Chapitre I. Cadre théorique et
méthodologique de la recherche
Dans ce chapitre, nous tachons de définir très
précisément la problématique de notre travail, laquelle
constitue l'élément central de notre recherche. Il se subdivise
en deux sections. Dans la première, nous avons spécificité
le problème de notre recherche et accentué sur les notions
générales ayant rapport à notre sujet de recherche. La
deuxième fait état des connaissances théoriques de
plusieurs auteurs qui ont écrits sur les faits d'état civil en
Haïti et dans le monde puis aborde également l'approche
méthodologique qui a servi de fil conducteur à cette étude
tout en précisant les techniques et instruments de collecte des
données.
Section 1 : Problématique et concepts
appropriés
1- Problématique
Le phénomène du non enregistrement de l'état
civil en son essence semble être un fléau mondial. D'après
certains observateurs, il aboutit au même résultat tant dans les
pays sous-développés que dans les états en
développement. Toutefois, il pourrait avoir un accent plus
prononcé dans les pays dits pauvres.
Les Etats et les organisations internationales ont fait de ce
phénomène une préoccupation. De nombreuses actions en
témoignent. En 1946, le Fonds International de Secours à
l'Enfance (en anglais United Nations International Children's Emergency
Fund, UNICEF) fut crée. Cette institution qui est
consacrée à l'amélioration et à la promotion de la
condition des enfants, en 1953, est devenue un organe permanent
du système des Nations Unies. (Vie-Publique, 2020).
Pour sa part, l'UNICEF intervient directement dans la question de
l'état civil. Un peu partout dans le monde, elle accompagne et
développe les systèmes de collecte des données
(Regard-Femmes, 2017). En Haïti, cette institution des Nations-Unies
travaille de concert avec le Ministère de la Justice et de la
Sécurité Publique pour relever le taux d'enregistrement des
naissances, l'un des plus bas de la région de l'Amérique latine
et les Caraïbes (Reliefweb, 2021).
Le 20 novembre 1959, l'Assemblée
générale de l'ONU approuve à l'unanimité
une déclaration des droits de l'enfant. Ce document dans ses
dispositions fait injonction aux Etats de faire de la question de
l'enregistrement un droit humain fondamental. L'Etat a pour obligation de
mettre tout en oeuvre de le faire connaitre à tous mais également
de l'appliquer.
Agissant ainsi, le but de l'ONU serait de faire en sorte que les
systèmes d'état civil du monde entier soient fonctionnels. C'est
encore loin d'être le cas aujourd'hui, parce que les résultats et
les progrès enregistrés semblent encore insuffisants. Une preuve
c'est que les taux de complétude et de couverture de l'enregistrement
des faits d'état civil demeurent encore en-deçà de 40 %
dans la majorité des États membres (ONU, 2003).
Selon les dernières estimations de l'UNICEF, 237 millions
d'enfants de moins de 5 ans dans le monde ne détiennent pas actuellement
d'acte de naissance (UNICEF, 2017). Par ailleurs, cette institution tente
d'expliquer à travers le même document, d'une part, pourquoi
l'enfant doit être enregistré. D'autre part, comment se fait-il
que chaque année, plus de 50 millions de naissances ne sont pas
enregistrées ? D'après les données récentes
de l'UNICEF sur le continent africain, l'enregistrement à la naissance
des enfants de moins de 5 ans en Afrique est de 52 pour cent. Pourtant en Asie
du Sud, deux enfants sur trois ne sont pas déclarés à la
naissance et n'ont donc aucune trace officielle de leur nom, de leur famille ou
de leur date et lieu de naissance. Selon les statistiques sanitaires
mondiales de 2012, les deux pays les plus peuplés du monde (la
Chine et l'Inde, qui totalisent à elles deux 2,5 milliards d'habitants)
ne disposent pas de systèmes d'enregistrement des faits d'état
civil fonctionnels. Leurs statistiques de mortalité sont donc issues
d'enregistrement par échantillons.
Haïti, pour sa part, situé l'Amérique central
notamment dans le bassin de la Caraïbes, Haïti est un pays des
Grandes Antilles, qui occupe le tiers occidental de l'île d'Hispaniola.
Elle partage cette grande île, la plus peuplée des Antilles, avec
la République dominicaine. C'est le seul pays francophone
indépendant des Caraïbes. Il est également le seul pays de
la région caribéenne où la démographie est la plus
élevée avec une population de 11 591 279 habitants (2019). Son
taux de croissance démographique est de l'ordre de 1,52 % par an. En
effet, selon les statistiques produites par la Banque Mondiale en 2015,
l'Indice Synthétique de Fécondité (ISF) du pays est de 3
enfants/femme (Banque Mondiale, 2019). La situation démographique
semble inquiétante pour plus d'un. Eu égard à la question
de l'enregistrement des naissances, les autorités étatiques,
semblent accorder davantage attention à la protection des enfants, cette
frange de la population sur laquelle repose l'avenir du pays. Le cadre
juridique et institutionnel du système de l'état civil semble
bien établi. Il est constitué non seulement un d'outils
juridiques tant internationaux que nationaux de protection des droits de la
personne mais aussi et surtout des instituions et d'acteurs impliquant dans le
domaine.
Eu égard aux instruments internationaux, maintes
tentatives ont été entreprises par les différents
gouvernements notamment durant les trois dernières décennies
(1989-2019) pour contrer ce phénomène. Citons à titre
d'illustration : le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques du 16 décembre 1966, ratifié par Haïti le 23
novembre 1990 ; La Convention relative aux droits de l'enfant (novembre
1989), ratifiée par Haïti le 30 août 1994. L'approbation de
ces instruments juridiques voudrait dire que l'Etat haïtien reconnait les
droits qui s'en sont contenus, accepte de les respecter et s'engage à
les faire connaître.
Il est à souligner qu'au regard de l'article 276-2 de la
Constitution de 1987 amendée en 2011, Haïti a fait choix d'un
système moniste à primauté du droit international. On
entend par là que le point de départ est que le droit
international et le droit interne font partie originellement d'un seul ordre
juridique, d'un seul phonème global, il n'y a pas de séparation
nette et entière entre l'ordre juridique international et interne. Pour
cela, les traités internationaux signés et ratifiés sont
directement applicables dans l'ordre juridique interne. Ainsi, les
traités internationaux signés et ratifiés sont directement
applicables dans l'ordre juridique interne. L'article se lit : Les
Traités ou Accords Internationaux, une fois sanctionnés et
ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie
de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont
contraires.
A l'interne, les cadres juridiques pour l'enregistrement et la
documentation des personnes semblent traduit une certaine volonté des
gouvernements en vue d'enregistrer et de déterminer les personnes. Ce
qui peut être assimilé à une approche basée sur le
respect des droits des personnes et l'exercice de la pleine
citoyenneté. A côté de la Constitution en vigueur qui
intègre les conventions internationales et reconnaît
l'identité comme un droit de l'homme inhérent à la
personne qui doit être garanti par l'État. Au fil du temps, de
nouveaux décrets et arrêtés sont apparus. L'objectif serait
de faciliter l'accès à l'enregistrement des naissances et aux
documents en vertu de la loi, conformément aux tendances mondiales
définies dans les conventions et traités internationaux.
Entre 1995 à 2019, un décret et trois
arrêtés ont établi chacun un délai légal de
5 années pour l'enregistrement en temps voulu des personnes
physiques dépourvues d'acte de naissance pour faire régulariser
son état civil. En vertu de ces arrêtés, tous les
enregistrements de naissance qui ont lieu pendant la durée prévue
sont exemptés des frais de procédures. Ces décisions
juridiques (décrets et arrêtes) ont-elles atteint leur
objectif ?
Sur le plan institutionnel, actuellement, sur toute
l'étendue du territoire national, environ 200 bureaux d'état
civil fonctionnant sous la juridiction de moins de 20 tribunaux civils, moins
de 10 inspecteurs et moins de 20 contrôleurs. Trois institutions
étatiques interviennent dans la gestion du système de
l'état civil en Haïti. Ce sont le Ministère de la Justice et
de la Sécurité Publique qui, à travers le service
d'inspection et de contrôle de l'état civil de la Direction des
Affaires Judiciaires, détient la responsabilité de recrutement,
de nomination, de contrôle, de supervision des officiers de l'état
civil dans la réalisation de leurs fonctions. Sur la base de ces
prérogatives, il est clair que l'état civil haïtien fait
partie intégrante du Ministère de la Justice et de la
Sécurité publique qui assure la gestion des ressources
financières, humaines et financières allouées à ses
différentes activités. Le Ministère des Affaires
Etrangères intervient dans le cadre de l'état civil pour les
haïtiens vivant à l'étranger, en participant à
l'enregistrement des évènements par l'entremise des missions
diplomatiques ou consulaires. A cet effet, il est ouvert auprès de
chaque mission diplomatique ou consulaire un bureau qui s'occupe du service
d'état civil. Le Ministère de la Culture via les Archives
Nationales d'Haïti (ANH), de leur côté, constituent depuis le
décret du 20 mars 1986, une structure déconcentrée du
Ministère de la Culture et de la Communication (Moniteu#26, 1986). Avant
cette date, elles étaient sous la tutelle du Ministère de la
Justice. Fondées le 20 août 1860 sous le gouvernement du
président Fabre Nicolas Geffrard, les Archives Nationales sont une des
plus anciennes institutions d'Haïti. Elle est une des seules
à avoir célébré son tri-cinquantenaire d'existence
continue en Amérique latine. Elles ont pour mission de stocker,
protéger et conserver le double des registres de l'état civil
haïtien, en particulier, et le patrimoine écrit de la
république de manière générale. Le reposoir des
registres de l'Etat civil, elles sont habilitées à fournir, sur
demande, un extrait aux requérants nationaux. Il est à noter que
cet extrait est l'un des rares documents officiels acceptés par les
instances, tant nationales qu'internationales, pour les inscriptions à
l'Université ou pour entreprendre les démarches relatives aux
voyages vers les pays étrangers (Rousseau, 1991).
En dépit de tout sur les plans juridiques et
institutionnels, la question de l'état civil notamment l'enregistrement
des naissances reste d'une grande complexité. Nombreux sont les gens qui
ont reconnu que la question du non enregistrement constitue un grand
défi pour notre société. Le système haïtien
semble ne pas parvenir à enregistrer la totalité des naissances
d'une année, ni a fournir sans difficulté copie de l'acte
à ceux ou celles qui en ont besoin. Les rapports des institutions tant
nationales qu'internationales et les déclarations des
autorités étatiques sur cet état de fait sont
légions. Selon un rapport d'enquête de plusieurs organisations
internationales comme l'Organisation des Etats Américains (OEA), le
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) et la Banque
Inter Américaine pour le Développement (BID), publié en
2009, montre que 40% des Haïtiens ne sont pas inscrits sur les registres
de l'état civil ou l'ont été irrégulièrement
et ne disposent donc pas d'acte de naissance valable (PNUD, 1999). Il faut
mentionner que d'énormes progrès se réalisent dans
l'intervalle. Des avancées considérables sont donc faites en
termes de progrès vers la réduction du taux des personnes non
enregistrées. Selon les statiques de l'UNICEF, en février 2020,
le taux d'enregistrement à l'état civil des enfants de moins de 5
ans, est de 85 pour cent. Il est vrai que la situation d'enregistrement
s'améliore de manière spectaculaire. Pas de quoi se
réjouir pour autant car, même avec ce score, cela
n'empêche qu'Haïti reste l'un des pays du continent
américain ayant les plus bas taux d'enfants
enregistrés à l'État civil (UNICEF, 2020).
Par ailleurs, la déclaration de monsieur Bertrand Wilfrid,
actuel directeur des Archives Nationales, établit clairement
l'évidence que le pays est confronté à des
problèmes cruciaux relatifs à l'enregistrement de ses
ressortissants. Selon le directeur, le quart de la population n'est
enregistré nulle part et n'existe pas pour l'Etat (Nouvelliste, 2021).
Pourquoi donc une situation ?
Ces chiffres témoignent en quelque sorte le niveau de
gravité de la situation de non enregistrement des naissances dans le
pays. À côté de cela, certains pensent que la situation est
encore pire. En ce sens, ils avancent deux raisons majeurs. D'une part, de
nombreux actes de naissance émis par les officiers d'état civil
sont en effet, pour les autorités étrangères dont celles
de France, entachés d'irrégularités, falsifiés,
facilement falsifiables, non répertoriés, non enregistrés,
ou enregistrés suivant des procédures irrégulières
(Bertin et Drogue, 2010). D'autre part, l'acte de naissance original qui
serait, selon la loi haïtienne, un papier a valeur authentique, n'est pas
toujours considéré comme un document fiable par les
autorités haïtiennes. Par conséquent, cet acte de naissance
dont la possession est exigée par la loi ne permet pas d'effectuer
certaines démarches de la vie courante, telle que l'obtention d'un
livret de passeport par exemple. Le document officiel qui revêt une
véritable force probante est l'extrait des archives, car il est
censé offrir de meilleures garanties d'authenticité (France,
2012).
Cela dit, qu'une personne pourrait toujours avoir son acte de
naissance alors que cet acte n'est enregistré nulle part. Plusieurs
interrogations peuvent être suscitées par cette situation. Quelle
est la valeur réelle de cet acte de naissance ? Quelles sont les
obstacles à l'enregistrement de l'acte ?
Suivant les dispositions de l'article 45 du code civil
haïtien, chaque année, entre le 1er janvier et le 10
février, l'officier de l'état civil est tenu de transférer
les registres aux Parquets de la juridiction du ressort du bureau de
l'état civil de sa juridiction. Cette disposition du code n'est-elle pas
connue ou suivie par les officiers de l'état civil ?
Faute de statistique, nous ne pouvons pas dire avec justesse le
nombre exact de compatriotes haïtiens se trouvant dans cette situation.
Toutefois, cette situation préoccupe une bonne partie de la population
qui sont victimes soient direct ou indirectement. La population vivant dans la
juridiction de Miragoâne pourrait être, sans doute, fait partie des
nombreuses personnes du pays dont leurs actes de naissance ne seraient pas
régulièrement répertoriés au bureau des Archives
Nationale. C'est par ce souci, par cette préoccupation au regard de
l'importance de l'enregistrement que le sujet : Etudes des principaux
déterminants du non enregistrements des actes de naissance en
Haïti. Cas de la juridiction de Miragoâne de 1990 à 2000 a
été choisi.
Sur le plan pratique, le choix d'un tel sujet fait
également l'objet de notre vécu quotidien. Le
phénomène de non enregistrement des actes de naissance est une
réalité profonde, tenace et présente. En qualité de
fonctionnaire attaché au service du Ministère de la Justice et de
la Sécurité Publique (MJSP), posté à un bureau
d'état civil, à longueur de semaine une pléiade
d'individus, en majorité des jeunes de moins de vingt (20) ans,
défile au bureau en vue de trouver des renseignements sur les
procédures à engager à propos de leurs actes de naissance
qui ne sont pas enregistrés aux bureaux des Archives Nationales. C'est
fort de ce constat, qu'il nous parait légitime de livrer nos
réflexions et propositions sur ce problème d'importance de la vie
nationale dont on ne doute pas que plus d'un ont déjà, à
un certain niveau, exploré.
Dans les différentes approches adoptées par les
institutions internationales surtout l'UNICEF, elles considèrent le
phénomène de non enregistrement comme le fait pour un individu,
en particulier un enfant, de ne jamais été déclaré,
c'est-a- dire enregistrer à un niveau quelconque de l'état. Notre
préoccupation ne se situe pas à ce niveau. Dans le cadre de cette
recherche, nous cherchons à comprendre le phénomène du non
enregistrement à un niveau plus particulier. Nous tâchons
à comprendre comment et pourquoi certains individu en Haïti aient
leurs actes de naissance quand ils se rendent aux bureaux des Archives pour
trouver un extrait, la réponse est parfois négative.
Question formulées
Convenant que notre expérience de praticien au sein d'un
bureau de l'état civil a influencé en partie le choix de notre
sujet de recherche, nous optons pour une approche consistant en l'examen des
conditions de fonctionnement des bureaux de l'état civil dans la
juridiction de Miragoâne sur une vingtaine d'années environ.
Analyser l'univers de travail des officiers dans le système
d'état civil haïtien, sous l'angle de l'encadrement qui les
concerne.
Question de départ
Devant l'ensemble de questionnements que pourrait susciter le
sujet, nous adoptons une question de recherche principale. La question centrale
de notre recherche se formule ainsi: Qu'est-ce qui pourrait expliquer qu'une
personne ait son acte de naissance, au delà du délai fixé
par la loi pour qu'il soit transmis au bureau des Archives Nationales, ne le
trouve pas consigné dans les registres du dit bureau?
Questions secondaires
Pour en arriver à répondre à ces
interrogations, nous formulons les sous-questions suivantes qui vont guider
notre recherche :
1. Qu'est-ce que les recherches antérieures nous
apprennent sur les différentes dimensions de la question de
l'enregistrement des actes de naissance ?
2. A quel niveau de l'appareil étatique se situe le
problème du non enregistrement des actes de naissance ?
3. Qu'est-ce qui doit-être fait pour enrayer ce
problème ?
Hypothèse scientifique du travail
Plusieurs définitions ont été
proposées autour du concept hypothèse. Dans le cadre de notre
travail nous retenons celle de Grawitz Madeleine pour sa simplicité.
Une hypothèse, d'après Grawitz M.,
c'est une proposition de réponse à une question
posée. Ce sont donc des thèses préalables que le
chercheur émet en fonction des observations empiriques qu'il a faites.
En tant que tel, elle appelle à la vérification à travers
expérimentation et analyse. (Grawitz, 2001)
Ainsi définit l'hypothèse, par souci de
méthode, nous hiérarchisons nos hypothèses en
l'hypothèse générale et les hypothèses secondaires.
Il importe maintenant de donner réponse à nos questions de
départ.
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