1.2.1. Le progrès technique comme moteur de
l'innovation publicitaire
Comme dans beaucoup de domaines, les pratiques de
l'antiquité ont laissé dans le marketing, le commerce et la
publicité, de nombreuses traces encore prégnantes.
A l'époque de la Grèce antique, des fresques et
des mosaïques vantaient déjà les mérites de
politiciens ; c'étaient les débuts de l'affichage publicitaire.
Quelques siècles plus tard, chez les romains, les gladiateurs,
personnages publics, étaient rémunérés en fonction
de leur notoriété pour mettre en avant des productions locales
d'huile d'olive ou des qualités d'embaumeurs de tel ou tel croque-mort ;
le placement de produit était né. En France à partir de
1180, la corporation des crieurs réalise des tournées dans les
lieux habités afin de répandre différentes nouvelles ; des
premiers évènements de street marketing ?
Les analogies entre nos pratiques actuelles et leurs origines
historiques, dans des contextes bien différents, nous prouvent que le
concept même de publicité et de marketing a toujours fait partie
de la société, même dans ses formes les plus
3
traditionnelles. En effet, le commerce et la communication
sont littéralement les fers de lance qui ont permis à nos
civilisations de se développer.
C'est le progrès technique qui, à chaque fois, a
permis à la publicité de connaître ses différentes
révolutions.
En 1438, Johannes Gutenberg invente l'imprimerie. Il rend
possible non seulement la réplication et donc la distribution en grand
nombre de livres, mais également l'apparition d'un nouveau canal de
communication. La presse naît officiellement en 1605 sous la forme d'un
hebdomadaire de quatre pages. En 1777 apparait le tout premier quotidien en
France, Le Journal de Paris. Il est à l'époque tiré
à 36000 exemplaires. La presse se diffuse alors lentement et poursuit sa
progression à travers l'Europe jusqu'en 1860, lorsque l'invention de la
presse rotative permet un véritable bond en termes de parutions : les
quotidiens passent à plus d'un million de tirages, devenant un
média majeur du paysage français.
En France, c'est en 1836 qu'apparait la première
publicité presse. Dans le but d'améliorer la rentabilité
de son journal, La Presse, Emile de Girardin décide de publier une
annonce dans ses pages, afin d'attirer plus de lecteurs : il souhaite non
seulement innover, mais se faire rémunérer par l'annonceur pour
baisser les prix de ses publications. La pratique se répand
évidemment rapidement parmi la concurrence jusqu'à devenir une
source de revenus non négligeable pour les journaux. A titre d'exemple,
soixante ans plus tard, la publicité représente plus d'un tiers
des recettes du Figaro. Le perfectionnement des techniques d'impression permet,
au début du XXe siècle, le développement de l'affichage
ainsi que les emballages avec logo.
De nouvelles technologies vont régulièrement
venir enrichir le marché de la publicité en créant de
nouveaux vecteurs de communication, et de nouvelles pratiques marketing. Bien
qu'on établisse son invention effective en 1895, ce n'est pas avant 1922
que les toutes premières émissions radiophoniques quotidiennes
apparaissent, suivies par les premières diffusions musicales (sous forme
de concerts). Cette fois, les industriels ne tardent pas à investir ce
nouveau média puisque les premiers spots sont
4
diffusés en 1928. Cette nouvelle étape marque
notamment l'apparition d'une nouvelle pratique marketing : le slogan.
L'innovation devient de plus en plus fréquente. En 1926
a lieu la toute première retransmission publique de
télévision en direct à Londres. A peine 11 ans plus tard
apparaissent déjà en France les premières émissions
quotidiennes, diffusées à 20H pour la centaine de chanceux qui
étaient équipés d'un poste. Entre 1950 et 1980, le taux
d'équipement des ménages passe de 10% à plus de 90% :
presque chaque foyer dispose d'un écran de télévision.
Dès 1941, un spot de quelques secondes est
diffusé sur une chaine américaine avant la diffusion d'un
évènement sportif. En France, c'est en 1968 qu'est diffusé
le premier spot publicitaire télévisé et que la
Régie française de la publicité est
créée.
Ces trois vecteurs de communication ont été
développés et investis par les marques et les annonceurs
jusqu'à devenir ce que l'on appelle désormais les médias
traditionnels pour la diffusion des publicités. A partir de 1948, l'IREP
commence à enregistrer des données statistiques sur la
publicité, et plus particulièrement le montant des
dépenses publicitaires en France. Le graphique ci-dessous
représente l'importante croissance du marché sur l'ensemble de
ces canaux, en les comparant au revenu national. En 1948, d'après
l'IREP, les dépenses publicitaires se sont élevées
à 45 milliards de Francs, pour atteindre 421 milliards de Francs en 1973
(Francs constants de 1957), soit des dépenses 9 fois plus
élevées.
Graphique 1 : évolution des investissements
publicitaires entre 1938 et 1973 (source : IREP)
5
Par ailleurs, la publicité va connaître une
évolution qui n'est pas linéaire ; le marché connaitra une
hausse des prix sans précédent en 1954, étroitement
liée à son développement rapide. Le marché se verra
également modifié de manière structurelle, investissant
sans cesse de nouveaux vecteurs de communication : cinéma, presse,
télévision... Le tableau ci-dessous montre l'évolution du
poids de chaque canal dans les dépenses publicitaires entre 1955 et
1973. Certains médias historiques varient alors peu ou en tout cas ne
présentent pas de tendance claire ; mais on note que le poids de la
télévision par exemple, a progressé sans cesse et de
manière rapide. Pourtant, les autres canaux n'ont jamais disparu, et
chaque nouveau canal investi venait s'additionner à ceux
déjà présents sans pour autant les remplacer.
Tableau 1 : Poids des différents médias
dans les investissements publicitaires entre 1955 et 1973 (source :
Publicis)
6
Une nouvelle invention va encore venir révolutionner le
monde et notamment la publicité ; nouveaux canaux, nouveaux outils,
Internet apparait en 1990 avec l'abandon de l'Arpanet (technologie
précurseur) et la création du World Wide Web. En 1994, la toute
première publicité en ligne est diffusée sous la forme
d'une bannière pour un opérateur téléphonique. Son
concepteur prétend que le taux de clic était alors de 40%,
malgré le faible taux d'équipement (100 000 ordinateurs
connectés) ; une information difficile à vérifier mais qui
traduit néanmoins l'effet de cette première pub en ligne.
Image 1 : première bannière publicitaire en
ligne
Entre 1994 et 1998, d'autres annonceurs investissent l'espace
web avec des publicités cliquables (notamment HP) et
l'e-publicité se banalise : le taux de clic passe de 40% à moins
de 1%. A nouveau, c'est l'innovation qui va générer de nouveaux
relais de croissance sur l'e-publicité, qui se développe encore
plus rapidement que tous les autres médias l'avaient fait auparavant.
L'apparition du géant Google va par exemple révolutionner la
publicité avec les liens sponsorisés ; les publicités
vidéos se développent, portées par les technologies Flash
et Java, les pop-ups (fenêtres publicitaires non-sollicitées qui
apparaissent lors de la navigation) envahissent progressivement le web, Google
- toujours - inaugure le ciblage grâce aux mots clés dès
2004, puis les réseaux sociaux comme Facebook permettent un ciblage
encore plus
précis... En l'espace de quelques années, le
marché de la publicité a connu des bouleversements tels qu'il n'a
plus du tout la même configuration qu'à l'ère
pré-Internet.
Le téléphone mobile apparait en 1998, mais c'est
avec la naissance du smartphone que les publicitaires trouvent un nouvel outil
de jeu et un nouveau moyen de contact encore plus performant. Les
différentes technologies de la publicité web (digitale) se
déclinent rapidement sur smartphone, de nouvelles apparaissent (via les
applications notamment).
En 2017, le digital est de loin le canal qui pèse le
plus lourd dans les investissements publicitaires. Pourtant, la
publicité sur les médias traditionnels est toujours
présente : on le remarque sur le graphique ci-dessous qui
présente les investissements par média (source : étude
2018 de Nocibé média / Mindshare / BUMP).
Graphique 2 : investissements nets par média en
2017 (source : Nocibé Média / Mindshare / Bump)
7
Le digital a cet avantage supplémentaire de permettre
de cibler une audience spécifique avec la publicité - une
possibilité certes, investis par les media-planners qui segmentent les
audiences des médias traditionnels, mais qui reste de l'ordre du «
mass media ». Le digital permet désormais de cibler le consommateur
unique, en fonction
8
de sa navigation, de sa localisation géographique, etc.
Il permet de s'adresser directement à l'individu unique, de lui proposer
un contenu qui ne sera pertinent que pour lui, voire de prévoir comment
le surprendre et l'attirer (on parle alors de programmatique, ou
publicité en temps réel).
