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La saturation publicitaire


par Melissa Ferdi
IAE Lille - Master Marketing du Distributeur 2019
  

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1.2.1. Le progrès technique comme moteur de l'innovation publicitaire

Comme dans beaucoup de domaines, les pratiques de l'antiquité ont laissé dans le marketing, le commerce et la publicité, de nombreuses traces encore prégnantes.

A l'époque de la Grèce antique, des fresques et des mosaïques vantaient déjà les mérites de politiciens ; c'étaient les débuts de l'affichage publicitaire. Quelques siècles plus tard, chez les romains, les gladiateurs, personnages publics, étaient rémunérés en fonction de leur notoriété pour mettre en avant des productions locales d'huile d'olive ou des qualités d'embaumeurs de tel ou tel croque-mort ; le placement de produit était né. En France à partir de 1180, la corporation des crieurs réalise des tournées dans les lieux habités afin de répandre différentes nouvelles ; des premiers évènements de street marketing ?

Les analogies entre nos pratiques actuelles et leurs origines historiques, dans des contextes bien différents, nous prouvent que le concept même de publicité et de marketing a toujours fait partie de la société, même dans ses formes les plus

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traditionnelles. En effet, le commerce et la communication sont littéralement les fers de lance qui ont permis à nos civilisations de se développer.

C'est le progrès technique qui, à chaque fois, a permis à la publicité de connaître ses différentes révolutions.

En 1438, Johannes Gutenberg invente l'imprimerie. Il rend possible non seulement la réplication et donc la distribution en grand nombre de livres, mais également l'apparition d'un nouveau canal de communication. La presse naît officiellement en 1605 sous la forme d'un hebdomadaire de quatre pages. En 1777 apparait le tout premier quotidien en France, Le Journal de Paris. Il est à l'époque tiré à 36000 exemplaires. La presse se diffuse alors lentement et poursuit sa progression à travers l'Europe jusqu'en 1860, lorsque l'invention de la presse rotative permet un véritable bond en termes de parutions : les quotidiens passent à plus d'un million de tirages, devenant un média majeur du paysage français.

En France, c'est en 1836 qu'apparait la première publicité presse. Dans le but d'améliorer la rentabilité de son journal, La Presse, Emile de Girardin décide de publier une annonce dans ses pages, afin d'attirer plus de lecteurs : il souhaite non seulement innover, mais se faire rémunérer par l'annonceur pour baisser les prix de ses publications. La pratique se répand évidemment rapidement parmi la concurrence jusqu'à devenir une source de revenus non négligeable pour les journaux. A titre d'exemple, soixante ans plus tard, la publicité représente plus d'un tiers des recettes du Figaro. Le perfectionnement des techniques d'impression permet, au début du XXe siècle, le développement de l'affichage ainsi que les emballages avec logo.

De nouvelles technologies vont régulièrement venir enrichir le marché de la publicité en créant de nouveaux vecteurs de communication, et de nouvelles pratiques marketing. Bien qu'on établisse son invention effective en 1895, ce n'est pas avant 1922 que les toutes premières émissions radiophoniques quotidiennes apparaissent, suivies par les premières diffusions musicales (sous forme de concerts). Cette fois, les industriels ne tardent pas à investir ce nouveau média puisque les premiers spots sont

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diffusés en 1928. Cette nouvelle étape marque notamment l'apparition d'une nouvelle pratique marketing : le slogan.

L'innovation devient de plus en plus fréquente. En 1926 a lieu la toute première retransmission publique de télévision en direct à Londres. A peine 11 ans plus tard apparaissent déjà en France les premières émissions quotidiennes, diffusées à 20H pour la centaine de chanceux qui étaient équipés d'un poste. Entre 1950 et 1980, le taux d'équipement des ménages passe de 10% à plus de 90% : presque chaque foyer dispose d'un écran de télévision.

Dès 1941, un spot de quelques secondes est diffusé sur une chaine américaine avant la diffusion d'un évènement sportif. En France, c'est en 1968 qu'est diffusé le premier spot publicitaire télévisé et que la Régie française de la publicité est créée.

Ces trois vecteurs de communication ont été développés et investis par les marques et les annonceurs jusqu'à devenir ce que l'on appelle désormais les médias traditionnels pour la diffusion des publicités. A partir de 1948, l'IREP commence à enregistrer des données statistiques sur la publicité, et plus particulièrement le montant des dépenses publicitaires en France. Le graphique ci-dessous représente l'importante croissance du marché sur l'ensemble de ces canaux, en les comparant au revenu national. En 1948, d'après l'IREP, les dépenses publicitaires se sont élevées à 45 milliards de Francs, pour atteindre 421 milliards de Francs en 1973 (Francs constants de 1957), soit des dépenses 9 fois plus élevées.

Graphique 1 : évolution des investissements publicitaires entre 1938 et 1973 (source : IREP)

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Par ailleurs, la publicité va connaître une évolution qui n'est pas linéaire ; le marché connaitra une hausse des prix sans précédent en 1954, étroitement liée à son développement rapide. Le marché se verra également modifié de manière structurelle, investissant sans cesse de nouveaux vecteurs de communication : cinéma, presse, télévision... Le tableau ci-dessous montre l'évolution du poids de chaque canal dans les dépenses publicitaires entre 1955 et 1973. Certains médias historiques varient alors peu ou en tout cas ne présentent pas de tendance claire ; mais on note que le poids de la télévision par exemple, a progressé sans cesse et de manière rapide. Pourtant, les autres canaux n'ont jamais disparu, et chaque nouveau canal investi venait s'additionner à ceux déjà présents sans pour autant les remplacer.

Tableau 1 : Poids des différents médias dans les investissements publicitaires entre 1955 et 1973 (source : Publicis)

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Une nouvelle invention va encore venir révolutionner le monde et notamment la publicité ; nouveaux canaux, nouveaux outils, Internet apparait en 1990 avec l'abandon de l'Arpanet (technologie précurseur) et la création du World Wide Web. En 1994, la toute première publicité en ligne est diffusée sous la forme d'une bannière pour un opérateur téléphonique. Son concepteur prétend que le taux de clic était alors de 40%, malgré le faible taux d'équipement (100 000 ordinateurs connectés) ; une information difficile à vérifier mais qui traduit néanmoins l'effet de cette première pub en ligne.

Image 1 : première bannière publicitaire en ligne

Entre 1994 et 1998, d'autres annonceurs investissent l'espace web avec des publicités cliquables (notamment HP) et l'e-publicité se banalise : le taux de clic passe de 40% à moins de 1%. A nouveau, c'est l'innovation qui va générer de nouveaux relais de croissance sur l'e-publicité, qui se développe encore plus rapidement que tous les autres médias l'avaient fait auparavant. L'apparition du géant Google va par exemple révolutionner la publicité avec les liens sponsorisés ; les publicités vidéos se développent, portées par les technologies Flash et Java, les pop-ups (fenêtres publicitaires non-sollicitées qui apparaissent lors de la navigation) envahissent progressivement le web, Google - toujours - inaugure le ciblage grâce aux mots clés dès 2004, puis les réseaux sociaux comme Facebook permettent un ciblage encore plus

précis... En l'espace de quelques années, le marché de la publicité a connu des bouleversements tels qu'il n'a plus du tout la même configuration qu'à l'ère pré-Internet.

Le téléphone mobile apparait en 1998, mais c'est avec la naissance du smartphone que les publicitaires trouvent un nouvel outil de jeu et un nouveau moyen de contact encore plus performant. Les différentes technologies de la publicité web (digitale) se déclinent rapidement sur smartphone, de nouvelles apparaissent (via les applications notamment).

En 2017, le digital est de loin le canal qui pèse le plus lourd dans les investissements publicitaires. Pourtant, la publicité sur les médias traditionnels est toujours présente : on le remarque sur le graphique ci-dessous qui présente les investissements par média (source : étude 2018 de Nocibé média / Mindshare / BUMP).

Graphique 2 : investissements nets par média en 2017 (source : Nocibé Média / Mindshare / Bump)

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Le digital a cet avantage supplémentaire de permettre de cibler une audience spécifique avec la publicité - une possibilité certes, investis par les media-planners qui segmentent les audiences des médias traditionnels, mais qui reste de l'ordre du « mass media ». Le digital permet désormais de cibler le consommateur unique, en fonction

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de sa navigation, de sa localisation géographique, etc. Il permet de s'adresser directement à l'individu unique, de lui proposer un contenu qui ne sera pertinent que pour lui, voire de prévoir comment le surprendre et l'attirer (on parle alors de programmatique, ou publicité en temps réel).

