WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

D'une montagne l'autre: faire école dans les Alpes. Comparaison franco-suisse des expériences scolaires en milieu alpin (1880-1918)


par Lucas BOUGUEREAU
EHESS - Master 2 Histoire, parcours sciences sociales 2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE 3. Pratiquer l'école dans les Alpes suisses et

françaises

Nous avons jusqu'ici beaucoup insisté sur l'inscription de l'école dans un milieu, le milieu montagnard qui crée des expériences scolaires différenciées des autres milieux120 . Évidemment, les politiques scolaires françaises et suisses diffèrent et l'école des Alpes n'est pas la même des deux côtés de la frontière. Toutefois, en privilégiant les caractéristiques géographiques communes, nous avons essayé par-là de transgresser le cadre d'analyse national, quasiment naturalisé dans les études en histoire de l'éducation. Combiner approche spatiale et histoire de l'éducation permet de dégager l'école de son uniformité nationale supposée, en privilégiant une analyse microhistorique, proche des acteurs locaux et dégageant des défis propres aux écoles alpines. Toutefois, le milieu géographique n'entraîne jamais une détermination complète des pratiques et des représentations. Nous envisageons la montagne dans une perspective constructiviste, comme un fait social construit comme le proposent Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz121. Roger Chartier a quant à lui beaucoup insisté sur la fécondité du concept de représentation, donnant comme tâche à l'histoire de « reconnaître la manière dont les acteurs donnent sens à leurs pratiques et à leurs discours »122. Et dans le domaine des représentations, il faut en premier lieu rendre justice aux décisions politiques qui donnent un cadre de référence et des moyens concrets aux acteurs scolaires pour justifier leurs pratiques - le rapport à l'école n'est pas le même en Haute-Savoie et en Valais. Ajoutons néanmoins que ces pratiques, si elles ne sont pas totalement déterminées par le milieu géographique, ne le sont pas non plus par le niveau macro-politique, mais plutôt par une combinaison des deux, dans un processus « d'appropriation de leurs univers par les êtres humains »123 . Il existe des interstices entre normes nationales et pratiques locales, souvent justifiées, comme nous le verrons, par des références au milieu de montagne, mais de manière

120 Principalement villes ou plaines mais l'on pourrait penser à d'autres comme le milieu côtier.

121 Bernard DEBARBIEUX, Gilles RUDAZ, Les faiseurs de montagne, Paris, CNRS, 2013, p. 8-9.

122 Roger CHARTIER, Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998, p.

96.

123 Principe au coeur de l'histoire du quotidien allemande portée par Alf LÜDTKE (dir), Histoire du Quotidien, op. cit, p. 7.

44

différenciée en France et en Suisse. Ces justifications découlent d'une perception par les acteurs d'un espace vécu124. L'anthropologue américain Tim Ingold rappelait très justement que nous sommes « des êtres à l'intérieur du monde »125.

A] Des écoles valaisannes à temporalité variable

Sur toute la période étudiée, les écoles valaisannes n'ont pas la même rythme annuel qu'elles soient placées en montagne, en plaine ou en ville. En 1906, le chanoine de Cocatrix, fait une rétrospective sur l'évolution de l'enseignement valaisan sur la période 1886-1906. Il constate que l'année scolaire dans les écoles valaisannes ne dure que rarement plus de 6 mois car la plupart sont des écoles de montagne126. Il explique ainsi les difficultés inhérentes au développement de l'enseignement primaire dans le canton en s'appuyant sur des contraintes liées à l'environnement alpin: « qui juge de notre situation en la comparant avec celle d'une grande ville ou même simplement d'un canton du Jura ou du Plateau est porté à se tromper grandement » car « dans un grand nombre de communes, par suite de conditions topographiques et économiques, l'enfant du Valais ne trouve pas, dans l'intérêt de son développement intellectuel, toutes les facilités qui se présentent à chaque pas au petit citadin ou à l'agriculteur de Soleure ou de Fribourg »127. Les mots choisis par le chanoine sont lourds de sens, il place la campagne agricole et la ville sur le même plan, en distinguant pleinement la montagne, présentée comme une spécificité valaisanne. Or, bien que le canton soit le plus haut en altitude moyenne (2140 mètres), de nombreux cantons comme ceux des Grisons (2021 mètres) ou d'Uri (1896 mètres) ont un environnement montagneux similaire et pourtant, comme le reconnaît lui-même le chanoine, les écoles y durent en général 10 mois128. Cocatrix oublie également qu'au sein du Valais même, il existe des plaines agricoles dans la vallée du Rhône et des villes de taille respectables (Sion ou Martigny) dont l'année scolaire dure entre 7 et 9 mois. La confusion entre montagne et Valais, la mise à distance des plaines et des villes du canton rendent bien compte de l'importance du milieu montagnard dans les représentations que se font

124 Concept porté par Armand FREMONT, La région, espace vécu, Paris, Flammarion, 1999 [1976].

125 Tim INGOLD, « Culture, nature et environnement », Tracés. Revue de Sciences humaines, n°22, 2012, p. 169187, p. 180.

126 AEV, 1 DIP 102bis, cahier sur les examens de recrue par le chanoine Cocatrix, 1906, p. 15.

127 Ibidem, p. 14.

128 Ibid.

45

d'eux-mêmes les valaisans. La différence des temps scolaires ne constitue pas une anomalie : elle est affirmée par les autorités et fait partie d'un règlement plus ou moins flou qui s'adapte au contexte local.

