2. MÉTHODES
La réalisation d'un AG est semblable à celle
d'un antibiogramme : on ensemence un milieu de culture gélosé,
puis on y dépose des disques imbibés d'huile essentielle,
à l'aide de micropipettes de 5 et de 10 uL. Les géloses sont
ensuite retournées et mises à incuber à 37°C. La
lecture des résultats se fait après 18 à 24h d'incubation.
Le diamètre du halo d'inhibition pour chaque huile essentielle
testée est ensuite mesuré.
Dans cette étude, nous cherchons un protocole qui
permette de comparer les effets antibactériens in vitro de
différentes huiles essentielles sur un même germe, comme on le
ferait pour les antibiotiques avec un antibiogramme : il permettrait d'observer
des halos d'inhibition autour des disques, plus ou moins grands selon les
huiles essentielles. Nous utiliserons un témoin négatif,
c'est-à-dire un disque seul ou un disque imbibé d'huile
végétale (HV), ici de l'huile de sésame, qui nous
permettra de confirmer que les halos d'inhibition observés, et donc les
effets antibactériens, sont bien dûs à l'effet de l'huile
essentielle et non à une contamination des disques, ou encore une
inhibition par la phase huileuse. La répétabilité du
protocole est également un critère : avec un même
protocole, des germes et des HE identiques, on doit obtenir le même
résultat.
Nous avons considéré plusieurs paramètres
nous permettant d'optimiser notre protocole : le milieu de culture
utilisé, les disques utilisés et le volume déposé
sur le disque, la composition déposée sur le disque (utilisation
ou non d'un dispersant, dilution de l'HE ou non), la condition de
dépôt de l'HE et enfin la quantité de disques à
disposer sur une même plaque. Nous nous sommes appuyés pour cela
sur des articles de la littérature (34) (35) (38) (41) (44) (47) (48)
(49) ainsi que sur des informations issues de laboratoires pratiquant les AG,
comme LABOVET CONSEIL, VEBIO ou BACTOLAB.
Nous avons utilisé des milieux gélosés
Mueller-Hinton (voir Annexe IX), le milieu standardisé recommandé
pour les antibiogrammes : celui-ci est non sélectif et permet la culture
de l'ensemble des bactéries peu exigeantes. Néanmoins, celui-ci
ne permet parfois pas la culture de certaines bactéries
particulièrement exigeantes (Haemophilus ssp. par exemple) :
nous avons donc également testé l'utilisation d'une gélose
Mueller-Hinton enrichie au sang.
Différents disques ont été testés
: des disques de papier buvard classique de 4 mm de diamètre, ces
mêmes disques utilisés en double épaisseur (superposition
de deux disques) et des disques en cellulose de 6 mm de diamètre
(DUTSCHER ref 074074), classiquement utilisés pour les antibiogrammes.
Des volumes de 10 uL et de 5 uL d'HE ont été testés.
Nous avons considéré différentes
compositions de solution à déposer sur le disque : HE pure ou HE
diluée (à des dilutions 4/5, 3/5, 2/5 et 1/5), en utilisant de
l'huile végétale (HV) de sésame pour effectuer ces
dilutions. Nous avons également testé l'utilisation d'un
dispersant, le Diméthylsulfoxyde (DMSO), permettant la solubilisation
des huiles et ainsi potentiellement une meilleure diffusion de celles-ci sur la
gélose.
Deux conditions de dépôt de l'HE ont
été testées : le dépôt de l'HE sur le disque
alors que celui-ci n'avait pas encore été déposé
sur la gélose, et le dépôt de l'HE sur le disque
déjà déposé sur la gélose.
Enfin, nous avons testé divers nombres de disques
imbibés d'HE sur une même plaque : 3, 5, 6 et 10.
Le protocole exact de chaque AG réalisé est
décrit en Annexe V. Les diamètres des halos d'inhibition ont
ensuite été mesurés à la règle directement
sur la boîte de Pétri ainsi que via le logiciel ImageJ,
suite aux photographies réalisées. L'échelle a
été faite en se basant sur le diamètre des disques, qui
était connu pour chaque AG, et offrait une meilleure précision
que la taille de la boîte de Pétri.
