Sécurité et liberté chez Thomas Hobbespar Jacob Koara Université Joseph Ki Zerbo - Master 2022 |
CHAPITRE IV : LE SENS DE LA SECURITÉ ET DE LA LIBERTÉ POUR L'ÉTAT HOBBESIENQue représentent la sécurité et la liberté pour l'État hobbesien ? C'est à cette interrogation qu'ambitionne de répondre à présent ce chapitre qui se décline en deux sections et qui éclaire d'une façon ou d'une autre les rapports qu'entretiennent la sécurité et la liberté au sein de l'hobbisme politique. Dans la première section, il va être question de montrer que la première tâche de l'État est, selon le philosopher hobbesien, de travailler à la sécurisation effective de ses citoyens. Mais la mission de l'État ne s'y réduit pas exclusivement. La sécurité ne constitue pas la raison d'être de l'État hobbesien ; elle n'est pas une obsession pour l'État-Léviathan. Aussi, à la section deux, nous verrons que la sécurité n'est en vérité qu'un tremplin qui permettra à l'État hobbesien d'assurer à tous les citoyens la jouissance paisible de leurs libertés individuelles et collectives. Il y a dans l'hobbisme politique un passage de la sécurité à la liberté d'autant qu'être en sécurité, c'est en réalité être libre172(*). 1. La sécurité comme première finalité de l'ÉtatAu-delà de la régulation des rapports sociaux, l'État est aussi le garant de la sécurité des citoyens. Platon avait, dans l'Antiquité, en plus des philosophes-rois et des producteurs, senti la nécessité de la constitution d'un corps de gardiens, chargé d'assurer la sécurité de la Cité. Les soldats de la Cité idéale platonicienne devraient, d'une part, s'assurer de l'inviolabilité des frontières de la république, et veiller au maintien de l'ordre public au sein de la cité, d'autre part. À la renaissance, Nicolas Machiavel, dans la même perspective, soutiendra que tout prince soucieux de la stabilité de sa principauté devrait, en lieu et place du recours immodéré aux condottières, constituer un corps d'élite permanent à base majoritaire de nationaux pour sa propre sécurité et la défense de sa principauté. Le concept de sécurité reste un mot-clef de l'hobbisme politique vu que tout le système hobbesien s'articule autour de cette notion. Le Léviathan, fruit de la volonté des hommes, a pour mission principale de protéger ses derniers173(*). En tout état de cause, la sécurité demeure la base de la légitimité politique. Mieux, le corps politique est institué pour assurer la sécurité de ses membres. L'État, dans cette logique, prévient l'insécurité en réprimant les comportements déviants, puisqu'en intégrant le corps politique, les individus y entrent avec les tendances abominables qui les animaient à l'état de nature. L'agressivité et la violence se percevant quotidiennement dans les rapports sociaux, dès lors, l'action du politique doit viser, à travers la mise en place de mécanismes qui vont de l'organisation de l'éducation à l'organisation des villes et des forces de sécurité, à les dissuader de laisser libre cours aux pulsions belliqueuses et in fine asseoir la sécurité. D'abord, il est nécessaire pour la sûreté des citoyens qu'ils soient instruits174(*) dans la mesure où l'éducation reçue impacte l'agir de ces derniers. Pour être plus explicite, l'enseignement de doctrines séditieuses se trouve être à l'origine de comportements séditieux qui peuvent déstabiliser l'État. Thomas Hobbes avait déjà remarqué que c'est dans l'enseignement des Anciens que s'enracine les troubles qui, à son époque, secouaient le corps politique anglais. Aussi pour parer à une telle éventualité, la république détermine-t-elle à l'avance ce qu'il convient d'enseigner. Il leur sera notamment enseigné les doctrines compatibles avec les exigences sécuritaires et à même d'assurer l'harmonie sociale. En conséquence, les curricula d'enseignement des jeunes doivent être minutieusement contrôlés par l'État. Il sera interdit, par exemple, l'enseignement de la philosophie aristotélicienne dans la mesure où il n'y a rien « de plus préjudiciable [à