1.2.2. Presse, affichage, TV, internet... : des
consommateurs sont de plus en plus exposés aux contenus
publicitaires
Face aux innovations et autres progrès techniques, dans
une société qui s'est rapidement industrialisée pour
atteindre notamment des taux d'équipements des ménages
particulièrement élevés, ce sont tout un ensemble de
mutations sociétales qui se sont nourries et mises en place.
L'accès à l'informatique et au digital s'est tant
démocratisé en France, que presque chaque individu possède
un accès à Internet. Plus précisément, en 2015, 86%
des français ont accédé à un contenu en ligne au
cours du mois précédent (contre 49% en 2005) ; 81% des
ménages sont équipés en Haut Débit, contre 20% en
2005 (source Médiamétrie). Entre 2010 et 2017, avec le
développement du smartphone et de la tablette, le nombre d'écrans
par foyer passe même de 3,4 à 6,4 (source CSA), et en 2017, le
smartphone représente plus de la moitié du temps de
navigation.
L'omniprésence de ces nouveaux outils, ne remet
pourtant pas en cause les médias traditionnels, qui continuent
d'être utilisés par les consommateurs. Etonnamment, la
durée d'écoute de la télévision tend
également à augmenter (de 3h24 par jour en moyenne en 2005,
à 3h30 par jour en 2015) ; si la presse papier tend à
s'essouffler, elle profite néanmoins du digital pour élargir ses
relais de croissance (les investissements présentés sur le
graphique ci-dessous le montrent).
Graphique 3 : Evolution des audiences presse entre
2005 et 2015 (source : Nocibé Média / Mindshare /
Bump)
9
Evidemment, on note une énorme progression de
l'exposition des individus à des contenus médias, et donc
potentiellement des points de contact pour les publicitaires, toujours à
l'affût des nouvelles pratiques à investir. En effet, comme l'a
prouvé la diminution drastique du taux de clic entre la première
publicité web en 1994 (pour rappel, 40%) et aujourd'hui (moins de 0,1%),
la publicité s'est banalisée.
1.3. RESISTANT ET PARADOXAL : LE NOUVEAU VISAGE DU
CONSOMMATEUR A L'ERE DU POST-MODERNISME
1.3.1. Le contexte post-moderne : une révolution
sociétale...
Depuis les années 1970 et la fin de « l'âge
d'or de la consommation de masse », la littérature en sociologie et
en marketing a vu émerger le concept du postmodernisme, riche de
nouveaux comportements de consommation. Il résulterait du déclin
des structures « institutionnelles, sociales et spirituelles » et de
la volonté des individus de s'échapper des valeurs dites
traditionnelles, dans un contexte de crise économique qui
génère un « désenchantement » du consommateur
(Baudrillard, 1970 ; Lyotar, 1979 ; ou Maffesoli, 1988). Le concept a
été approfondi avec les années et les travaux existants
confirment cette notion de libération de l'individu, qui fixe
aujourd'hui « ses propres règles » (Hetsel, 2002). Le
consommateur post-moderne remet en cause les structures traditionnelles sous
tous ses aspects et notamment celui
10
de la consommation et de la surconsommation, il est
présenté comme plus indépendant et plus averti que son
prédécesseur le consommateur moderne (Sansaloni, 2006).
Firat et Venkatesh définissent en 1993 que le contexte
post-moderne se traduit par différentes caractéristiques, des
évolutions dans le comportement du consommateur qui sont
particulièrement marquées : l'hyperréalité, la
fragmentation, la juxtaposition, l'inversion et le décentrage du
sujet.
L'hyperréalité vise à transformer en
réalité ce qui n'est que fiction ou « simulation »
(Perry, 1998). Technologies de plus en plus immersives et perfectionnées
(réalité virtuelle, réalité augmentée...),
reconstitutions de lieux réels (de nombreuses villes occidentales, Paris
notamment, ont été reconstituées en Chine) ou fictifs
(DisneyLand ou encore le Wizarding World Hollywood - reconstituant l'univers
d'Harry Potter, sans compter le succès des récents Escape Game
qui simulent dans différents décors, une situation apocalyptique
à laquelle on ne peut échapper qu'en résolvant des
énigmes),etc. : la dimension hyperréelle du contexte post-moderne
a même inspiré les marques et les distributeurs qui ont
développé la théatralisation des points de ventes (les
mises en avant à l'occasion des différents
évènements récurrents de consommation - Noël,
Pâques, la rentrée scolaire mais aussi les opérations
ciblées sur les produits ethniques telles le Ramadan ou le Nouvel An
Chinois), le marketing sensoriel (en diffusant une odeur synthétique de
café à proximité des machines à café) et
même l'expérientiel. On retrouve cette idée de
ré-enchantement d'un consommateur désabusé et à la
recherche de sensations et d'expériences, voire l'immersion dans une
réalité différente de la sienne.
La fragmentation s'appuie sur ce profil d'un consommateur
complexe, qui a de multiples facettes et qui consomme non pas de façon
linéaire mais qui adapte sa consommation aux différentes
situations qu'il peut être amené à vivre et à
l'image de lui-même qu'il espère renvoyer dans chacune de ces
situations spécifiques. Ce concept se rapproche assez des
théories de la Consumer Culture (CCT), qui présentent le
consommateur comme un individu au comportement difficilement modélisable
et également de l'Extended Self développé par
Belk (1988) où l'on retrouve la consommation comme outil de construction
identitaire. Encore une fois, les marques
11
et les distributeurs ont pris acte de ces évolutions en
adoptant des techniques de marketing de plus en plus ciblées, puis
individualisées.
La juxtaposition se traduit par la coexistence
d'éléments autrefois supposés incompatibles. Ainsi, on
commence à mélanger sport et divertissement, sport et marketing
(Michael Jordan et ses Nike Air Jordan, ainsi que les nombreux sportifs
sponsorisés qui l'ont suivi) mais également divertissement et
information (en témoignent les talk-show qui fleurissent à la
télévision). Par ailleurs, la globalisation développe le
multi-culturalisme et la plupart des grandes villes occidentales regorgent
d'établissements de restauration ethniques qui font désormais
partie du quotidien des autochtones (cuisines asiatiques, africaines,
orientales...). Le contexte post-moderne suppose donc une tolérance
nouvelle, un assouplissement des frontières physiques et mentales.
L'inversion repose sur la prise de pouvoir du consommateur
post-moderne dans le processus production-consommation. Cette dimension du
post-modernisme se rapporte aux travaux de Baudrillard (1970) qui explique que
la valeur réside dans le sens donné par le consommateur à
l'objet qu'il achète et non pas dans la démarche de transaction.
En ce sens, il va commencer à remettre en cause la consommation de
masse, le gaspillage... L'achat n'est plus une fin en soi et on voit
émerger de nouveaux comportements intégrant ces valeurs, comme le
recours à la location par exemple. Les comportements, mais aussi les
rôles s'inversent au point que les consommateurs deviennent aussi
vendeurs : l'émergence du commerce C (Consumer To Consumer) le
témoigne. Le consommateur devient acteur de sa consommation.
Le concept de décentrage du sujet suppose une confusion
entre sujet et objet de consommation. Le consommateur construit son
identité grâce à sa consommation, il utilise celle-ci pour
correspondre à son moi idéal, reconstruire le lien social perdu,
etc. Mais ce concept soulève des problématiques liées
à la construction identitaire, les valeurs liées à la
consommation, ainsi que sur l'authenticité des expériences et sur
le contrôle de la consommation. Certains consommateurs perdent le
contrôle, la capacité à différencier leur
identité de leur consommation, créent des névroses
parfois
12
pathologiques.1 La question d'une « crise de
l'identité » se pose et inspire d'autres chercheurs à mieux
comprendre ces phénomènes.
En 2008, Alain Decrop cherche à décrire plus
précisément les comportements des consommateurs liés au
passage à l'ère post-moderne. Il identifie non seulement des
comportements spécifiques, en rapport avec chacune des dimensions du
postmodernisme développées par Firat et Venkatesh (1993), insiste
sur le rôle grandissant de l'hédonisme dans la consommation mais
il met également en avant des tendances étonnamment paradoxales
dans les attentes de ces consommateurs, voire des pratiques antinomiques dans
leurs comportements de consommation.