1.2.2. Presse, affichage, TV, internet... : des consommateurs sont de plus en plus exposés aux contenus publicitaires

Face aux innovations et autres progrès techniques, dans une société qui s'est rapidement industrialisée pour atteindre notamment des taux d'équipements des ménages particulièrement élevés, ce sont tout un ensemble de mutations sociétales qui se sont nourries et mises en place. L'accès à l'informatique et au digital s'est tant démocratisé en France, que presque chaque individu possède un accès à Internet. Plus précisément, en 2015, 86% des français ont accédé à un contenu en ligne au cours du mois précédent (contre 49% en 2005) ; 81% des ménages sont équipés en Haut Débit, contre 20% en 2005 (source Médiamétrie). Entre 2010 et 2017, avec le développement du smartphone et de la tablette, le nombre d'écrans par foyer passe même de 3,4 à 6,4 (source CSA), et en 2017, le smartphone représente plus de la moitié du temps de navigation.

L'omniprésence de ces nouveaux outils, ne remet pourtant pas en cause les médias traditionnels, qui continuent d'être utilisés par les consommateurs. Etonnamment, la durée d'écoute de la télévision tend également à augmenter (de 3h24 par jour en moyenne en 2005, à 3h30 par jour en 2015) ; si la presse papier tend à s'essouffler, elle profite néanmoins du digital pour élargir ses relais de croissance (les investissements présentés sur le graphique ci-dessous le montrent).

Graphique 3 : Evolution des audiences presse entre 2005 et 2015 (source : Nocibé Média / Mindshare / Bump)

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Evidemment, on note une énorme progression de l'exposition des individus à des contenus médias, et donc potentiellement des points de contact pour les publicitaires, toujours à l'affût des nouvelles pratiques à investir. En effet, comme l'a prouvé la diminution drastique du taux de clic entre la première publicité web en 1994 (pour rappel, 40%) et aujourd'hui (moins de 0,1%), la publicité s'est banalisée.

1.3. RESISTANT ET PARADOXAL : LE NOUVEAU VISAGE DU CONSOMMATEUR A L'ERE DU POST-MODERNISME

1.3.1. Le contexte post-moderne : une révolution sociétale...

Depuis les années 1970 et la fin de « l'âge d'or de la consommation de masse », la littérature en sociologie et en marketing a vu émerger le concept du postmodernisme, riche de nouveaux comportements de consommation. Il résulterait du déclin des structures « institutionnelles, sociales et spirituelles » et de la volonté des individus de s'échapper des valeurs dites traditionnelles, dans un contexte de crise économique qui génère un « désenchantement » du consommateur (Baudrillard, 1970 ; Lyotar, 1979 ; ou Maffesoli, 1988). Le concept a été approfondi avec les années et les travaux existants confirment cette notion de libération de l'individu, qui fixe aujourd'hui « ses propres règles » (Hetsel, 2002). Le consommateur post-moderne remet en cause les structures traditionnelles sous tous ses aspects et notamment celui

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de la consommation et de la surconsommation, il est présenté comme plus indépendant et plus averti que son prédécesseur le consommateur moderne (Sansaloni, 2006).

Firat et Venkatesh définissent en 1993 que le contexte post-moderne se traduit par différentes caractéristiques, des évolutions dans le comportement du consommateur qui sont particulièrement marquées : l'hyperréalité, la fragmentation, la juxtaposition, l'inversion et le décentrage du sujet.

L'hyperréalité vise à transformer en réalité ce qui n'est que fiction ou « simulation » (Perry, 1998). Technologies de plus en plus immersives et perfectionnées (réalité virtuelle, réalité augmentée...), reconstitutions de lieux réels (de nombreuses villes occidentales, Paris notamment, ont été reconstituées en Chine) ou fictifs (DisneyLand ou encore le Wizarding World Hollywood - reconstituant l'univers d'Harry Potter, sans compter le succès des récents Escape Game qui simulent dans différents décors, une situation apocalyptique à laquelle on ne peut échapper qu'en résolvant des énigmes),etc. : la dimension hyperréelle du contexte post-moderne a même inspiré les marques et les distributeurs qui ont développé la théatralisation des points de ventes (les mises en avant à l'occasion des différents évènements récurrents de consommation - Noël, Pâques, la rentrée scolaire mais aussi les opérations ciblées sur les produits ethniques telles le Ramadan ou le Nouvel An Chinois), le marketing sensoriel (en diffusant une odeur synthétique de café à proximité des machines à café) et même l'expérientiel. On retrouve cette idée de ré-enchantement d'un consommateur désabusé et à la recherche de sensations et d'expériences, voire l'immersion dans une réalité différente de la sienne.

La fragmentation s'appuie sur ce profil d'un consommateur complexe, qui a de multiples facettes et qui consomme non pas de façon linéaire mais qui adapte sa consommation aux différentes situations qu'il peut être amené à vivre et à l'image de lui-même qu'il espère renvoyer dans chacune de ces situations spécifiques. Ce concept se rapproche assez des théories de la Consumer Culture (CCT), qui présentent le consommateur comme un individu au comportement difficilement modélisable et également de l'Extended Self développé par Belk (1988) où l'on retrouve la consommation comme outil de construction identitaire. Encore une fois, les marques

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et les distributeurs ont pris acte de ces évolutions en adoptant des techniques de marketing de plus en plus ciblées, puis individualisées.

La juxtaposition se traduit par la coexistence d'éléments autrefois supposés incompatibles. Ainsi, on commence à mélanger sport et divertissement, sport et marketing (Michael Jordan et ses Nike Air Jordan, ainsi que les nombreux sportifs sponsorisés qui l'ont suivi) mais également divertissement et information (en témoignent les talk-show qui fleurissent à la télévision). Par ailleurs, la globalisation développe le multi-culturalisme et la plupart des grandes villes occidentales regorgent d'établissements de restauration ethniques qui font désormais partie du quotidien des autochtones (cuisines asiatiques, africaines, orientales...). Le contexte post-moderne suppose donc une tolérance nouvelle, un assouplissement des frontières physiques et mentales.

L'inversion repose sur la prise de pouvoir du consommateur post-moderne dans le processus production-consommation. Cette dimension du post-modernisme se rapporte aux travaux de Baudrillard (1970) qui explique que la valeur réside dans le sens donné par le consommateur à l'objet qu'il achète et non pas dans la démarche de transaction. En ce sens, il va commencer à remettre en cause la consommation de masse, le gaspillage... L'achat n'est plus une fin en soi et on voit émerger de nouveaux comportements intégrant ces valeurs, comme le recours à la location par exemple. Les comportements, mais aussi les rôles s'inversent au point que les consommateurs deviennent aussi vendeurs : l'émergence du commerce C (Consumer To Consumer) le témoigne. Le consommateur devient acteur de sa consommation.

Le concept de décentrage du sujet suppose une confusion entre sujet et objet de consommation. Le consommateur construit son identité grâce à sa consommation, il utilise celle-ci pour correspondre à son moi idéal, reconstruire le lien social perdu, etc. Mais ce concept soulève des problématiques liées à la construction identitaire, les valeurs liées à la consommation, ainsi que sur l'authenticité des expériences et sur le contrôle de la consommation. Certains consommateurs perdent le contrôle, la capacité à différencier leur identité de leur consommation, créent des névroses parfois

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pathologiques.1 La question d'une « crise de l'identité » se pose et inspire d'autres chercheurs à mieux comprendre ces phénomènes.

En 2008, Alain Decrop cherche à décrire plus précisément les comportements des consommateurs liés au passage à l'ère post-moderne. Il identifie non seulement des comportements spécifiques, en rapport avec chacune des dimensions du postmodernisme développées par Firat et Venkatesh (1993), insiste sur le rôle grandissant de l'hédonisme dans la consommation mais il met également en avant des tendances étonnamment paradoxales dans les attentes de ces consommateurs, voire des pratiques antinomiques dans leurs comportements de consommation.

