§SECTION 2. Fondements théorique et
empirique
La section précédente nous a permis d'avoir une
idée plus ou moins claire de la situation du marché des
combustibles pour la cuisson dans le milieu urbain haïtien. Dans la
présente section, nous mettrons en exergue un ensemble de
théories et de travaux empiriques sur lesquelles s'appuiera notre
recherche.
§ Quelques théories de la consommation et
du comportement
Dans cette section, nous présenterons deux
théories microéconomiques qui traitent de la consommation des
ménages sur le marché des biens, quelques théories
générales issues de la psychologie sociale visant à
expliquer et à prédire les comportements des individus, et la
théorie de la transition énergétique qui indique la
séquence de cette transition.
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1. Les théories de la consommation
Pascal Corbel (1999/2003) a publié une fiche de
synthèse sur les théories de la consommation les plus
fréquemment cités dont nous nous proposons de relayer (dans ce
travail) deux d'entre-elles traitant de la consommation suivant une approche
strictement microéconomique. Il s'agit précisément de la
théorie néoclassique et de celle de Friedman.
a) La théorie néoclassique de la
consommation
Selon cette théorie le consommateur cherche à
maximiser sa satisfaction, mais son pouvoir d'achat lui contraint à
faire des choix. Pour faciliter son choix, le consommateur mesure la valeur de
chaque bien par l'utilité qu'il retire de la consommation ou de
l'utilisation de ce bien. Ainsi, pour deux biens considérés,
plusieurs combinaisons peuvent avoir la même utilité
cumulée pour le consommateur, c'est-à-dire peuvent lui procurer
la même satisfaction. D'où la notion de « courbe
d'indifférence » représentant graphiquement l'ensemble des
combinaisons pour lesquelles le consommateur est indifférent. A ce
stade, le choix entre ces différentes combinaisons (a priori
équivalentes) dépend du revenu du consommateur. Ainsi, pour
maximiser sa satisfaction, le consommateur choisira la combinaison qui utilise
tout son revenu, sans bien sûr le dépasser. Ainsi, l'optimum du
consommateur sera atteint à l'intersection entre sa droite de revenu et
la courbe d'indifférence la plus haute qu'il lui est accessible.
b) La théorie de Friedman
Selon Friedman, le revenu des agents peut connaître des
variations qui peuvent être importantes de période en
période. Alors que, les dépenses de consommation
présentent dans l'ensemble une relative stabilité. Sur la base de
ces constats, Friedman propose de distinguer deux composantes au sein du revenu
et de la consommation :
? Revenu du ménage = Revenu permanent (Rp) + revenu
transitoire (Rtr). Friedman a réfléchi dans une optique de
patrimoine. Selon lui, ce n'est pas le revenu courant qui détermine la
consommation du ménage mais la richesse de l'agent et, particulier son
revenu permanent. Le revenu permanent représente, en quelque sorte,
l'intérêt de la richesse du ménage. Il définit le
revenu permanent comme « la somme qu'un consommateur peut consommer en
maintenant constante la valeur de son capital ». Quant au revenu
transitoire, il est exceptionnel, et peut être positif ou négatif.
Le revenu transitoire sera totalement épargné s'il est positif.
Il sera financé par l'emprunt s'il est négatif.
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? De même, Consommation du ménage = Consommation
permanente (Cp) + consommation transitoire (Ctr). La consommation permanente
est une consommation de longue période. La propension à consommer
de longue période dépend des préférences des
ménages, du caractère plus ou moins aléatoire de leur
revenu et du taux d'intérêt sur le marché. Ainsi, Friedman
conclut que l'unique relation stable qui existe entre la consommation et le
revenu est celle entre la consommation permanente et le revenu permanent.
En fait, l'idée de Friedman repose sur
l'hypothèse que les ménages ont une idée bien
précise de leur revenu « normal » sur le moyen-long terme.
C'est en ce sens qu'il utilise le concept de « revenu permanent », en
fonction duquel le consommateur décidera de la part de son revenu
à affecter à chaque bien de son panier de consommation. Ainsi,
une variation de court-terme du revenu d'un ménage (augmentation due
à la réception d'un transfert important ou diminution pour cause
de chômage) n'influencera pas forcément le niveau de consommation
du ménage.
En effet, cette théorie pourrait être bien
adaptée à la réalité économique des
ménages haïtiens qui, souvent, consomment une combinaison de
combustibles pour la cuisson des aliments. Toutefois, parmi cette combinaison,
le ménage n'a aucun doute sur celui qui constitue sa principale source
d'énergie, laquelle exprime sa préférence ou encore sa
consommation permanente. En toute vraisemblance, ce principal devrait
être le combustible qui correspond le mieux au revenu « normal
» du ménage mieux encore, à son revenu permanent, pour
emprunter le concept de Friedman.
Quoique le revenu soit une variable d'importance dans le choix
du ménage urbain d'un combustible pour la cuisson, nous pensons que la
consommation de combustibles chez le ménage urbain haïtien ne
dépend probablement pas uniquement de son revenu courant ou même
de son revenu permanent. Ainsi, les théories néoclassiques et de
Friedman susmentionnées nous paraissent insuffisantes pour expliquer le
comportement de consommation des ménages urbains haïtiens sur le
marché de combustibles pour la cuisson. Nous avons la présomption
que cette consommation soit influencée par d'autres facteurs
extra-économiques tels que : les caractéristiques du
ménage, mais surtout la perception du chef de ménage
vis-à-vis des combustibles disponibles. Cette perception est souvent le
fruit d'influences environnementale et culturelle. Aussi, sommes-nous
amenés à explorer différents modèles
théoriques psychosociales.
2. Les théories générales issues de
la psychologie sociale
a) La théorie de l'action raisonnée
(TAR)
La théorie de l'action raisonnée (TAR) est
l'oeuvre d'Ajzen & Fishbein (1980). Elle postule que le comportement de
l'individu dépend directement de son intention de réaliser ce
comportement. Quant à l'intention de l'individu, elle est
alimentée par ses croyances sur les conséquences de l'adoption du
comportement (attitude), et des croyances liées à l'opinion d'un
groupe de référence par rapport à ce comportement (normes
subjectives).
Schéma : d'Ajzen & Fishbein 1975
Croyances quant aux conséquences associées
à l'adoption du comportement X évaluation
des conséquences.
Variables externes : -caractéristiques individuelles
-variation du comportement -variation situationnelle -différences
individuelles -situation de l'expérience.
Attitude à l'égard du comportement
Intention
Comportement
Croyances concernant ce que pensent les personnes
influentes quant au comportement à adopter X motivation à
se conformer
|
Norme subjective
|
b) La théorie du comportement
planifié
Ajzen (1991) à compléter la théorie de
l'action raisonnée (TAR) en faisant apparaitre les croyances de
contrôle et les facilitations perçues (ressources et
opportunités). Ce qui lui a permis de prendre en compte les
comportements qui ne dépendent pas que de la volonté de
l'individu. Ce modèle
Croyances
Croyances de contrôle et les facilitations
perçues
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Norme subjective
Attitude
Norme subjective
Intention
Comportement
Croyances à l'égard du comportement.
Schéma : Ajzen (1991)
c) Le modèle d'acceptation de la
technologie
Ce modèle est l'oeuvre de Davis (1989). C'est un
modèle basé sur la TAR, lequel ne prend en compte que l'attitude,
et destiné à expliquer le comportement des individus dans le
domaine spécifique des TIC8. Dans ce modèle, les
déterminants de l'adoption sont l'« Utilité perçue
(croyance de l'augmentation de la performance grâce à
l'utilisation de la Technologie) et la « Facilité d'utilisation
perçue » de la technologie par l'individu.
Schéma : Davis (1989)
Utilité
A
Intention
Facil ité
Va ria
Uti
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d) La théorie des comportements
interpersonnels
La théorie des comportements interpersonnels a
été développée par Triandis (1980). Ce
modèle englobe la plupart des variables présentes dans les
modèles précédentes et intègre à la fois des
déterminants structurels et des déterminants psychologiques de
l'individu (Intention : facteurs sociaux, conséquences perçues,
affects ; Habitude ; Conditions facilitatrices)
Schéma : Triandis (1980).
Conséquences perçues
Affect
Habitud
Intention
Conditions
Facteurs
Comportement
8 TIC: Technologie de l'information et de la
communication.
e) 19 | P a g e
La théorie de l'influence
sociale
L'hypothèse fondamentale de cette théorie est que
l'attitude d'un individu est influencée par la société
dans laquelle il vit, et surtout, par les gens qui lui sont proches. Cette
théorie semble être bien adaptée à la situation de
la majorité des ménages urbains haïtiens dont le choix des
combustibles pour la cuisson est souvent influencé par les informations
qui circulent dans le voisinage.
En effet, tout ce qui est dit dans la communauté
(racontars, rumeurs, expériences rapportés...) à propos
des combustibles disponibles est de nature à nourrir les perceptions
(positives ou négatives) des uns et des autres par rapport à ces
produits.
f) La théorie de l'influence
interpersonnelle
« La conviction que les interactions entre les hommes
structurent les comportements est à la base de la psychologie sociale
» (Laurent, 2003 : 1). De multiples influences interpersonnelles sous
différentes formes viennent en permanence modifier les attitudes des
consommateurs et réorienter leurs comportements (Miniard et Cohen, 1983
: cité par Laurent, 2003, pp. 1). De manière
générale, Laurent (2003) distingue deux processus d'influence
interpersonnelle :
a. Le processus d'influence informationnelle (Deutsh et
Gérard, 1955 ; Park et Lessig, 1977 ; Price et Freick, 1984 :
cité par Laurent, 2003, pp. 1) qui est une démarche active de
recherche d'information et d'acceptation des conseils et recommandations
effectués par certains référents choisis. Ce processus est
le suivant : les recommandations prodiguées sont évaluées
(internalisation selon Kelman, 1961), puis aboutit à la reconnaissance
de la validité et de la pertinence de l'information dans l'optique de
ses propres décisions d'achats.
b. Le processus d'influence normative dans lequel le
consommateur prend en compte des jugements induits des comportements
conformistes. Il rentre dans une démarche d'ajustement de ses choix en
fonction de l'anticipation des jugements négatifs ou positifs de
référents subis ou choisis.
De nombreux auteurs ont montré que l'influence
qu'exercent les réponses des autres sur les jugements d'un individu,
dépend de la certitude qu'a cet individu de la validité de son
jugement initial. Plus un sujet est certain de ses réponses, plus il
« résiste » à l'influence sociale (Kelley et Lamb, 1957
: cité par G. de Montmollin, 1967, pp. 477) ; moins il est sûr de
lui et plus il a tendance à adopter la réponse des autres ou
à s'en rapprocher (Montmollin, 1967). Certaines études
expérimentales ont également montré que plus le stimulus
était ambigu ou peu structuré, plus le sujet avait tendance
à suivre la majorité et à se rapprocher de la
réponse des autres (Sherif, 1935 ; Coffin,
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1941 ; Sherif, 1952 : cité par Montmollin, 1967 pp.
478). Ainsi, tenant compte des graves problèmes d'éducation et
d'information dont fait face la population haïtienne, il y a lieu de
croire que l'influence sociale soit forte et est de nature à influencer
le comportement des ménages sur le marché des combustibles.
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