Pour commencer, il présente le consommateur dans sa
volonté d'être à la fois « seul et ensemble » :
d'une part, le nombre de célibataires n'a cessé d'augmenter,
témoignant sans doute d'un certain effritement des valeurs
traditionnelles familiales et d'un plus grand individualisme (chacun a le droit
de vivre sa vie comme il l'entend, sans être obligé de se plier
aux schémas sociaux traditionnels : mariage, famille...) ; mais d'autre
part, la volonté de retrouver le lien social semble plus forte que
jamais. Par exemple, les consommateurs se retrouvent autour d'une marque dans
des tribus dites post-modernes (Cova, 1995), comme les bikers américains
autour de la marque Harley Davidson ou les surfers autour de la marque
Quicksilver. Ces communautés de consommateurs ne sont pas du simple fait
des consommateurs (un Harley Owners Group est créé par la marque
en 1983 afin de rassembler les bikers fidèles à cette marque),
mais les marques ont su tirer profit de cette volonté de recréer
le lien social ou de combler un besoin d'appartenance (Maslow, 1943). Autre
exemple, la multiplication (et le succès !) de nombreux réseaux
sociaux ou plateformes d'échanges plus ou moins anonymes (forums, etc.)
semble également traduire un besoin partagé par une
majorité de la population de maintenir cette forme de lien social. Pour
plusieurs auteurs, c'est la même perte du lien social dans les relations
traditionnelles (dû à
1 Le personnage de Rebecca Bloomwood
dans le roman populaire Confessions d'une accro au shopping traduit
très bien ce phénomène : chaque achat compulsif qu'elle
réalise s'accompagne des fantasmes de la nouvelle vie que ce produit
neuf lui permettra de vivre, puis de la désillusion liée à
une accumulation de produits inutiles.
13
l'effondrement des structures familiales et religieuses) qui
amène les individus à vouloir recréer celui-ci «
autrement ».
Ensuite, il met en avant une dimension « masculin et
féminin ». Les évolutions sociétales ont permis de
redistribuer les rôles des hommes et des femmes. Les
caractéristiques autrefois considérées comme
féminines (douceur, esthétisme...) ou masculines (force,
déterminations) semblent ne plus être l'apanage de l'un ou l'autre
des genres : la mode développe d'ailleurs des produits misant sur
l'androgynie (les vêtements ou les parfums deviennent unisexe, comme
Khloé & Lamar), les cosmétiques engagent le marché des
hommes qui veulent désormais prendre soin d'eux et être beaux...
On retrouve l'idée non seulement de juxtaposition mise en avant par
Firat et Venkatesh (1993) - la publicité Nivea « Mettez de la
crème comme un homme » diffusée depuis le 7 février
2016, met en scène avec humour des joueurs stars du Paris St Germain
dans des situations supposées très masculines (bras de fer,
abattage d'un arbre à la hache...) mais avec la peau très douce
grâce à la crème en question, traduisant le message suivant
: « on peut être viril ET avoir la peau douce » -, mais
également l'idée d'inversion, pas uniquement dans les
qualités intrinsèques de l'individu, mais dans les rôles
traditionnels : en témoigne l'augmentation du nombre de familles
gérées par un père célibataire aux Etats Unis, qui
a plus que doublé entre 1990 et 2015 (Statista 2017).
Le troisième paradoxe est celui du « nomade et
sédentaire ». Il se manifeste dans le fait que les consommateurs
cherchent à conserver leur confort personnel en toute situation, y
compris à l'extérieur, voire loin de chez eux. Ainsi, les
hôtels des destinations touristiques se sont adaptés en
intégrant des éléments de confort parfois inattendus : la
présence de WiFi dans un lieu supposé exotique par exemple. De
plus, différents appareils d'usage domestique ont été
modifiés, améliorés, afin de devenir transportables : le
téléphone est devenu transportable, la musique est devenue
transportable (déjà à l'époque du baladeur), et le
progrès technique a par la suite permis de « nomadiser » - et
de rassembler - encore davantage de fonctions grâce à l'apparition
et au perfectionnement constant de la technologie smartphone.
Alain Decrop oppose ensuite « Kronos et Kaïros
», autrement dit les tendances « fast » et « slow »,
la vitesse et la lenteur. Ces deux concepts, issus de la mythologie grecque,
représentent le rapport au temps. « Kronos » est un
enchaînement de tâches,
presque linéaire ; « Kairos » quant à
lui est le moment parfait, une sorte d'hédonisme opportun (prendre son
temps pour savourer un plat, contempler un paysage...). En effet, on identifie
une tendance nette à maîtriser son temps, voire à gagner du
temps, c'est-à-dire à aller plus vite (certains diraient à
lutter contre lui) : le succès des caisses automatiques dans les grandes
surfaces de distribution traduit bien ce phénomène, et l'essor
des « drives » qui permettent de simplement retirer sa commande
après l'avoir passée en ligne encore plus. En parallèle,
on constate une volonté de prendre son temps, d'en profiter pleinement,
de ralentir : on voit émerger les tendances de « slow food »,
où l'on prépare avec délectation des produits «
maison » (par opposition à la « fast food ») mais aussi
par exemple le « slow design » qui consiste à prendre le temps
de fabriquer des meubles uniques à partir de matériaux
recyclés par exemple ; et même le « slow wear » qui
consiste à acheter moins mais de façon plus consciente (des
produits en coton biologique, ou dont la marque fait preuve d'éthique
envers ses salariés...). La philosophie « Kaïros » semble
se manifester tout particulièrement à travers le retour du Do It
Yourself ou Fait Maison.
On retrouve dans le cinquième paradoxe identifié
par Alain Decrop, un concept voisin de l'hyperréalité de Firat et
Venkatesh (1993) : c'est le « réel et virtuel ». Le
consommateur cherche à travestir sa réalité, à
jouir d'une réalité différente qui peut être
virtuelle. Les plateformes de simulation, comme Second Life par exemple, ont
même vu émerger une économie insoupçonnée
entre les joueurs, qui pouvaient dépenser des fortunes pour leur avatar
en ligne, qui devenait en quelques sorte leur « moi idéal »
(en 2007, le site recense plus de 7 milliards de Dollars US
dépensés pour personnaliser ou divertir leur avatar). Les
avancées technologiques permettent déjà d'entrevoir un
futur qui étoffera cette tendance. Le 24 juin 2016, le professeur en
robotique Hiroshi Ishiguro a présenté au musée des
sciences de Tokyo deux androïdes de sa création, Kodomoroïd et
Autonoroïd, d'un réalisme hors du commun comme le témoignent
les images ci-dessous.
14
Image 2 : Hiroshi Ishiguro pose avec
Kodomoroïd
15
Image 3 : Hiroshi Ishiguro et Mamoru Mori, directeur du
musée des sciences de Tokyo, posent avec Kodomoroïd et
Antomoroïd
L'univers des jeux vidéo promet également de
belles opportunités de tirer profit de ces tendances : la technologie de
réalité virtuelle mais aussi la réalité
augmentée (qui permet à un appareil d'ajouter des
éléments au décor, comme le fait l'application
Pokémon Go qui permet de chasser les pokémons dans son jardin ou
dans la rue et qui est d'ailleurs devenue une des applications les plus
téléchargées avec 200 millions d'utilisateurs). Enfin, les
entreprises, les marques et les enseignes de distribution misent massivement
sur l'expérientiel et la théâtralisation afin de satisfaire
ce désir d'immersion du consommateur. L'aéroport Arlanda à
Stockholm a par exemple équipé sa zone d'embarquement d'un
appareil simulant la météo de la destination. La marque Lush
utilise le marketing sensoriel afin de théâtraliser ses points de
vente... Et les exemples sont encore nombreux.
Le consommateur est devenu un être conscient, parfois
méfiant, parfois résistant, et nourri de nombreux paradoxes, qui
en font une figure d'étude fascinante. Toutes ces
16
évolutions lui ont permis de s'imposer dans la relation
aux marques et d'y gagner du pouvoir.
1.3.2. ... QUI DONNE UNE NOUVELLE DIMENSION AUX INDIVIDUS
: LE CONCEPT D'EMPOWERMENT DU CONSOMMATEUR
Le terme anglais d'« empowerment » signifie
littéralement « gain de pouvoir ». Concept inspiré par
les sciences sociales et étudié par la suite dans d'autres
disciplines, notamment en comportement du consommateur, il consiste à
« acquérir la force, la confiance et la vision permettant de faire
émerger des changements positifs dans la vie de chacun dans une
démarche individuelle et collective » (Eade et Williams, 1995).
Pour Holland et al. (1991), l'empowerment du consommateur se manifeste de deux
manières : une dimension intellectuelle qui découle de
l'acquisition croissante de connaissances et de compétences par le
consommateur ; et une dimension expérientielle, qui suppose que le
consommateur va s'émanciper grâce à ce savoir.
Cova et Cova (2009) identifient quant à eux trois
figures de « nouveaux consommateurs » en lien avec les approches du
marketing ayant émergé à partir des années 1990. Le
tableau suivant, issu de leur publication dans Recherches et Applications
en Marketing, illustre la progressivité et la complexité du
phénomène, d'un consommateur qui a peu à peu acquis et mis
en oeuvre de nouvelles compétences pour interagir sur le
marché.
