit de préférence. Le droit de suite permet à un créancier de suivre le bien affecté à la garantie de sa créance en quelques mains qu'il pourrait se trouver au moment de réaliser sa garantie, en cas de non remboursement par le débiteur. Le droit de préférence de sa part permet au créancier bénéficiaire de se faire payer en priorité sur le prix du bien objet de son droit de préférence avant les créanciers chirographaires, non bénéficiaires dudit droit de préférence. * 17 Ph. MALAURIE et L. AYNES,Droit Civil. Les Sûretés, op. cit, n°4 * 18 L'Acte Uniforme OHADA portant organisation des Sûretés principalement mais il y a des garanties dans le domaine maritime et aérien qui ne sont pas concernées par ce texte. * 19 Initialement, le code civil organisait les suretés et c'est toujours le cas en France. Tout de même avec l'avènement de l'OHADA, certaines dispositions relatives aux garanties subsistent. Il s'agit par exemple de la compensation (article 1289), de l'action directe considérée d'ailleurs comme une sûreté, de l'action paulienne, de l'exception d'inexécution, de la résolution pour inexécution, de la solidarité passive (article 1200) qui peut parfois être utilisée comme sûreté personnelle, de l'obligation in solidum. Et même, certaines dispositions du code civil relatives aux privilèges, hypothèques et aux sûretés de manière générale restent en vigueur puisque les différents actes uniformes n'ont pas adoptées des dispositions les abrogeant. * 20 Comme texte règlementaire important dans le domaine, il y a le Décret n°2015/3580/PM du 11 août 2015 fixant les modalités d'enregistrement et le régime des garanties et sûretés applicables aux concessions et aux baux domaniaux. * 21 J. GATSI, droit des biens et des sûretés dans l'espace OHADA, Limbé, Presses Universitaires Libres, 2012, p.9. Les traitant des « dérives de la pratique », l'auteur relève que les établissements de crédits ont notamment recours aux techniques de « domiciliation des traitements et salaires, clause de fidélité, procuration irrévocable de vente par devant notaire, délégation de pouvoir, etc. »Les assurances crédits et les fonds de garanties des crédits constituent également des garanties spécifiques. S. BENMESSAOUD, « Les garanties des crédits bancaires », op.cit. p.5 * 22 CH. GIJSBERS, « Quel avenir pour les sûretés réelles ? », in L'avenir du droit des biens, colloque Lille 7 mars 2014,2016, LGDJ, p. 131. Cet auteur conteste la qualification de sûreté réelle puisque la sûreté ne porte pas sur la chose mais simplement sur la valeur de la chose, contrairement au droit réel qui porte directement sur la chose. * 23G. CORNU (Sous la Direction de), op. cit.,p.718 ; * 24D'après le Vocabulaire Juridique (G. CORNU, op. cit. p.68), l'antichrèse provient du latin antichresis. Elle se définit comme une « sûreté immobilière conventionnelle avec dépossession (dont le pendant, sur les meubles corporels, est le gage avec dépossession) » Plus précisément, c'est une « convention d'affectation d'un immeuble à la garantie d'une obligation en vertu de laquelle le créancier, investi de la possession et de la jouissance de l'immeuble et tenu de pourvoir à la conservation et à l'entretien de celui-ci, en perçoit les fruits à charge de les imputer sur les intérêts (et subsidiairement) le capital de la dette, et peut, sans en perdre la possession le donner à bail à un tiers ou au débiteur lui-même, lequel, en aucun cas, ne peut réclamer la restitution de l'immeuble avant l'entier acquittement de la dette. » Cette sûreté qui est une sorte de gage immobilier avec dépossession et jouissance de l'immeuble mis en gage n'existe plus en droit des sûretés des Etats parties à l'OHADA, l'acte uniforme y relatif ne l'ayant pas prévu. Elle demeure en droit français, elle est régie par les dispositions des articles 2387 à 2392 du code civil. * 25 P. CROCQ, op.cit. n°282. Avec ses travaux, l'auteur a pu démontrer que les propriétés peuvent constituer aussi des garanties de remboursement des crédits, elles sont utilisées aujourd'hui dans le cadre des sûretés suivantes : la propriété retenue à titre de garantie, de la propriété cédée à titre de garantie, de la fiducie autrement désigné transfert fiduciaire de créance à titre de garantie. Le crédit-bail constitue aussi une sorte de propriété-garantie,... * 26 Le transfert fiduciaire de somme d'argent est une sûreté ayant existé autrefois mais abandonné pendant plusieurs siècles. * 27 M. DOLS-MAGNEVILLE, la réalisation des sûretés réelles, Thèse, Université de Toulouse 1 Capitole, 2013, 577p. * 28 G. CORNU (Sous la direction de), Vocabulaire Juridique, op. cit., P.580 * 29S. GUINCHARD et Th. DEBARD (Sous la direction de), Lexique des Termes Juridiques, op. cit., p.1181 * 30 L'article 544 du code civil dispose à ce sujet que : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » * 31 S. GUINCHARD et Th. DEBARD (Sous la direction de), Lexique des Termes Juridiques, op. cit., p.1021 * 32Idem * 33 Dictionnaire de l'Académie Française, consulté en ligne à l'adresse www.ebooksfrance.com * 34 P-E KENFACK, « les indemnisations : une question de fonds », in le Plus de Repères. Revue d'analyse et d'enquête, n°001, juin 2014, p.6 * 35 Exception faite des contentieux qui naissent dans les cas de vente à plusieurs personnes et qui se multiplient ces jours. Voir à ce propos C. LANG, « terrains acquis, litiges conquis », in le Plus de Repères, op. cit. p.7. Le développement de cet auteur renseigne qu'autant la possession que la propriété posent de problèmes et donnent lieu à des contentieux de diverse nature entre les protagonistes. * 36 Presqu'idéale parce que la propriété des terres reconnue par l'obtention d'un titre foncier ne met vraiment pas à l'abri des problèmes et contentieux. R. TCHAPMEGNI, La problématique de la propriété foncière au Cameroun, Actes de la Conférence sur le foncier, Mbalmayo, 2005, 143p. * 37 P-E KENFACK, « les indemnisations : une question de fonds », in le Plus de Repères, op. cit. p.6 * 38Article 1er alinéa 1 du Décret n°76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier au Cameroun. * 39 L. D'AVOUT et B. MALLET-BRICOUT, « La liberté de création des droits réels aujourd'hui. » Recueil Dalloz, 2013, n°1 * 40 Bien que la jouissance et la propriété soient des droits, il ne s'agit nullement des mêmes droits. Le droit de propriété est un droit réel complet alors que la jouissance est parfois un droit réel démembrement du droit de propriété, en tout cas, elle n'est jamais assimilable à cette dernière. * 41 Rapport Doing Business 2020, indice n°10 sus-évoqué. * 42 MALAURIE Ph. et AYNES L., Droit civil. Introduction au droit, par MALAURIE Ph. et MORVAN P., 6eéd, Paris, LGDJ, 2016, n°134. B. BARRAUD, La recherche juridique - Sciences et pensées du droit, L'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, 556p. * 43F. GENY, Méthodes d'interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique (Xavier Magnon), t. 2, 2eéd, LGDJ, 1919, pp. 74-93. C'est dans cet ouvrage que François GENY a développé une méthode de recherche et de réflexion sur le droit, qui se distingue de la méthode exégétique arcboutée sur le droit positif, elle ne se confine non plus dans la spéculation et la stipulation, ni dans la métaphysique juridique. C'est cette méthode objective basée sur de l'empirisme qu'il a été utile de s'en servir. |
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