Chapitre 4:L'agro-business et les perspectives de
sécurité foncière et alimentaire
Il sera question dans ce chapitre 4 d'analyser les
réalités foncières des acteurs présents dans les
périmètres aménagés en vue de les mettre en
perspective avec la politique nationale de sécurisation foncière
à travers le protocole d'accord et les lois foncières nationales
pour les mettre en relation avec la sécurité alimentaire suite
à l'avènement de l'agro-business dans les localités de
Niassan, Di, Débé et Gouran.
4.1. Agro-business et perspectives de
sécurité foncière
La sécurité foncière est la condition
première pour une production agricole. Au Burkina Faso, des outils
juridiques d'importance différente régissent les activités
du monde agricole. La Réorganisation Agraire et Foncière (RAF),
la loi coopérative, la loi n°034 et des décrets
ministériels résultant de ces lois sont les principaux. Ces
textes juridiques ont chacun un impact sur la sécurité
foncière de chaque acteur agricole et cela en fonction de leur
étendue. L'analyse de ces outils juridiques contribuera à
évaluer son ampleur.
4.1.1. Les outils juridiques
Les périmètres agricoles de la vallée du
Sourou ne sont pas accessibles à tous les producteurs agricoles. Avec
une population de 231 591 habitants (DGPSA/MAHRH, 2008) que compte le Sourou,
on n'a que 3000 exploitants agricoles soit 1,3% des effectifs et repartis dans
treize coopératives, un groupement et un comité d'irrigant. Ceux
qui y ont accès doivent remplir certaines conditions et établir
des relations avec l'Autorité de Mise en Valeur de la Vallée du
Sourou (AMVS). Cette structure veille au respect des outils de
régulation foncière sur les périmètres
aménagés de la vallée du Sourou. Ces outils de valeur
juridique déterminent les droits, les devoirs et la
sécurité foncière de chaque exploitant agricole. Il s'agit
de la Reforme Agraire et Foncière (RAF), la Loi 034 portant
régime foncier rural, la Loi coopérative, le cahier de charge de
la vallée du Sourou, le protocole d'accord.
4.1.1.1. La Réorganisation Agraire et
Foncière et la sécurité foncière des acteurs de la
production agricole des périmètres de Niassan, Di,
Débé et Gouran
Au Burkina Faso, la RAF est l'outil de régulation
foncière de base. Elle est la première à définir
les droits, les devoirs, à assurer la sécurité
foncière des producteurs agricoles ou à la compromettre. Cette
loi qui s'applique aussi bien aux acteurs agricoles des terres
aménagées que ceux des terres non aménagées. C'est
sous le Conseil National de la Révolution (CNR) qu'est intervenue pour
la première fois l'Ordonnance N° 84-050/CNR/PRES du 04/08/84
portant reforme agraire et foncière au Burkina Faso. Cette RAF remplace
la Loi N°77/60/AN du 12
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juillet 1960 portant réglementation des terres du
domaine privé de la Haute Volta qui était calquée sur la
Réorganisation foncière en Afrique Occidentale Française.
Comme dans les versions relues, en 1991( Zatu AN VIII-39 bis du 4 juin 1991
portant RAF-BF), en 1996 : Loi N°014/96/ADP du 23 mai 1996 et en 2012 (Loi
N°034-2012/AN du 02 juillet 2012 portant Réorganisation Agraire et
Foncière), les terres appartiennent toujours à l'Etat. Ces
relectures de la RAF la chûte du CNR vont consister à assouplir le
monopole de l'Etat et redéfinir les structures de gestion
foncière une des exigences des Programmes d'Ajustement Structurel (PAS).
Ainsi, même s'il y a un assouplissement des lois sur l'accès aux
périmètres aménagés notamment ceux de la
vallée du Sourou, le privé n'étant plus exclu, les
exploitants agricoles restent des attributaires ou des loueurs. La
sécurité foncière des différents acteurs agricoles
(exploitants familiaux, coopérateurs, agro businessmen) dépend
toujours de l'Etat qui fixe, fait et défait les droits et les devoirs de
chaque acteur de la production agricole des localités concernées.
Pour la population locale, la RAF a aboli le droit d'exploitation
illimitée de la terre. Elle n'a pas aussi permis l'installation de toute
la population vivant de l'agriculture sur les périmètres
agricoles de Niassan, Di, Débé et Gouran. Elle est laissée
à elle-même face aux aléas climatiques, manque d'engrais et
problèmes d'équipement agricole. Elle est obligée de
rester confinée dans les champs pauvres et inextensibles à
l'infini.