Tableau 2 : Les nouvelles figures du consommateur
(source : Cova et Cova,
2009)
17
Presque l'ensemble des chercheurs en comportement du
consommateur sont d'accord pour dire que le phénomène
d'empowerment chez le consommateur découle de l'émergence et de
la démocratisation d'internet. En 1991 déjà, Doctor
reliait la notion d'empowerment aux « nouvelles connaissances acquises
grâce à internet ». Whatieu et al. (2002) confirment par la
suite que l'empowerment du consommateur est effectivement lié et
précisent que les compétences acquises grâce à
l'utilisation d'internet ont permis au consommateur d'améliorer le
contrôle et l'autonomie dans la décision. Partant de ce postulat
et afin de comprendre plus finement les mécanismes de l'empowerment du
consommateur, Harrison, Waite et Hunter (2006) ajoutent qu'internet donne au
consommateur l'accès non seulement à de l'information, mais
également à « une offre de produits et services qui
étaient jusque-là sous le contrôle des autres acteurs de la
relation marchande ». Le phénomène semble d'ailleurs faire
consensus à partir du milieu des années 2000, et d'autres
recherches viendront appuyer le rôle d'internet dans la prise de pouvoir
de consommateur dans son rapport aux marques (Labrecque et al., 2013).
L'empowerment du consommateur se traduit par « les
manifestations qu'il revêt dans les comportements de consommation »
(Bonnet, 2014).
Ainsi, bien qu'il soit de façon générale
considéré comme positif, le phénomène d'empowerment
du consommateur a des conséquences sur sa façon d'agir face aux
sollicitations du marché : d'une part, le consommateur va être
capable de mettre en oeuvre des stratégies de résistance au
marketing (Denegri-Knott, Zwick et Schroeder, 2006 ; Roux, 2007) ; d'autre
part, il va pouvoir prendre une place en amont de la production en
échangeant avec les marques en termes de customization (Pires, Stanton
et Rita, 2006) mais également en intervenant dans le
développement de nouveaux produits (Fuchs et Schreier, 2009).
L'empowerment du consommateur a été
étudié sous différents angles par les chercheurs en
marketing, car il implique de nombreux nouveaux comportements de consommation.
Une partie d'entre eux a notamment fait émerger les concepts du «
smart shopper » et du « wise shopper », consommateur
intelligent, renforcé par une connaissance accrue des produits et des
techniques marketing, capable de déjouer les
18
pressions du marché pour consommer le moins cher
possible ou le « plus efficient » possible.
Le smart shopping consiste à « investir
un temps et un effort considérable à la recherche de des
informations sur les promotions afin d'obtenir des réductions de prix
» (Mano et Elliott, 1997). Le smart shopper va mobiliser ses
connaissances et ses compétences afin de consommer le moins cher
possible (en comparant les offres des différents producteurs, des
différents canaux...). Pour Schindler (1989), il fait montre de plus
grandes capacités cognitives en ce qui concerne l'évaluation des
prix. Le développement et la démocratisation des nouvelles
technologies de la communication, notamment Internet, lui permet de devenir un
expert des marques et des produits non seulement dans ses actes d'achats, en
privilégiant l'offre la plus avantageuse, mais également dans ses
interactions avec les communautés de consommateurs (forums, avis...).
Cette prise de pouvoir et cette expertise, sources de fierté voire
d'excitation pour le smart shopper, va même faire de lui une
source de communication potentiellement forte (Price et al., 1988) qui sera
tantôt bénéfique, tantôt dévastatrice pour les
marques.
Le wise shopping, littéralement « sage
», se distingue du smart shopping en ce fait que le consommateur ne
cherche pas simplement la promotion à tous prix (!), mais qu'il cherche
l'offre la plus efficiente par rapport à ses besoins spécifiques.
En 2009, Djelassi et al. décrivent le wise shopper comme «
plus prudent et plus réfléchi » et éclairent les
différents mécanismes qui sous-tendent ses comportements :
- Il remet en question la pertinence et l'utilité de
ses achats et cherche à limiter les achats impulsifs ;
- Il se méfie des marques et attend une réelle
proposition de valeur de leur part, faute de quoi il reporte ses achats sur les
premiers prix ou les marques de distributeurs ;
- Il critique la grande distribution et n'hésite pas
à alterner les types de magasins (hard discount, proximité...) en
fonction de ses arbitrages ;
- Il rejette les techniques marketing estimées
incitatives d'achats superflus (promotions, formats de magasins stimulants...)
;
- Il attend des marques et des distributeurs un effort
d'accompagnement dans sa recherche d'économies.
19
On retrouve dans l'idée d'une remise en cause des
techniques de marketing, des distributeurs et de la consommation en
général, l'image d'un consommateur averti, dont le poids
s'affirme dans la relation commerciale et dont l'inquiétude, voire le
rejet, resurgissent sur sa façon d'agir et de consommer.
L'empowerment du consommateur modifie ainsi les rapports entre
les différents acteurs du marché et fait peser une menace
nouvelle sur les entreprises, en même temps qu'elle lui ouvre un champs
d'opportunités. Mais ce phénomène implique une
nécessaire compréhension par la communauté marketing
d'après Zwick, Bonsu et Darmody (2008) qui écrivent : «
Tous les pouvoirs marketing, les universitaires du management, les
publicitaires, les responsables marketing et les journalistes ont signé
une alliance sacrée pour comprendre, célébrer et
finalement dresser ce spectre. L'image d'un monde nouveau, dans lequel des
marketeurs désemparés ont perdu le contrôle sur leurs
actifs fondamentaux comme les marques et les consommateurs, s'est rapidement
diffusée dans toutes les écoles de gestion et les entreprises
».
Autrement dit, les études sur le comportement de cet
« empowered consumer » ont encore de nombreuses
problématiques à résoudre afin d'éclairer les
professionnels du marketing sur les orientations à adopter à
l'avenir.
Globalement, le consommateur post-moderne, plein de
contradictions, est plus avisé, plus méfiant, plus actif dans sa
relation avec les entreprises. Il est de plus en plus conscient des techniques
marketing et de l'effet de la publicité, et prend de plus en plus de
pouvoir jusqu'à devenir moins sensible - voire potentiellement hostile -
aux efforts publicitaires de ces dernières.
20
1.4. DE L'ENCOMBREMENT A L'INTRUSION : LA SATURATION
PUBLICITAIRE PERÇUE PAR LES CONSOMMATEURS
1.4.1. L'encombrement publicitaire : un trop-plein de
contenus publicitaires
La notion d'encombrement publicitaire suscite un engouement
assez ancien auprès de la communauté des chercheurs en marketing.
La multiplication constante des points de contact entre marques et
consommateurs, et donc l'augmentation de l'exposition publicitaire, a permis de
mettre en lumière la nécessité d'appréhender plus
précisément les mécanismes de réponses des
consommateurs face aux stimuli d'une publicité devenue
omniprésente.
Il n'existe d'ailleurs pas tout à fait de
définition consensuelle de l'encombrement publicitaire, mais
plutôt une « ligne générale » que les chercheurs
s'attachent à caractériser de plus en plus finement. Ainsi, en
1992, Joncour définissait l'encombrement publicitaire comme « une
surcharge d'informations publi-promotionnelles ». Une définition
certes sommaire, mais qui a néanmoins - sans doute - inspiré
d'autres chercheurs qui ont alors contribué à clarifier ce
concept encore très flou : un an après la publication des
recherches de Joncour, en 1993, Brown et Rotschild se sont concentrés
sur un facteur influant cette notion d'encombrement, et qui avait
été occulté jusqu'alors dans les travaux existants : le
fait que les consommateurs s'attendent, ou non, à être
exposé à des publicités. Ils étoffent donc le
concept avec la définition suivante : « l'encombrement publicitaire
est l'ensemble des spots sur un media donné, insérés entre
ou au cours des programmes et auxquels les téléspectateurs ne
s'attendaient pas ». Cette définition est d'autant plus
intéressante qu'elle permet une extrapolation aux canaux de
communication récemment développés (technologie web et
mobile), bien que le sujet d'étude originel soit davantage axé
sur un canal plus traditionnel : celui de la télévision.
La route de la définition du concept d'encombrement
publicitaire n'est pour autant pas terminée et justifie
l'intérêt de nouveaux chercheurs, Ribes et Dawes, qui en 2006 -
soit plus de 10 ans après les publications de Joncour et celles de Brown
et Rotschild - viennent compléter les définitions
jusque-là admises en considérant, au-delà du nombre de
contenus publicitaires soumis au consommateur, que la durée de
l'exposition publicitaire revêtait une importance capitale. Ils
redéfinissent alors le concept d'encombrement publicitaire qui n'est
plus simplement un grand nombre de
21
publicité, ou un grand nombre de publicités
auxquelles le consommateur ne s'attendait pas, mais « un grand nombre de
publicités pendant une période de temps donnée ».
