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Comment la forêt traverse les hommes, étude des représentations de l'écosystème forestier la Ceiba au Costa Rica


par Marion Picard
Université Lumière Lyon 2 - Master 1 Anthropologie 2020
  

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2. Aborder la forêt en anthropologie

La singularité de l'objet forêt suggère une certaine appropriation par les sciences sociales, différente mais pas tout à fait étrangère à la définition des sciences dures, afin de comprendre les phénomènes multiples qui le sous-tendent. Il n'est pas simple d'en délimiter les contours, ou de lui donner des caractéristiques précises et strictement définies ; mais il est nécessaire de clarifier l'approche adoptée par les sciences sociales et la manière dont la forêt sera abordée dans cette étude, à la fois pour poser le cadre théorique de la recherche mais aussi pour mieux cerner son sujet.

a. La forêt : un objet d'étude à angles multiples

Aujourd'hui, il nous paraît évident que la forêt est loin de se limiter à une juxtaposition d'arbres, mais bien à une association de plantes et d'animaux, au sein de laquelle on observe de multiples interactions (L. Mathot, 2016). Dans le langage des sciences de la vie, il est question d'une « communauté de plantes et d'animaux organisée, structurée qui apparaît comme un ensemble unique possédant des propriétés collectives » (Ibid. p. 42). Autrement dit, c'est sa constitution biologique qui prime et donne à voir la forêt comme un système vivant et autonome, constitué d'une population animale et végétale dominée par les arbres (G. Michon, 2003). L'anthropologie, quant à elle, vient ajouter le facteur humain à cette définition et l'intègre dans la complexité de l'écosystème forestier, dans la mesure où chaque forêt connaît un phénomène d'anthropisation, qu'il soit direct ou indirect (S. Bahuchet, 1993 ; G. Michon, 2003 ; P. Descola, 2005 ; C. Larrère, 2015). Et si les anthropologues de la nature s'accordent plus ou moins sur cette définition généraliste de la forêt, la plupart y intègre les non-humains invisibles comme sujets politiques agissant.

Dans les lectures abordées, l'analyse anthropologique de l'objet forêt porte généralement sur le symbolisme et les significations que lui donnent les sociétés humaines à travers une démarche visant la compréhension de la pluralité des visions de la forêt existantes en ce monde. Autrement, comme se conçoit la forêt selon telle ou telle culture ?

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Pour ce faire, les angles d'approche sont multiples et s'entrecroisent. L'étude des modes de classification linguistique, en s'inspirant de la terminologie langagière et de la catégorisation des forêts adoptée par les collectifs observés (G. Michon, 2003 ; F. Brunois-Pasina, 2004 ; P. Kialo, 2005 ; P. Descola, 2005 ; S. Froidevaux, 2007) est une approche pertinente pour aborder les représentations et les perceptions de la forêt. A celle-ci s'ajoute la lecture de l'expression symbolique contenue dans les pratiques sociales, les usages et les modes de vie des collectifs (F. Brunois Pasina, 2004 ; P. Kialo, 2005 ; P. Descola, 2005, 2009 ; E. Kohn, 2017).

L'objet forêt s'analyse également sous la focale plus large des ontologies humaines, notamment de l'animisme, vision du monde dans laquelle chaque forme d'être visibles et invisibles constitue un collectif à part et est perçu comme un individu qui entretient des rapports (de continuité intérieure et de discontinuité physique) avec l'être humain (P. Descola, 2000-2001, p. 564). Cette perspective est commune et constante aux écrits de Philippe Descola et de Florence Brunois-Pasina ; elle permet de nommer l'univers forestier par-delà le monde visible et de questionner les visions naturalistes occidentales. De la même manière, Eduardo Kohn s'intéresse à l'animisme, mais plutôt que de l'attribuer aux humains, il fait glisser cette conception du réel vers son objet d'étude, par le biais d'une analyse sémiotique novatrice bien que complexe. Il parle alors d'un animisme de la forêt, en ce sens où la forêt pense à sa manière, tout comme le fait singulièrement tout être vivant, et avec laquelle l'être humain peut penser (E. Kohn, 2017).