D'ailleurs, les populations semblent s'en accommoder car nous n'avons repéré aucune contestation de la part des parents d'élèves. La séance du 11 février 1908 de la commission cantonale de l'enseignement primaire rappelle que les écoles de ville ont une durée de 9 mois (mais d'autres de 8 mois), les écoles de village ont un cycle de 7 mois sauf pour les villages nomades (6 mois)129. Difficile de s'y retrouver car les règles sont souples, les écarts par rapport à la norme sont nombreux. Toutefois, rien ne va être fait pour normaliser la durée de l'année scolaire, le canton accepte ce traitement différencié comme un fait naturel lié aux conditions géographiques et aux modes de vie locaux, alors même qu'à quelques kilomètres de là, les écoles hauts-savoyardes, comme toutes les écoles françaises, ont une durée annuelle de 10 mois. Malgré les efforts déployés par le canton pour améliorer son offre scolaire, la question de la durée l'année scolaire va rester inchangée, exemple en est donné dans L'école primaire en 1917 : « nos écoles ont rouvert leurs portes, au moins dans les localités de plaine les plus importantes, car l'on n'ignore pas que c'est à la Toussaint que s'ouvre le cycle scolaire, pour nos écoles de 6 à 7 mois, assurément les plus nombreuses »130.

Une question à laquelle nous ne pouvons d'ailleurs pas répondre avec certitude est de savoir pourquoi les communes de montagne ont un traitement spécifique ? Le chanoine de Cocatrix évoque plusieurs raisons. Tout d'abord, les difficultés de déplacement des élèves dans les lieux de montagne, mais l'implantation de l'école, renforcée après les lois de 1873, 1903 et 1907 est uniformément présente sur le territoire, même dans les communes les plus isolées - bien que parfois de qualité médiocre. De plus, la scolarisation est obligatoire sous peine d'amende et les mois de fonctionnement de l'école (d'Octobre à Avril) sont parmi les mois où l'hiver rend difficiles les déplacements, pourtant, les enfants s'y rendent plus massivement que le reste de l'année. Il semble donc que l'école soit pratiquement accessible aux habitants des hameaux. Une seconde raison déjà évoquée est celle du besoin des parents de disposer de leurs enfants pour les travaux agricoles d'Avril à Octobre. Or, les économies de montagne sont plus structurées par l'activité pastorale que par l'activité agricole, et même si l'inverse était vrai, on peut se demander pourquoi les écoles de plaine - dont les populations vivent de l'agriculture - ont une durée annuelle de 7 à 8 mois ? La troisième raison avancée est la transhumance qui

129 AEV, 3 DIP 188, Protocole de la commission cantonale de l'enseignement primaire, 11 Février 1908.

130 « La famille et l'école », L'école primaire, n°9, Novembre 1917, supplément, p. 178-180, p. 178.

46

favorise l'existence d'écoles nomades, mais nous avons déjà montré que si ces écoles existent, elles restent des exceptions dans le maillage scolaire. L'argumentation déployée pour justifier la durée des écoles de montagne est géographique, elle s'inscrit dans un processus de naturalisation de la montagne comme milieu spécifique qu'il n'est pas question de contester ; alors même que ce processus est lui-aussi une construction sociale.

On comprend aisément que les expériences scolaires des enfants de montagnes diffèrent de celles des enfants des autres milieux géographiques. Le nombre important de mois de scolarisation en moins joue nécessairement sur l'instruction de ces populations. Le chanoine de Cocatrix note cependant que « pendant ce laps de temps si court, il faut, comme dans les écoles dont la durée est plus longue, remplir tout le programme sans l'alléger en rien »131. En plus de paraître difficilement possible, cette considération se heurte aux réalités locales. Après avoir consulté les rapports des inspecteurs primaires, il apparaît que la liberté dans l'application des programmes est grande pour les régents132 et les institutrices. Pour l'année scolaire 1890-1891, à l'école de garçons de la Bâtiaz (Martigny-Bâtiaz) - située dans la vallée du Rhône, proche de la ville de Martigny - étaient enseignés entre autres : 1 heure de chant, 1 heure d'arboriculture et 1h de gymnastique133, alors que l'école mixte de la Fontaine (Martigny-Combe) n'enseignait aucune des trois matières, ni d'ailleurs l'histoire nationale134. Ces différences ne semblent pas poser problème aux autorités scolaires : aucun inspecteur ne trouve à redire et la rubrique « observations générales » reste bien souvent vide. Le fait que, de ces deux écoles, l'une soit en plaine - avec une durée plus longue - et l'autre en montagne - durée plus courte - peut en partie expliquer la différence de programmes. Les écoles de montagne doivent - contrairement à ce qu'écrit de Cocatrix - se concentrer sur les matières primordiales, expliquant le délaissement du chant ou du dessin. D'autre part, l'inexistence de jardins dans les écoles de montagne rend souvent impossible la pratique de l'arboriculture de même pour la gymnastique qui souffre du manque de matériel et de locaux des écoles de hameaux - nous y reviendrons.