En 2008, accompagnée de Kim McCann, professeur de
communication à la North Illinois University (USA), Louisa Ha propose
une réévaluation de la définition de perception de
l'encombrement publicitaire en étudiant cette fois les trois
différentes approches qui se sont distinguées dans les travaux de
recherche existant :
- une approche qu'elles appellent « structurelle »,
identifiée comme la paradigme dominant et focalisé sur les
caractéristiques structurelles des publicités et médias
(mais éludant presque le consommateur)
- une approche « fonctionnelle », qui place la
perception du consommateur comme la donnée la plus importante dans
l'encombrement publicitaire. Le consommateur n'est plus une cible des
publicités, mais un acteur de l'interaction avec les marques, qui va
utiliser les médias dans le but de satisfaire au mieux ses besoins
(recherches, comparaisons...)
- une approche « information processing », qui
présente une dimension cognitive intéressante : celle de la
saturation intellectuelle face à l'efficacité publicitaire.
L'encombrement publicitaire serait donc atteint indépendamment du fait
conscient des marques ou même du consommateur, mais à partir du
moment où celui-ci ne pourrait plus traiter les informations de trop
nombreuses publicités.
Evidemment, l'évolution du concept
présentée ici ne se veut ni exhaustive ni définitive, mais
vise à montrer que le concept est plutôt récent et
mérite d'être approfondi afin d'être mieux compris.
Louisa Ha, professeure à l'Université de Bowling
Green State en Ohio (USA), spécialiste de la communication de masse, a
réalisé de nombreuses recherches afin de caractériser plus
profondément l'encombrement publicitaire. Elle apporte une vision plus
systémique du concept en décortiquant les différentes
dimensions de l'encombrement publicitaire et surtout, en évoquant pour
la première fois la notion d'intrusion.
Dans un premier article publié en 1996 dans le Journal
of Advertising Research, elle expose les trois dimensions de l'encombrement
publicitaire qu'elle a identifié au cours de son étude : la
quantité (admise depuis les travaux de Joncour en 1992), mais
également la compétitivité (le niveau de similarité
des publicités pour les produits des
22
différentes marques) et surtout, l'intrusion (la
façon dont la publicité interrompt le flux média).
Mais, dans cet article, Louisa Ha se démarque de ses
collègues chercheurs en adoptant une démarche résolument
interprétativiste après des études plus marquées
par un positivisme, qui cherchait à établir des modèles de
comportement presque systématiques. Louisa Ha considère que le
consommateur est davantage qu'une « cible passive », un
récepteur d'informations envoyées par les marques ; pour elle,
pas question d'établir avec exactitude un seuil d'encombrement
publicitaire universel. Elle met alors en exergue l'importance de la perception
par le consommateur et son caractère aléatoire d'un individu
à l'autre : elle précise que la perception de l'encombrement
publicitaire dépend potentiellement « de certaines variables
individuelles, tels que : l'âge, le sexe, et l'implication.».
A la suite de la publication de l'article de Louisa Ha, le
concept de perception de l'encombrement publicitaire va faire des émules
et être complété par d'autres chercheurs qui vont
participer à mieux le comprendre. En 1998, Speck et Elliott proposent la
définition suivante : « la perception de l'encombrement c'est la
croyance d'un individu que le nombre de publicités sur un media
donné est excessif ». Ils confirment le postulat de L. Ha, en
prouvant que l'encombrement publicitaire dépend de la perception du
consommateur, de l'impression personnelle de celui-ci d'être
surexposé aux contenus publicitaires, et non du seul fait du nombre de
spots auxquels il est exposé.
En 2008, Kim McCann et Louisa Ha confirment que « la
perception d'encombrement publicitaire est subjective et dépend du
degré d'acceptation du consommateur ». Par ailleurs, elles
proposent une vision systémique de la perception de l'encombrement
publicitaire avec un modèle intégratif des différentes
approches : structurelle, culturelle et « information processing »
(cognitive) - détaillé ci-dessous.
Figure 1 : Modèle d'encombrement publicitaire
perçu (source : Ha et McCann, 2008)
23
1.4.2. L'intrusion : l'espace personnel et la vie
privée menacés
Le concept d'intrusion est également ardu à
définir, tant il emprunte à des disciplines différentes.
Psychologie, sociologie, neurosciences et enfin marketing, la notion centrale
et qui semble commune à ces différents axes d'étude, est
la notion d'espace.
La définition « universelle » de l'intrusion,
donnée par le dictionnaire Larousse, est la suivante : l'intrusion est
le « fait de s'introduire de façon inopportune dans un milieu sans
y être invité ». En l'occurrence, le milieu dans lequel la
publicité s'invite de façon inopportune est l'espace personnel du
consommateur. Une vision qui rejoint celle de Sturges qui en 2002 décrit
l'intrusion publicitaire comme « l'invasion de la solitude de l'individu,
c'est-à-dire comme l'invasion d'un espace personnel dans lequel il doit
être laissé tranquille ». Ces définitions sont
générales et peuvent se transposer dans les différents
domaines que ce sujet a mobilisés.
Au-delà du concept « partiel »
évoqué par Louisa Ha (1998), l'intrusion s'évalue donc
selon trois aspects principaux : la notion d'espace personnel, la notion de
perte de contrôle, et le non-respect de la vie privée.
La notion d'espace personnel est centrale dans la
compréhension de l'intrusion - qu'elle soit publicitaire ou non. Les
recherches sur ce domaine sont bien évidemment
24
très variées et recoupent nombre de disciplines
différentes, de l'éthologie à la sociologie, en passant
bien évidemment par la psychologie.
C'est dans le domaine de l'éthologie, l'étude
des animaux et de leurs comportements, que ce concept est d'abord
étudié ; l'idée d'un espace personnel pour l'animal qu'est
l'Homme va être largement inspirée par les découvertes des
éthologues.
La notion d'espace personnel va tout d'abord être
considérée pour sa dimension matérielle ; Sommer (1969) le
définit comme un espace « destiné à se
protéger » et Morval (1995) met même en parallèle le
territoire et l'espace personnel, qu'il considère comme un « espace
de défense et de régulation de l'intimité ».
Mais les théoriciens de l'espace personnel ne
s'arrêtent pas là puisqu'ils lui découvrent une dimension
immatérielle, qui présente un intérêt nouveau pour
la communication et le marketing. Les travaux de Hall (1971) sur la
proxémie et les distances interpersonnelles viennent également
compléter la littérature sur le sujet, en démontrant que
« l'importance de la distance réside dans sa perception par
l'individu et non dans sa valeur physique réelle ». L'espace
personnel n'est donc pas juste un espace physique défini autour de
l'individu, mais dépend de la perception de celui-ci. Hall ajoute
d'ailleurs que le non-respect de l'espace personnel d'un individu crée
chez lui « un malaise ». Mais c'est finalement Codol (1985) qui
fournit la définition la plus complète de l'espace personnel, en
y intégrant les deux dimensions identifiées : pour lui, l'espace
personnel est une « portion de l'espace physique, domaine aux
frontières invisibles, entourant chaque individu et, d'une certaine
façon, interdit à autrui. La constitution de cet espace, sa
défense par chacun, le fait qu'il soit socialement reconnu dans le cadre
d'une culture donnée, sa dépendance à l'égard de
nombreux facteurs psychologiques et sociaux, etc., font à coup sûr
de l'espace personnel non seulement un espace physique, mais aussi (et surtout)
un espace psychosocial ».
Or, un individu face à son écran va se trouver
à moins de 2m de celui-ci et en interagissant avec lui, va
l'intégrer à son espace personnel en quelque sorte. C'est
précisément une des raisons pour lesquelles un individu peut
trouver un contenu intrusif. Laure Perraud (2013) a récemment
proposé la définition suivante de l'intrusion perçue :
« une perception négative d'un individu causée par le
non-respect
25
de ce qu'il considère comme son propre espace
», rejoignant encore une fois l'idée d'une invasion de
l'espace personnel.
Un deuxième principe vient compléter
l'idée d'invasion de l'espace personnel du consommateur : celle de la
perte de contrôle de celui-ci sur les actions qu'il a entrepris. La
multiplication des moyens techniques, notamment grâce à la
démocratisation d'Internet et du Web mobile, a permis à de
nouvelles formes de publicité d'émerger, perçues comme
plus ou moins intrusives par les consommateurs en fonction de leur forme. Les
pop-up (fenêtre de pub qui s'ouvrent sur les sites web,
indépendamment de la volonté de l'utilisateur) sont un exemple de
publicité considérée comme particulièrement
intrusive tandis que les bannières immobiles semblent plus facilement
acceptées par les internautes (Hérault 2010).