RESULTATS
1. Milieux de culture
Sur les plaques Mueller-Hinton enrichies au sang, nous observons
au niveau de certains disques un halo jaune, qui peut gêner la
lisibilité de la plaque.
|
Figure 3 - Aromatogramme n°8, réalisé
avec Staphylococci en utilisant une double épaisseur de disques
de papier buvard de 4 mm, imbibés d'un volume de 10 uL ou de 5 uL d'HE
d'origan (O), de Tea Tree (T), d'Achillée (A), de Pin (P) et
d'Eucalyptus (E), après une incubation de 18h à 37°C.
Nous observons notamment ce phénomène au niveau
des disques imbibés d'HE d'Origan vulgaire (voir Figure 2).
Au contraire, les géloses Mueller-Hinton non enrichies
permettent une bonne lisibilité des halos d'inhibition.
|
|
2. Disques et volumes déposés
Figure 4 - Aromatogramme n°12, réalisé avec
Klebsiella en utilisant des disques de papier buvard de 4 mm,
imbibés d'un volume de 5 mL d'HE d'Origan (O), de Tea Tree (T),
d'Achillée (A), de Pin (P) et d'Eucalyptus (E) ou disque seul (1),
après une incubation de 18 h à 37°C
Figure 5 - Aromatogramme n°5, réalisé avec
Klebsiella et Escherichia coli, en utilisant des disques de
papier buvard de 4 mm de diamètre, imbibés d'un volume de 10 mL
d'HE de Tea Tree (T) et de Lavande (L), ou disque seul (1), après une
incubation de 18h à 37°C
11
Lors de l'utilisation de disques de papiers buvard classiques
de 4 mm, nous avons constaté que peu importe le volume utilisé,
celui-ci est trop important, et l'huile déborde autour du disque (voir
Figure 3 et 4).
12
Au contraire, l'utilisation d'une double épaisseur de
ces mêmes disques a permis une imprégnation des disques de
manière homogène, sans que l'huile ne déborde sur la
gélose, et ce peu importe le volume utilisé. Nous observons alors
des halos réguliers, bien identifiables. Nous observons par ailleurs des
halos d'inhibition plus nettes et plus larges pour un volume de 5 uL, montrant
une meilleure diffusion de l'huile sur la gélose.
L'utilisation de disques de cellulose de 6 mm a permis une
absorption optimale de l'huile. Néanmoins nous observons parfois des
halos d'inhibition peu nets, montrant une moins bonne diffusion de l'huile
qu'avec l'utilisation d'une double épaisseur de disques. Nous ne
remarquons pas de différence significative entre un dépôt
de 5 uL ou de 10 uL.
3. Composition de la solution
L'utilisation d'HE diluée n'a donné que peu de
résultats : nous n'observons alors que des halos faibles voir
inexistants.
Les dispersants utilisés, disposés seuls (savon
liquide ou DMSO), n'ont pas montré d'action antibactérienne (on
n'observe aucun halo d'inhibition autour du témoin négatif).
Néanmoins, leur utilisation n'a pas donné de différences
au niveau des résultats. Au contraire, leur utilisation avait pour effet
une concentration moins importante d'HE dans le disque, et ainsi des halos
d'inhibition moins importants.
4. Conditions de dépôts et nombre de
disques
Lorsque le dépôt de l'HE sur le disque est
réalisé avant que le disque ne soit déposé sur la
gélose, nous observons alors que l'huile/la solution
déposée a tendance à transpercer, laissant des traces sur
le plan de travail : on ne peut alors plus quantifier de manière
précise la quantité d'HE contenue par le disque une fois celui-ci
déposé sur la gélose.
5. Mesures réalisées
Nous n'avons observé aucune différence entre les
plaques sur lesquelles étaient disposées 3, 5 ou 6 disques d'HE,
qu'il s'agisse de la croissance bactérienne ou des halos d'inhibition.
Néanmoins, au niveau des géloses sur lesquels 10 disques d'HE ont
été déposés, nous observons parfois une croissance
bactérienne moindre. De plus, les halos d'inhibition étant
parfois confondus, la lecture des résultats est difficile (voir Figure
5).
Figure 6 - Aromatogramme n°9, réalisé avec
Escherichia coui en utilisant une double épaisseur de disques
de papier buvard de 4 mm, imbibés d'un volume de 10 uL ou de 5 uL d'HE
d'origan (O), de Tea Tree (T), d'Achillée (A), de Pin (P) et
d'Eucalyptus (E), après une incubation de 18h à 37°C.
