B- DE LA CONSTRUCTION DU DISPOSITIF DE VEILLE SECURITAIRE
A
L'AUNE DE BH
Les premières incursions de BH au Cameroun ont
fondamentalement changé la perception et le schéma national de
veille sécuritaire. Confinée pour l'essentiel à la
frontière avec le Nigeria, la nébuleuse BH a exprimé sa
volonté de s'accaparer d'un morceau de territoire
58 Discours d'Ahidjo, 15 août 1970
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Construction du dispositif de veille sécuritaire au
Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
camerounais pour étendre l'assise de son califat depuis
le Nigeria59. Après un moment d'hésitation
marqué par « un manque de discours structuré sur les
objectifs de BH »60; alors considéré comme `une
histoire' nigériano-nigériane, le gouvernement camerounais s'est
ravisé et a engagé des mesures fortes renforçant son
dispositif en matière de gestion de la crise sécuritaire
qu'imposait cette secte terroriste. Le Cameroun s'est alors mobilisé
suivant une réorganisation du schéma anticipatif contre BH, que
les autorités ont vite fait de « légaliser » par des
artifices juridiques assez controversés61. De là, le
combat antiterroriste au Cameroun exige une réorganisation
d'architecture de veille sécuritaire au niveau des zones-sièges
de BH.
1- REORGANISATION PARTIELE DU SCHEMA SECURITAIRE
NATIONAL
La nouveauté du phénomène BH au Cameroun
a entrainé une révision du dispositif de veille
sécuritaire à l'échelle du territoire national, avec une
accentuation dans les zones les plus touchées par BH. Suite à la
déclaration de guerre faite par le Président Biya le 17 mai 2014
à Paris, le Cameroun a inscrit dans son agenda sécuritaire le
combat contre Boko Haram dès 2015 avec la projection territoriale des
unités spéciales de l'armée camerounaise. Le dispositif de
veille sécuritaire va connaitre une redynamisation à travers le
renforcement et l'enrichissement de nouvelles opportunités. D'où
la nécessité de procéder à la réorganisation
partielle du dispositif du commandement terrestre avec la création d'une
région militaire dans la partie Nord du pays, RMIA 462. Il
s'agit d'un réajustement de l'emploi des forces de défense et de
sécurité dans une nouvelle conflictualité longtemps
restée indéfinie la doctrine d'emploi des forces.63 Le
combat contre BH ne pouvait se faire suivant la seule grille
opérationnelle des forces de défense et de sécurité
préparées plutôt aux guerres symétriques. Ainsi, la
réponse sécuritaro-militaire face à la secte BH va
consister en une multiplication des actions articulées autour des
opérations alpha du BIR-Alpha et l'opération
Emergence 4 conduite par la quatrième Région Militaire
Interarmées de l'armée régulière.
Créée le 1er août 2015, l'Opération Alpha
agit au front avancé pour rétablir la confiance
sécuritaire et empêcher toute manifestation de Boko
59 Adam Higazi et Florence
Brisset-Foucault, « Les origines et la transformation de l'insurrection de
Boko Haram dans le Nord du Nigeria », Politique Africaine, n°130,
2013/2, pp. 137-164, P.148.
60 Paul Elvic Batchom, « La
guerre civile "transfrontalière" : note introductive et provisoire sur
les fortunes contemporaines de la guerre civile », Politique et
Sociétés, vol. 35, n° 1, 2016, p. 103-123, p. 141.
61 C'est la loi n°2014/028 du
23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme.
Cette loi prévoit notamment la peine de mort pour toute personne reconnu
coupable d'actes terroriste et institue une telle procédure devant le
tribunal militaire
62 Décret n° 2014/308
du 14 août 2014 portant modification du décret n° 2001/180 du
25 juillet 2001 portant réorganisation du commandement militaire
territorial, art. 3, 1.
63 Doctrine d'emploi des forces approuvée le 4
Décembre 1979 sous le n*425/CABMIL/D 320.
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Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
Haram dans sa zone de Responsabilité qui s'étend
de Tourou et Ngrehi à Fotokol. Son mode de combat est le
harcèlement64. La souplesse et l'élasticité de
ses unités permettent d'adapter leur déploiement à
l'évolution de la situation car, dans ce type d'engagement, il est
primordial de pouvoir saisir les opportunités fugaces d'engagements
contre un adversaire de nature fuyante (Heitman, 2011 : 5).
De l'autre côté, au second échelon,
l'opération Emergence 4, conduite par le commandant de la RMIA4 (COM
RMIA4), est constituée d'un état-major et des postes. Le COM
RMIA4 dispose, dans le cadre d'Emergence 4, des unités du Bataillon
Blindé de Reconnaissance (BBR), du Régiment d'Artillerie Sol-Sol
(RASS) et des Mortiers de calibre 120 lisses rattachés qu'il
déploie selon les besoins opérationnels. De même, des
personnels issus de l'armée de Terre ont été
déployés dans neuf postes de la zone d'action
considérée.
Ce dispositif sera renforcé par une opération
conjointe Cameroun-Tchad dénommée Logone en 2015. Dans
ce même son de cloche, une quatrième région de gendarmerie
(RG4)65 a été créée dans
l'Extrême-Nord suivie d'une spécialement créée
à Kousseri. Cette dernière servira de quartier
général de plusieurs BIM activées. Au passage, force est
de souligner que les missions de l'armée seront redéfinies. Un
tel aspect est visible de par le nouveau statut « d'agent social »
acquis par l'armée à travers les actions humanitaires des forces
de défense et de sécurité. Il est bien remarquable que la
nouveauté du phénomène BH a suscité la
redynamisation du dispositif de veille sécuritaire les zones les plus
vulnérables. Cette réorganisation va permettre la
réappropriation et la réaffirmation de l'Etat du Cameroun en
matière de veille sécuritaire dans le septentrion.