Ce principe a été utilisé dans nombre de
recherches sur l'influence du contrôle perçu par le consommateur.
En 1977 déjà, Sherrod et plusieurs de ses collaborateurs
élaborent la théorie suivante : « un individu exposé
à un environnement désagréable et qu'il ne peut
contrôler adopte des réponses comportementales négatives
». Cette théorie sera reprise et complétée par
plusieurs auteurs, notamment Stewart et Pavlou qui en 2002, confirment que
« la perte de contrôle perçue par le consommateur pourrait
être la cause de la perception de l'intrusion ».
La perte de contrôle de l'individu sur la tâche
entreprise passe par deux voies : l'interruption de la tâche en cours et
le caractère forcé de la publicité.
En 1999, Zijlstra, Leonara et Krediet parviennent à
identifier et démontrer un effet négatif sur les émotions
lorsque la tâche du consommateur est interrompue, ce qui d'après
eux « nécessite de faire des efforts cognitifs
supplémentaires pour l'internaute ». Autrement dit, un consommateur
perturbé dans la tâche envisagée (recherche sur internet,
lecture d'articles, accès à des applications mobile...), pourra
potentiellement considérer la publicité qui l'interrompt sans
qu'il le veuille comme intrusive.
26
Il est à noter également qu'une publicité
qui survient alors que l'individu ne s'y attend pas va être
considérée comme intrusive (Sheehan et Hoy, 1999), sous-entendant
encore une fois cette idée d'interruption.
Par ailleurs, au-delà de l'interrompre dans sa
tâche, le caractère forcé de la publicité va
également avoir un impact sur le niveau d'intrusion perçue.
Effectivement, de nouveaux types de diffusions publicitaires
sont apparues ces dernières années, notamment sur les
médias en ligne : il n'est plus rare aujourd'hui de devoir regarder une
publicité avant - voire parfois pendant - que l'on regarde une
vidéo par exemple. Le concept se retrouve d'ailleurs sur divers sites :
vidéo à la demande (type Netflix ou Canalplay) ou contenu en
ligne (Youtube, Dailymotion...). Certains sites, attachés à la
publicité comme voie de financement de leur activité, vont
jusqu'à mettre la publicité en pause lorsque l'internaute change
de page dans une démarche d'évitement. Des pratiques dont j'ai pu
observer l'effet - plutôt négatif a priori - sur mon entourage et
qui a d'ailleurs largement contribué à éveiller mon
intérêt pour cette problématique.
Les contenus vidéo ne sont bien sûr qu'un exemple
parmi d'autres, mais la situation illustre parfaitement le caractère
« obligatoire » de la publicité dans certains cas. Pourtant,
alors que ce type de diffusion publicitaire n'en était qu'à ses
balbutiements, Li et Leckenbi (2004) avaient déjà
identifié le caractère forcé d'une publicité comme
source d'intrusion perçue pour le consommateur. En effet, même si
l'internaute s'attend à trouver des publicités en ligne,
celles-ci revêtent un aspect particulièrement intrusif
lorsqu'elles l'empêchent d'accéder à son contenu (Cho et
Cheon, 2004).
Enfin, la troisième et dernière dimension que
l'état de l'art a permis d'identifier dans l'intrusion publicitaire est
celle de non-respect de la vie privée. Une question d'autant plus
pertinente que l'explosion du Big Data (données sur les internautes
collectées en masse et exploitées par des algorithmes afin
d'apporter une meilleure connaissance des consommateurs) permet de nouvelles
démarches marketing : la publicité ciblée en ligne en est
l'exemple le plus parlant. Qui n'a jamais vu les
27
chaussures qu'il avait consulté sur un site marchand,
réapparaitre comme par magie sur une autre page web ou sur les
réseaux sociaux ?
Or, nous l'avons vu plus tôt, il se trouve que les
consommateurs ont pris conscience des mécanismes utilisés par les
annonceurs pour les cibler et ils sont « sensibles à la nature des
informations que les entreprises collectent sur leurs clients (ou prospects) et
au degré de contrôle dont ils disposent sur l'utilisation de ces
données » (Phelps, Nowak et Ferrell, 2000). Sipior et Ward (1995)
avaient d'ailleurs déjà établi un lien entre intrusion
publicitaire et « immixtion dans la vie privée ». D'autres
recherches vont par la suite corroborer ce lien entre intrusion perçue
et vie privée et lui redonner une importance nouvelle en mettant en
avant le fait que « l'intrusion serait d'autant plus forte que la
publicité aurait la capacité de s'introduire dans la vie des
consommateurs » (Teeter et Loving, 2001).
On peut donc conclure sur le concept d'intrusion qu'il est
multidimensionnel et se caractérise par les trois aspects suivants :
- l'invasion de l'espace personnel de l'individu
- la perte de contrôle perçue par l'individu
- le non-respect de sa vie privée perçue par
l'individu
Comme pour l'encombrement publicitaire, l'intrusion va
être interprétée différemment selon le consommateur
et le contexte dans lequel il agit.
On retrouve, encore une fois, la notion de perception
individuelle, qui vient compléter les théories cognitivistes :
certains chercheurs ont ainsi prouvé que selon les différents
individus sollicités, une publicité pouvait être
considérée ou non comme intrusive « à cause de son
contenu » (Morimoto et Chang, 2006).
La perception est « un processus qui permet à
l'individu de prendre conscience de son environnement et de
l'interpréter » (Dussart, 1983). C'est ce concept de perception qui
est à mettre en parallèle avec les approches culturelles de la
consommation et justifie le recours au moins partiel à des techniques
d'études qualitatives. Pour Edward et consorts (2002), il est
nécessaire de « replacer l'individu dans un environnement avec
lequel il interagit, en prenant en compte les objectifs poursuivis ». Dans
cette optique, les notions de perte de contrôle perçue par le
consommateur prennent tout leur sens,
28
puisque la publicité peut comme nous l'avons vu
interrompre la tâche de l'individu (les objectifs poursuivis) sans qu'il
puisse le contrôler (par son caractère forcé, la
publicité prend le contrôle de l'environnement avec lequel
l'individu interagit).
Derbaix et al. (2000) réconcilient les deux
théories en affirmant que la perception dépendra à la fois
« des caractéristiques intrinsèques des stimuli »
(dimension physique de la publicité) mais également du «
contexte dans lequel ils sont présentés » ainsi que du
vécu et des attentes de l'individu qui perçoit. Par la suite,
Morimoto et Chang (2006) définissent l'intrusion perçue comme
« la mesure dans laquelle une communication marketing indésirable
interfère, d'une part, avec le processus cognitif de la personne et les
tâches que celle-ci s'est fixées, et, d'autre part, avec le
contenu du média ».
Une vision multidimensionnelle qui évoque fortement le
modèle intégratif proposé par Louisa Ha et Kim McCann
(2008) pour l'encombrement publicitaire perçu ; c'est la raison pour
laquelle nous nous inspirerons de ce modèle pour proposer la
représentation suivante - faute de trouver un modèle similaire
pour l'intrusion publicitaire perçue dans la littérature
existante.
Figure 2 : Modèle de l'intrusion publicitaire
perçue (auteur : Melissa Ferdi, 2019)
Cette figure synthétise les travaux de Li et Leckenby
(2004), Morimoto et Chang (2006), Sipior et Ward (1995), Teeter et Loving
(2001), Phelps, Nowak et Ferrell
29
(2000), Sheehan et Hoy (1999), Sturges (2002), Zijlstra, Leonara
et Krediet, (1999), Stewart et Pavlou (2002), Sherrod et al.(1977), Derbaix et
al. (2000).
Il a pour ambition, en s'inspirant de ses travaux
précédents et du modèle établi par Louisa Ha, de
compléter la compréhension générale de l'intrusion
d'une part, et de clarifier les deux concepts clés de la saturation
publicitaire (encombrement et intrusion) afin d'en étudier les
différents aspects et conséquences au chapitre suivant.
1.4.3. La saturation publicitaire et ses
conséquences sur le consommateur : des biais inconscients aux
réactions conscientes d'un consommateur devenu
résistant
Les théories de la saturation publicitaire inspirent
toujours nombre de chercheurs sans toutefois parvenir à une vision
consensuelle auprès de la communauté marketing. Deux
écoles émergent clairement à travers les
différentes études menées ces cinquante dernières
années, depuis l'avènement de la persuasion publicitaire et les
nombreux travaux qu'elle a inspiré :
- Une école dite de la publicité «
informative », portée par des chercheurs comme Ekelend et Saurman
(1988) et auparavant déja Telser (1978), qui considère la
publicité et les médias publicitaires comme facilitant
l'accès des consommateurs à l'information, lui évitant des
recherches fastidieuses ;
- Une école dite de la publicité «
persuasive », portant un regard bien plus négatif sur les effets de
la publicité en l'accusant de manipuler, de tromper les consommateurs -
un véritable « gaspillage de ressources sociales » selon
Kessides (1986).