Il est important de noter que malgré cette prévalence d'une lecture anthropologique de la forêt portée sur les ontologies humaines, la dimension invisible de l'espace forestier peut être abordée en dehors de ce champ. L'anthropologue gabonais Paulin Kialo, dans l'Anthropologie de la forêt (2007), traite du monde invisible de la forêt, et notamment des génies, par l'intermédiaire de l'imaginaire et des croyances des Pové, peuple gabonais, sans pour autant les inscrire dans une ontologie animiste bien qu'il nous partage que « la forêt invisible est celle qui imprègne l'imaginaire [des Pové] et qui donne sens aux éléments de l'écosystème forestier » (P. Kialo, 2007, p. 96). En dépit de son attachement à l'anthropologie structurale d'André Georges Haudricourt, Paulin Kialo tire des conclusions dualistes semblables à celles des anthropologues pensant les ontologies. Par exemple, Florence Brunois-Pasina, inspirée des concepts d'Augustin Berque et de Philippe Descola, voit dans le peuple animiste Kasua de Nouvelle-Guinée une conception de la forêt « avec-soi », et non « pour-soi » comme c'est le cas chez les naturalistes (F. Brunois-Pasina, 2004, p. 105) ; tandis que Paulin Kialo distingue une population « pro-forêt », les Pové, et une population « anti-forêt », les exploitants forestiers issus de culture européenne (P. Kialo, 2007). Ainsi, si l'approche de ces anthropologues diffère, l'un favorisant une lecture ontologique quand

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l'autre se contente de lire les pratiques sociales et les représentations, ils finissent tout deux par émettre une réflexion similaire sur la diversité des visions de la forêt.

b. Manières d'aborder la forêt dans cette étude

Cette étude concerne les visions de la forêt du collectif Jaguar Rescue Center et cherche à s'inscrire dans la lignée offerte par l'anthropologie de la nature. Pour l'aborder, il est nécessaire de présenter la construction de l'objet forêt selon des termes précis. En m'appuyant sur les lectures précédemment évoquées et sur le terrain ethnographique, je tâcherai de traiter la forêt comme un écosystème1 particulier dominé par les arbres, intégrant humains et non-humains, dont l'image est propre à un collectif et dépend d'une construction mentale modulée par les rapports sociaux, les pratiques, les modes de vie, le symbolisme et l'imaginaire de ce collectif. En ce sens, l'objet forêt sera lu comme un espace hautement socialisé dont les représentations dépendent de la particularité culturelle des sociétés.

Si l'objet forêt est lisible selon divers angles anthropologiques, l'approche favorisée ici sera l'analyse des pratiques sociales du Jaguar Rescue Center. Il s'agira alors de comprendre les rapports entretenus avec l'écosystème forestier à travers cet angle d'étude, en s'inspirant des démarches de Philippe Descola, de Florence Brunois-Pasina et de Paulin Kialo, car les pratiques sociales dessinent certaines logiques inhérentes aux systèmes de représentations (P. Kialo, 2007) et sont, je pense, révélatrices de certains traits conceptuels relatifs à la vision du monde des collectifs.

Par ailleurs, si l'analyse des rapports sociaux entretenus à travers les pratiques sociales sera le coeur de ce travail, l'objet forêt va être abordé à travers la dimension discursive de l'imaginaire européen, du fait de l'appartenance du collectif Jaguar Rescue Center à celui-ci (que je préciserai dans la partie suivante). Dans cet imaginaire, la forêt est ambivalente et plurielle. D'ailleurs, le terme en lui-même est générique et détient, par conséquent, une certaine faiblesse terminologique (G. Michon, 2003).

En effet, il désigne à la fois un lieu de refuge, d'introspection, de recueillement, ou un espace de loisir, mais aussi un espace inhospitalier, sauvage ou un espace d'enchantement (S.

1 A noter que le terme « écosystème» est un outil conceptuel qui permet d'analyser et de représenter la complexité du vivant par son niveau d'organisation le plus élevé. Lorsque l'on parle d'« écosystème », il s'agit de désigner l'ensemble des êtres vivants composé entre autres de communautés végétales et animales interdépendantes, en relation avec le milieu physique environnant (L. Mathot, 2016, pp 133). En d'autres termes, le terme écosystème forestier désigne la relation entre la biocénose (très diversifiée où domine les espèces végétales) et le biotope de la forêt (déterminé géographiquement et par ses conditions écologiques).

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Froidevaux, 2007). C'est également un lieu de ressource et un symbole de richesse économique, et selon de récentes perspectives, un réservoir patrimonial des cultures humaines, de biodiversité et d'oxygène, en outre, un espace à protéger (Ibid.). De plus, les discours scientifiques contemporains viennent apporter une nouvelle dimension à ce que l'on nomme forêt en Europe : celle d'un réseau d'être vivants interconnectés et complémentaires qui communiquent et ressentent (P. Wohlleben, 2017). Cependant, cette perspective des sciences de la vie écarte l'humain, se focalisant sur sa nature intrinsèque et son existence propre et indépendante (G. Michon, 2003). Alors, comment le collectif du Jaguar Rescue Center construit la forêt face à cette pluralité terminologique ? C'est par cet angle d'approche ajouté à celui de l'analyse des rapports sociaux que je tâcherai d'aborder la forêt dans cette étude.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo