Jouissance des terres et garantiepar Jules NDEODEME Université de Yaoundé 2 - Master recherche en droit 2021 |
Paragraphe 1 : L'identification comme hypothèque au moyen de l'objet des deux garantiesLes textes qui fondent118(*) les divers droits réels de jouissance des terres évoqués plus haut postulent que l'hypothèque est la garantie dont lesdits droits peuvent être l'assiette. L'assiette est la « base matérielle sur laquelle porte un droit et qui concourt à délimiter concrètement celui-ci.»119(*)C'est aussi la « base économique, valeur de référence qui sert au calcul d'un droit ou d'une obligation (dette, cotisation).»120(*) La distinction de l'assiette et de l'objet ne tient pas à grande chose. L'objet est en effet la « chose matérielle, tangible ». L'objet renvoie à la chose ou la matière et l'assiette renvoie de sa part à la valeur. Lorsque l'hypothèque porte sur l'immeuble ou sur le droit de jouissance de l'immeuble ou des terres, l'objet est commun, c'est la terre et donc l'immeuble. La propriété garantie porte sur les terres et le gage immobilier porte sur le même objet. L'objet d'une garantie est la chose matérielle sur laquelle il porte directement.121(*) Cet objet peut ne pas être divisé en valeur et dans ce cas, il se confond avec l'assiette. En effet, la communauté d'objet pour de l'hypothèque lorsqu'elle porte sur l'immeuble entier et lorsqu'elle porte sur un droit de jouissance des terres ne signifie pas unité des droits concernés ni des valeurs économiques à prétendre. Il faudrait envisager l'hypothèque comme portant sur l'immeuble et donc, pour ce cas, ce qui est visé c'est l'immeuble tout entier (A) et toute sa valeur, les droits de jouir et de disposer de l'immeuble. L'hypothèque portant sur les droits de jouissance des terres a une assiette claire et distincte, c'est le droit de jouissance de l'immeuble ou des terres (B). A. L'immeuble comme assiette de l'hypothèque de l'immeuble L'hypothèque porte généralement sur tout l'immeuble et ses accessoires par production.122(*) Ce n'est pas la propriété de l'immeuble qui est mise en garantie sinon il s'agirait d'une propriété garantie. C'est l'immeuble tout entier comme un bien et non comme le droit sur le bien. Certainement la distinction de la mise de la propriété de l'immeuble en garantie suivant les techniques de propriété retenue ou cédée, de la mise de l'immeuble en garantie démontre bien que l'immeuble est susceptible de divisions. Cette division est-elle économique ou juridique ? Assurément, une telle division est difficile à clairement situer en droit des biens. La division est tout au moins triple : l'immeuble qui est le bien est distingué de la propriété de l'immeuble qui est un droit et la propriété elle-même peut être distinguée du droit de jouissance de l'immeuble qui peut être un de ses démembrements. C'est la conséquence de la distinction des choses et des biens ainsi que des biens et des droits123(*). Ainsi divisé, l'immeuble peut être envisagé pour faire l'objet de trois garanties distinctes. L'hypothèque de l'immeuble, la propriété-garantie de l'immeuble et la jouissance-garantie de l'immeuble. L'objet de l'hypothèque qui est l'immeuble et principalement sa valeur se distingue des autres de manière plus claire au moment de sa réalisation. En effet, au moment de la réalisation de l'hypothèque, l'attribution de la propriété de l'immeuble au créancier n'est qu'une option et jamais un automatisme. Cette attribution est automatique lorsqu'il s'agit de la propriété garantie124(*). Egalement, en réalisant l'hypothèque par la voie de la saisie immobilière une solution exceptionnelle est avancée, celle énoncée à l'article 265 de l'AUPSRVE qui dispose ainsi : « Si le débiteur justifie que le revenu net libre de ses immeubles pendant deux années suffit pour le paiement de la dette en capital, frais et intérêts, et s'il en offre la délégation au créancier, la poursuite peut être suspendue suivant la procédure prévue à l'article précédent. » Par ce mécanisme, le débiteur peut affecter ses loyers au paiement de sa dette, il peut en être de même pour un agriculteur qui justifie que ses cultures sur ses propriétés terriennes hypothéquées peuvent suffire à payer la créance au bout de deux années125(*). Il se dégage que lorsque l'immeuble est mis en hypothèque, toutes les prérogatives et valeurs économiques de l'immeuble sont mises à contribution pour assurer la mission de désintéressement du créancier. A contrario, lorsque l'objet de garantie est la propriété, seule cette propriété désintéressera le créancier. Lorsqu'il s'agit du gage immobilier, c'est la dépossession de l'immeuble qui est opérée et les fruits sont affectés au désintéressement du créancier. L'assiette de l'hypothèque portant sur la jouissance des terres est à cette suite distincte de celle de l'hypothèque portant sur l'immeuble. B. Le droit de jouissance des terres comme assiette de l'hypothèque du droit de jouissance des terres L'assiette de la garantie portant sur la jouissance des terres est l'un quelconque des droits réels de jouissance des terres retenu ci-haut. Ces droits se recensent parmi les démembrements du droit de propriété. Ils se recensent également en tant que droits réels accordés sur certaines terres domaniales. Dans l'ensemble, il s'agit du bail à construction et du bail emphytéotique aussi bien sur les propriétés terriennes privées que sur le domaine national et sur le domaine privé de l'Etat. Il s'agit d'autres démembrements du droit de propriété que sont le droit de superficie et les droits de jouissance spéciale innomés c'est-à-dire conventionnellement stipulés et concédant la cessibilité desdits droits. Il s'agit aussi des droits du titulaire de l'autorisation d'occupation ou d'exploitation du domaine public artificiel déclassé et de ceux du concessionnaire provisoire et des preneurs à bail des dépendances du domaine national. Chacun des droits réels évoqués ci-avant confère à son titulaire une utilité et une valeur économique déterminable en argent. Cette utilité et cette valeur économiques sont affectées à titre accessoire (comme assiette) à la garantie de remboursement. Le mécanisme par lequel les droits de jouissance des terres sont affectés à la garantie de remboursement est appelée hypothèque tout comme celui de l'affection des terres. Ainsi, il se détermine que la garantie portant sur la jouissance des terres et l'hypothèque n'ont pas qu'une communauté d'objet, bien que les droits donnés en garantie soient différents dans les deux cas, elles ont aussi une communauté de nature juridique. Il s'agit de l'hypothèque, ses caractéristiques seront déterminées.Tout de même, il convient de signaler qu'elle a un régime juridique dont les déclinaisons peuvent être difficilement conciliables avec les caractéristiques des droits de jouissance des terres. * 118 Article 1er de la loi sur le bail emphytéotique, décret fixant les modalités de gestion du domaine national, décret fixant les modalités de gestion du domaine privé de l'Etat, décret du 11 août 2015. * 119 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit. p.130 * 120Idem * 121G. CORNU, Vocabulaire Juridique, op. cit.p.701 * 122G. GOUBEAUX, La règle de l'accessoire en droit privé, op. cit. n°23. * 123 F. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil. Les biens, op. cit. p.2 * 124Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil. Les sûretés,p. cit, n°750 et s. ; P. CROCQ, Propriété et garantie, op.cit. * 125 Cette solution peut être envisageable puisque l'article 265 AUPSRVE citée ne vise pas directement les loyers mais simplement le revenu de l'immeuble, il s'agirait donc de ses fruits, naturels, civils ou industriels. |
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