l'État](...) que le fait de permettre l'enseignement officiel de ces textes »175(*).La philosophie politique d'Aristote s'avère incompatible avec la paix civile, étant donné qu'elle renferme en son sein des enseignements qui pourraient être source de subversions. Or pour Thomas Hobbes, l'instruction doit être, compatible avec les buts poursuivis par l'État. Ensuite, vient l'organisation des villes. L'aménagement de celles-ci doit obéir à une logique stratégique, sécuritaire. À cet effet, le souverain fera construire des fortifications qui permettront de protéger les villes des attaques des ennemis de la république. Au sein de la cité, des hommes seront mandatés par le souverain pour veiller au respect de l'ordre public. Ces sujets-soldats veilleront à ce que les sujets récalcitrants soient contraints de respecter les lois de la république. Ces hommes, chargés du maintien de l'ordre public, sont sous le commandement direct du souverain. Ces derniers doivent être bien rémunérés et dotés de moyens logistiques adéquats pour qu'ils puissent mener à bien leur mission. Par conséquent, en plus « des places fortes toujours prêtes pour la défense commune »176(*), l'État les dotera d'armes adéquates et de vaisseaux de guerre. S'il en est ainsi, c'est parce qu'au-delà du rôle de maintien de la sécurité intérieure et extérieure que leur assigne Hobbes, il est soucieux du bien-être de ces derniers. De ce fait et pour conduire à bien leurs différentes charges, ils devraient avoir droit à de bonnes conditions de travail, à de bons traitements pécuniaires. C'est à ce prix qu'ils pourront âprement défendre la république contre d'éventuelles attaques d'étrangers. Enfin, si la sécurité de la république incombe à ces hommes dûment mandatés par le souverain, il faut dire que c'est parce que la sécurité nationale ne peut être dévolue à des mercenaires ou des groupes d'auto-défense inexpérimentés et mal formés. Le citoyen « disposant en effet de la protection de la République, il n'a pas besoin de celle de forces privées »177(*). Les mercenaires vendent leurs services au plus offrant. Aussi, on ne peut s'en remettre à eux. Dans la même veine que Nicolas Machiavel178(*), Thomas Hobbes estime que les mercenaires sont inutiles et dangereux en raison de leurs infidélités. Il est partisan de la création d'une armée nationale composée des sujets de la nation car on ne peut raisonnablement compter sur des forces étrangères, des milices pour assurer la défense de l'État. Par conséquent, il condamne le recours à ces forces malhabiles et âpres aux gains en tout genre. S'il advenait que le souverain se déchargeait de sa mission régalienne de protection des citoyens pour la laisser à la charge de mercenaires, il perdrait, de facto, sa légitimité. La perte de cette légitimité, en dernière instance, entraînerait la dissolution du corps politique. Du reste, il n'est pas juste, d'après Hobbes, pour ses hommes que le souverain aura commis à la défense du territoire national et à la préservation des citoyens, de déserter le champ de bataille. Ce serait faire preuve de lâcheté et de grave trahison vis-à-vis de la république. Ces sujets-soldats devraient défendre avec fierté et bravoure la république. Cela doit se faire au péril de leurs vies. En vérité, ces sujets-soldats ont perdu tout droit d'être couards quand ils ont accepté volontiers de percevoir une solde pour défendre la république. Cette tranche de vérité, Hobbes l'exprime dans les termes suivants : « Celui qui s'enrôle comme soldat, ou qui touche une avance sur sa solde, se prive de l'excuse d'un naturel timoré : il est donc obligé non seulement d'aller au combat, mais aussi de ne pas s'enfuir du combat sans la permission de son capitaine »179(*). Pour Thomas Hobbes, les citoyens s'ils ne peuvent faire recours à des milices privées, peuvent en revanche contribuer à la défense de la république. En effet, en situation de guerre, le salut de la république n'incombe pas qu'aux sujets-soldats. En pareille situation, la