Ces deux visions diamétralement opposées des
effets de la publicité divergent sur un point essentiel : la valeur
d'utilité conférée à la publicité (Ha et
Litman, 1997). A qui profite la publicité ? Aux marques, aux
distributeurs, voire aux publicitaires ? Ou aux consommateurs ?
Les effets de la saturation publicitaire sont, logiquement,
nombreux et multidimensionnels ; encore une fois les chercheurs en marketing
ont exploré le problème sous différents angles :
30
- Pour certains d'entre eux, l'encombrement va constituer un
biais cognitif qui va limiter la mémorisation du produit et/ou de la
marque ; on retrouve l'idée de saturation cognitive dans laquelle le
consommateur, submergé d'informations constamment, ne parvient plus
à intégrer les messages publicitaires efficacement.
- D'autres chercheurs se sont concentrés sur les
comportements conscients développés par les consommateurs pour
« contrer » les flux publicitaires leur parvenant. Ceux-ci
développeraient des stratégies de résistance et
d'évitement afin de se prémunir d'une publicité alors
considérée comme clairement indésirable ;
- Enfin, certains chercheurs ont mis en exergue des
comportements de consommateurs bien plus dangereux pour l'entreprise que la
simple résistance ou l'évitement des publicités : la
formation d'attitudes négatives à l'égard de la marque, du
produit voire du vecteur de communication (rejet des sites
considérés comme encombrés par exemple) et même du
marché en général.
Les chapitres suivants s'attachent à mieux expliciter
ces différentes conséquences identifiées par les
chercheurs en marketing à la saturation publicitaire dans un contexte
ayant intégré la technologie numérique dans le quotidien
des consommateurs (web et mobile).
1.4.3.1. Les réponses inconscientes du
consommateur face à la saturation
publicitaire : attention, mémorisation et
différenciation rendus impossibles par l'encombrement publicitaire
?
Comme souvent, ce sont les conséquences cognitives de la
surexposition publicitaire qui ont d'abord été
étudiées.
En 1979, Webb mène plusieurs expérimentations et
établit que l'encombrement publicitaire « affecte
négativement l'attention et la mémorisation » du
consommateur ; une théorie qui va être également
appuyée par d'autres chercheurs par la suite (Rotfeld 2006). Il s'agit
alors d'une sorte de constat qui va servir de postulat à d'autres
études, dont l'intérêt est de mieux comprendre les
mécanismes sous-jacents de ce lien négatif établi par Webb
(1979) entre encombrement publicitaire, attention et mémorisation du
message.
31
La mémorisation serait affectée, pour certains,
par la « limitation des capacités cognitives du consommateur »
face à un trop grand nombre de contenus (Mord et Gilson, 1985 ; Ray et
Webb, 1986). Une idée que l'on retrouve dans les travaux de Maazoul,
Khalbous et Chandon (2012), qui explicitent cette limitation des
capacités cognitives en évoquant un phénomène de
saturation intellectuelle : la présence d'un trop grand nombre de spots
va réduire la capacité du consommateur à les
mémoriser, comme un logiciel qui ne parviendrait pas à analyser
une trop grande quantité d'informations reçues.
Pour d'autres chercheurs, c'est avant tout la
similarité des annonces qui va limiter le processus cognitif de
l'individu. Plusieurs études et expérimentations ont permis
d'identifier la similarité entre les publicités diffusées
comme facteur d'inhibition de la mémorisation du nom de marque (Burk et
Srull, 1988; Keller, 1991 ; Kent, 1993). Malaviya, Meyers-Levy et Sternthal
(1999) confirment que la présence de publicités de marques
concurrentes « réduit les capacités de traitement cognitives
de l'individu et son attention » mais ils introduisent également la
notion de « confusion des caractéristiques particulières de
chaque marque » : face à un trop grand nombre de publicités
(dimension physique), le consommateur ne serait plus capable de
différencier les marques. Maazoul, Khalbous et Chandon (2012) reprennent
le concept de confusion et montrent également que le processus cognitif
du consommateur peut même être perturbé en présence
de publicités « pour des produits similaires ».
On comprend à quel point l'encombrement publicitaire
peut avoir des conséquences négatives sur l'efficacité des
campagnes de communication menées par les marques (Anand et Sternthal,
1990 ; Laroche, Cleveland et Maravelakis, 2006) simplement par la perturbation
du processus cognitif qu'elle engendre chez le consommateur soumis à ces
stimuli. Mais cela souligne surtout la nécessité de soigner le
media-planning en s'assurant de planifier la publicité concernée
si possible à distance des publicités des concurrents pour
favoriser la différenciation entre les marques et/ ou les produits
(Pomerantz, 1981).
La saturation publicitaire va donc sérieusement
dégrader l'efficacité du message, mais il s'agit encore ici
d'effets inconscients pour le consommateur puisque cela affecte ses
capacités cognitives sans forcément provoquer de
phénomène d'irritation. En revanche, un consommateur que la
saturation publicitaire va irriter risque de
32
développer des comportements de rejets tout à
fait conscients et bien plus dommageables pour les marques.
1.4.3.2. Les réponses conscientes du
consommateur face à la saturation
publicitaire : de la formation d'attitudes
négatives aux stratégies de résistance
Nous avons vu que la saturation publicitaire peut
interférer avec le processus cognitif de l'individu en dégradant
ses capacités à mémoriser, mais aussi différencier
les produits et les marques, sans même que celui-ci s'en
aperçoive. Cela représente un véritable biais
d'efficacité des campagnes de communication. Cependant, le consommateur
peut aussi élaborer des réponses conscientes de rejet dans un
contexte de persuasion publicitaire, comme l'irritation, la résistance
ou encore l'évitement.
Pour Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010), une
intensité publicitaire perçue comme excessive et une perte de
contrôle perçue sont, au même titre que le contenu de
l'annonce, des sources d'irritation pour le consommateur.
Une publicité est irritante lorsqu'elle « engendre
du déplaisir ou de l'impatience momentanée » (Aaker and
Bruzzone, 1985). Une définition qui sera avérée dans le
contexte de la publicité sur internet grâce à De Pelsmacker
et Van den Bergh (1998), qui montre qu'un consommateur qui ne maîtrise
plus son environnement à cause des pop-up sera dans une situation
d'irritation.
Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010) présentent le
phénomène d'irritation comme une conséquence directe de
l'intrusion publicitaire. Ils précisent cependant que l'irritation ne va
pas forcément entraîner une situation de résistance, mais
qu'un effet cumulatif - autrement dit l'encombrement perçu - peut
devenir un déclencheur de ce type de comportement chez le consommateur.
Le phénomène de résistance risque donc de s'activer chez
un consommateur qui, suite à des intrusions considérées
comme trop répétées, se trouve dans une situation
d'intrusion et d'encombrement publicitaires perçus.
33
L'un des premiers effets perceptibles de la saturation
publicitaire, identifié à travers la littérature
existante, est la formation d'attitudes négatives chez le consommateur.
Dès 1983, Krugman relie la formation d'attitudes négatives et les
comportements d'évitement à l'interruption de la tâche du
consommateur par une annonce.
On sait par ailleurs que les réactions affectives
peuvent influencer l'attitude du consommateur « envers la publicité
ou le produit » (Batra et Ray, 1986 ; Derbaix, 1995) et que même
l'attitude envers l'annonce est une « variable médiatrice » de
l'attitude envers la marque (Edell et Burke, 1987 ; Derbaix, 1995).
Hérault (1999 ; 2006) démontre d'ailleurs qu'un
contexte de persuasion publicitaire peut effectivement pousser le consommateur
à « développer des attitudes négatives à
l'égard de la marque ou du média qui véhicule la
publicité ». Les travaux de Laure Perraud (2013) sur les
différents types de formats publicitaires sur Internet confirment le
rôle direct de l'intrusion perçue dans la formation d'attitudes
négatives à l'égard de la marque, du produit ou du site ;
ces recherches mettent également en avant un lien causal entre attitude
négative et comportements de résistance et d'évitement
chez le consommateur.
Enfin, il est intéressant de noter qu'un consommateur
est d'autant plus résistant « si son attitude a priori envers la
marque ou le produit est forte » (Haugtvedt et al., 1992 ; Petty et
Krosnick, 1995). Autrement dit, la sensation d'être agressé par
une publicité d'une marque identifiée et initialement cible d'une
attitude négative par le consommateur, risque non seulement d'aggraver
l'attitude négative du consommateur envers la marque mais
également de le rendre encore plus résistant qu'il ne serait
normalement disposé à l'être.