Cette dynamique a également conduit à la
création de la 32eme brigade d'infanterie motorisée
à Maroua, unité qui a, par la suite, été
transformée en la 41e Brigade d'infanterie motorisée
(BIM)66 et délocalisée sur Kousseri. Cette
réorganisation a permis, entre autres, de ramener le centre de
décision opérationnel à proximité du
théâtre des opérations, réduire les
élongations et mettre à disposition un équipement et une
logistique dédiés directement à l'Opération
Emergence 467.
64Ibid.
65 Décret n° 2014/309 du 14 août
2014 portant modification du décret n° 2001/181 du 25 juillet 2001
portant
organisation de la gendarmerie nationale, art. 72 (nouveau).
66Cameroon-Tribune, n° 10669/6868 du
mardi 9 septembre 2014.
67Honneur et Fidélité, magazine
des forces de défense du Cameroun, Edition spéciale,
décembre 2015, p. 55.
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Construction du dispositif de veille sécuritaire au
Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
2- LA REAPPROPRIATION TERRITORIALE ET REAFFIRMATION DE LA
SOUVERAINTE SECURITAIRE
la construction du dispositif de veille sécuritaire du
Cameroun à l'ère de BH a ceci de positif qu'elle a
accéléré la « réintroduction de l'Etat »
dans les régions septentrionales du Cameroun et a amplifié la
mobilisation gouvernementale autour de projets de développement en
urgence68 de ces zones souvent présentées comme les
`oubliées de la République'. Sur ce plan, il n'est pas
désobligeant de penser qu'« à quelque chose, malheur est bon
», puisque le développement est devenu une préoccupation de
l'Etat dans cette partie et que la présence des services publics de
proximité est de nouveau à l'ordre du jour.
La mobilisation de l'ensemble de la nation camerounaise dans
la lutte contre l'extrémisme violent incarné par Boko Haram est
devenue une question de souveraineté. Il s'agissait pour le Cameroun de
garder inviolable l'intégrité de son territoire face aux
velléités expansionnistes et révisionnistes de l'ennemi.
La réponse souverainiste du Cameroun s'est manifestée par la
mobilisation et l'engagement de son armée, en tant que bras
séculier de l'État chargé de la défense de la
souveraineté nationale.69 BH a favorisé la
réaffirmation de la souveraineté sécuritaire de l'Etat.
Dans cette partie du pays vulnérable, aux indices de
développement humain très faibles par rapport l'Indice du
Développement Humain (IDH) national, l'Etat se réintroduit et
amplifie les mobilisations autour de projets de développement en
urgence70 de ces zones souvent présentées comme les
« oubliées de la République ». Il est à relever
que le secteur éducatif présente des retards enregistrés
et bénéficie à ce titre de statut de « zone
d'éducation prioritaire ». Une aide publique est donc
destinée dans une perspective de l'amélioration, de
redynamisation du niveau d'étude et l'accroissement des résultats
académiques. Les indicateurs d'éducation sont au rouge : 53 % des
enfants non scolarisés se retrouvent dans la seule région de
l'Extrême-Nord ; le taux d'achèvement des études
primaires
68 C'est l'objet principal du Plan d'Urgence de 5,3
milliards de FCFA lancé en 2015 par le gouvernement camerounais, et dont
les priorités sont la reconstruction d'établissements scolaires,
les centres de santé et les routes à l'Extrême Nord.
69 Frank Ebogo, Les Mobilisations collectives
anti-Boko Haram au Cameroun : Entre calculs politiques, patriotisme
exacerbé et solidarités transversales. Publibook 2019, p 143.
70 C'est l'objet principal du Plan d'Urgence de 5,3
milliards de FCFA lancé en 2015 par le gouvernement camerounais, et dont
les priorités sont la reconstruction d'établissements scolaires,
les centres de santé et les routes à l'Extrême Nord
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Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
dans les ZEP allait de 46 % (dans l'Extrême-Nord)
à 81 % (à l'Est) contre plus de 94 % dans les autres
régions du pays ; le taux d'alphabétisation est peu
élevé dans les régions septentrionales. Ainsi, on estime
le taux des personnes analphabètes, dans l'Adamaoua (55 %) et dans
l'Extrême-Nord (76 %) En deçà de la moyenne nationale (35
%), et très élevé par rapport aux régions du
Littoral (10 %) et du Centre (13 %)71. De plus, si l'accès au
cycle primaire s'est plus ou moins généralisé, il reste
que 22 % et 29 % des jeunes issus respectivement de l'Adamaoua et de
l'Extrême-Nord ne sont pas scolarisés72. Ces retards
sont encore plus grands, d'autant plus lorsqu'on considère que le taux
d'achèvement du primaire se situe respectivement à 58 % et
à 46 % dans l'Adamaoua et dans l'Extrême-Nord, contre 95 % dans
toutes les régions non septentrionales du pays73. Le
gouvernement a profité du terrorisme BH pour verrouiller davantage les
aspects de la vie collective qui lui échappaient déjà au
nom des libertés politiques et civiques74. Non seulement il
mobilise l'argument de la défense du territoire et de son
intégrité75, mais aussi il instrumentalise
l'idée d'unité nationale pour élargir la répression
du terrorisme à des activités de groupes pouvant susciter une
certaine confusion au sein de la population76.
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