Mais au-delà des différences entre les écoles de montagne et de plaine, il en existe également entre les écoles de hameaux elles-mêmes, confirmant la souplesse en vigueur dans l'application des programmes. Pour l'année 1899-1900, au sein de deux écoles mixtes du même

131 AEV, 1 DIP 102bis, Cahier sur les examens de recrue par le chanoine Cocatrix, 1906, p. 15.

132 Le terme « régent » est utilisé en Valais comme synonyme d'instituteur.

133 AEV, 1 DIP 58, Rapport d'inspection de l'école de garçons de la Bâtiaz (Martigny-Bâtiaz), 22 Février 1891.

134 Ibidem, École mixte de Borgeaud (Martigny-Combes), 3 Mars 1891.

47

village - Martigny-Combes - les enseignements divergent énormément. L'institutrice Moret-Rouiller enseigne à l'école du Borgeaud, sa classe, divisée en 3 sections d'âge compte 11 élèves, elle enseigne 8 heures de lecture par semaine à la troisième section, 6 heures de calcul mental et 1 heure de géographie à la première section135. A quelques kilomètres de là, dans un autre hameau, l'institutrice Cécile Saudan enseigne dans l'école mixte du Brocard à 19 élèves regroupant également trois niveaux. En lecture, elle ne consacre que 3 heures par semaine à la troisième section et 1 heure de calcul mental à la première section. En revanche, si elle n'enseigne pas la géographie à la première section, elle en enseigne 2 heures hebdomadaires aux deuxièmes et troisièmes sections : matière absente chez sa collègue136. Les deux écoles sont visitées à trois jours d'intervalle par l'inspecteur Rouiller qui ne s'inquiète pas de ces différences et n'en donne aucune justification : il ne semble pas sommer de rendre des comptes à ses supérieurs.

Les pratiques scolaires des enseignants sont variables, dépendant largement de leur volonté et capacités propres. Dans un même village, des élèves peuvent connaître une éducation très différente qui ne semble unie que par des directives très générales, et somme toute assez floues. En plus du différentiel d'expériences entre école de la ville, école de la plaine et école de la montagne - se faisant sentir par la durée de l'année scolaire mais aussi par la différence dans les enseignements et dans le matériel - il existe de larges disparités au sein même des communes. De l'autre côté des Alpes, aucune différence aussi marquée entre les lieux scolaires, néanmoins le milieu montagnard est également au centre des justifications de certaines pratiques scolaires.

B] De la mixité scolaire

Les politiques de développement de l'éducation populaire qui fleurissent en Europe dans le dernier tiers du XIXe siècle intègrent petit à petit l'instruction des filles, jusque-là abandonnées aux congrégations religieuses. En France, si la loi Guizot de 1833 prévoyait l'obligation d'entretenir une école de garçons dans toute commune de plus de 500 habitants, c'est seulement en 1867 avec la loi Duruy que la mesure s'étend aux écoles de filles, et avec les lois Ferry que l'instruction publique des filles prend sa pleine mesure. Phénomène similaire

135 AEV, 1 DIP 85, Rapport d'inspection de l'école du Borgeaud (Martigny-Combes), 11 Avril 1900.

136 Ibidem, École du Brocard (Martigny-Combes), 14 Avril 1900.

48

en Suisse avec la loi de 1874 qui oblige leur scolarisation dans tous les cantons. Toutefois, les rôles attribués à chaque sexe divergent fortement : filles et garçons sont séparés à l'école partout où faire se peut. Dans la plupart des villes et villages existent une école de filles et une école de garçons, mais cela n'est pas vrai pour les hameaux de montagne. La dissémination des populations sur des territoires assez vastes et les difficultés de circulation hivernale ont obligé les communes à se doter d'une multitude de petites écoles pour répondre aux lois d'obligation scolaire, mais, dans ces lieux isolés, impensable de construire deux bâtiments distincts pour accueillir filles et garçons. En termes d'investissements, les dépenses seraient trop lourdes pour les communes et la faible population d'âge scolaire ne justifie pas un tel coût. Ces écoles sont donc presque toutes mixtes, filles et garçons vont s'asseoir sur les mêmes bancs dans la promiscuité de la maison-école, partageant un enseignement, une expérience scolaire par beaucoup de points similaires, entorse majeure à la division des sexes en vigueur.

En France, la situation semble être acceptée sans trop de problème, aucune plainte des parents ou volonté de changement de la part de l'administration n'est enregistrée sur la période. Dans la commune de Chamonix, seul le hameau de Montquart aura deux classes distinctes à partir de 1882, mais l'inspecteur primaire appuie la demande de la commune en invoquant l'augmentation récente de la population scolaire et jamais en se référant à l'anomalie du mélange des deux sexes137 - l'école redeviendra d'ailleurs mixte en 1910. Dans toutes les communes de montagne, les écoles mixtes sont monnaie courante, il en existe à Chamonix, mais aussi aux Houches, à Saint-Gervais, ou à Vallorcine et environ 40 sur le département de la Haute-Savoie en 1907138. Il faut toutefois noter que cet état de fait, s'il est exacerbé par le milieu montagnard, ne lui est pas spécifique : il existe également des classes mixtes dans des petits villages de France rurale hors-Alpes139.

Pourtant, une autre caractéristique de ces écoles est particulière au milieu alpin. La loi Goblet du 30 Octobre 1886 prévoit que les écoles mixtes soient dirigées par des institutrices, difficile en théorie qu'un instituteur puisse enseigner à des jeunes filles. Le texte prévoit tout de même une possibilité de contournement en indiquant que « le conseil départemental, peut, à titre provisoire, et par une décision toujours révocable : 1° permettre un instituteur de diriger une école mixte, à la condition qu'il lui soit adjoint une maîtresse de travaux de couture ; 2°

137ADHS, 1 T 418, Lettre de l'inspecteur primaire à l'inspecteur d'académie concernant le dédoublement de l'école de Montquart, 17 Novembre 1882.

138 ADHS, 1 T 87, « Écoles mixtes : enquêtes concernant la direction », 1907.

139 Odile ROYNETTE, « La mixité, une révolution en danger ? », L'histoire, n°455, 2019, p. 12-19.

49

autoriser des dérogations aux restrictions du second paragraphe du présent article ». C'est en s'appuyant sur cette seconde clause que les communes de montagne vont renverser la norme établie de la direction des classes mixtes par des institutrices, tout en réifiant les frontières morales de distinction des sexes. La commune de Saint-Gervais va demander, année après année, le maintien d'instituteurs à la tête de ses 5 écoles de hameaux, évoquant que celles-ci « sont de trop hautes altitudes pour être dirigées par une institutrice qui en hiver rencontre souvent des impossibilités de communication ou même des moyens d'alimentation. Que les autres écoles mixtes sont trop nombreuses pour qu'une institutrice souvent jeune et toujours d'un tempérament délicat puisse suffire à tant de fatigue. Qu'en outre, les écoles nombreuses exigent beaucoup plus de discipline qui s'obtient beaucoup plus facilement par l'autorité physique »140 . La commune voisine de Vallorcine emploie le même type de justification en « considérant que le pays [est] mauvais et plus supportable pour des instituteurs que des institutrices »141. Ces requêtes sont systématiquement acceptées et on remarque que la politique scolaire républicaine, souvent taxée d'ultra-centralisatrice, peut par certains aspects s'adapter aux situations locales comme dans le cas des classes mixtes. Dans un second temps, si la mixité scolaire est justifiée par les contraintes géographiques, elle ne signifie pas égalité de traitement entre les élèves filles et les élèves garçons. Il suffit pour s'en convaincre de regarder les rôles - eux-aussi justifiés par le milieu alpin - attribués aux instituteurs et institutrices : les secondes sont jugées trop fragiles pour supporter le climat montagnard et tenir les classes de hameaux. Il semble assuré que ce qui s'applique aux enseignants s'applique aussi aux élèves, la mixité est sûrement plus une cohabitation qu'une coopération : la loi prévoit une séparation des sexes par une cloison et la séparation dans les cours de récréation - en réalité peu applicable142. Dans la micro-sociabilité hivernale des hameaux, où un grand nombre de frères, soeurs ou cousins fréquentent la même classe, il est évident qu'une séparation stricte relève de l'impossible. Ce qui nous pousse à dire qu'encore une fois, les expériences scolaires des populations alpines diffèrent de celles du reste du pays.

En Valais, la mixité est plus difficilement voire pas du tout acceptée - surtout au début de notre période. Un article favorable à l'école mixte paru dans L'école Primaire en 1881 fait part des vifs débats autour de cette question. L'auteur remarque que pourtant, dans toutes les écoles

140 ADHS, 1 T 87, Délibération du conseil municipal de la commune de Saint-Gervais, 8 Mars 1908.

141 Ibidem, Commune de Vallorcine, 19 Janvier 1908.

142 Odile ROYNETTE, « La mixité... », op. cit.

50

rurales du canton limitrophe de Genève la mixité est de mise et qu'elle répond à des contraintes locales autant qu'elle développe des vertus dans l'émulation des élèves143 . Dans le numéro suivant, le journal publie l'avis d'un lecteur qui s'applique à en réfuter tous les points. Dans tous les arguments déployés, les obstacles à la mixité scolaire sont de l'ordre de la morale chrétienne. Il semble impensable que les deux sexes puissent fréquenter les mêmes bancs pour le pouvoir valaisan - à gouvernement catholique conservateur durant toute la période et dont l'église a encore une forte influence sur l'instruction publique.

