Sécurité et liberté chez Thomas Hobbespar Jacob Koara Université Joseph Ki Zerbo - Master 2022 |
3. La saisie du pouvoir politique comme quête de rapport pacifiéLes hommes, par l'entremise du contrat social, donnent naissance à la société. Cependant, la vie de cette multitude d'hommes au sein de la société ne saurait se dérouler sans heurts si elle n'est pas organisée. C'est à ce besoin que répond la politique. Pour être plus explicite, la politique va apparaître comme un système d'organisation de la société. C'est l'idée que sous-tend son sens étymologique. Elle s'appréhende comme un art, celui de diriger la cité, notamment un art de l'administration sociétale. Dans la perspective hobbesienne, elle est une technique d'organisation de la société, le lieu du déploiement de l'imagination créatrice de l'homme, une activité qui révèle au grand jour ce dont l'homme est capable. Pour preuve, le Léviathan, cette personne artificielle, chargée d'assurer la survie humaine, est le produit de cette intelligence créatrice. Dans la pratique de la politique, la créativité humaine se trouve au service de la survie de l'espèce. C'est par l'entremise de la politique que les hommes s'arrachent à la bestialité naturelle pour accéder à la rationalité. Autrement dit, « la nature est le lieu des passions spontanées et immédiates, la politique est le lieu de la médiation de la raison »146(*). Elle est une invention humaine pour faire face à l'hostilité naturelle en s'imprégnant de l'ordre de la logique. Plus précisément, elle consiste en la mise en oeuvre d'un ensemble de stratégies rationnelles par les hommes pour organiser la vie en communauté, afin de faire l'économie de la violence naturelle, en vue de permettre à chacun de jouir des bienfaits de la vie communautaire. S'il en est ainsi, il faut dire que pour Thomas Hobbes et tous les Modernes, l'« intérêt immédiat est l'affirmation de l'existence physique, la conservation la plus élémentaire »147(*). En outre, si le but de la politique, c'est la conservation de l'être biologique et la pérennisation de l'espèce humaine, chez Hobbes, le concept de politique peut s'entendre [alors] comme l'organisation de la société, en vue d'exclure l'éventualité de la guerre. (...) Elle est la recherche de moyens appropriés, en vue de juguler au quotidien le désordre qui a son origine dans la nature humaine148(*). Le faire-politique, dans le système hobbesien, rompt avec la logique des rapports de force. Le rapport à autrui ne se déroule plus sur le mode du recours excessif à la violence comme à l'état de nature, mais se tourne résolument vers le respect du droit149(*). Le droit devient le criterium de l'agir humain.Il est un ensemble de règles positives que crée le politique et qui balisent le champ du permis et de l'interdit. Par leur caractère permissif, prohibitif, et coercitif, elles permettent aux hommes de mieux vivre ensemble. Le droit favorise la régulation du corps politique. Par son truchement, les hommes échappent à l'ordre naturel, où c'est la loi du plus fort qui l'emporte. En outre, le droit naturel, dans la mesure où il autorise tout un chacun à user de tous les moyens pour atteindre son but, est source de conflit. La logique du droit de nature conduit à la guerre, guerre de tous contre tous. Le droit positif, produit de la raison humaine, permet de mettre fin à cette guerre. Les hommes n'ont plus besoin de recourir à la violence pour résoudre leurs litiges, mais s'en remettent au Léviathan, seul habilité à dire le droit, donc à trancher les différends entre contractants. Ils peuvent alors coexister sans s'entre-tuer. Il en découle que ces règles auxquelles doivent désormais recourir les hommes pour régler leurs contradictions ne se calquent pas sur l'ordre naturel. Les Anciens soutenaient une continuité de l'ordre naturel dans le corps politique. Pour preuve, Aristote voit en l'homme un être social dont les actions s'inscrivent dans l'ordre cosmique. Ceci implique que les lois qui doivent encadrer la vie sociale sont fonction de l'ordre naturel. Autrement exprimé, il existe des normes naturelles, la politique ne devrait être que la reproduction de ces normes au sein du corps politique. L'ordre politique juste est un ordre conforme à l'harmonie naturelle. Par conséquent, dans leur approche de la question politique, les Anciens partaient de la question fondamentale de savoir comment les hommes peuvent pratiquement vivre en conformité avec un ordre dicté par la nature, les modernes[quant à eux, et Hobbes compris] partent du problème pratique de la domination des forces naturelles qui menacent les hommes150(*). Pour le philosophe anglais, c'est grâce à l'arbitrage de l'État, ce pur produit du génie humain, que les hommes échappent aux forces naturelles. En son sein, lui seul détermine ce qui a valeur de loi, sans nécessairement faire référence à la loi du cosmos. La loi civile qu'il établit l'emporte en dignité sur les lois naturelles. Bref, l'ordre politique juste, s'il en existe, pour Thomas Hobbes, est le produit d'une volonté arbitrairement humaine. Enfin de compte, on peut dire que l'hobbisme politique est une philosophie de la paix qui quête l'ordre politique le plus apte à affranchir l'homme du règne de la violence naturelle et à même d'assurer la stabilité politique. La politique, chez Hobbes, vise à faire en sorte que les hommes ne se détruisent pas ou qu'ils ne s'autodétruisent pas dans des rapports de violence intempestive. La violence est le lieu de destruction, de l'autodestruction des hommes, partant de la société. Aux yeux de Thomas Hobbes, « la politique est un pacte de la vie avec elle-même, un compromis ; la méditation sur la politique est [par conséquent] une méditation sur la nature d'un ordre humain tendant à conserver la vie »151(*). Ainsi, on peut arguer que pour remédier au désordre que produit la violence, le philosophe politique hobbesien n'a pas seulement pour mission de montrer « le grand chemin de la paix, mais il fera voir aussi les détours et les routes obscures de la sédition »152(*). Thomas Hobbes est en cela un iréniste dans la mesure où il fait de l'instauration de la paix le but premier de la politique. Cette quête de la paix passe par la garantie à chaque membre de la communauté politiqued'un égal accès à tout ce qui pourrait favoriser son développement. C'est dans et par la communauté politique que l'homme peut véritablement s'épanouir et exprimer toutes les potentialités qui sommeillent en lui. Mais cela ne saurait être possible, si les commodités qui concourent à rendre l'existence humaine agréable sont inexistantes. La finalité de l'action politique consiste alors à déployer tout un ensemble de dispositifs pour permettre à l'homme de réaliser son essence d'être rationnel. Le principe organisationnel de la société doit être tel que chacun puisse prétendre à un accès équitable au bien commun. Et ce bien commun va au-delà de la simple satisfaction des conditions d'existence matérielle153(*). Ce bien commun englobe aussi toutes ces valeurs immatérielles qui font que la vie est authentiquement humaine : le droit, la justice, la liberté, la sécurité, etc. Cependant, on pourrait dire que ces buts poursuivis par l'État-Léviathan, s'ils se complètent, en termes d'hiérarchisation, ne se valent pas. Les uns sont un préalable à l'avènement des autres. Par exemple, pour que la justice puisse se réaliser, il faut que le droit préexiste. Le droit est la cause qui a pour effet la justice. Il faut qu'il soit formulé des lois pour qu'on puisse à la lumière de celles-ci juger de l'injustice ou non d'une action. Dans cette logique d'hiérarchisation, nous sommes tenté de nous poser la question de savoir dans les buts poursuivis par l'État-Léviathan, entre la sécurité et la liberté, laquelle chez Thomas Hobbes, devrait être un préalable ? Mieux laquelle l'emporte en dignité ? La première impression qui se dégage de la lecture de l'oeuvre politique de Thomas Hobbes, c'est qu'il fait passer à dessein la sécurité au-dessus de la liberté. S'il faut choisir d'entre les deux termes, la sécurité serait de loin préférable. Cependant, n'est-ce pas qu'une simple impression ? Faut-il prendre cela pour un état de fait dans l'hobbisme politique ? Une telle lecture de l'hobbisme politique est-elle pertinente ? Y-a-t-il véritablement une immolation de la liberté sur l'autel de la sécurité dans l'hobbisme politique ? Thomas Hobbes, face au dilemme qui consisterait à choisir entre la sécurité et la liberté, a-t-il vraiment préféré la sécurité à la préservation des libertés des citoyens ? D'ailleurs, la sécurité et la liberté s'opposent-t-elles diamétralement au point d'être foncièrement irréconciliables ? D'une certaine façon, le hobbisme politique n'est-il pas une philosophie qui tente de concilier ces deux composantes fondamentales de l'ordre politique ? Ces interrogations trouveront des éléments de réponse dans la seconde grande partie à venir de ce travail. * 146Léon Ezouah, Hobbes, philosophe de la paix, in http://ezoleon.blogspot.com, consulté le 04/03/2021. * 147 Jürgen Habermas, Théorie et pratique, trad. Gérard Raulet, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2006, p. 82. * 148 Léon Ezouah, Idem. * 149 C'est l'idée qui se trouve développée dans toute l'oeuvre politique de Thomas Hobbes. * 150 Jürgen Habermas, Op. cit., p. 82. * 151 Louis Roux, « Préface » Cf. Thomas Hobbes, Le Corps politique, trad. Samuel de Sorbière, Saint-Étienne, Publication de l'Université de Saint-Étienne, 1972,p. 8. * 152 Thomas Hobbes, Le Citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, GF Flammarion, 1982,p. 71. * 153 André Mineau, « Nature et finalité de la politique », in Laval théologique et philosophique, t. 1, vol. 45, 1989, pp. 92-93. |
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