Via l'utilisation des différentes techniques
énoncées, nous avons pu mesurer des diamètres de halos
d'inhibition. Vous trouverez dans le tableau suivant ces différents
diamètres. La mention « > 15 mm » est indiquée
lorsque le halo d'inhibition est trop grand et se confond avec ceux des autres
HE, ce qui empêche une mesure plus précise. La mention «
Æ » est indiquée lorsqu'aucun halo n'est observé. Les
photographies des AG correspondants sont visibles dans l'Annexe VI.
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Figure 7 - Diamètres des halos d'inhibition pour chaque
HE testée et pour chaque germe testé.
HE testée Bactérie
testée
|
Achillée millefeuille
|
Eucalyptus globuleux
|
Origan vulgaire
|
Pin
sylvestre
|
Tea Tree
|
Staphylococcus pseudointermedius
1
(A8, A10)
|
8 mm
|
9 mm
|
22 mm
|
0
|
12 mm
|
Staphylococcus pseudointermedius
2
(A13)
|
12 mm
|
11 mm
|
21 mm
|
10 mm
|
16 mm
|
Staphylococcus pseudointermedius
3
(A14, A16)
|
12 mm
|
17 mm
|
28 mm
|
14 mm
|
17 mm
|
Staphylococcus pseudointermedius
4
(A18)
|
0
|
0
|
27 mm
|
10 mm
|
0
|
Klebsiella ssp. 1
(A12)
|
10 mm
|
8 mm
|
27 mm
|
0
|
23 mm
|
Klebsiella ssp. 2
(A19)
|
16 mm
|
> 15 mm
|
> 15 mm
|
> 15 mm
|
> 15 mm
|
Escherichia coli
(A9, A11)
|
8 mm
|
9 mm
|
22 mm
|
0
|
12 mm
|
Pasteurella multocida
(A15, A17)
|
0
|
12 mm
|
40 mm
|
10 mm
|
14 mm
|
Corynebacterium pyogenes
(A19)
|
12 mm
|
18 mm
|
> 15 mm
|
14 mm
|
14 mm
|
DISCUSSION
1. Milieux de culture
La teinte jaune observée au niveau de certains disques
d'HE correspond certainement à la bilirubine, un pigment jaune issu de
la dégradation des hématies. En effet, d'après GRAS PA. de
BACTOLAB (voir Annexe II et IV), l'utilisation d'une gélose enrichie au
sang est incompatible avec la réalisation d'un AG de part la
capacité d'hémolyse de certaines HE. On préfèrera
donc lorsque cela est possible l'utilisation d'une gélose Mueller-Hinton
non enrichie. Cela limite néanmoins l'utilisation des AG aux
bactéries non exigeantes. Il pourrait alors être
intéressant de tester l'utilisation d'autres milieux enrichis pour les
AG, permettant la culture des bactéries très exigeantes sans
qu'il puisse y avoir hémolyse.
2. Disques et volumes déposés
Les disques de papiers buvards de 4 mm de diamètre ne
disposent pas d'une capacité d'absorption suffisante pour la
réalisation d'AG. L'utilisation d'une double épaisseur de ces
disques permet de résoudre ce problème, alors l'absorption de 10
uL ou de 5 uL est possible et donne de bons résultats. De même,
les disques de cellulose de 6 mm ont une absorption suffisante pour 5 uL et
pour 10 uL, et sont plus pratiques d'utilisation, mais donnent lieu à
des résultats moins nets. Ces deux techniques pourront donc être
utilisées pour la réalisation d'AG. En ce qui concerne la
littérature, d'après CUNTZMANN A. (48), FONTANAY S. et al. (11),
TOURE D. (38) et DE BILLERBECK V-G. (46), les disques de cellulose de 6 mm sont
les plus utilisés. Il pourrait être intéressant de tester
l'utilisation de disques de 6 mm d'une plus grande
14
épaisseur, qui pourrait permettre une diffusion de l'HE
plus homogène et ainsi des résultats plus nets. Le volume
déposé des études précédentes est variable :
20 uL pour TOURE D. (38), 15 uL pour GUINOISEAU E. (39), 10 uL pour FONTANAY S.
et al. (11), CUNTZMANN A. (48), VEBIO et BACTOLAB, 8 uL pour CHABENAT H. (41)
et enfin 5 uL pour LABOVET CONSEIL. En effet, tant qu'on dispose de disques
avec une absorption suffisante, la quantité déposée semble
importer peu sur les résultats obtenus. Ces différences entre les
études empêchent par contre une comparaison rigoureuse entre elles
: cela justifie à nouveau la nécessité de la mise en place
d'un protocole standardisé.