Quant aux coopérateurs, ce sont ceux qui ont
été les premiers à avoir le droit d'occupation des
périmètres agricoles. Ils sont eux aussi régis par la RAF
car la loi coopérative est son émanation. Mais le droit
d'exploitation qu'ils ont acquis n'est pas définitif car le
coopérateur peut être exclu des parcelles s'il y a remise en cause
de leurs devoirs envers sa coopérative et l'AMVS. Il s'agit de la
redevance eau, les dettes pour les intrants. En clair les coopérateurs
ne sont pas propriétaires des parcelles. Cet extrait de DIALLA, (2002)
est explicite :
«En effet, l'Article 191 du Décret
d'application de la RAF dispose que l'occupation et l'exploitation des terres
hydro-agricoles par les personnes physiques ou morales sont subordonnées
à la délivrance d'un titre de jouissance par l'autorité
compétente. Il ne s'agit pas de titre de propriété, et les
articles 193 et 195 fixent les conditions si contraignantes que l'exploitant a
plus la chance de se voir expulser que d'être propriétaire»
(p10).
Avec la RAF, les terres hydro-agricoles appartiennent à
l'Etat qui peut attribuer des droits d'exploitation. Elle n'assure donc pas la
sécurité foncière des coopérateurs sur les
périmètres irrigués de Niassan, Di, Débé et
Gouran. Les coopérateurs qui exploitent ces terres hydro-agricoles ne
sont donc pas propriétaires. Et comme ils sont en majorité sont
des migrants, ils n'ont pas de lien social avec la terre qui les accueille et
même entre eux. Ils n'ont pas accès de ce fait aux champs
pluviaux. Ils sont uniquement confinés aux périmètres
irrigués. Ils sont isolés. Ce qui limite leurs initiatives. En
cas de problème, ils sont obligés d'abandonner leurs
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exploitations au profit d'autres ou se jeter dans les bras des
agro-businessmen et devenir des ouvriers agricoles.
Enfin en ce qui concerne les agro-businessmen, la RAF relue en
1991, 1996 et 2010 est en leur faveur. En fait sa dernière version est
plus claire. C'est selon la RAF, (2012) pour un « principe
d'équipé, de bonne gouvernance, d'innovation » (pp.
2-3). Cette loi offre aux agro-businessmen des conditions favorables. Au niveau
des périmètres hydro agricoles, les articles 130 et 131 de la RAF
de 2012 définissent les règles. A l'article 130 de la RAF,
(2012), on retient : « Les zones rurales aménagées ou
non aménagées de l'Etat sont occupées ou exploitées
sous forme associative, familiale, individuelle ou par des personnes morales de
droits privé ou de droit public» (p.36). Cette
précision vient de l'article 131 de cette même loi :
« L'occupation ou l'exploitation des terres rurales
aménagées fait l'objet de cahiers des charges
élaborés par la
commission interministérielle
présidée par le ministre chargé du secteur concerné
et adopté par décret pris en Conseil de ministres...»
(p37).
C'est uniquement sur les terres non aménagées du
Domaine Foncier National (DFN), la RAF reconnaît un patrimoine foncier
des particuliers en ces articles 194, 195 et 196. Sur les
périmètres hydro-agricoles de Niassan, Di, Débé et
Gouran, la population locale et les coopérateurs et les agro-businessmen
n'ont que des droits d'occupation et des exploitations des
périmètres. Ces derniers sont considérés comme les
partenaires financiers privilégiés de rentabilisation de ces
périmètres. Ils doivent aider l'Etat à supporter les
charges d'aménagement. Cela les met au dessus des autres producteurs
agricoles du Sourou. Ainsi, la RAF va introduire une notion de classe sur les
périmètres : la bourgeoisie agricole. C'est la plus riche et la
mieux équipée. Cet ensemble de fait peut conduire à un
accaparement de terres car par manque de moyens économiques, les
exploitants familiaux et les coopérateurs vont perdre leur statut et
devenir des ouvriers agricoles sans terres.
Est-ce que des leçons ont été
véritablement tirées des insuffisances des autres lois ? Dans
quels sens et pour qui ? En fait, une révision d'une loi appelle une
autre. Et, ces révisions, nous éloigne davantage des objectifs
visés par les lois agricoles.