Il arrive que le consommateur développe des
stratégies et des comportements en rejet de la surexposition
publicitaire qu'il a l'impression de subir. Roux (2006) indique que la plupart
des consommateurs (par extension, la plupart des individus soumis à du
contenu publicitaire) va « développer des comportements de
résistance » plus ou moins importants. De plus, Cottet, Ferrandi et
Lichtlé (2008 ; 2009) démontrent que la résistance
à la publicité est directement liée à l'impression
du consommateur d'être « envahi par la publicité ».
34
Parce qu'elle représente pour une majorité de
consommateurs l'expression la plus concrète des actions marketing
menées par les firmes, la publicité génère nombre
de « comportements de résistance, clairement exprimés ou non
» (Kozinets et Handelman, 2004). Eagly et Chaiken (1993) ont
également démontré que « toute tentative de
persuasion qui est décodée comme pouvant déstabiliser
l'équilibre du système entraîne une résistance
».
De plus, les travaux de Campbell (1995) montrent que les
jeunes générations sont de plus en plus méfiantes à
l'égard de la publicité, ce qui risque encore d'aggraver les
comportements de résistance.
Le concept de résistance est encore une fois complexe
à définir. Knowles et Linn (2004) soulignent cet état de
fait et présentent la résistance comme « une notion au noyau
net et aux contours flous ».
Sherman et al. (2004) proposent la définition suivante
: « la résistance (à la persuasion) se définit comme
une réponse d'un individu qui tente d'éliminer ou de
réduire l'impact d'une communication persuasive ». La
résistance, substantiellement, c'est donc une des réactions du
consommateur exposé à du contenu publicitaire pour faire face
à l'effort de persuasion initié par une marque à son
encontre.
D'après les travaux de Roux (2004), la
résistance s'articule autour de deux dimensions, entre lesquels existe
un lien de causalité :
- L'état motivationnel, autrement dit « ce qui
pousse le consommateur à s'opposer à des pratiques, des logiques
ou des discours marchands jugés dissonants »
- Les manifestations de la résistance, qui sont les
« réponses déclenchées par l'état
motivationnel ».
Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2008) évoquent
aussi une dimension cognitive qui reposerait sur « le lien entre les
attitudes et ses autres cognitions ».
Les recherches de Roux (2006) permettent d'en savoir plus sur
les facteurs sources de résistance chez le consommateur en mettant en
exergue les éléments
35
suivants, qui sont effectivement à la fois liés
aux prédispositions de l'individu (état motivationnel) et
à ses réactions dans un contexte de persuasion (les
manifestations) :
- la volonté d'expression libertaire : le consommateur
revendique sa liberté et se réapproprie les discours
publicitaires (Thompson et Haytko, 1997 ; Marion, 2003)
- l'engagement citoyen : le consommateur rejette «
l'hégémonie de la société de consommation »,
qu'il relie à la publicité (Cherrier, 2008)
- la volonté de sanctionner le comportement des firmes
jugées non-éthiques : le consommateur peut rejeter une
publicité s'il juge une entreprise peu morale (Gabriel et Lang, 1999)
On retrouve dans ces facteurs de résistance nombre de
caractéristiques du consommateur post-moderne, conscient du jeu de
pouvoir avec les entreprises, remettant en cause la société de
consommation, etc. Les sources de résistance risquent donc d'être
déjà exacerbées de par les évolutions
générationnelles et plus « faciles à activer »,
justifiant l'intérêt des recherches visant à mieux les
comprendre.
Quatre éléments permettent d'appréhender
l'entrée en situation de résistance chez les consommateurs face
à la persuasion publicitaire : la réactance, la méfiance,
la vigilance et l'inertie (Knowles et Linn, 2004).
- La réactance est « l'état motivationnel
d'une personne dont la liberté est supprimée ou menacée de
l'être » (Brehm, 1966 ; Clee et Wicklung, 1980). Elle est
associée à la dimension affective et motivationnelle de la
résistance (Cottet, Ferrandi et Lichtlé, 2008). Roux
évoque d'ailleurs dès 2004 le concept de réactance comme
une « variable modératrice » de la résistance.
- La méfiance est liée au soupçon du
consommateur face à une communication visant à modifier ses
attitudes initiales (Cottet, Ferrandi et Lichtlé, 2008). Elle est
associée aux dimensions affectives et cognitives du processus de
résistance.
- La vigilance suppose que le consommateur est conscient de la
tentative d'influence exercée sur lui par la publicité. (Cottet,
Ferrandi et Lichtlé, 2008). Sa manifestation est conditionnée
à la perception d'une situation d'influence par le consommateur. Elle
est associée à la dimension cognitive de la résistance.
Roux
36
(2004) considère cependant que la vigilance est une
conséquence de la résistance et non une composante de
celle-ci.
- L'inertie, décrite par Roux (2004) également
comme une résultante de la résistance, désigne le
comportement de refus du consommateur d'agir face à une tentative
d'incitation au changement. Il ne procède pas à ce changement et
entre donc en situation d'inertie.
Elliott et Speck (1997 ; 1998) mettent en avant l'effet de la
persuasion publicitaire sur l'émergence d'un autre comportement chez le
consommateur agacé par une publicité considérée
comme excessive : l'évitement.
D'après eux, l'évitement se définit comme
« toute action choisie par les utilisateurs des médias qui
réduisent leur exposition à la publicité ». Ils
décrivent également trois types de procédés qui
traduisent l'évitement :
- Un procédé cognitif, qui consiste à
ignorer l'annonce, ne pas la regarder
- Un procédé comportemental, qui consiste
à entamer un changement d'activité pendant le déroulement
de l'annonce (changement de pièce, réduction du volume,
discussion avec une autre personne...)
- Un procédé mécanique, qui se manifeste par
l'action de zapper l'annonce
Cho et Cheon (2004) identifient également trois
antécédents à l'évitement : l'interruption de la
tâche, l'envahissement publicitaire perçu et les
expériences antérieures négatives. Avec l'idée de
la tâche interrompue et la perception d'encombrement publicitaire, on
retrouve les caractéristiques de l'intrusion et de l'encombrement. On
peut donc en déduire que les comportements d'évitement
résultent effectivement de la saturation publicitaire.
Pour Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010), l'intrusion
publicitaire est même clairement un antécédent de
l'évitement. Enfin, d'autres travaux indiquent que l'évitement
est une conséquence de l'attitude envers la publicité (Kelly,
Kerr et Drennan, 2010).
Afin de conclure ce chapitre, la figure suivante ambitionne de
représenter graphiquement un résumé des différentes
conséquences de la saturation publicitaire
37
que la revue de littérature (et donc l'ensemble des
auteurs étudiés) a permis d'identifier.
Figure 3 : Les conséquences de la saturation
publicitaire chez le consommateur (auteur : Melissa Ferdi, 2019)
1.5. CONCLUSION DE LA REVUE DE LITTERATURE
La première partie de la revue de littérature a
permis de montrer l'évolution rapide de la publicité : d'une part
un marché qui s'est rapidement développé, qui a su tirer
profit des innovations technologiques, et d'autre part des consommateurs de
plus en plus connectés. Tout ceci amène au constat suivant : les
points de contact entre les marques et les consommateurs se sont
multipliés au cours du siècle dernier, avec une nette explosion
de l'exposition ces dernières décennies.
La seconde partie s'est attachée à expliciter la
façon dont le consommateur a également évolué dans
ce contexte de progrès technique accéléré, comment
il a pris un rôle plus actif dans sa consommation, à la fois dans
sa relation aux marques et à la publicité.
La troisième partie a enfin permis d'explorer et de
clarifier les deux concepts centraux de la saturation publicitaire que sont
l'encombrement et l'intrusion, ainsi que leurs différentes
conséquences sur le comportement du consommateur. Nous avons par
ailleurs synthétisé chacun de ces concepts, tantôt par un
modèle précédemment établi (modèle de
l'encombrement publicitaire perçu de Louisa Ha), tantôt par des
modèles synthétiques originaux basés sur les travaux des
différents auteurs étudiés au cours de la recherche
conceptuelle (modèle de l'intrusion publicitaire perçue et
modèle des conséquences de la saturation publicitaire sur le
comportement du consommateur). Ils sont à nouveau
présentés ci-dessous :
- Modèle de l'encombrement publicitaire perçu -
Louisa Ha
38
- Modèle de l'intrusion publicitaire perçue -
synthèse originale des travaux étudiés dans la revue de
littérature, basé sur le modèle de Louisa Ha et enrichi
des différents concepts :
39
- Modèle des conséquences de la saturation
publicitaire sur le comportement du consommateur - synthèse originale
des travaux étudiés dans la revue de littérature :
40
|