Pour commencer, il présente le consommateur dans sa volonté d'être à la fois « seul et ensemble » : d'une part, le nombre de célibataires n'a cessé d'augmenter, témoignant sans doute d'un certain effritement des valeurs traditionnelles familiales et d'un plus grand individualisme (chacun a le droit de vivre sa vie comme il l'entend, sans être obligé de se plier aux schémas sociaux traditionnels : mariage, famille...) ; mais d'autre part, la volonté de retrouver le lien social semble plus forte que jamais. Par exemple, les consommateurs se retrouvent autour d'une marque dans des tribus dites post-modernes (Cova, 1995), comme les bikers américains autour de la marque Harley Davidson ou les surfers autour de la marque Quicksilver. Ces communautés de consommateurs ne sont pas du simple fait des consommateurs (un Harley Owners Group est créé par la marque en 1983 afin de rassembler les bikers fidèles à cette marque), mais les marques ont su tirer profit de cette volonté de recréer le lien social ou de combler un besoin d'appartenance (Maslow, 1943). Autre exemple, la multiplication (et le succès !) de nombreux réseaux sociaux ou plateformes d'échanges plus ou moins anonymes (forums, etc.) semble également traduire un besoin partagé par une majorité de la population de maintenir cette forme de lien social. Pour plusieurs auteurs, c'est la même perte du lien social dans les relations traditionnelles (dû à

1 Le personnage de Rebecca Bloomwood dans le roman populaire Confessions d'une accro au shopping traduit très bien ce phénomène : chaque achat compulsif qu'elle réalise s'accompagne des fantasmes de la nouvelle vie que ce produit neuf lui permettra de vivre, puis de la désillusion liée à une accumulation de produits inutiles.

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l'effondrement des structures familiales et religieuses) qui amène les individus à vouloir recréer celui-ci « autrement ».

Ensuite, il met en avant une dimension « masculin et féminin ». Les évolutions sociétales ont permis de redistribuer les rôles des hommes et des femmes. Les caractéristiques autrefois considérées comme féminines (douceur, esthétisme...) ou masculines (force, déterminations) semblent ne plus être l'apanage de l'un ou l'autre des genres : la mode développe d'ailleurs des produits misant sur l'androgynie (les vêtements ou les parfums deviennent unisexe, comme Khloé & Lamar), les cosmétiques engagent le marché des hommes qui veulent désormais prendre soin d'eux et être beaux... On retrouve l'idée non seulement de juxtaposition mise en avant par Firat et Venkatesh (1993) - la publicité Nivea « Mettez de la crème comme un homme » diffusée depuis le 7 février 2016, met en scène avec humour des joueurs stars du Paris St Germain dans des situations supposées très masculines (bras de fer, abattage d'un arbre à la hache...) mais avec la peau très douce grâce à la crème en question, traduisant le message suivant : « on peut être viril ET avoir la peau douce » -, mais également l'idée d'inversion, pas uniquement dans les qualités intrinsèques de l'individu, mais dans les rôles traditionnels : en témoigne l'augmentation du nombre de familles gérées par un père célibataire aux Etats Unis, qui a plus que doublé entre 1990 et 2015 (Statista 2017).

Le troisième paradoxe est celui du « nomade et sédentaire ». Il se manifeste dans le fait que les consommateurs cherchent à conserver leur confort personnel en toute situation, y compris à l'extérieur, voire loin de chez eux. Ainsi, les hôtels des destinations touristiques se sont adaptés en intégrant des éléments de confort parfois inattendus : la présence de WiFi dans un lieu supposé exotique par exemple. De plus, différents appareils d'usage domestique ont été modifiés, améliorés, afin de devenir transportables : le téléphone est devenu transportable, la musique est devenue transportable (déjà à l'époque du baladeur), et le progrès technique a par la suite permis de « nomadiser » - et de rassembler - encore davantage de fonctions grâce à l'apparition et au perfectionnement constant de la technologie smartphone.

Alain Decrop oppose ensuite « Kronos et Kaïros », autrement dit les tendances « fast » et « slow », la vitesse et la lenteur. Ces deux concepts, issus de la mythologie grecque, représentent le rapport au temps. « Kronos » est un enchaînement de tâches,

presque linéaire ; « Kairos » quant à lui est le moment parfait, une sorte d'hédonisme opportun (prendre son temps pour savourer un plat, contempler un paysage...). En effet, on identifie une tendance nette à maîtriser son temps, voire à gagner du temps, c'est-à-dire à aller plus vite (certains diraient à lutter contre lui) : le succès des caisses automatiques dans les grandes surfaces de distribution traduit bien ce phénomène, et l'essor des « drives » qui permettent de simplement retirer sa commande après l'avoir passée en ligne encore plus. En parallèle, on constate une volonté de prendre son temps, d'en profiter pleinement, de ralentir : on voit émerger les tendances de « slow food », où l'on prépare avec délectation des produits « maison » (par opposition à la « fast food ») mais aussi par exemple le « slow design » qui consiste à prendre le temps de fabriquer des meubles uniques à partir de matériaux recyclés par exemple ; et même le « slow wear » qui consiste à acheter moins mais de façon plus consciente (des produits en coton biologique, ou dont la marque fait preuve d'éthique envers ses salariés...). La philosophie « Kaïros » semble se manifester tout particulièrement à travers le retour du Do It Yourself ou Fait Maison.

On retrouve dans le cinquième paradoxe identifié par Alain Decrop, un concept voisin de l'hyperréalité de Firat et Venkatesh (1993) : c'est le « réel et virtuel ». Le consommateur cherche à travestir sa réalité, à jouir d'une réalité différente qui peut être virtuelle. Les plateformes de simulation, comme Second Life par exemple, ont même vu émerger une économie insoupçonnée entre les joueurs, qui pouvaient dépenser des fortunes pour leur avatar en ligne, qui devenait en quelques sorte leur « moi idéal » (en 2007, le site recense plus de 7 milliards de Dollars US dépensés pour personnaliser ou divertir leur avatar). Les avancées technologiques permettent déjà d'entrevoir un futur qui étoffera cette tendance. Le 24 juin 2016, le professeur en robotique Hiroshi Ishiguro a présenté au musée des sciences de Tokyo deux androïdes de sa création, Kodomoroïd et Autonoroïd, d'un réalisme hors du commun comme le témoignent les images ci-dessous.

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Image 2 : Hiroshi Ishiguro pose avec Kodomoroïd

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Image 3 : Hiroshi Ishiguro et Mamoru Mori, directeur du musée des sciences de Tokyo, posent avec Kodomoroïd et Antomoroïd

L'univers des jeux vidéo promet également de belles opportunités de tirer profit de ces tendances : la technologie de réalité virtuelle mais aussi la réalité augmentée (qui permet à un appareil d'ajouter des éléments au décor, comme le fait l'application Pokémon Go qui permet de chasser les pokémons dans son jardin ou dans la rue et qui est d'ailleurs devenue une des applications les plus téléchargées avec 200 millions d'utilisateurs). Enfin, les entreprises, les marques et les enseignes de distribution misent massivement sur l'expérientiel et la théâtralisation afin de satisfaire ce désir d'immersion du consommateur. L'aéroport Arlanda à Stockholm a par exemple équipé sa zone d'embarquement d'un appareil simulant la météo de la destination. La marque Lush utilise le marketing sensoriel afin de théâtraliser ses points de vente... Et les exemples sont encore nombreux.

Le consommateur est devenu un être conscient, parfois méfiant, parfois résistant, et nourri de nombreux paradoxes, qui en font une figure d'étude fascinante. Toutes ces

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évolutions lui ont permis de s'imposer dans la relation aux marques et d'y gagner du pouvoir.

1.3.2. ... QUI DONNE UNE NOUVELLE DIMENSION AUX INDIVIDUS : LE CONCEPT D'EMPOWERMENT DU CONSOMMATEUR

Le terme anglais d'« empowerment » signifie littéralement « gain de pouvoir ». Concept inspiré par les sciences sociales et étudié par la suite dans d'autres disciplines, notamment en comportement du consommateur, il consiste à « acquérir la force, la confiance et la vision permettant de faire émerger des changements positifs dans la vie de chacun dans une démarche individuelle et collective » (Eade et Williams, 1995). Pour Holland et al. (1991), l'empowerment du consommateur se manifeste de deux manières : une dimension intellectuelle qui découle de l'acquisition croissante de connaissances et de compétences par le consommateur ; et une dimension expérientielle, qui suppose que le consommateur va s'émanciper grâce à ce savoir.

Cova et Cova (2009) identifient quant à eux trois figures de « nouveaux consommateurs » en lien avec les approches du marketing ayant émergé à partir des années 1990. Le tableau suivant, issu de leur publication dans Recherches et Applications en Marketing, illustre la progressivité et la complexité du phénomène, d'un consommateur qui a peu à peu acquis et mis en oeuvre de nouvelles compétences pour interagir sur le marché.

Tableau 2 : Les nouvelles figures du consommateur (source : Cova et Cova,

2009)

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Presque l'ensemble des chercheurs en comportement du consommateur sont d'accord pour dire que le phénomène d'empowerment chez le consommateur découle de l'émergence et de la démocratisation d'internet. En 1991 déjà, Doctor reliait la notion d'empowerment aux « nouvelles connaissances acquises grâce à internet ». Whatieu et al. (2002) confirment par la suite que l'empowerment du consommateur est effectivement lié et précisent que les compétences acquises grâce à l'utilisation d'internet ont permis au consommateur d'améliorer le contrôle et l'autonomie dans la décision. Partant de ce postulat et afin de comprendre plus finement les mécanismes de l'empowerment du consommateur, Harrison, Waite et Hunter (2006) ajoutent qu'internet donne au consommateur l'accès non seulement à de l'information, mais également à « une offre de produits et services qui étaient jusque-là sous le contrôle des autres acteurs de la relation marchande ». Le phénomène semble d'ailleurs faire consensus à partir du milieu des années 2000, et d'autres recherches viendront appuyer le rôle d'internet dans la prise de pouvoir de consommateur dans son rapport aux marques (Labrecque et al., 2013).

L'empowerment du consommateur se traduit par « les manifestations qu'il revêt dans les comportements de consommation » (Bonnet, 2014).

Ainsi, bien qu'il soit de façon générale considéré comme positif, le phénomène d'empowerment du consommateur a des conséquences sur sa façon d'agir face aux sollicitations du marché : d'une part, le consommateur va être capable de mettre en oeuvre des stratégies de résistance au marketing (Denegri-Knott, Zwick et Schroeder, 2006 ; Roux, 2007) ; d'autre part, il va pouvoir prendre une place en amont de la production en échangeant avec les marques en termes de customization (Pires, Stanton et Rita, 2006) mais également en intervenant dans le développement de nouveaux produits (Fuchs et Schreier, 2009).

L'empowerment du consommateur a été étudié sous différents angles par les chercheurs en marketing, car il implique de nombreux nouveaux comportements de consommation. Une partie d'entre eux a notamment fait émerger les concepts du « smart shopper » et du « wise shopper », consommateur intelligent, renforcé par une connaissance accrue des produits et des techniques marketing, capable de déjouer les

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pressions du marché pour consommer le moins cher possible ou le « plus efficient » possible.

Le smart shopping consiste à « investir un temps et un effort considérable à la recherche de des informations sur les promotions afin d'obtenir des réductions de prix » (Mano et Elliott, 1997). Le smart shopper va mobiliser ses connaissances et ses compétences afin de consommer le moins cher possible (en comparant les offres des différents producteurs, des différents canaux...). Pour Schindler (1989), il fait montre de plus grandes capacités cognitives en ce qui concerne l'évaluation des prix. Le développement et la démocratisation des nouvelles technologies de la communication, notamment Internet, lui permet de devenir un expert des marques et des produits non seulement dans ses actes d'achats, en privilégiant l'offre la plus avantageuse, mais également dans ses interactions avec les communautés de consommateurs (forums, avis...). Cette prise de pouvoir et cette expertise, sources de fierté voire d'excitation pour le smart shopper, va même faire de lui une source de communication potentiellement forte (Price et al., 1988) qui sera tantôt bénéfique, tantôt dévastatrice pour les marques.

Le wise shopping, littéralement « sage », se distingue du smart shopping en ce fait que le consommateur ne cherche pas simplement la promotion à tous prix (!), mais qu'il cherche l'offre la plus efficiente par rapport à ses besoins spécifiques. En 2009, Djelassi et al. décrivent le wise shopper comme « plus prudent et plus réfléchi » et éclairent les différents mécanismes qui sous-tendent ses comportements :

- Il remet en question la pertinence et l'utilité de ses achats et cherche à limiter les achats impulsifs ;

- Il se méfie des marques et attend une réelle proposition de valeur de leur part, faute de quoi il reporte ses achats sur les premiers prix ou les marques de distributeurs ;

- Il critique la grande distribution et n'hésite pas à alterner les types de magasins (hard discount, proximité...) en fonction de ses arbitrages ;

- Il rejette les techniques marketing estimées incitatives d'achats superflus (promotions, formats de magasins stimulants...) ;

- Il attend des marques et des distributeurs un effort d'accompagnement dans sa recherche d'économies.

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On retrouve dans l'idée d'une remise en cause des techniques de marketing, des distributeurs et de la consommation en général, l'image d'un consommateur averti, dont le poids s'affirme dans la relation commerciale et dont l'inquiétude, voire le rejet, resurgissent sur sa façon d'agir et de consommer.

L'empowerment du consommateur modifie ainsi les rapports entre les différents acteurs du marché et fait peser une menace nouvelle sur les entreprises, en même temps qu'elle lui ouvre un champs d'opportunités. Mais ce phénomène implique une nécessaire compréhension par la communauté marketing d'après Zwick, Bonsu et Darmody (2008) qui écrivent : « Tous les pouvoirs marketing, les universitaires du management, les publicitaires, les responsables marketing et les journalistes ont signé une alliance sacrée pour comprendre, célébrer et finalement dresser ce spectre. L'image d'un monde nouveau, dans lequel des marketeurs désemparés ont perdu le contrôle sur leurs actifs fondamentaux comme les marques et les consommateurs, s'est rapidement diffusée dans toutes les écoles de gestion et les entreprises ».

Autrement dit, les études sur le comportement de cet « empowered consumer » ont encore de nombreuses problématiques à résoudre afin d'éclairer les professionnels du marketing sur les orientations à adopter à l'avenir.

Globalement, le consommateur post-moderne, plein de contradictions, est plus avisé, plus méfiant, plus actif dans sa relation avec les entreprises. Il est de plus en plus conscient des techniques marketing et de l'effet de la publicité, et prend de plus en plus de pouvoir jusqu'à devenir moins sensible - voire potentiellement hostile - aux efforts publicitaires de ces dernières.

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1.4. DE L'ENCOMBREMENT A L'INTRUSION : LA SATURATION PUBLICITAIRE PERÇUE PAR LES CONSOMMATEURS

1.4.1. L'encombrement publicitaire : un trop-plein de contenus publicitaires

La notion d'encombrement publicitaire suscite un engouement assez ancien auprès de la communauté des chercheurs en marketing. La multiplication constante des points de contact entre marques et consommateurs, et donc l'augmentation de l'exposition publicitaire, a permis de mettre en lumière la nécessité d'appréhender plus précisément les mécanismes de réponses des consommateurs face aux stimuli d'une publicité devenue omniprésente.

Il n'existe d'ailleurs pas tout à fait de définition consensuelle de l'encombrement publicitaire, mais plutôt une « ligne générale » que les chercheurs s'attachent à caractériser de plus en plus finement. Ainsi, en 1992, Joncour définissait l'encombrement publicitaire comme « une surcharge d'informations publi-promotionnelles ». Une définition certes sommaire, mais qui a néanmoins - sans doute - inspiré d'autres chercheurs qui ont alors contribué à clarifier ce concept encore très flou : un an après la publication des recherches de Joncour, en 1993, Brown et Rotschild se sont concentrés sur un facteur influant cette notion d'encombrement, et qui avait été occulté jusqu'alors dans les travaux existants : le fait que les consommateurs s'attendent, ou non, à être exposé à des publicités. Ils étoffent donc le concept avec la définition suivante : « l'encombrement publicitaire est l'ensemble des spots sur un media donné, insérés entre ou au cours des programmes et auxquels les téléspectateurs ne s'attendaient pas ». Cette définition est d'autant plus intéressante qu'elle permet une extrapolation aux canaux de communication récemment développés (technologie web et mobile), bien que le sujet d'étude originel soit davantage axé sur un canal plus traditionnel : celui de la télévision.

La route de la définition du concept d'encombrement publicitaire n'est pour autant pas terminée et justifie l'intérêt de nouveaux chercheurs, Ribes et Dawes, qui en 2006 - soit plus de 10 ans après les publications de Joncour et celles de Brown et Rotschild - viennent compléter les définitions jusque-là admises en considérant, au-delà du nombre de contenus publicitaires soumis au consommateur, que la durée de l'exposition publicitaire revêtait une importance capitale. Ils redéfinissent alors le concept d'encombrement publicitaire qui n'est plus simplement un grand nombre de

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publicité, ou un grand nombre de publicités auxquelles le consommateur ne s'attendait pas, mais « un grand nombre de publicités pendant une période de temps donnée ».