Pourtant, il existe des différences entre les prérogatives nationales et l'application concrète dans les milieux locaux. La mixité n'est pas une norme mais bien une nécessité ponctuelle, communes aux lieux isolés - rappelons qu'en France, la situation est similaire : il n'est pas question de généraliser l'enseignement mixte144 . Les rapports du département de l'instruction publique rapportent qu'en 1881, toutes les écoles de montagne de Martigny-Combe sont mixtes145. Pourtant dans les faits, si les deux sexes fréquentent bien la même école, ils ne la fréquentent pas toujours en même temps ! Le chanoine de Cocatrix note que jusqu'à l'instauration des soupes scolaires en 1904, les élèves des écoles de hameaux n'avaient souvent pendant l'hiver « qu'une seule classe par jour, les garçons le matin et les filles l'après-midi »146 du fait des difficultés de déplacements et de la distance des habitations vis-à-vis de l'école. Si l'on ajoute ce paramètre à la durée annuelle des écoles de montagne, on conclut que les heures de classe effectives des enfants valaisans sont très faibles et que la mixité, à l'inverse du cas français est parcellaire. Autre différence, ces écoles peuvent aussi bien être tenues par des instituteurs que des institutrices au niveau de la loi, mais c'est pourtant systématiquement des institutrices qui y enseignent. Les conditions de vie difficiles liées au climat et à l'altitude ne sont jamais évoquées pour justifier la présence d'un instituteur plutôt que son homologue féminin contrairement aux écoles haut-savoyardes, situées à quelques kilomètres seulement.

On voit donc que les écoles mixtes, si elles constituent une nécessité pratique en milieu alpin ne sont pas instituées de la même manière, ni justifiées par les mêmes arguments rhétoriques qui se basent pourtant sur les contraintes géographiques: preuve que les représentations que l'on se fait du milieu d'une part et du genre d'autre part et enfin de la

143 C.W, « Les écoles mixtes », L'école Primaire, n°4, Avril 1881, p. 33-34, p. 34.

144 Ces questions ont d'ailleurs connu de vifs débats en 1905, voir Frédéric MOLE, « 1905 : la « coéducation des sexes » en débats », Clio. Histoire femmes et sociétés, n° 18, 2003, [En ligne] http:// journals.openedition.org/clio/610 ; DOI : 10.4000/clio.610.

145 AEV, 1 DIP 29, Rapport du département de l'Instruction Publique, 1881.

146 AEV, 1 DIP 102bis, Cahier sur les examens de recrue par le chanoine Cocatrix, 1906, p. 15.

51

frontière, ne sont pas totalement superposables, même si toujours utilisées pour légitimer des pratique scolaires différenciées des autres milieux : La frontière politique constitue ici un facteur important dans la perception des Alpes.

La mixité scolaire, même incomplète, crée des expériences scolaires spécifiques qui creusent une brèche dans la distinction des sexes en vigueur dans les deux nations. Néanmoins, les élèves filles et garçons continuent théoriquement d'être séparés aux moments des enseignements de couture et de certains exercices de gymnastique - si tant est que ces enseignements peuvent bien avoir lieu.

C] La gymnastique, une oubliée de l'école montagnarde ?

La gymnastique scolaire revêt une importance croissante dans les programmes scolaires des deux pays, d'ailleurs souvent liée à la préparation des enfants-citoyens pour leur future conscription147, se parant d'un caractère moral d'apprentissage de l'obéissance, de l'ordre et du patriotisme. En France, la loi du 27 janvier 1880 rend cet enseignement obligatoire, complétée par la loi de 1890 qui prévoit au moins deux heures d'éducation physique journalières pour les enfants de moins de 10 ans et au moins trois-quarts d'heure pour les autres. En Suisse, c'est avec la loi fédérale du 16 Avril 1883 que la gymnastique devient obligatoire148. Toutefois, il est difficile de savoir si ces exercices étaient réellement pratiqués dans ces deux territoires, quelques indices laissent à penser que leur application est limitée.

Nous avons déjà évoqué la modestie des bâtiments scolaires des hameaux de montagne et ils le sont autant par leur architecture que dans leur dotation en matériel. En 1906, le ministère de l'instruction publique informe le préfet de Haute-Savoie qu'une concession de matériel a été faite à l'école de Montquart afin de pourvoir au matériel de gymnastique prévu dans la loi de 1891 - une paire d'échelles jumelles, une paire de cordes lisses, une corde lisse à lutter de dix mètres - mais depuis 15 ans, ces équipements manquaient, rendant impossible la pratique de la gymnastique avec agrès149 . Plus généralement, les demandes de matériel scolaire - qui ne

147 Jean-François CHANET, « La férule et le galon. Réflexion sur l'autorité du premier degré en France de 1830 à la guerre de 1914-1918 », Le Mouvement Social, n° 224, 2008, p. 105-122.

148 Contrairement à ce qui a été récemment écrit par Véronique CZAKA, Histoire sociale et genrée de l'éducation physique en suisse romande (milieu XIXe-début du XXe siècle), Neufchâtel, PUS, 2021, p. 31-32.

149 ADHS, 2 O 2175, Lettre du ministre de l'Instruction publique au préfet de la Haute-Savoie, 10 Février 1906.

52

relèvent pas seulement de la gymnastique - sont très nombreuses chaque année, et le préfet fait part de l'impossibilité de fournir toutes les écoles150. Les écoles de hameaux, aux marges du département, les plus inaccessibles et celles qui regroupent le moins d'élèves sont aussi les moins bien servies. Certes, l'absence ou le manque de matériel scolaire n'empêche pas les exercices physiques sans agrès, eux aussi aux programmes, mais limitent une dimension de la pratique sportive. Est-ce que d'ailleurs la gymnastique sans agrès peut être pratiquée dans ces lieux de montagne ? En tout cas, le canton du Valais l'encourage activement à partir de 1916 en proposant des cours aux instituteurs dont l'école ne dispose « ni appareils, ni salle », recommandant divers sports comme les « marches, courses, préliminaires, sauts, levers, lancers »151. Nous ne pouvons-nous empêcher de remarquer que ces activités sont des activités d'été, impraticables pendant 6 mois de l'année en montagne. En effet, le manque de cours empierrées ou de préau, interdit la pratique de la gymnastique en intérieur comme en extérieur pendant la saison hivernale. Reste la salle de classe ? L'exiguïté des lieux, composés d'une seule salle de dimension restreinte ne paraît pas propice à la pratique sportive, mais il est possible, au moins dans le cas français, que cette solution ait été privilégiée car les rapports - très consciencieux - des inspecteurs scolaires n'auraient pas manqué d'inscrire les manquements aux programmes, or, il n'en est rien. À l'inverse, il est attesté que dans la plupart des écoles de hameaux valaisannes, la gymnastique pourtant obligatoire n'est pas pratiquée. Pour exemple, dans les rapports d'inspections, à la rubrique « gymnastique » un sobre « oui » est systématiquement apposé à la question « n'y en a-t-il pas du tout ? »152.

Même si la pratique de la gymnastique est moins répandue dans le canton du Valais que dans la Haute-Savoie voisine, les écoles de hameaux, ne sont pas outillées - ni par le matériel, ni par le climat - pour appliquer à la lettre les prescriptions nationales.

D] De vieux élèves

Le nombre d'années de scolarisation des écoles françaises et suisses est à peu près équivalent : de 6 à 13 ans pour l'une et de 7 à 13 ans pour l'autre - scolarité sanctionnée par le brevet d'études primaires et l'examen d'émancipation. Cet âge révolu, les élèves peuvent

150 ADHS, 1 T 180, « Achats et concessions de livres, cartes et matériel scolaire, subventions. 1870-1890 ».

151 « La gymnastique sans engins », L'école primaire, n°10, Décembre 1917, p. 66-68, p. 67.

152 AEV, 1 DIP 30-98, « Rapport des inspecteurs scolaires (1854-1906) ».

53

poursuivre leurs études dans les écoles primaires supérieures - dans de rares cas dans le secondaire - et les écoles professionnelles, ou bien directement entrer dans le monde du travail ; Système équivalent en Suisse et dans le Valais, bien que le canton souffre d'un manque de collèges et de cours professionnels. La poursuite d'étude est conditionnée aux possibilités qu'offre le lieu, les villes sont évidemment mieux pourvues en établissement primaires, secondaires et professionnels que les plaines qui sont souvent elles même mieux pourvues que les lieux isolés comme les communes de montagne. Si l'on rétrécit encore la focale, on peut dire une fois encore, que les hameaux de montagne sont moins bien pourvus que les bourgs/centre, car plus isolés, surtout pendant l'hiver. Chamonix compte deux cours supérieurs dans les écoles du bourg, permettant aux enfants de poursuivre leurs études au-delà de la seule école primaire, malheureusement, les enfants des hameaux doivent parcourir plusieurs kilomètres pour atteindre le bourg. Ces trajets deviennent impossibles à effectuer pendant la saison hivernale où l'épais manteau neigeux couvre tous les chemins et les nombreuses avalanches font redouter le pire aux habitants. Les populations, forcées au cloisonnement l'hiver, souffrent du manque d'activités, tant économiques que sociales.

Dans ce contexte, l'école offre un foyer accueillant pour les enfants. Véritable lieu de vie du hameau, les enfants se pressent sur les pupitres pour assister à l'enseignement du maître ou de la maîtresse. Bien souvent - et contrairement à la loi en vigueur - des enfants parfois trop jeunes, souvent trop vieux, intègrent momentanément le lieu scolaire pour pallier l'inactivité saisonnière. La situation n'est pas ici spécifique aux écoles de montagne. Roger Thabault faisait déjà la distinction entre les bourgs et les hameaux dans une commune de campagne - Mazières-en-Gatines - expliquant d'une part que les enfants des hameaux étaient rares à dépasser le certificat primaire153, et d'autre part que ceux assistant aux classes avaient déjà bien souvent dépassé l'âge scolaire154. L'auteur explique ce fait en avançant que le développement des bourgs à la Belle Époque - avec le développement du chemin de fer notamment - a creusé un écart sensible entre les centres de village et leurs périphéries, en renforçant une forme de ségrégation spatiale. Nous partageons le point de vue de Thabault, mais nous ajoutons que dans le cas des communes de montagne, la spécialisation des bourgs au détriment des hameaux est renforcée par les éléments propres au milieu qui viennent accentuer les frontières physiques - et non pas

153 Roger THABAULT, L'ascension d'un peuple. Mon village. Ses hommes, ses routes, son école, Paris, Presses de Science Po, 1982 [1938], p. 207.

154 Ibidem, p. 210.

54

que sociales et culturelles - surtout pendant la période hivernale, accentuant le phénomène des élèves « hors d'âge » à l'école.

158.

D'ailleurs, les formes de justifications des acteurs lorsqu'ils adressent leur demande de dérogations à l'inspecteur d'académie, se rapportent toujours aux conditions climatiques du milieu. En 1881, une lettre collective de parents de 4 enfants - âgés de 14 à 17 ans - du hameau du Pratz (Chamonix) demandent « en raison de la distance du chef-lieu, des mauvais chemins qui, très souvent, vu la quantité de neige sont impraticables pendant la mauvaise saison » l'autorisation pour leurs enfants de fréquenter l'école primaire du hameau « quoique ayant dépassé l'âge réglementaire » 155 . Les autorités supérieures - inspecteur d'académie - et intermédiaires - inspecteur primaire - se montrent le plus souvent compréhensives face à ces demandes, mais la justification par les contraintes géographiques est nécessaire pour obtenir gain de cause. Pour exemple, l'instituteur des Grassonnets (Chamonix) adresse une lettre à l'inspecteur d'académie en 1886 pour témoigner son désir d'accueillir un élève de 14 ans au sein de sa classe. Seulement, pour appuyer sa demande, il précise les dimensions de la salle - 5 mètres sur 4 pour 1,95 mètre de hauteur - et le nombre d'élèves inscrits dans son école - 14 - choisissant ainsi une argumentation sur l'espace disponible pour accueillir cet enfant156 . La requête est refusée par l'inspecteur d'académie et le père de l'enfant envoie à son tour une lettre, indiquant « qu'il est impossible et [...] serait même imprudent, de la part d'un père de famille soucieux de la santé de ses enfants de les envoyer à l'école d'Argentières quand pour s'y rendre, il leur faut faire chaque jour deux kilomètres et demi pour l'aller et pareil pour le retour »157 ; il poursuit son argumentation en mettant en avant les difficultés liées au climat hivernal et aux contraintes géographiques. Ces deux exemples montrent bien d'un côté, que l'administration scolaire française peut s'adapter aux situations locales des acteurs à condition que ceux-ci intègrent la rhétorique de justification adaptée. Ce discours - dont nous ne mettons pas en cause la véracité - s'intègre à des stratégies, plus ou moins conscientes de la part des parents d'élèves s'ils veulent maximiser leurs chances dans l'acceptation de la dérogation d'âge

155 ADHS, 1 T 418, Lettre des habitants du hameau du Pratz à l'inspecteur d'académie, 16 Mars 1881.

156 ADHS, 1 T 418, Lettre de l'instituteur des Grassonnets, à l'inspecteur d'académie, 21 Novembre 1886.

157 ADHS, 1 T 418, Lettre de Monsieur Ducroz à l'inspecteur primaire de Bonneville, 5 Décembre 1886.

158 Arlette FARGE fait une analyse similaire sur les discours rhétoriques stéréotypés que les personnes appelées à comparaître au commissariat de police mettent en place au XVIIIe siècle pour s'assurer les meilleures chances de non-inculpation. Voir La vie fragile : violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe, Paris, Hachette, 1986.

Les écoles valaisannes connaissent également la présence d'enfants hors-âge réglementaire. Dans la plupart des cas, on en compte deux ou trois par classe, mais parfois leur nombre est plus important. C'est le cas à l'école du hameau de Jears (Martigny-Combes) ou, pour un total de 24 élèves (10 garçons et 14 filles), 5 sont dans leurs quatorzième année, 2 dans leur quinzième et 4 ont plus de 15 ans : presque la moitié de l'effectif total a dépassé l'âge scolaire159. Cette particularité s'étend sur toute la période, et en Valais, nul besoin de la justifier auprès des autorités. Les arrangements semblent se faire directement entre les parents d'élèves et les enseignants car ni les inspecteurs, ni les autorités centrales ne s'en préoccupent. Il n'existe pas non plus de formulaire de dérogation et le fait semble accepté comme pratique habituelle dans le canton.

Il n'en reste pas moins que dans ces deux territoires, la présence de ces « vieux » élèves n'est pas anodine. Que cela pallie le manque de formation professionnelle ou d'écoles de niveau supérieur à proximité, nous l'avons déjà dit. Leur présence répond aussi à une envie d'instruction et peut-être une manière de conjurer l'ennuie due au chômage climatique et à la claustration hivernale. Le système scolaire français, bien que très normé, accepte les aménagements locaux des écoles alpines, et cela, même si elle garde un contrôle fort sur toutes les décisions. Le système scolaire valaisan, plus en retrait du processus décisionnel, laisse place aux arrangements locaux. Dans les deux cas, les contraintes liées au milieu et la manière de se les représenter - au niveau des pouvoirs centraux ou des acteurs locaux - influent sur les pratiques scolaires des habitants des montagnes. Nous avons constaté que les représentations et les pratiques, même si parfois communes, différent sur bien des points. Là est toute la question de la frontière politique qui désunit ces deux territoires alpins et joue sur les trajectoires de vie des acteurs.

159 AEV, 1 DIP 58, Rapport d'inspection de l'école du hameau de Jears (Martigny-Combes), 28 Avril 1891.

55

56

57

DEUXIÈME PARTIE. Jeux de frontières et

trajectoires de vies.

Nous l'aurons compris, l'école alpine est plurielle, le même environnement géographique n'entraîne pas une similarité parfaite des expériences scolaires françaises et suisses. Nous avons montré le rôle important que jouait la frontière politique qui sépare les deux territoires, autant dans l'aménagement des lieux scolaires que dans la manière de les pratiquer, tout en reconnaissant des spécificités d'organisations liées à l'environnement alpin. Paul Guichonnet et Claude Raffestin écrivaient très justement que « la juxtaposition de systèmes différents, le long d'une ligne, même imaginaire mais que l'on fait respecter avec beaucoup de rigueur, détermine des décalages qui se lisent dans le paysage »160 rappelant que « la frontière, loin d'être un simple phénomène géographique, est un phénomène social au sens le plus large »161. À l'inverse de Daniel Nordman qui confesse ne pas trop aimer les usages pluriels du concept frontière162, nous prolongeons dans cette partie, la réflexion sur la frontière alpine prise dans ses dimensions multiples - culturelles et sociales - sans évidemment en oublier les dimensions politiques et spatiales ainsi que leurs effets sur les circulations des personnes et des savoirs entre la Haute-Savoie et le Valais.

Les écoles des Alpes sont physiquement isolées par rapport au reste des lieux scolaires de leur nation respective, mais elles sont également isolées de leurs voisins les plus proches géographiquement : il existe peu de contact entre les deux territoires. Pourtant, les frontières sont dans le même temps extensibles. Nous avons évoqué leur repli hivernal à l'heure des premières chutes de neige, confinant les habitants à une micro-sociabilité « hors du monde ». Les beaux jours revenus, elles s'étirent à l'extrême et certains lieux vont attirer des foules de visiteurs étrangers qui, en modifiant les manières de vivre de ses habitants, vont également façonner l'école. Nous verrons d'ailleurs que l'activité touristique s'accorde très bien avec certains discours portés par les institutions scolaires de « La Belle Époque ». Les enseignants participent à produire une image spécifique des Alpes, mais la place accordée à l'environnement local n'est pas la même dans les discours et dans les enseignements français et suisses,

160 Paul GUICHONNET, Claude RAFFESTIN, Géographie des frontières, Paris, PUF, 1974, p. 7.

161 Ibidem, p. 221.

162 Daniel NORDMAN affirmait sa volonté de s'en tenir aux frontières politiques, et sa réticente sur le flou instauré par l'usage plurielle de la notion, voir Frontières de France. De l'espace au territoires, XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 9-19.

58

entraînant un processus de valorisation/dévaluation des Alpes et de ses habitants qui varie selon les contextes. En dernier lieu, ni la position géographique, ni l'activité touristique ne sont sans conséquences sur les trajectoires de vie des acteurs historiques. Maîtres et maîtresses, élèves et parents, expérimentent l'école en milieu de montagne, véhiculant pratiques et représentations, conditionnant les possibilités d'avenir. Le fait de grandir et d'être socialisé dans certaines nations, dans certains milieux et dans certains lieux crée des expériences singulières, façonnent des identités particulières, souvent vectrices « d'inégalités spatiales »163.

163 Voir Isabelle BACKOUCHE, Fabrice RIPOLL, Sylvie TISSOT et Vincent VESCHAMBRE (dir), Dimension spatiale des inégalités, Presses universitaires de Rennes, 2011.

59

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire