4.2.1.1.1 Les constituants de l'interrogation totale
directe
Nous allons parler des constituants de l'interrogation totale
directe.
Soient les phrases suivantes :
(5) a u' 0- juo'n ali n?Ì?
2sg P1-voir Ali M Int « As-tu vu Ali ? »
b. u' 0 -?ú n?i'?ka` n?Ì ?
2sg PRS-habiter Njinka M Int « Habites-tu à Njinka ?
»
c. u' ma` 0-?i' u' ?ai' n?Ì?
2sg Neg PRS- connaitre 2sg ici M Int « Ne connais-tu pas ici
? »
d.
71
aì ø-ndieì ali ?aiì n?Ì
? c'est PRS -dormir Ali ici M Int « C'est Ali qui dort ici ? »
e. aì magba ?aì Ali ø-?gwoìn
n?Ì? c'est Magba où Ali PRS-dormir M Int « C'est à
Magba où Ali part ? »
Comme nous révèlent les phrases ci-dessus,
l'interrogation totale directe comporte les constituants suivants : un
sujet, un verbe, un complément et le marqueur de
l'interrogation.
4.2.1.1.2 Distribution des constituants de l'interrogation
totale directe
Pour faciliter notre analyse, nous allons reprendre les
phrases (5a, b, c, d et e) utilisées plus haut. Pour cela, observons les
phrases suivantes :
(6) a. û ø- juoìn Ali n?Ì?
2sg PRS-voir Ali M Int Sujet verbe complément M
Int « As-tu vu Ali ? »
b. u ø -fú n?iì?kaÌ n?Ì
? 2sg PRS-habiter Njinka M Int Sujet verbe complément M Int
« Habites-tu à Njinka ? »
c. ù maÌ ø-n?iì û ?aiì
n?Ì ?
2sg Neg PRS-connaitre 2sg ici M Int
Sujet Nég verbe PPR22 circonstant M
Int
« Ne connais-tu pas ici ? »
d. aì ø-ndieì ali ?aiì n?Ì
? c'est PRS -dormir Ali ici M Int
c'est verbe sujet circonstant M Int «
C'est Ali qui dort ici ? »
e. aì maìgbaÌ ?aì Ali
ø-?gwoìn n?Ì? c'est Magba où Ali PRS-dormir M
Int c'est circonstant Comp sujet verbe M Int « C'est
à Magba où Ali part ? »
En s'appuyant sur les phrases (6a, b, c, d et e), nous
découvrons que l'interrogation totale directe en Shupamem comporte les
structures suivantes :
1-
|
Sujet + verbe + (complément) + M Int
|
22 Le pronom personnel de reprise (PPR) est
utilisé dans les interrogations totales à la forme
négative. Le PPR nous permet de reprendre le pronom personnel qui se
trouve en début de phrase. Dans le cas d'espèce, le pronom
personnel de reprise (PPR) u (tu) en (2a), reprend u (tu) en
début de phrase.
2-
3-
4-
72
Sujet + Nég + verbe + PPR+ (circonstant) + M
Int
Foc + verbe +sujet + (circonstant) +M Int
|
Foc + (circonstant) + Comp + sujet + verbe + M
Int
Avant de continuer, il importe de noter que dans toute phrase
interrogative, le syntagme Qu doit avoir porté sur toute la phrase. Ceci
revient à dire que la phrase interrogative a, comme la plus haute
projection, le syntagme de l'interrogation. Nous rejoignons Strik (2008 :51)
dans cette ligne de pensée qui nous rappelle que depuis les
années 1970, il est généralement admis que le mot Qu,
étant un quantifieur, doit occuper une position haute dans la
périphérie gauche, pour pouvoir avoir portée sur la
proposition entière. De plus, depuis cette même période, on
considère que la position du complémenteur d'une question Qu est
dotée d'un trait Qu ou interrogatif qui force le mot Qu à se
déplacer vers cette position. C'est ce que Rizzi (1992), cité par
Strik (2004 :51) appelle le critère Qu23 :
A. Un opérateur Qu doit être dans une configuration
[Spéc, Tête] avec un noeud X <+Qu>.
B. Un noeud X <+Qu> doit être dans une configuration
[Spéc, Tête] avec un opérateur Qu.
(7) SC
Opérateur Qu C'
IP C°
+QU
En outre, Nchare (2004 :146) pense aussi que d'après
l'approche standard, le trait [+Q] est généré dans C°
; il y a déplacement de l'opérateur de l'interrogation au
spécifieur du complémenteur étant donné le
critère Q.
23 Le critère Qu exige une configuration structurale
[Spéc, Tête] entre le syntagme Qu et le verbe fini et demande que
le verbe fléchi se déplace de la tête du syntagme de
l'inflexion (IP) pour la tête du syntagme du complémenteur (SC).
Selon Strik (2008 : 51 ,52), le Critère Qu stipule qu'à un
certain niveau de représentation d'une phrase interrogative, un
opérateur interrogatif doit se trouver dans le spécifieur
(Spéc) du complémenteur qui est interprété comme
une question et qu'inversement, le complémenteur d'une question doit
avoir un opérateur interrogatif dans son spécifieur. Le
Critère Qu exige donc une configuration structurale dans laquelle il y a
accord entre le spécifieur et la tête de la projection SC.
73
Cette analyse nous permet de conclure qu'en Shupamem, il y a
bel et bien mouvement dans une phrase interrogative. Il convient tout au moins
de noter que ce mouvement est invisible parce qu'il s'opère en forme
logique (FL) ; cette analyse du syntagme Qu est connue sur le nom l'analyse
à la Chomsky24. Huang (1982)25 a
mené une étude similaire sur les syntagmes Qu mais sur le
chinois. L'exemple suivant illustre le mouvement dans la phrase interrogative
en Shupamem.
(8) û ø -fû n?i'?ka` n?Ì?
2sg PRS- habiter Njinka M Int « Habites-tu à Njinka ?
»
24 L'analyse à la Chomsky est une façon
d'analyser les syntagmes Qu mis sur pied par Chomsky (1977). Selon lui, le
déplacement des syntagmes Qu in-situ s'opère en Forme Logique
(FL) c'est-à-dire en syntaxe invisible. Ceci s'explique par le fait que
le syntagme Qu est un quantificateur ou un opérateur et pour cette
raison, doit obligatoirement occuper une position haute dans la
périphérie gauche de la phrase pour avoir portée sur la
phrase interrogative toute entière.
25 Huang (1982) analyse le syntagme Qu dans la même
vision que Chomsky (1977). Il s'appuie sur l'hypothèse formulée
par Chomsky qui postule pour le déplacement du syntagme Qu en forme
logique. Il prend l'exemple du chinois où les syntagmes interrogatifs se
trouvent in-situ, mais se déplacent au début de phrase afin
d'avoir portée sur toute la phrase. Comme indiquent les phrases
suivantes :
(1) a. Ta renwei ni maile shenme ?
Il pense tu achètes quoi ?
« Qu'est-ce qu'il pense que tu achètes ? »
b. [CP1 shenmei [ta renwei [CP2 ni maile ti]]] Quoi il pense tu
achètes
(Canel 2012 :62 ex (134a & b), Aoun & Li 1993 :
201))
En réalité, le travail de Huang (1982) constitue
une étape majeure dans l'analyse des syntagmes Qu in-situ, c'est dans
cette lancée que Strik (2004 : 109) affirme que «Huang a
été le premier auteur à avancer l'hypothèse qu'en
chinois et d'autres langues asiatiques, le mouvement Qu s'opère en FL.
Dans cette langue, les mots Qu se trouvent in-situ dans la syntaxe visible. Le
travail de Huang (1982) a contribué énormément au
développement de la théorie des questions Qu et en même
temps de la théorie de la Forme Logique dans le modèle du
Gouvernement et du Liage».
La conclusion de Huang (1982) sur les syntagmes Qu est que
dans toute langue, on peut appliquer le mouvement Qu, mais que selon le type de
langue, on applique la règle du mouvement en FL ou bien en syntaxe
visible. C'est ce qui nous ramène aux Principes et Paramètres qui
nous permettent de savoir que les langues ne sont pas si différentes les
unes des autres. Les différences qu'on observe au niveau des langues
sont des différences apparentes (ordre des mots, différences des
mots, de sons...). C'est pour cette raison que les différences entre les
langues sont qualifiées d'épiphénomène. L'analyse
de Huang nous permet de comprendre que chaque langue a sa règle du
mouvement du syntagme Qu, et qu'il serait maladroit d'analyser les syntagmes Qu
dans une logique de la généralisation.
74
(9) SInt
Spéc Int'
n?Ì û
N°
Jú n3lI)kà
Int° SAccor
Spéc Accor'
Accor° ST
Spéc T'
T° SV
Spéc V'
V° V
SN
N'
L'arbre ci-dessus représente la phrase (8). Comme nous
pouvons le constater, la plus haute projection de notre arbre est le syntagme
de l'interrogation (SInt). Il y a mouvement du syntagme de l'accord (SAccor).
Il s'agit en fait du déplacement de tout le syntagme de l'accord
(SAccor) à [Spéc, SInt]. C'est ce qu'on appelle «heavy
pied-piping» pour parler comme Nkemnji (1995 :16).
C'est donc après ce mouvement que nous obtenons la
phrase (8). Cet arbre nous permet de comprendre qu'en Shupamem, le marqueur de
l'interrogation (?Ì, m?` et n?Ì) occupe la plus haute projection
dans une interrogation.
4.2.1.2 Interrogation totale indirecte
Tout d'abord, il convient de noter que dans l'interrogation
indirecte, la question est posée dans une enchâssée
dépendant d'un verbe marquant la demande ou l'ignorance. Notons que
l'interrogation indirecte est introduite par le complémenteur ml
(si) comme nous montrent les phrases (10a, b, c et d) ci-dessous.
L'interrogation totale indirecte est une interrogation dont la réponse
est « oui » ou « non » et dont la
question est posée dans une enchâssée qui dépend
d'un verbe marquant la demande. Les phrases suivantes sont des interrogations
totales indirectes.
75
(10) a. m?? na` 0-mbi'??Ì mi' u 0-?u' po' ni'
n?Ì.
1sg Accs PRS- demander si 2sg PRS- habiter avec lui M Int «
Je demande si tu habites avec lui. »
b. m?? na` 0- ta'? ji'n- n?i' mi' u` pu'tn?Ì
n?Ì. 1sg Accs PRS- vouloir INF-savoir si 2sg revenir M Int « Je
veux savoir si tu es revenu. »
c. m?? na` 0-mbi'??Ì mi' u` 0-?gwo'n ndia'
n?Ì. 1sg Accs PRS- demander que 2sg PRS- partir aujourd'hui M Int
« Je demande si tu vas aujourd'hui. »
d. m?? na` 0- ta'? ji'n- n?i' mi' u` 0- ?u' ?ai'
n?Ì. 1sg Accs PRS-vouloir INF savoir que 2sg PRS- habiter
ici M Int « Je veux savoir si tu habites ici. »
Les phrases (10a, b, c et d) sont des interrogations totales
indirectes. Les questions indirectes dépendent du verbe dans la
proposition matrice. Les verbes matrices les plus évidents sont se
demander et savoir qui sont en fait des verbes qui marquent la
demande. Toutes ces phrases contiennent toutes des verbes qui marquent la
demande ji'n-mbi'??Ì (demander) en (10a et c) et ji'n-n?i'
(savoir) en (10b et d). En outre, ce type d'interrogation n'a pas de point
d'interrogation en fin de phrase.
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