En 2008, accompagnée de Kim McCann, professeur de communication à la North Illinois University (USA), Louisa Ha propose une réévaluation de la définition de perception de l'encombrement publicitaire en étudiant cette fois les trois différentes approches qui se sont distinguées dans les travaux de recherche existant :

- une approche qu'elles appellent « structurelle », identifiée comme la paradigme dominant et focalisé sur les caractéristiques structurelles des publicités et médias (mais éludant presque le consommateur)

- une approche « fonctionnelle », qui place la perception du consommateur comme la donnée la plus importante dans l'encombrement publicitaire. Le consommateur n'est plus une cible des publicités, mais un acteur de l'interaction avec les marques, qui va utiliser les médias dans le but de satisfaire au mieux ses besoins (recherches, comparaisons...)

- une approche « information processing », qui présente une dimension cognitive intéressante : celle de la saturation intellectuelle face à l'efficacité publicitaire. L'encombrement publicitaire serait donc atteint indépendamment du fait conscient des marques ou même du consommateur, mais à partir du moment où celui-ci ne pourrait plus traiter les informations de trop nombreuses publicités.

Evidemment, l'évolution du concept présentée ici ne se veut ni exhaustive ni définitive, mais vise à montrer que le concept est plutôt récent et mérite d'être approfondi afin d'être mieux compris.

Louisa Ha, professeure à l'Université de Bowling Green State en Ohio (USA), spécialiste de la communication de masse, a réalisé de nombreuses recherches afin de caractériser plus profondément l'encombrement publicitaire. Elle apporte une vision plus systémique du concept en décortiquant les différentes dimensions de l'encombrement publicitaire et surtout, en évoquant pour la première fois la notion d'intrusion.

Dans un premier article publié en 1996 dans le Journal of Advertising Research, elle expose les trois dimensions de l'encombrement publicitaire qu'elle a identifié au cours de son étude : la quantité (admise depuis les travaux de Joncour en 1992), mais également la compétitivité (le niveau de similarité des publicités pour les produits des

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différentes marques) et surtout, l'intrusion (la façon dont la publicité interrompt le flux média).

Mais, dans cet article, Louisa Ha se démarque de ses collègues chercheurs en adoptant une démarche résolument interprétativiste après des études plus marquées par un positivisme, qui cherchait à établir des modèles de comportement presque systématiques. Louisa Ha considère que le consommateur est davantage qu'une « cible passive », un récepteur d'informations envoyées par les marques ; pour elle, pas question d'établir avec exactitude un seuil d'encombrement publicitaire universel. Elle met alors en exergue l'importance de la perception par le consommateur et son caractère aléatoire d'un individu à l'autre : elle précise que la perception de l'encombrement publicitaire dépend potentiellement « de certaines variables individuelles, tels que : l'âge, le sexe, et l'implication.».

A la suite de la publication de l'article de Louisa Ha, le concept de perception de l'encombrement publicitaire va faire des émules et être complété par d'autres chercheurs qui vont participer à mieux le comprendre. En 1998, Speck et Elliott proposent la définition suivante : « la perception de l'encombrement c'est la croyance d'un individu que le nombre de publicités sur un media donné est excessif ». Ils confirment le postulat de L. Ha, en prouvant que l'encombrement publicitaire dépend de la perception du consommateur, de l'impression personnelle de celui-ci d'être surexposé aux contenus publicitaires, et non du seul fait du nombre de spots auxquels il est exposé.

En 2008, Kim McCann et Louisa Ha confirment que « la perception d'encombrement publicitaire est subjective et dépend du degré d'acceptation du consommateur ». Par ailleurs, elles proposent une vision systémique de la perception de l'encombrement publicitaire avec un modèle intégratif des différentes approches : structurelle, culturelle et « information processing » (cognitive) - détaillé ci-dessous.

Figure 1 : Modèle d'encombrement publicitaire perçu (source : Ha et McCann, 2008)

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1.4.2. L'intrusion : l'espace personnel et la vie privée menacés

Le concept d'intrusion est également ardu à définir, tant il emprunte à des disciplines différentes. Psychologie, sociologie, neurosciences et enfin marketing, la notion centrale et qui semble commune à ces différents axes d'étude, est la notion d'espace.

La définition « universelle » de l'intrusion, donnée par le dictionnaire Larousse, est la suivante : l'intrusion est le « fait de s'introduire de façon inopportune dans un milieu sans y être invité ». En l'occurrence, le milieu dans lequel la publicité s'invite de façon inopportune est l'espace personnel du consommateur. Une vision qui rejoint celle de Sturges qui en 2002 décrit l'intrusion publicitaire comme « l'invasion de la solitude de l'individu, c'est-à-dire comme l'invasion d'un espace personnel dans lequel il doit être laissé tranquille ». Ces définitions sont générales et peuvent se transposer dans les différents domaines que ce sujet a mobilisés.

Au-delà du concept « partiel » évoqué par Louisa Ha (1998), l'intrusion s'évalue donc selon trois aspects principaux : la notion d'espace personnel, la notion de perte de contrôle, et le non-respect de la vie privée.

La notion d'espace personnel est centrale dans la compréhension de l'intrusion - qu'elle soit publicitaire ou non. Les recherches sur ce domaine sont bien évidemment

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très variées et recoupent nombre de disciplines différentes, de l'éthologie à la sociologie, en passant bien évidemment par la psychologie.

C'est dans le domaine de l'éthologie, l'étude des animaux et de leurs comportements, que ce concept est d'abord étudié ; l'idée d'un espace personnel pour l'animal qu'est l'Homme va être largement inspirée par les découvertes des éthologues.

La notion d'espace personnel va tout d'abord être considérée pour sa dimension matérielle ; Sommer (1969) le définit comme un espace « destiné à se protéger » et Morval (1995) met même en parallèle le territoire et l'espace personnel, qu'il considère comme un « espace de défense et de régulation de l'intimité ».

Mais les théoriciens de l'espace personnel ne s'arrêtent pas là puisqu'ils lui découvrent une dimension immatérielle, qui présente un intérêt nouveau pour la communication et le marketing. Les travaux de Hall (1971) sur la proxémie et les distances interpersonnelles viennent également compléter la littérature sur le sujet, en démontrant que « l'importance de la distance réside dans sa perception par l'individu et non dans sa valeur physique réelle ». L'espace personnel n'est donc pas juste un espace physique défini autour de l'individu, mais dépend de la perception de celui-ci. Hall ajoute d'ailleurs que le non-respect de l'espace personnel d'un individu crée chez lui « un malaise ». Mais c'est finalement Codol (1985) qui fournit la définition la plus complète de l'espace personnel, en y intégrant les deux dimensions identifiées : pour lui, l'espace personnel est une « portion de l'espace physique, domaine aux frontières invisibles, entourant chaque individu et, d'une certaine façon, interdit à autrui. La constitution de cet espace, sa défense par chacun, le fait qu'il soit socialement reconnu dans le cadre d'une culture donnée, sa dépendance à l'égard de nombreux facteurs psychologiques et sociaux, etc., font à coup sûr de l'espace personnel non seulement un espace physique, mais aussi (et surtout) un espace psychosocial ».

Or, un individu face à son écran va se trouver à moins de 2m de celui-ci et en interagissant avec lui, va l'intégrer à son espace personnel en quelque sorte. C'est précisément une des raisons pour lesquelles un individu peut trouver un contenu intrusif. Laure Perraud (2013) a récemment proposé la définition suivante de l'intrusion perçue : « une perception négative d'un individu causée par le non-respect

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de ce qu'il considère comme son propre espace », rejoignant encore une fois l'idée d'une invasion de l'espace personnel.

Un deuxième principe vient compléter l'idée d'invasion de l'espace personnel du consommateur : celle de la perte de contrôle de celui-ci sur les actions qu'il a entrepris. La multiplication des moyens techniques, notamment grâce à la démocratisation d'Internet et du Web mobile, a permis à de nouvelles formes de publicité d'émerger, perçues comme plus ou moins intrusives par les consommateurs en fonction de leur forme. Les pop-up (fenêtre de pub qui s'ouvrent sur les sites web, indépendamment de la volonté de l'utilisateur) sont un exemple de publicité considérée comme particulièrement intrusive tandis que les bannières immobiles semblent plus facilement acceptées par les internautes (Hérault 2010).

Ce principe a été utilisé dans nombre de recherches sur l'influence du contrôle perçu par le consommateur. En 1977 déjà, Sherrod et plusieurs de ses collaborateurs élaborent la théorie suivante : « un individu exposé à un environnement désagréable et qu'il ne peut contrôler adopte des réponses comportementales négatives ». Cette théorie sera reprise et complétée par plusieurs auteurs, notamment Stewart et Pavlou qui en 2002, confirment que « la perte de contrôle perçue par le consommateur pourrait être la cause de la perception de l'intrusion ».

La perte de contrôle de l'individu sur la tâche entreprise passe par deux voies : l'interruption de la tâche en cours et le caractère forcé de la publicité.

En 1999, Zijlstra, Leonara et Krediet parviennent à identifier et démontrer un effet négatif sur les émotions lorsque la tâche du consommateur est interrompue, ce qui d'après eux « nécessite de faire des efforts cognitifs supplémentaires pour l'internaute ». Autrement dit, un consommateur perturbé dans la tâche envisagée (recherche sur internet, lecture d'articles, accès à des applications mobile...), pourra potentiellement considérer la publicité qui l'interrompt sans qu'il le veuille comme intrusive.

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Il est à noter également qu'une publicité qui survient alors que l'individu ne s'y attend pas va être considérée comme intrusive (Sheehan et Hoy, 1999), sous-entendant encore une fois cette idée d'interruption.

Par ailleurs, au-delà de l'interrompre dans sa tâche, le caractère forcé de la publicité va également avoir un impact sur le niveau d'intrusion perçue.

Effectivement, de nouveaux types de diffusions publicitaires sont apparues ces dernières années, notamment sur les médias en ligne : il n'est plus rare aujourd'hui de devoir regarder une publicité avant - voire parfois pendant - que l'on regarde une vidéo par exemple. Le concept se retrouve d'ailleurs sur divers sites : vidéo à la demande (type Netflix ou Canalplay) ou contenu en ligne (Youtube, Dailymotion...). Certains sites, attachés à la publicité comme voie de financement de leur activité, vont jusqu'à mettre la publicité en pause lorsque l'internaute change de page dans une démarche d'évitement. Des pratiques dont j'ai pu observer l'effet - plutôt négatif a priori - sur mon entourage et qui a d'ailleurs largement contribué à éveiller mon intérêt pour cette problématique.

Les contenus vidéo ne sont bien sûr qu'un exemple parmi d'autres, mais la situation illustre parfaitement le caractère « obligatoire » de la publicité dans certains cas. Pourtant, alors que ce type de diffusion publicitaire n'en était qu'à ses balbutiements, Li et Leckenbi (2004) avaient déjà identifié le caractère forcé d'une publicité comme source d'intrusion perçue pour le consommateur. En effet, même si l'internaute s'attend à trouver des publicités en ligne, celles-ci revêtent un aspect particulièrement intrusif lorsqu'elles l'empêchent d'accéder à son contenu (Cho et Cheon, 2004).

Enfin, la troisième et dernière dimension que l'état de l'art a permis d'identifier dans l'intrusion publicitaire est celle de non-respect de la vie privée. Une question d'autant plus pertinente que l'explosion du Big Data (données sur les internautes collectées en masse et exploitées par des algorithmes afin d'apporter une meilleure connaissance des consommateurs) permet de nouvelles démarches marketing : la publicité ciblée en ligne en est l'exemple le plus parlant. Qui n'a jamais vu les

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chaussures qu'il avait consulté sur un site marchand, réapparaitre comme par magie sur une autre page web ou sur les réseaux sociaux ?

Or, nous l'avons vu plus tôt, il se trouve que les consommateurs ont pris conscience des mécanismes utilisés par les annonceurs pour les cibler et ils sont « sensibles à la nature des informations que les entreprises collectent sur leurs clients (ou prospects) et au degré de contrôle dont ils disposent sur l'utilisation de ces données » (Phelps, Nowak et Ferrell, 2000). Sipior et Ward (1995) avaient d'ailleurs déjà établi un lien entre intrusion publicitaire et « immixtion dans la vie privée ». D'autres recherches vont par la suite corroborer ce lien entre intrusion perçue et vie privée et lui redonner une importance nouvelle en mettant en avant le fait que « l'intrusion serait d'autant plus forte que la publicité aurait la capacité de s'introduire dans la vie des consommateurs » (Teeter et Loving, 2001).

On peut donc conclure sur le concept d'intrusion qu'il est multidimensionnel et se caractérise par les trois aspects suivants :

- l'invasion de l'espace personnel de l'individu

- la perte de contrôle perçue par l'individu

- le non-respect de sa vie privée perçue par l'individu

Comme pour l'encombrement publicitaire, l'intrusion va être interprétée différemment selon le consommateur et le contexte dans lequel il agit.

On retrouve, encore une fois, la notion de perception individuelle, qui vient compléter les théories cognitivistes : certains chercheurs ont ainsi prouvé que selon les différents individus sollicités, une publicité pouvait être considérée ou non comme intrusive « à cause de son contenu » (Morimoto et Chang, 2006).

La perception est « un processus qui permet à l'individu de prendre conscience de son environnement et de l'interpréter » (Dussart, 1983). C'est ce concept de perception qui est à mettre en parallèle avec les approches culturelles de la consommation et justifie le recours au moins partiel à des techniques d'études qualitatives. Pour Edward et consorts (2002), il est nécessaire de « replacer l'individu dans un environnement avec lequel il interagit, en prenant en compte les objectifs poursuivis ». Dans cette optique, les notions de perte de contrôle perçue par le consommateur prennent tout leur sens,

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puisque la publicité peut comme nous l'avons vu interrompre la tâche de l'individu (les objectifs poursuivis) sans qu'il puisse le contrôler (par son caractère forcé, la publicité prend le contrôle de l'environnement avec lequel l'individu interagit).

Derbaix et al. (2000) réconcilient les deux théories en affirmant que la perception dépendra à la fois « des caractéristiques intrinsèques des stimuli » (dimension physique de la publicité) mais également du « contexte dans lequel ils sont présentés » ainsi que du vécu et des attentes de l'individu qui perçoit. Par la suite, Morimoto et Chang (2006) définissent l'intrusion perçue comme « la mesure dans laquelle une communication marketing indésirable interfère, d'une part, avec le processus cognitif de la personne et les tâches que celle-ci s'est fixées, et, d'autre part, avec le contenu du média ».

Une vision multidimensionnelle qui évoque fortement le modèle intégratif proposé par Louisa Ha et Kim McCann (2008) pour l'encombrement publicitaire perçu ; c'est la raison pour laquelle nous nous inspirerons de ce modèle pour proposer la représentation suivante - faute de trouver un modèle similaire pour l'intrusion publicitaire perçue dans la littérature existante.

Figure 2 : Modèle de l'intrusion publicitaire perçue (auteur : Melissa Ferdi, 2019)

Cette figure synthétise les travaux de Li et Leckenby (2004), Morimoto et Chang (2006), Sipior et Ward (1995), Teeter et Loving (2001), Phelps, Nowak et Ferrell

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(2000), Sheehan et Hoy (1999), Sturges (2002), Zijlstra, Leonara et Krediet, (1999), Stewart et Pavlou (2002), Sherrod et al.(1977), Derbaix et al. (2000).

Il a pour ambition, en s'inspirant de ses travaux précédents et du modèle établi par Louisa Ha, de compléter la compréhension générale de l'intrusion d'une part, et de clarifier les deux concepts clés de la saturation publicitaire (encombrement et intrusion) afin d'en étudier les différents aspects et conséquences au chapitre suivant.

1.4.3. La saturation publicitaire et ses conséquences sur le consommateur : des biais inconscients aux réactions conscientes d'un consommateur devenu résistant

Les théories de la saturation publicitaire inspirent toujours nombre de chercheurs sans toutefois parvenir à une vision consensuelle auprès de la communauté marketing. Deux écoles émergent clairement à travers les différentes études menées ces cinquante dernières années, depuis l'avènement de la persuasion publicitaire et les nombreux travaux qu'elle a inspiré :

- Une école dite de la publicité « informative », portée par des chercheurs comme Ekelend et Saurman (1988) et auparavant déja Telser (1978), qui considère la publicité et les médias publicitaires comme facilitant l'accès des consommateurs à l'information, lui évitant des recherches fastidieuses ;

- Une école dite de la publicité « persuasive », portant un regard bien plus négatif sur les effets de la publicité en l'accusant de manipuler, de tromper les consommateurs - un véritable « gaspillage de ressources sociales » selon Kessides (1986).