4.1.1.2. La Loi N°034-2009/AN portant régime
foncier rural et l'état de sécurité foncière des
acteurs de la production des périmètres agricoles de Niassan, Di,
Débé et Gouran
Pour ce qui est de la population locale, qui d'ordinaire
travaille en paysannat, cette loi organise l'exploitation des terres rurales.
En son article 4 il ressort :
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« La terre rurale constitue un patrimoine de la
nation. A ce titre, l'Etat, en tant que garant de l'intérêt
général assure la gestion rationnelle et durable des terres
rurales... ; organise la reconnaissance juridique effective des droits locaux
légitimes des populations rurales, assure la garantie des droits de
propriété et de jouissance régulière établie
sur les terres rurales ; veille de manière générale
à la protection des intérêts nationaux et à la
préservation du patrimoine foncier national en milieu rural »
(p. II).
Même avec l'adoption de cette loi, la terre appartient
toujours à l'Etat Mais, au niveau des terres rurales non
aménagées, les exploitants familiaux ont des droits locaux
légitimes, ce n'est pas le même cas sur les
périmètres agricoles de Niassan, Di, Débé et
Gouran. Ils doivent adhérer à une coopérative et
s'adresser à l'AMVS pour être attributaire d'une parcelle. Quant
aux 3000 coopérateurs de la vallée du Sourou, avec la Loi
N°034 portant régime foncier rural, ils occupent et exploitent
entre 0,6 et 1,5 ha si les textes relatifs aux petits et grands
aménagements sont respectés. Leurs superficies peuvent atteindre
3 ha s ils développent des stratégies pour contourner les textes
en vigueur en adhérant à plusieurs coopératives à
la fois. Enfin, la Loi N°034-2009/AN portant régime foncier rural
fait aussi cas de l'agro-business. Dans son article 71 de la LOI
N°034-2009/AN, il ressort :
«Outre les baux emphytéotiques, les personnes
physiques ou morales de droits privés désirant réaliser
des investissements productifs à but lucratifs en milieu rural, peuvent
accéder aux terres agricoles et pastorales aménagées par
l'Etat ou par les collectivités territoriales par voie de cession »
(p. XI).
Tous ceux qui recherchent des opportunités et qui
veulent faire des affaires (du business) dans l'agriculture, sont
autorisés pourvu que certaines conditions soient respectées.
Leurs droits et leurs devoirs sont consignés dans cette loi. Le paiement
des taxes, la mise en valeur effective des parcelles attribuées et la
production pour la commercialisation sont exigées par cette loi.
Cette Loi 034 en donnant la propriété de la
terre à l'Etat a aboli le droit d'exploitation illimité de la
terre surtout celle des périmètres aménagés et
n'assure pas aussi de ce fait la sécurité foncière des
populations locales. Aussi, la Loi 034 étant une consignation de la RAF,
elle n'est pas un outil approprié de traitement des problèmes
fonciers ruraux. Ayant été adoptée, deux ans avant la
troisième relecture de la RAF en 2010, elle pourrait être en
déphasage avec celle-ci. Enfin, les catégories de personnes
auxquelles elle s'adresse, son appropriation est plus en faveur des acteurs les
plus informés (leur responsabilité professionnelle et leur niveau
d'instruction étant leurs atouts). Il s'agit des autorités
décentralisées et certains agents de l'Etat en service dans les
communes rurales qui ont été associés aux ateliers de
formation et d'élaboration de cette loi, et qui maîtrisent mieux
ses enjeux. Les acteurs les moins informés peuvent être un frein
à l'application de cette loi. Leur vague compréhension de cette
loi pourrait être la cause. Ils sont représentés par les
autorités coutumières, les conseillers villageois de
développement (CVD), les
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Conseillers municipaux, les agents techniques de l'Etat et les
organisations paysannes. Quant au dernier groupe composé par la
population locale (autochtones, migrants, coopérateurs et certains
agro-businessmen), il peut être victime de l'application de cette loi
foncière. Ainsi, selon OUEDRAOGO, (2011) :
« Le décalage de compréhension sur la
Loi 034 entre les structures déconcentrées et
décentralisées et la mise en place inachevée des services
décentralisés en matière foncière contribuent
à rendre davantage ambiguë les rôles respectifs des
structures administratives (décentralisées et
déconcentrées) dans le mécanisme de sa mise en oeuvre
» (p 137).
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