Sécurité et liberté chez Thomas Hobbespar Jacob Koara Université Joseph Ki Zerbo - Master 2022 |
2. La sécurité, socle des libertés au sein de l'État-LéviathanLa sécurité s'avère être un a priori, comme nous l'avons déjà dit,pour accéder à d'autres finalités. Sa réalisation permet à l'État-Léviathan d'atteindre tous les autres objectifs qu'il pourrait s'assigner. Une fois celle-ci assurée, les citoyens pourront jouir de certaines libertés individuelles et collectives et cela dans le strict respect des lois de la république. Au-delà même de la reconnaissance de ces libertés aux citoyens, l'État-Léviathan va s'évertuer à les rendre effectives et à leur en assurer cette jouissance. C'est à l'analyse de ces libertés que sera consacrée cette section 2.1. Les libertés individuelles dans l'État hobbesienLes libertés des citoyens dans l'État hobbesien se résument à tout ce qu'ils peuvent faire sans courir le risque de s'attirer le courroux du souverain. L'exercice de ses libertés ne peut mettre à mal l'ordre public. Ces libertés, ce sont des droits auxquels ils peuvent prétendre et qui ne rentrent pas en conflit ouvert ou latent avec les lois de la république. On pourrait parler de droits-libertés. Partant de ce jugement, nous nous posons la question de savoir quels types de droits-libertés l'État hobbesien reconnait-il aux citoyens ? À cette interrogation, et ce à la lumière de la lecture du Léviathan, plus précisément le chapitre XXI, intitulé « De la liberté des sujets », nous pouvons affirmer que ces droits-libertés sont multiples. Pour en avoir une idée panoramique, nous allons en examiner quelques-uns. L'État hobbesien reconnaît au citoyen la liberté de procréer. Si la conservation de soi des citoyens doit être assurée, alors l'État a en filigrane pour but de favoriser la reproduction du genre humain. Aussi, l'État-Léviathan, par l'ordonnancement de ses lois, devra favoriser la reproduction des sujets187(*). La survie de l'espèce, par la procréation, est érigée en droit incessible. Il est alors permis d'alléguer que l'hobbisme politique se trouve en opposition ouverte avec ces lois anti-natalité que votent certains États, de nos jours, pour réguler les naissances. Comme telle, la sécurité implique le droit aux commodités du bien-vivre parce que c'est quand règne la sécurité que les commodités pour rendre la vie plus agréable peuvent effectivement être recherchées. Le tout n'est donc pas d'avoir la vie sauve ou d'avoir des enfants, mais aussi et surtout les moyens de rendre sa vie et celle des êtres chers agréables. S'il est prescrit que le citoyen a droit à une vie descente, c'est une obligation qui s'impose au souverain d'observer cette jouissance. Ce serait même « une négligence criminelle, de permettre que ceux dont le bien être (...)[est son] profit, vinssent à manquer de quelque chose nécessaire pour la vie, par (...)[sa] seule paresse et faute de prévoyance »188(*). Pour arriver à cet état de fait, il doit faire de telle sorte que les citoyens ne soient pas des oisifs : il est impérieux que « tout le monde s'occupe à quelque chose »189(*). On pourrait parler ici du droit à un travail pour chaque citoyen en vue de son insertion sociale. Ce droit en entraîne nécessairement un autre, notamment celui de pouvoir s'enrichir. Permettre, en effet, aux citoyens de s'enrichir, c'est contribuer d'une façon ou d'une autre à enrichir la république. La richesse des citoyens ou la misère de ceux-ci se répercute sur le souverain. Le souverain n'a pas de biens propres à lui. Ses biens s'identifient à ceux de ses citoyens. Aussi faut-il les inciter à faire fortune. Cela est aussi dû au fait que la pauvreté fait partie des causes de sédition190(*). Et de cette liberté de s'enrichir, découle le droit de propriété puisqu'il est nécessaire que chaque citoyen « ait en propriété quelques biens et terres (...); car sans cela les hommes tomberaient tous les jours dans les querelles »191(*) nuisibles au développement de la république. Ainsi, et ce contrairement à ce qui est généralement avancé, Thomas Hobbes reconnaît-il aux citoyens un droit de propriété. Cependant, ce droit de propriété n'est valable qu'entre citoyens, et il n'est pas opposable au souverain. Leurs biens lui appartiennent dans la mesure où c'est lui qui leur en garantit la pleine et entière jouissance. En conséquence, la liberté d'association est reconnue aux citoyens dans l'État hobbesien. En effet, ceux qui ont des intérêts communs ou qui exercent les mêmes activités peuvent, sous couvert de la loi, se regrouper pour poursuivre ensemble leurs activités. Ces associations peuvent être d'ordre politique, éducatif, commercial, sportif etc. Cependant, à l'image de ce qui est demandé de nos jours aux associations, ces organisations, dans la charte de leur création, doivent indiquer le but de leur regroupement, la durée de vie de leur structure et le lieu où ils sont censés mener leurs activités192(*). L'État décide, en dernière instance, des prérogatives que peuvent avoir ses associations. Celles-ci pour savoir ce qui leur est autorisé devront se référer aux lois de la république193(*). Si le souverain organise la vie associative, c'est pour éviter que des citoyens sous le couvert d'organisations ne se retrouvent pour comploter et attenter à la sûreté de l'État. La sécurité favorise un égal accès à la justice à tous les citoyens. En période de conflits, il n'existe aucune instance capable de dire le droit. Nous nous trouvons ainsi dans une situation de chaos où règne le droit du plus fort, c'est-à-dire du non-droit. Alors qu'avec l'instauration de la stabilité, de la sécurité, au sein de l'État-Léviathan, exception faite du souverain, tous les autres citoyens, quel que soit leur rang, grade et qualité peuvent être traduits en justice, et la rigueur de la loi peut leur être appliquée. Il y va même de la survie de la république que la justice soit rendue à chacun des citoyens car, selon Thomas Hobbes, « l'impunité engendre l'insolence ; l'insolence engendre la haine ; la haine, enfin, fait qu'on s'efforce d'abattre toute grandeur oppressive et injurieuse, fût-ce au prix de la ruine de la République »194(*). Enfin, les citoyens ont le droit de faire tout ce que n'interdit pas la loi comme déjà dit. Le disant cependant, Hobbes reste conscient que la loi ne peut embrasser tous les domaines de la vie. Aussi considère-t-il que toutes les actions sur lesquelles le souverain ne s'est pas prononcé sont de fait permises. Ce sont, entre autres, celles qui ne portent pas atteinte à l'autorité politique et qui s'avèrent aussi nécessaires à la vie humaine. Par exemple, celui de jouir de l'air, de voyager d'un endroit à un autre, « la liberté d'acheter, de vendre, et de conclure d'autres contrats les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d'éduquer leurs enfants comme ils jugent convenable, et ainsi de suite »195(*). Au vu de l'analyse esquissée ci-dessus, on pourrait convenir que le souverain hobbesien n'est pas exempt d'obligations vis-à-vis de ses sujets. Pour pasticher Norbert Campagna, son but est de « garantir l'ordre public afin de permettre à chacun d'exercer paisiblement sa liberté raisonnable »196(*). Allons dès à présent plus loin dans notre interprétation en nous intéressant, hic et nunc, à ce droit à la vie hobbesien qui apparaîtrait à tous égards comme le droit le plus fondamental pour le citoyen, pour ne pas dire inaliénable. * 187 Thomas Hobbes, Le Corps politique, trad. Samuel de Sorbière, Saint-Étienne, Publication de l'Université de Saint-Étienne, 1972,p. 164. * 188 Thomas Hobbes, Op. cit., p. 165. * 189 Thomas Hobbes, Ibidem. * 190 Thomas Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. Dominique Weber, Paris, Librairie Générale Française, 2003, p. 331. * 191 Thomas Hobbes, Le Corps politique, trad. Samuel de Sorbière, Saint-Étienne, Publication de l'Université de Saint-Étienne, 1972, p. 166. * 192 Thomas Hobbes,Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 239. * 193 Thomas Hobbes,Op. cit., p. 250. * 194 Thomas Hobbes,Op. cit., p. 367. * 195 Thomas Hobbes,Op. cit., p. 224. * 196 Norbert Campagna, Thomas Hobbes. L'Ordre et la liberté, Paris, Éditions Michalon, 2016, p. 33, in https://fr.booksc.org, consulté le 05/01/2021. |
|