Ces deux visions diamétralement opposées des effets de la publicité divergent sur un point essentiel : la valeur d'utilité conférée à la publicité (Ha et Litman, 1997). A qui profite la publicité ? Aux marques, aux distributeurs, voire aux publicitaires ? Ou aux consommateurs ?

Les effets de la saturation publicitaire sont, logiquement, nombreux et multidimensionnels ; encore une fois les chercheurs en marketing ont exploré le problème sous différents angles :

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- Pour certains d'entre eux, l'encombrement va constituer un biais cognitif qui va limiter la mémorisation du produit et/ou de la marque ; on retrouve l'idée de saturation cognitive dans laquelle le consommateur, submergé d'informations constamment, ne parvient plus à intégrer les messages publicitaires efficacement.

- D'autres chercheurs se sont concentrés sur les comportements conscients développés par les consommateurs pour « contrer » les flux publicitaires leur parvenant. Ceux-ci développeraient des stratégies de résistance et d'évitement afin de se prémunir d'une publicité alors considérée comme clairement indésirable ;

- Enfin, certains chercheurs ont mis en exergue des comportements de consommateurs bien plus dangereux pour l'entreprise que la simple résistance ou l'évitement des publicités : la formation d'attitudes négatives à l'égard de la marque, du produit voire du vecteur de communication (rejet des sites considérés comme encombrés par exemple) et même du marché en général.

Les chapitres suivants s'attachent à mieux expliciter ces différentes conséquences identifiées par les chercheurs en marketing à la saturation publicitaire dans un contexte ayant intégré la technologie numérique dans le quotidien des consommateurs (web et mobile).

1.4.3.1. Les réponses inconscientes du consommateur face à la saturation

publicitaire : attention, mémorisation et différenciation rendus impossibles par l'encombrement publicitaire ?

Comme souvent, ce sont les conséquences cognitives de la surexposition publicitaire qui ont d'abord été étudiées.

En 1979, Webb mène plusieurs expérimentations et établit que l'encombrement publicitaire « affecte négativement l'attention et la mémorisation » du consommateur ; une théorie qui va être également appuyée par d'autres chercheurs par la suite (Rotfeld 2006). Il s'agit alors d'une sorte de constat qui va servir de postulat à d'autres études, dont l'intérêt est de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents de ce lien négatif établi par Webb (1979) entre encombrement publicitaire, attention et mémorisation du message.

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La mémorisation serait affectée, pour certains, par la « limitation des capacités cognitives du consommateur » face à un trop grand nombre de contenus (Mord et Gilson, 1985 ; Ray et Webb, 1986). Une idée que l'on retrouve dans les travaux de Maazoul, Khalbous et Chandon (2012), qui explicitent cette limitation des capacités cognitives en évoquant un phénomène de saturation intellectuelle : la présence d'un trop grand nombre de spots va réduire la capacité du consommateur à les mémoriser, comme un logiciel qui ne parviendrait pas à analyser une trop grande quantité d'informations reçues.

Pour d'autres chercheurs, c'est avant tout la similarité des annonces qui va limiter le processus cognitif de l'individu. Plusieurs études et expérimentations ont permis d'identifier la similarité entre les publicités diffusées comme facteur d'inhibition de la mémorisation du nom de marque (Burk et Srull, 1988; Keller, 1991 ; Kent, 1993). Malaviya, Meyers-Levy et Sternthal (1999) confirment que la présence de publicités de marques concurrentes « réduit les capacités de traitement cognitives de l'individu et son attention » mais ils introduisent également la notion de « confusion des caractéristiques particulières de chaque marque » : face à un trop grand nombre de publicités (dimension physique), le consommateur ne serait plus capable de différencier les marques. Maazoul, Khalbous et Chandon (2012) reprennent le concept de confusion et montrent également que le processus cognitif du consommateur peut même être perturbé en présence de publicités « pour des produits similaires ».

On comprend à quel point l'encombrement publicitaire peut avoir des conséquences négatives sur l'efficacité des campagnes de communication menées par les marques (Anand et Sternthal, 1990 ; Laroche, Cleveland et Maravelakis, 2006) simplement par la perturbation du processus cognitif qu'elle engendre chez le consommateur soumis à ces stimuli. Mais cela souligne surtout la nécessité de soigner le media-planning en s'assurant de planifier la publicité concernée si possible à distance des publicités des concurrents pour favoriser la différenciation entre les marques et/ ou les produits (Pomerantz, 1981).

La saturation publicitaire va donc sérieusement dégrader l'efficacité du message, mais il s'agit encore ici d'effets inconscients pour le consommateur puisque cela affecte ses capacités cognitives sans forcément provoquer de phénomène d'irritation. En revanche, un consommateur que la saturation publicitaire va irriter risque de

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développer des comportements de rejets tout à fait conscients et bien plus dommageables pour les marques.

1.4.3.2. Les réponses conscientes du consommateur face à la saturation

publicitaire : de la formation d'attitudes négatives aux stratégies de résistance

Nous avons vu que la saturation publicitaire peut interférer avec le processus cognitif de l'individu en dégradant ses capacités à mémoriser, mais aussi différencier les produits et les marques, sans même que celui-ci s'en aperçoive. Cela représente un véritable biais d'efficacité des campagnes de communication. Cependant, le consommateur peut aussi élaborer des réponses conscientes de rejet dans un contexte de persuasion publicitaire, comme l'irritation, la résistance ou encore l'évitement.

Pour Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010), une intensité publicitaire perçue comme excessive et une perte de contrôle perçue sont, au même titre que le contenu de l'annonce, des sources d'irritation pour le consommateur.

Une publicité est irritante lorsqu'elle « engendre du déplaisir ou de l'impatience momentanée » (Aaker and Bruzzone, 1985). Une définition qui sera avérée dans le contexte de la publicité sur internet grâce à De Pelsmacker et Van den Bergh (1998), qui montre qu'un consommateur qui ne maîtrise plus son environnement à cause des pop-up sera dans une situation d'irritation.

Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010) présentent le phénomène d'irritation comme une conséquence directe de l'intrusion publicitaire. Ils précisent cependant que l'irritation ne va pas forcément entraîner une situation de résistance, mais qu'un effet cumulatif - autrement dit l'encombrement perçu - peut devenir un déclencheur de ce type de comportement chez le consommateur. Le phénomène de résistance risque donc de s'activer chez un consommateur qui, suite à des intrusions considérées comme trop répétées, se trouve dans une situation d'intrusion et d'encombrement publicitaires perçus.

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L'un des premiers effets perceptibles de la saturation publicitaire, identifié à travers la littérature existante, est la formation d'attitudes négatives chez le consommateur. Dès 1983, Krugman relie la formation d'attitudes négatives et les comportements d'évitement à l'interruption de la tâche du consommateur par une annonce.

On sait par ailleurs que les réactions affectives peuvent influencer l'attitude du consommateur « envers la publicité ou le produit » (Batra et Ray, 1986 ; Derbaix, 1995) et que même l'attitude envers l'annonce est une « variable médiatrice » de l'attitude envers la marque (Edell et Burke, 1987 ; Derbaix, 1995).

Hérault (1999 ; 2006) démontre d'ailleurs qu'un contexte de persuasion publicitaire peut effectivement pousser le consommateur à « développer des attitudes négatives à l'égard de la marque ou du média qui véhicule la publicité ». Les travaux de Laure Perraud (2013) sur les différents types de formats publicitaires sur Internet confirment le rôle direct de l'intrusion perçue dans la formation d'attitudes négatives à l'égard de la marque, du produit ou du site ; ces recherches mettent également en avant un lien causal entre attitude négative et comportements de résistance et d'évitement chez le consommateur.

Enfin, il est intéressant de noter qu'un consommateur est d'autant plus résistant « si son attitude a priori envers la marque ou le produit est forte » (Haugtvedt et al., 1992 ; Petty et Krosnick, 1995). Autrement dit, la sensation d'être agressé par une publicité d'une marque identifiée et initialement cible d'une attitude négative par le consommateur, risque non seulement d'aggraver l'attitude négative du consommateur envers la marque mais également de le rendre encore plus résistant qu'il ne serait normalement disposé à l'être.

Il arrive que le consommateur développe des stratégies et des comportements en rejet de la surexposition publicitaire qu'il a l'impression de subir. Roux (2006) indique que la plupart des consommateurs (par extension, la plupart des individus soumis à du contenu publicitaire) va « développer des comportements de résistance » plus ou moins importants. De plus, Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2008 ; 2009) démontrent que la résistance à la publicité est directement liée à l'impression du consommateur d'être « envahi par la publicité ».

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Parce qu'elle représente pour une majorité de consommateurs l'expression la plus concrète des actions marketing menées par les firmes, la publicité génère nombre de « comportements de résistance, clairement exprimés ou non » (Kozinets et Handelman, 2004). Eagly et Chaiken (1993) ont également démontré que « toute tentative de persuasion qui est décodée comme pouvant déstabiliser l'équilibre du système entraîne une résistance ».

De plus, les travaux de Campbell (1995) montrent que les jeunes générations sont de plus en plus méfiantes à l'égard de la publicité, ce qui risque encore d'aggraver les comportements de résistance.

Le concept de résistance est encore une fois complexe à définir. Knowles et Linn (2004) soulignent cet état de fait et présentent la résistance comme « une notion au noyau net et aux contours flous ».

Sherman et al. (2004) proposent la définition suivante : « la résistance (à la persuasion) se définit comme une réponse d'un individu qui tente d'éliminer ou de réduire l'impact d'une communication persuasive ». La résistance, substantiellement, c'est donc une des réactions du consommateur exposé à du contenu publicitaire pour faire face à l'effort de persuasion initié par une marque à son encontre.

D'après les travaux de Roux (2004), la résistance s'articule autour de deux dimensions, entre lesquels existe un lien de causalité :

- L'état motivationnel, autrement dit « ce qui pousse le consommateur à s'opposer à des pratiques, des logiques ou des discours marchands jugés dissonants »

- Les manifestations de la résistance, qui sont les « réponses déclenchées par l'état motivationnel ».

Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2008) évoquent aussi une dimension cognitive qui reposerait sur « le lien entre les attitudes et ses autres cognitions ».

Les recherches de Roux (2006) permettent d'en savoir plus sur les facteurs sources de résistance chez le consommateur en mettant en exergue les éléments

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suivants, qui sont effectivement à la fois liés aux prédispositions de l'individu (état
motivationnel) et à ses réactions dans un contexte de persuasion (les manifestations) :

- la volonté d'expression libertaire : le consommateur revendique sa liberté et se réapproprie les discours publicitaires (Thompson et Haytko, 1997 ; Marion, 2003)

- l'engagement citoyen : le consommateur rejette « l'hégémonie de la société de consommation », qu'il relie à la publicité (Cherrier, 2008)

- la volonté de sanctionner le comportement des firmes jugées non-éthiques : le consommateur peut rejeter une publicité s'il juge une entreprise peu morale (Gabriel et Lang, 1999)

On retrouve dans ces facteurs de résistance nombre de caractéristiques du consommateur post-moderne, conscient du jeu de pouvoir avec les entreprises, remettant en cause la société de consommation, etc. Les sources de résistance risquent donc d'être déjà exacerbées de par les évolutions générationnelles et plus « faciles à activer », justifiant l'intérêt des recherches visant à mieux les comprendre.

Quatre éléments permettent d'appréhender l'entrée en situation de résistance chez les consommateurs face à la persuasion publicitaire : la réactance, la méfiance, la vigilance et l'inertie (Knowles et Linn, 2004).

- La réactance est « l'état motivationnel d'une personne dont la liberté est supprimée ou menacée de l'être » (Brehm, 1966 ; Clee et Wicklung, 1980). Elle est associée à la dimension affective et motivationnelle de la résistance (Cottet, Ferrandi et Lichtlé, 2008). Roux évoque d'ailleurs dès 2004 le concept de réactance comme une « variable modératrice » de la résistance.

- La méfiance est liée au soupçon du consommateur face à une communication visant à modifier ses attitudes initiales (Cottet, Ferrandi et Lichtlé, 2008). Elle est associée aux dimensions affectives et cognitives du processus de résistance.

- La vigilance suppose que le consommateur est conscient de la tentative d'influence exercée sur lui par la publicité. (Cottet, Ferrandi et Lichtlé, 2008). Sa manifestation est conditionnée à la perception d'une situation d'influence par le consommateur. Elle est associée à la dimension cognitive de la résistance. Roux

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(2004) considère cependant que la vigilance est une conséquence de la résistance et non une composante de celle-ci.

- L'inertie, décrite par Roux (2004) également comme une résultante de la résistance, désigne le comportement de refus du consommateur d'agir face à une tentative d'incitation au changement. Il ne procède pas à ce changement et entre donc en situation d'inertie.

Elliott et Speck (1997 ; 1998) mettent en avant l'effet de la persuasion publicitaire sur l'émergence d'un autre comportement chez le consommateur agacé par une publicité considérée comme excessive : l'évitement.

D'après eux, l'évitement se définit comme « toute action choisie par les utilisateurs des médias qui réduisent leur exposition à la publicité ». Ils décrivent également trois types de procédés qui traduisent l'évitement :

- Un procédé cognitif, qui consiste à ignorer l'annonce, ne pas la regarder

- Un procédé comportemental, qui consiste à entamer un changement d'activité pendant le déroulement de l'annonce (changement de pièce, réduction du volume, discussion avec une autre personne...)

- Un procédé mécanique, qui se manifeste par l'action de zapper l'annonce

Cho et Cheon (2004) identifient également trois antécédents à l'évitement : l'interruption de la tâche, l'envahissement publicitaire perçu et les expériences antérieures négatives. Avec l'idée de la tâche interrompue et la perception d'encombrement publicitaire, on retrouve les caractéristiques de l'intrusion et de l'encombrement. On peut donc en déduire que les comportements d'évitement résultent effectivement de la saturation publicitaire.

Pour Cottet, Ferrandi et Lichtlé (2010), l'intrusion publicitaire est même clairement un antécédent de l'évitement. Enfin, d'autres travaux indiquent que l'évitement est une conséquence de l'attitude envers la publicité (Kelly, Kerr et Drennan, 2010).

Afin de conclure ce chapitre, la figure suivante ambitionne de représenter graphiquement un résumé des différentes conséquences de la saturation publicitaire

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que la revue de littérature (et donc l'ensemble des auteurs étudiés) a permis d'identifier.

Figure 3 : Les conséquences de la saturation publicitaire chez le consommateur (auteur : Melissa Ferdi, 2019)

1.5. CONCLUSION DE LA REVUE DE LITTERATURE

La première partie de la revue de littérature a permis de montrer l'évolution rapide de la publicité : d'une part un marché qui s'est rapidement développé, qui a su tirer profit des innovations technologiques, et d'autre part des consommateurs de plus en plus connectés. Tout ceci amène au constat suivant : les points de contact entre les marques et les consommateurs se sont multipliés au cours du siècle dernier, avec une nette explosion de l'exposition ces dernières décennies.

La seconde partie s'est attachée à expliciter la façon dont le consommateur a également évolué dans ce contexte de progrès technique accéléré, comment il a pris un rôle plus actif dans sa consommation, à la fois dans sa relation aux marques et à la publicité.

La troisième partie a enfin permis d'explorer et de clarifier les deux concepts centraux de la saturation publicitaire que sont l'encombrement et l'intrusion, ainsi que leurs différentes conséquences sur le comportement du consommateur. Nous avons par ailleurs synthétisé chacun de ces concepts, tantôt par un modèle précédemment établi (modèle de l'encombrement publicitaire perçu de Louisa Ha), tantôt par des modèles synthétiques originaux basés sur les travaux des différents auteurs étudiés au cours de la recherche conceptuelle (modèle de l'intrusion publicitaire perçue et modèle des conséquences de la saturation publicitaire sur le comportement du consommateur). Ils sont à nouveau présentés ci-dessous :

- Modèle de l'encombrement publicitaire perçu - Louisa Ha

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- Modèle de l'intrusion publicitaire perçue - synthèse originale des travaux étudiés dans la revue de littérature, basé sur le modèle de Louisa Ha et enrichi des différents concepts :

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- Modèle des conséquences de la saturation publicitaire sur le comportement du consommateur - synthèse originale des travaux étudiés dans la revue de littérature :

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera