Incidence de la monnaie electronique quant aux roles régaliens des banquespar Jean JEAN MAVITA BANZI ISP Kenge - L2 sciences commerciales 2021 |
III.1.1 LES PREMIERES EMISSIONS DE MONNAIE PAPIERÀ la suite de la création des premières banques modernes en Italie vers la fin du 12ème siècle par les cambistes (campsores), les rois (y compris les rois d'Angleterre) et l'Église accumulent leurs métaux précieux dans les banques italiennes, tandis que les marchands anglais décident de confier leur argent à des orfèvres (goldsmiths). Ceux-ci étaient les ancêtres des banquiers anglais, car ils possédaient déjà l'infrastructure -- voûtes et coffres forts -- pour conserver cet argent. Ces orfèvres émettaient des billets, sous la forme de reçus, en retour des fonds déposés. Ainsi, les marchands pouvaient retirer leurs fonds soit en espèces, soit en tirant une traite payable sur demande à ordre ou au porteur jusqu'au montant total déposé. Ces traites constituent dès lors les premières lettres de change et les premiers chèques. Au demeurant, ces effets de commerce peuvent être considérés parmi les premières formes de dématérialisation de paiement, bien avant l'avènement de l'informatisation. Par dématérialisation de paiement, nous voyons l'absence de la monnaie proprement dite dans une opération commerciale. Au fil des ans, ces reçus et ces chèques furent généralement reconnus par les marchands anglais et couramment échangés entre eux. Les documents, qui étaient négociés aisément d'un marchand à l'autre sans être déposés chez les orfèvres, furent ultimement traités comme de l'argent. Ce n'est que vers la fin du 17ème siècle que ces instruments furent reconnus comme faisant partie de la common law, après avoir subi l'influence des coutumes des marchands. Les premiers billets émis par les orfèvres servaient de reçus pour les fonds déposés. Chaque billet représentait le montant total dû au client. Ce système étant très fastidieux, les billets furent dès lors divisés en valeur moindre jusqu'à ce qu'ils atteignent des petites sommes. De cette manière, les billets, échangés entre les marchands, pouvaient servir à payer des dettes de moindre importance. À la fin du 17ème siècle, un tribunal reconnaît que les billets émis par les orfèvres sont « always accounted among merchants as ready cash, and not as bills of exchange », ce qui était, en quelque sorte, la coutume de l'époque. En 1704, les billets à ordre étaient régis par une loi statutaire. Bien que les orfèvres fussent des acteurs de premier plan dans l'industrie financière à la fin du 17ème siècle, ils ne pouvaient honorer des traites ou des billets sur demande. Ainsi, les créanciers n'acceptaient pas les billets comme paiement final, les caractérisant comme des paiements conditionnels. Graduellement, les billets émis par les banques commerciales, qui succédèrent aux orfèvres, remplacèrent les chèques, et la négociation de ces billets les a éventuellement métamorphosés en billets de banque. L'établissement de la Banque d'Angleterre en 1694, ayant pour mission à cette époque d'effectuer des opérations bancaires, constituera un événement important dans la création du papier-monnaie inconditionnel. En fait, bien qu'en ce temps-là la banque n'eût pas le pouvoir d'émettre des billets de banque, elle émettait tout de même des billets analogues à ceux des orfèvres. Ultimement, la common law reconnaîtra les billets de la Banque d'Angleterre comme de l'argent. En 1833, cette reconnaissance sera codifiée par le Parlement britannique. De nos jours, l'émission des billets appartient exclusivement aux banques centrales. L'émission de la monnaie papier au Canada sous les régimes français et britannique présente des similarités avec le développement des billets de banque en Angleterre, bien qu'elle ait été plus laborieuse. Sous le Régime français, l'argent provenait de la mère patrie et, lorsque la monnaie métallique manqua entre 1685 et 1719 pour payer les soldats français postés à Québec, elle fut remplacée par une émission de monnaie de carte, c'est-à-dire des cartes à jouer. Cette monnaie fut rapidement acceptée, d'abord par les soldats et, ensuite, par la population civile. Elle fut bannie par le roi Louis XV en 1720, qui consentit à envoyer plus de pièces de monnaie dans la colonie. Il donna toutefois son aval à une seconde émission de la monnaie de carte en 1729, cette monnaie étant en circulation jusqu'à la chute du Régime français en 1763. La monnaie de carte était jumelée à d'autres formes de monnaie en circulation dans la colonie. Après 1796, le gouvernement de France ne remboursa pas l'intégralité de la valeur nominale de cette monnaie de carte, ce qui causa une dévaluation, des pertes financières importantes pour les détenteurs de cet argent et, surtout, une crise de confiance. https://id.erudit.org/iderudit/043936ar, Analyse de la trajectoire historique de la monnaie électronique, Marc La coursière. Pdf Cette crise de confiance de la population envers la monnaie papier dura plusieurs années à partir du début du Régime britannique jusqu'au début du 19ème siècle. Les autorités coloniales canadiennes émirent des billets de l'armée pour financer la guerre de 1812-1815 entre les États-Unis et les colonies de l'Amérique du Nord britannique. Contrairement au gouvernement français, le gouvernement britannique remboursa entièrement la valeur nominale de ces billets à la fin de cette guerre, ce qui rehaussa le niveau de confiance de la population envers la monnaie papier. À partir de 1821, l'argent papier fut émis par les banques commerciales, chaque banque émettant son propre papier-monnaie, comme la Banque de Montréal (1821), la Banque du Haut-Canada (1821), la Banque du Peuple (1835) et la Bank of Prince Edward Island (1855). Les billets émis par chacune de ces banques furent cependant escomptés par les banques concurrentes à des taux plus ou moins variables. L'Acte d'Union de 1841 fut l'occasion pour Lord Sydenham de proposer une émission de monnaie par une banque provinciale, sorte d'ancêtre de la banque centrale. Les pertes potentielles du droit de seigneuriage des banques à charte de l'époque et la crainte d'accorder trop de pouvoir au gouvernement furent à l'origine de l'échec du projet de Lord Sydenham. Les faillites de la Colonial Bank, de l'International Bank, de la Bank of Clifton et de la Bank of Western Canada, vers la fin des années 1850 et le début des années 1860, qui influèrent substantiellement sur la perte de confiance de la population dans les banques à charte, incitèrent le gouvernement à réexaminer la possibilité d'émettre de la monnaie papier. J. SP a r k s (dir.), Essays on General Politics, Commerce and Political Economy, New York, A.M. Kelley, 1971 (1re éd. : 1836), p. 254. Pdf Par ailleurs, s'inspirant de la période de liberté bancaire aux États-Unis, le gouvernement canadien promulgua en 1850 une loi qui permettait aux banques commerciales d'émettre leur propre monnaie et il adopta l'année suivante le système décimal. Puisque le gouvernement britannique désirait conserver la livre, le shilling et le penny, le gouvernement canadien adopta une loi sur la monnaie en 1854. Puis il se ravisa et modifia cette loi en 1857 pour que les comptes du gouvernement soient tenus uniquement en dollars. Cette loi est à la source de l'adoption du dollar comme devise officielle du Canada. À la suite de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867 qui accordait l'exclusivité au gouvernement fédéral de l'émission de la monnaie et de l'argent papier, le gouvernement ne tarda pas à exercer ses pouvoirs. Dès 1868, il adopta l'Acte pour autoriser les Banques dans toutes les parties du Canada à employer les billets de la Puissance au lieu d'émettre leurs propres billets pour remplacer les billets provinciaux par des billets du gouvernement fédéral, appelés les « billets du Dominion ». En 1871, le gouvernement adopta une loi sur l'uniformité de la monnaie et la première Loi sur les banques. Cette dernière permettait aux banques à charte d'émettre certaines dénominations de papier-monnaie. Le gouvernement fédéral pouvait émettre des billets de sous, de 1, de 2, de 6, de 50, de 500 et de 1 000 dollars, alors que les banques commerciales conservaient le privilège d'émettre des billets de 4 dollars et plus. J. AL IB E R T , De la vie coloniale au défi international, Paris, Chotard et associés, 1983, p. 26 ; Pdf Toutefois, en 1935, le gouvernement se prévalut de son droit d'être le seul et unique émetteur de monnaie au Canada par la fondation de la Banque du Canada. Cette émission de l'argent exclusivement par la banque centrale mit fin à l'instabilité monétaire d'alors. L'implantation de la monnaie papier au Canada présente plusieurs analogies avec celle aux États-Unis, bien que, dans ce dernier cas, la situation ait été plus chaotique. Bien que la livre anglaise, le shilling et le penny, fussent les monnaies officielles de l'époque coloniale américaine, le papier-monnaie et d'autres substituts apparurent rapidement à la suite de la pénurie de monnaie métallique. L'industrie du tabac étant très prospère dans le sud des États-Unis à cette époque, il se développa au fil du temps un « system of authorized certifcates [which begun] to be used, attesting the quality of tobacco deposited in public warehouse ». Cela donna naissance à des quasi-certifcats de dépôts, connus sous le nom de « tobacco notes ». Ceux-ci eurent cours légal en Virginie en 1727 et furent acceptés comme tels lors des décennies suivantes. Cette tendance fut même suivie plus tard par d'autres colonies. La première émission de papier-monnaie par une autorité officielle survint dans les États coloniaux entre 1690 et 1710 environ. Cependant, il fallut attendre vers le début du 18ème siècle pour que plusieurs colonies commencent à émettre régulièrement du papier-monnaie, tendance qui dura tout au long de ce siècle. D'ailleurs, Benjamin Franklin se montra favorable à l'émission de papier-monnaie par l'État de la Pennsylvanie. Toutefois, l'Angleterre, voyant d'un mauvais oeil cette tendance, tenta graduellement d'en interdire l'émission dans ses colonies par la voie législative en 1741, en 1751 et en 1763 . Ces efforts n'eurent qu'un succès mitigé, pour ne pas dire quasi nul. Finalement, l'absence d'une politique monétaire solide mena la monnaie des colonies à fluctuer d'une manière draconienne. Ces fluctuations eurent lieu particulièrement en temps de guerre. J.K. GA L B R AITH , Money - Whence it Came, Where it Went, Londres, André Deutsh, 1975, p. 45. En fait, le Congrès, influencé par Benjamin Franklin, créa la Bank of North America, une sorte de banque centrale destinée à servir comme une banque du gouvernement central de l'époque afin d'émettre les « billets continentaux » (Continental notes) dès le début de la guerre, en 1775. En d'autres termes, le financement de cette guerre fut facilité par une émission massive d'argent par les États et le gouvernement central. En fait, tel que l'a noté Galbraith, plus de 241,6 millions de dollars en billets continentaux et 209,5 millions de dollars en billets étatiques furent émis de 1775 à 1880. Cette situation amena les autorités fédérales à donner au Congrès le pouvoir de réglementer l'émission de la monnaie en 1789. Trois ans plus tard, ce dernier exerça officiellement son pouvoir. Inspiré du dollar espagnol, le dollar est devenu la nouvelle unité de compte des États-Unis en 1792 et devait servir à une forme d'union monétaire dans ce pays. Plusieurs États continuèrent toutefois d'émettre de l'argent après la guerre de l'Indépendance, ce qui engendra la dévaluation des devises. À la suite du traité de Paris qui mit un terme à la guerre de l'Indépendance en 1783, l'émission des billets continentaux connut un terme et la Bank of North America devint une banque commerciale. La First Bank of the United States de 1791 servit de nouvelle banque centrale au gouvernement états-unien pour financer la dette nationale et créer une monnaie nationale. Détenant une charte bancaire de vingt ans, elle ferma en 1811 et fut remplacée en 1816 par la Second Bank of the United States. Celle-ci fut dissoute à son tour en 1833 lorsque le président Jackson, très réfractaire aux banques nationales, plaça son argent dans les banques étatiques (surnommées « pet banks ») pour affaiblir les banques nationales. J. POWELL , Le dollar canadien : une perspective historique, Ottawa, Banque du Canada, 2005, p. 8, [En ligne], [www.bank-banque-canada.ca/fr/dollar_livre/dollar_livre.pdf]. Le rôle du gouvernement fédéral dans l'émission de l'argent demeura toutefois très limité à partir de cette période, ce qui entraîna les banques commerciales étatiques à émettre leur propre papier-monnaie à partir de la fin du 18ème siècle. Cette monnaie était escomptée à des taux variant selon la réputation de l'émetteur. La fermeture de la Second Bank of the United States ouvrit la porte à une période importante de l'histoire bancaire étatsunienne, appelée le « mouvement de liberté bancaire », ou « laissez-faire » bancaire (free banking) de 1838. L'argent en circulation, émis par les banques étatiques, augmenta alors substantiellement et il s'en suivit une situation très chaotique. La guerre de Sécession freina brutalement cette ère de liberté bancaire, puisque son financement nécessita une centralisation de l'émission d'argent tant au nord qu'au sud des États-Unis. C'est à ce moment-là que le gouvernement central émit le célèbre greenback, billet de banque à demande (demand note), non convertible en or et garanti par des obligations du gouvernement, qui servait au financement des troupes nordistes. Le greenback fut considéré comme la première émission du gouvernement états-unien d'une monnaie ayant cours légal. Ce billet fiduciaire devint convertible à 100 p. 100 de sa valeur nominale lors du retour des États-Unis à l'étalon-or en 1879. Dans le but d'éliminer les banques étatiques, le gouvernement fédéral avait imposé une taxe de 10 p. 100 (surnommée « death tax ») sur les billets émis par les banques étatiques, ce qui eut pour conséquence de diminuer substantiellement l'utilisation des billets étatiques et de favoriser la monnaie nationale. Dans la décision Veazie Bank v. Fenno, la Cour suprême des États-Unis jugea que cette taxe était valide, mentionnant que le Congrès avait le pouvoir de « secure a sound and uniform currency for the country » et de « restrain by suitable enactments the circulation as money of any notes not issued under its own authority ». Au cours des années qui suivirent, la Cour suprême confirma la légalité du statut de cours légal de la monnaie émise par le gouvernement fédéral dans une série de décisions, appelées « legal tender cases ». Des années plus tard, à la suite de quelques soubresauts de l'économie, une crise fnancière entraîna la faillite de 246 banques en 1907. Les causes de cette débâcle sont dues à une difficulté de convertir les billets de banque et à l'absence d'une banque centrale. La Réserve fédérale américaine fut donc créée en 1913 pour devenir la seule autorité à émettre l'argent. Contrairement au Canada, l'émission de la monnaie par cette banque centrale ne mit fin à l'émission de monnaie étatique que quelques années plus tard. Ainsi, l'émission de la monnaie papier par l'Angleterre, le Canada et les États-Unis présente quelques similarités. Musée de la M o n na ie , Une nouvelle émission de monnaie de carte, 2006, [En ligne], [epe.lac-bac.gc.ca/100/205/301/ic/cdc/bank/francais/nouv.htm]. D'abord, les Anglo-Saxons, en particulier dans les colonies d'Angleterre, tardèrent à imposer une monnaie commune et, lorsque cela fut tenté, l'opposition fut très forte. Cette période fut caractérisée par une pluralité d'émetteurs privés de monnaie, notamment des banques, l'escompte des billets émis par les concurrents, des situations d'inflation lorsque l'émission n'était pas contrôlée et, graduellement, une convergence vers une monnaie unique. Cette convergence fut encouragée par la décision des autorités fédérales de ces pays de créer une banque centrale qui se vit octroyer le monopole d'émission de la monnaie. Alors que le processus d'implantation de la monnaie papier fut moins laborieux en Angleterre qu'au Canada, la situation se révéla toutefois plus chaotique aux États-Unis. Ces exemples d'émission de la monnaie papier diffèrent substantiellement du contexte d'une union monétaire. J. POWELL , opcit, pdf |
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