4.2.1.2.1 Les constituants de l'interrogation totale
indirecte
Nous allons examiner dans cette section les constituants de
l'interrogation totale indirecte. Considérons les phrases suivantes :
(11) a. Djara na` 0- mbi'??Ì mi' u' 0- ?u' pa'ju`
n?Ì.
Djara Accs PRS- demander si 2sg PRS- manger nourriture M Int
« Djara demande si tu manges la nourriture. »
b. Chouaibou na` 0- ta'? ji`n- n?i' mi' u'
0-pútn?Ì n?Ì. Chouaibou Accs PRS- vouloir
INF -savoir si 2sg PRS- revenir M Int « Chouaibou veux savoir si tu es
revenu. »
c. Amina na` 0-mbi'?? mi' u' 0-?u' po' ma'ria`ma`
n?Ì. Amina Accs PRS- demander si 2sg PRS- habiter avec
Mariama M Int « Amina demande si tu habites avec Mariama. »
d. p?ì na` 0- ta'? ji`n- n?i' mi' na? ?ai'
n?Ì.
3pl Accs PRS- vouloir INF savoir si mère ici M
Int « Ils veulent savoir si la mère est ici. »
Les phrases (11a, b, c, et d) nous permettent de constater que
l'interrogation totale indirecte contient les constituants suivants :
1. Un verbe qui marque la demande ji`-mbi?? (demander)
ou ji`-n?i' (savoir) ;
2. Le complémenteur mi' (si) qui introduit la
subordonnée interrogative ;
3. La subordonnée interrogative.
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Donc les constituants de l'interrogation totale indirecte en
Shupamem se présentent dans l'ordre suivant :
Le verbe interrogatif + Le complémenteur
miì (si) + La subordonnée interrogative.
4.2.1.2.2 Distribution des constituants de l'interrogation
totale indirecte
Dans cette section, nous allons parler de la distribution des
constituants de l'interrogation totale indirecte. Pour cela, reprenons les
phrases (11a, b, c et d)
(12) a. Djara na` ø-mbi'??Ì mi' u' ø -?u'
pa'ju` n?Ì.
Djara Accs PRS- demander si 2sg PRS- manger
nourriture M Int
S V I COMP SI « Djara demande si tu
manges la nourriture. »
b. Chouaibou na` ø- ta'? ji`n- n?i' mi' u'
ø-pu'tn?Ì n?Ì.
Chouaibou Accs PRS- vouloir INF -savoir si 2sg PRS- revenir M
Int
S VI COMP SI « Chouaibou veut savoir si
tu es revenu. »
c Amina na` ø-mbi'??Ì mi' u' ø-?u' po'
ma'ria`ma` n?Ì.
Amina Accs PRS- demander si 2sg PRS- habiter avec Mariama M
Int
S VI COMP SI « Amina demande si tu
habites avec Mariama. »
d. p?Ì na` ø- ta'? ji`n- n?i' mi' na? ?ai'
n?Ì.
3pl Accs PRS- vouloir INF savoir si mère ici
M Int
S V VI COMP SI « Ils veulent savoir si
la mère est ici. »
S + (V) + VI + COMP + SI
Nous remarquons que les phrases (12a, b, c et d) ont toutes la
même structure, toute chose qui nous permet de conclure que la structure
de l'interrogation totale indirecte en Shupamem est la suivante :
S= Sujet
VI= Verbe Interrogatif
SI= Subordonnée Interrogative
4.2.2 L'interrogation Qu
Comme nous l'avons dit au Chapitre trois, en Shupamem, nous
regroupons le syntagme Qu en trois catégories : les arguments, les
adjoints référentiels et les adjoints non
référentiels. Contrairement au français standard,
l'utilisation du syntagme Qu en initial de phrase n'est jamais une option mais
une obligation26. En Shupamem, le syntagme Qu peut
26 Voir Baunaz et Patin (2011).
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rester in-situ c'est-à-dire dans sa position canonique
ou être à la périphérie gauche. C'est ce
qu'illustrent les phrases suivantes :
(13) a. ndiaì pol k÷?Ì
n?Ì ?
Aujourd'hui être quoi M Int
« Quand sommes-nous aujourd'hui ? »
b. il ø- juoìn wo n?Ì ?
2sg PRS- voir qui M Int « Qui vois-tu ? »
c. aì wo juoì û
ø-ju?ln n?Ì ? c'est Qui que 2sg PRS- voir M Int « C'est
qui que tu vois ? »
d. Njikam kaìp?Ì-ndèd n?Ì wo
n?Ì? Njikam P4 montrer à qui M Int « A qui montrait
Njikam ? »
e. aì n?l wo jûoì
?iìkaÌm kaìp?Ì -ndeÌd n?Ì? c'est
à Qui que Njikam P4 - montrer M Int « C'est à qui que Njikam
montrait ? »
Dans chacune des phrases ci-dessus, le syntagme Qu est en
gras. En fait, en (13a, b et d), le syntagme Qu est in-situ alors qu'en (13c et
e), le syntagme Qu est ex-situ parce qu'il est focalisé. Toute chose qui
nous amène à poser un certain nombre des questions :
1. Quel mécanisme syntaxique permet au syntagme Qu en
Shupamem de se déplacer et de se retrouver à la
périphérie gauche ?
2. Est-ce que les syntagmes Qu in-situ sont vraiment exempts de
tout mouvement ? Pour répondre à la première question qui
est celle de savoir ce qui permet au syntagme Qu de se déplacer, nous
allons dire que les syntagmes Qu se déplacent lorsqu'ils sont
focalisés. Comme illustrent les phrases suivantes.
a) Questions sans focalisation du syntagme
Qu
(14) a. û ø- tá? wo
n?Ì?
2sg PRS- vouloir qui M Int « Qui veux-tu ? »
b. û ø- tá? k÷?Ì
n?Ì ?
2sg PRS- vouloir quoi M Int « Que veux-tu ? »
b) Questions avec focalisation du syntagme
Qu
(15) a. aì wo juoì û
ø- taÌ? n?Ì?
c'est qui que 2sg PRS- vouloir M Int « C'est qui que tu
veux ? »
78
b. aì k÷?Ì juoì
û ø- taÌ? n?Ì ?
c'est quoi que 2sg PRS- vouloir M Int « C'est quoi que tu
veux ? »
Les phrases (14a et b) sont les exemples d'interrogations sans
focalisation du syntagme Qu. Ces deux phrases nous permettent de noter que
lorsque le syntagme Qu n'est pas focalisé, il est in-situ
c'est-à-dire qu'il reste dans sa position canonique.
L'analyse du syntagme Qu par Baker (1970) expliquerait bien
cette position in-situ du syntagme Qu dans les interrogations en Shupamem.
Baker, postule pour la présence d'un morphème Q dans la
périphérie gauche de la phrase. Il estime que le fait qu'il ait
un morphème Q dans la périphérie gauche de la phrase
permet au syntagme Qu de ne pas se déplacer. Il ajoute que le
morphème Q qui se trouve dans [Spéc, SC] est co-indexé
avec le syntagme Qu in-situ en même temps qu'il le
C-commande27.
Cette phrase illustre en bref l'analyse de Baker :
(16) [[Qi] p?n na twoì-ju
k÷?Ìi n?Ì ?]] enfant Accs F1-manger
quoi M Int « Que mangeront les enfants »
Dans cet exemple nous constatons que le morphème Q
dans la périphérie gauche est co-indexé avec le syntagme
Qu in-situ, et ce même morphème empêche au syntagme Qu de se
déplacer pour la périphérie gauche.
Par ailleurs, le syntagme Qu peut être ex-situ sans
être focalisé. C'est ce que nous révèlent les
phrases suivantes :
(17) a. wo jaì n?Ì ? qui
où M Int « Qui est où ? »
b. k÷?ì jaì n?Ì ?
quoi où M Int
« Qu'est-ce qui est où ? »
Les phrases (17a et b) nous permettent de découvrir
qu'en Shupamem, le syntagme Qu peut bien être en position ex-situ sans
être focalisé. Toute chose qui nous permet de constater que le
Shupamem se comporte dans une certaine mesure prête comme le
français ou l'anglais qui sont des langues à Qu in-situ et en
même temps à Qu ex-situ.
En conclusion, Contrairement aux langues comme le
français ou la forme avec Qu in-situ et avec déplacement du Qu
représentent des variantes optionnelles, le Shupamem utilise
l'interrogation avec déplacement du syntagme Qu lorsqu'il y a
focalisation du syntagme Qu
27 En syntaxe, on dit que A c-commande B si et
seulement si le premier noeud branchant C qui domine A domine aussi directement
ou indirectement B.
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ou dans les interrogations averbales. Hors mis ces deux cas de
figures, le syntagme Qu reste in-situ. Donc que nous pouvons dire en prenant
appui sur nos données que le Shupamem est une langue à Qu in-situ
et en même temps à Qu ex-situ (voir Cheng et Roocryk
(2000))28.
Notre deuxième question était celle de savoir si
les syntagmes Qu in-situ sont vraiment exempts de tout mouvement. Pour
répondre à cette question, observons les différentes
phrases suivantes :
(18) a. m?ìn ø- swoÌ l?ìrwaÌ
t?Ì paÌm ndiaÌ n?Ì ?
enfant PRS- mettre cahier dans sac aujourd'hui M Int «
L'enfant met-il le cahier dans le sac aujourd'hui ? »
b. m?ìn ø- swoÌ k÷?Ì
t?Ì paÌm ndiaÌ n?Ì ? enfant PRS- mettre
quoi dans sac aujourd'hui M Int « Que met l'enfant dans le sac aujourd'hui
? »
c. m?ìn ø- swoÌ l?ìrwaÌ po
já ndiaÌ n?Ì ? enfant PRS- mettre
cahier dans où aujourd'hui M Int « Où l'enfant met-il le
cahier aujourd'hui ? »
En observant les phrases (18b et c), nous pouvons constater
que le syntagme Qu dans ces deux phrases reste in-situ, il ne se déplace
pas.
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