nécessité le commandant, tout le monde est appelé à s'engager sous les drapeaux nationaux pour la défense de la république. Autrement exprimé, quand la défense de la République réclame l'aide simultanée de tous ceux qui sont aptes à porter les armes, chacun est obligé, car autrement c'est en vain qu'a été instituée cette République qu'ils n'ont pas l'intention ou le courage de protéger180(*). En temps de paix, les citoyens pourvoient à leur propre sécurité en respectant les lois et en s'acquittant simplement de leurs impôts181(*). Et la bienséance impose qu'ils ne doivent pas rechigner à s'en acquitter. C'est de cette rente que le souverain pourra exécuter les dépenses relatives à leur sécurité quotidienne et aussi en cas de conflit supporter les dépenses que suscite la guerre. La sécurité des citoyens implique que l'État-Léviathan jouisse du droit de déployer tous les moyens jugés nécessaires à l'accomplissement de sa tâche182(*). Des moyens de prévention, de dissuasion aux moyens de répression. À l'image du droit naturel qui confère le droit à chacun d'user de tous les moyens dont il dispose pour obtenir ce qu'il désire, le souverain aussi peut faire recours à tous les moyens qu'il juge nécessaires pour protéger les citoyens. Au-delà des restrictions des libertés civiles pour nécessité publique, il lui est permis d'entretenir des espions chez ses voisins et aussi d'entretenir des garnisons à ses frontières183(*). En outre, tout est permis contre ceux qui seront identifiés comme les ennemis de la république. Car, attenter à l'ordre public ou prendre les armes contre la république, c'est renoncer à sa citoyenneté, et donc accepter être traité en ennemi. Aussi, les textes juridiques qui s'appliquent aux citoyens ne sont pas applicables aux ennemis de la république184(*). Au regard de tout ce qui précède, nous affirmons avec Dominique Weber que le modèle politique hobbesien constitue « une sorte de préfiguration des théories et des dispositifs sécuritaires »185(*) à l'oeuvre de nos jours. Et de la même manière que des États contemporains recherchent ainsi la sécurité, l'État-Léviathan cherche à préserver la vie humaine. Cependant, signalons que pour Hobbes, « les hommes ne souhaitent pas la préservation de la vie pour la préservation de la vie »186(*). Aussi, l'État après avoir rendu la sécurité effective se doit de travailler à assurer les autres conditions qui pourraient concourir à la réalisation de ces derniers. * 172Raymond Polin, « Sur la signification de la paix d'après la philosophie de Hobbes », in Revue française de science politique, Vol. 4, n°2, 1954, p. 268. * 173 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 357. * 174Thomas Hobbes, Le Citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, GF Flammarion, 1982, p. 233. * 175 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 349. * 176 Thomas Hobbes, Le Corps politique, trad. Samuel de Sorbière, Saint-Étienne, Publication de l'Université de Saint-Étienne, 1972, p. 170. * 177 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 251. * 178 Le chapitre 12 de LePrince est consacré à la critique des condottières. De même que le Livre I de L'Art de la guerre. Cf. Nicolas Machiavel, Le Prince et autres textes, trad. Jean-Vincent Périès, Paris, Union Générale d'Éditions, 1962. * 179 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 231. * 180 Thomas Hobbes, Idem. * 181 Thomas Hobbes, Le Citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, GF Flammarion, 1982, p. 233. * 182Thomas Hobbes, Idem. * 183 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 126. * 184Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 334. * 185 Dominique Weber, « Léviathan, la sécurité et le monde liquide », in Sociétés contemporaines et sécurités, dossier printemps 2010, coordination Hélène L'Heuillet et Thibaud Zuppinger, p. 38, in www.implications-philosophiques.org, consulté le 04/07/2021. * 186 Dominique Weber, Idem. |
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