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Sécurité et liberté chez Thomas Hobbespar Jacob Koara Université Joseph Ki Zerbo - Master 2022 |
2.2. Le droit à la vie : un droit inaliénableEntendu que la vie est, pour Thomas Hobbes, le plus grand de tous les biens197(*), rien et absolument rien ne devrait la valoir en termes de dignité. La preuve tangible de cette allégation, c'est que si les hommes cherchent à fuir l'état de nature, c'est parce que leur vie y menacée. En intégrant le corps politique, ils cèdent tous leurs droits naturels au Léviathan, exception faite bien sûr du droit à la vie et du droit de la défendre contre vents et marées. De façon tacite, Thomas Hobbes reconnaît donc au citoyen la liberté de préserver sa vie. Sinon en cédant les autres droits, c'est en vue de la possibilité de la jouissance d'un bien futur. Dès lors, personne ne saurait raisonnablement céder à un autre un quelconque droit sur sa propre vie. Une telle cession est nulle et de nul effet. Si la mort constitue la borne de l'existence humaine, logiquement la conservation de soi reste à bon droit la condition sine qua non de la félicité, entendu comme « course indéfiniment renouvelée d'un désir à un autre »198(*). Cela dit, Hobbes fait du droit à la vie un droit naturellement inaliénable. En clair, si le droit à la vie du citoyen est inaliénable et imprescriptible, il s'en suit bien évidemment que sa vie lui appartient en propre et ne peut faire l'objet d'aucune cession ou d'aucun compromis. Dès lors, et ce pour aussi illustre et omnipotent qu'il soit, l'État n'a aucune autorité sur cette vie. La vie des citoyens n'est pas à inclure au titre des biens publics dont le souverain disposerait à sa guise et selon son bon vouloir. Par conséquent, s'il advenait que le souverain fasse sommation au citoyen de se donner la mort, il est légitime pour ce dernier d'y opposer un refus catégorique. Contrairement à Jean-Jacques Rousseau qui dira plus tard que, « quand le Prince lui a dit, il est expédient à l'État que tu meurs, il doit mourir »199(*), Thomas Hobbes estime que le citoyen ne doit point s'exécuter pour toute réquisition qui serait attentatoire à son intégrité vitale. Pour le citoyen genevois, il est important de préciser que la vie des citoyens appartient exclusivement à l'État. S'ils vivent, c'est grâce à la république. De ce fait, pour les besoins de la république, la vie de ces derniers peut être sacrifiée. S'il en est ainsi, c'est parce que ce qui importe chez l'auteur du Contrat social, c'est le droit à vivre libre et non simplement le droit à la vie. Alors que pour Thomas Hobbes, la république elle-même n'a sa raison d'être que parce qu'elle préserve la vie de ses membres. En conséquence, attenter à la vie des citoyens, c'est remettre en cause les fondements même du contrat social, et ce serait participer sans le vouloir à son délitement certain. Enfin, le souverain ne peut mettre le citoyen dans des situations embarrassantes qui menaceraient les fondamentaux de sa vie, à savoir l'affamer, lui priver de médicaments, l'inviter à faire la guerre pour assouvir ses desseins impérialistes ou encore lui priver de toute chose, sans laquelle la vie serait impossible200(*). Mettre ainsi la vie du citoyen en péril, ce serait en vérité pour l'État dissoudre lui-même le contrat social. Dans une telle situation, l'individu dont la vie est menacée, se retrouve dans la situation de l'état de nature. D'une part, il est légitime pour lui de marquer son refus, de résister ; et d'autre part, il est autorisé à user de tous les moyens à sa disposition pour défendre sa vie. À cet effet, des actes délictueux peuvent être commis par lui pour se préserver. Au cours d'une famine, pour ne pas mourir de faim, il a le droit de s'emparer de la nourriture par la fraude et la violence201(*). Il peut donner un faux témoignage pour échapper à une peine d'emprisonnement. De même, il lui est permis de s'évader de prison. En dernière instance, il est légitime de sa part d'user de violence à l'égard de ceux qui viendraient appliquer la peine d'emprisonnement ou de mort202(*). * 197 Raymond Polin, « Sur la signification de la paix d'après la philosophie de Hobbes », in Revue française de science politique, Vol. 4, n°2, 1954, p. 266. * 198 Jean Terrel, Les Théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Paris, Seuil, 2001, p. 184. * 199 Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Paris, GF Flammarion, 2001, p. 74. * 200 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 230. * 201 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. Gérard Mairet, Paris, Gallimard, 2000, p. 452. * 202 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 132. |
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