3. Composition de la solution
Contrairement à ce que l'on retrouve dans la
littérature, où il est fait usage de DMSO comme dispersant,
permettant de pallier à des difficultés de diffusion des huiles
(BOUTABIA L. et al. (47), TOURE D. (38), GUINOISEAU E. (39), FONTANAYS S. et
al. (11), CHABENAT H. (41)), nous avons obtenus de meilleurs résultats
via l'utilisation d'une solution d'HE pure. Cela permet
d'éviter de possibles interactions entre l'HE et le dispersant, qui
inhiberaient le pouvoir antibactérien (le Tween 80, un dispersant,
était par exemple recommandé par CRÉMIEUX A. et al. en
1981 comme neutralisateur des désinfectants phénoliques (41)). Il
s'agit d'ailleurs de la procédure utilisée par les laboratoires
VEBIO, LABOVET CONSEIL et BACTOLAB (Annexe I, II, III et IV).
4. Conditions de dépôt et nombre de
disques
Le dépôt de l'HE sur les disques avant que
ceux-ci ne soient déposés sur la gélose donnant lieu
à un risque d'imprécision sur le volume contenu par le disque,
nous préfèrerons effectuer les dépôts après
avoir positionné les disques sur la gélose.
Les HE étant des composés volatiles, on peut
expliquer une croissance bactérienne moindre lorsqu'un nombre trop
important de disques d'HE est déposé sur une seule gélose.
En effet, la culture bactérienne subit alors l'effet d'une concentration
trop importante d'HE. On préfèrera donc limiter le nombre de
disques d'HE sur une même gélose à un maximum de 6, nombre
pour lequel nous n'observons aucun impact au niveau de la croissance
bactérienne, et pour lequel la lecture du diamètre des halos
d'inhibition est possible. L'idéal serait de ne disposer qu'un seul
disque par plaque, l'assurance que les résultats ne soient pas
faussés par la volatilité des huiles. Nous n'avons pas
trouvé d'informations sur ces paramètres dans la
bibliographie.
5. Cohérence des mesures
Nous avons obtenu des résultats qui sont
répétables d'une expérience à l'autre (même
diamètre obtenu pour un couple bactérie/HE à plus ou moins
1 mm près). Ces résultats sont cohérents avec la
littérature : par exemple, l'HE d'Origan vulgaire, citée comme HE
majeure (d'après BELAICHE P., DA SILVA F. (45),
LAURENT J.), avec un effet antibactérien à large spectre, nous
laisse observer de larges halos d'inhibition pour tous les germes
testés.
6. Limites d'interprétation
Grâce à l'utilisation de l'AG, nous avons pu
quantifier et observer l'effet antibactérien de certaines HE sur des
souches bactériennes spécifiques. Néanmoins, il est
important de savoir que ces résultats ne sont pas
généralisables. En effet, les HE sont des composés
complexes (voir la notion de chémotype explicitée
précédemment), qui peuvent avoir une composition sensiblement
différente selon différents paramètres. De même,
différents variants chez les
15
bactéries peuvent expliquer leur résistance ou
leur sensibilité plus ou moins accrue à certains composés
(comme on peut l'observer avec les antibiogrammes). Il est difficile d'affirmer
qu'une HE en général est efficace sur une espèce
bactérienne en général. L'AG est donc plutôt une
technique à utiliser au cas par cas, dans le but de trouver la (ou les)
HE adaptée(s) à un patient, et non pas de définir des cas
généraux. Cette limite est soulignée par ZITI-FREVILLE N.
(34) et DA SILVA F. (45).
Par ailleurs, nous avons pu observer que l'HE d'Origan
vulgaire est efficace sur l'ensemble des germes testés, tandis que l'HE
de Pin sylvestre n'est que très peu efficace. Ces résultats sont
à nuancer : en effet, ils peuvent être dûs à une
différence de pouvoir antibactérien, mais également
à une différence de capacité de diffusion. L'AG en milieu
solide favorise les HE ayant une grande capacité de diffusion en milieu
solide, au détriment d'autres HE diffusant moins bien mais pouvant
être tout autant efficaces, limite énnoncée par DA SILVA F.
(45) et FONTANAY S. et al. (11).
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