3- Problématique de
l'étude
Durant les quatre décennies qui ont
précédé le nouveau millénaire, la croissance
économique a été au point mort plus dans la région
subsaharienne de l'Afrique. En 2000, le PIB par habitant en termes réels
pour l'ensemble de la région dépassait de 7% à peine celui
de 1960. Mises à part quelques exceptions positives, comme le Botswana
qui a longtemps bénéficié d'une croissance forte et
constante avant 2000 et quelques autres pays qui ont connu de brefs
épisodes de croissance dans les années 1970 et 1980, la majeure
partie de la région restait enlisée dans la pauvreté.
Depuis plus d'une décennie, en dépit des crises mondiales qui ont
été plus ou moins dramatiques pour de nombreuses parties du
monde, l'Afrique s'est globalement bien comportée et a fait preuve d'une
capacité de résilience insoupçonnée ce qui lui a
permis d'enregistrer dans l'ensemble une certaine croissance. La croissance du
PIB de l'Afrique devrait atteindre 4% contre 3,5% en 2018. D'après les
données de la Banque mondiale (2018), le continent abrite six des dix
économies dont la croissance est la plus rapide dans le monde (Ghana,
Ethiopie, Cote d'ivoire, Djibouti, Sénégal et Tanzanie). Il
semble actuellement qu'une série de facteurs interdépendants
contribue à renforcer le rythme de cette croissance. Le stock global des
investissements directs étrangers (IDE) en Afrique a augmenté 11%
en 2018 par rapport à l'année précédente. Entre
2000 et 2012, elle est passé de 34 milliards à 246 milliards en
2012. Cette multiplication par sept des investissements a surtout
concerné les pays riches en ressources naturelles, notamment l'Afrique
du Sud avec ses métaux et minéraux précieux, et le
Nigéria avec ses réserves pétrolières'(Brookings,
2014). Tout en stimulant la croissance, ces investissements peuvent creuser les
inégalités, car ils se concentrent sur les projets à forte
intensité de capital et peu créateurs d'emplois. En effet, les
effectifs du secteur agricole, qui ne cessent de décroître, sont
absorbés non pas par les industries manufacturières à
forte intensité de main-d'oeuvre, mais par les secteurs des services
(commerce) à faible valeur ajoutée, ou par le secteur
informel.
En 2012, s'est tenu à Addis Abeba, en Ethiopie, le VIII
ème Forum sur le Développement de l'Afrique. Cette rencontre de
haut niveau, dont le thème est « mobilisation et gestion des
ressources naturelles au service du développement de l'Afrique » a
été un moment d'intenses réflexions sur de nouvelles
idées, stratégies et actions susceptibles
d'accélérer la transformation de l'Afrique. L'un des
mérites de ce forum est d'avoir contribué à clarifier les
vrais enjeux du développement en mettant l'accent sur la
problématique de la gouvernance des ressources naturelles, qu'elles
soient minières, foncières ou forestières, pour ne citer
que celles-là.
Le secteur de l'exploitation des ressources minérales
constitue la principale activité économique de nombreux
États de l'Afrique qui couvre trois quarts de l'offre mondiale de
platine et la moitié de l'offre de diamant et de chrome. Le continent
assure en outre jusqu'à un cinquième des besoins en or et en
uranium. Il est aussi grand producteur de pétrole et de gaz. Toutefois,
les pays africains ne consomment pas ces produits, à part quelques
exceptions, et très peu d'entre eux y apportent ne serait-ce qu'un
début de transformation et de valeur ajoutée. Dans le secteur des
ressources foncières près de 60 % des terres arables sur le
continent sont inexploitées. Une partie importante fait l'objet de
transactions, sous forme de location ou de vente, au profit des investisseurs
internationaux espérant des gains importants. Les impacts d'une telle
tendance sur la vie des populations locales plus vulnérables, sont
déjà largement documentés. Les principaux noeuds
d'inquiétudes concernent la sécurité alimentaire, l'impact
environnemental et les bouleversements sociaux. Quant aux ressources
forestières, principales sources d'énergie du continent- elles
sont aussi au centre d'enjeux économiques et socioculturels majeurs. Les
forêts fournissent des services essentiels qui sous-tendent la
performance économique, le bien-être des populations et la
durabilité environnementale(Hakura et al., 2015). Les ressources
forestières couvrent plus de 23% de la superficie du continent. Le
bassin du Congo par exemple est la deuxième forêt du monde et
fournit des moyens de subsistance à près de 60 millions
d'africains.
Le point commun de ces secteurs est qu'ils sont tous
insérés dans un modèle d'exploitation extraverti dans
lequel les grands groupes étrangers dominent en amont et en aval. Ces
groupes importent l'essentiel de leurs intrants et exportent la
quasi-totalité de leurs produits sans les transformer. Les recettes
tirées de cette exploitation n'alimentent que trop rarement les
économies nationales, ou y contribuent à des niveaux beaucoup
moins importants que ce qu'ils auraient pu atteindre. Pour les pays africains,
les parts ont été nettement moindres du fait de
généreuses exonérations accordées aux
sociétés minières. Par exemple en 2010, les
bénéfices nets réalisés par les quarante grandes
sociétés minières étaient de 110 milliards de
dollars, soit l'équivalent des recettes d'exportation de l'ensemble des
PMA africains.
En se limitant au secteur des ressources minières, on
perçoit mieux les enjeux d'une bonne gouvernance pour une exploitation
plus valorisante des ressources naturelles. Cela est d'autant plus important
que le mode d'exploitation, de gestion et de redistribution des revenus
tirés de ces secteurs apparait comme l'une des principales causes des
conflits sur le continent. Ces conflits sont portés par des groupes
exclus des réseaux de redistribution des ressources tirées de
leurs terroirs. En outre, le secteur des industries extractives jouit d'une
mauvaise réputation liée, entre autres, à la
précarité des emplois, à la faiblesse des normes du
travail et au chétif niveau des salaires. Tout cela contribue à
alimenter les conflits sociaux, quelque fois dramatiques. L'exemple de la
tragédie de Marikana, en Afrique du Sud, avec 34 mineurs tués
suite aux manifestations, est assez révélateur des drames qui
peuvent se jouer dans ce secteur (Collieret Hoeffler, 2002; Ross, 2004).
Notons que les ressources naturelles sont indispensables
à la croissance. La terre a pendant longtemps été
considérée comme le principal facteur de production, subordonnant
et conditionnant les autres. Les physiocrates ont voulu en faire l'unique
source de la croissance économique. La croissance économique
moderne (Kuznets, 1966) repose sur les ressources naturelles. En raisonnant au
niveau des économies nationales, le sujet devient beaucoup plus
intéressant. En effet, certaines économies bien dotés en
ressources ont connu un développement rapide, d'autres se sont
développées sans ressources. Et, des économies qui
disposent de nombreuses ressources ont vu leur situation se
détériorer. Donc, pour chaque exemple de pays s'étant
appauvri à cause de sa surabondance en matières premières
(République Démocratique du Congo, Venezuela, Algérie,
Nigeria, etc.) il existe un contre-exemple ayant réussi, grâce
à ces dernières, à s'enrichir de façon remarquable
(Norvège, Qatar, Australie, Etats-Unis, Botswana, Ile Maurice).
La littérature des travaux sur le lien entre possession
des ressources naturelles et croissance économique permet de distinguer
deux thèses contradictoires. Les auteurs de la thèse
hétérodoxe pessimistes qui considèrent les ressources
naturelles comme un obstacle à la croissance économique -(Dietz
et al., 2007; Mehlum et al., 2006; Sachs et Warner, 1995, 2001; Van der Ploeg,
2011).. Les auteurs de la thèse orthodoxe plutôt optimiste, qui
quant à eux ont soutenu que les ressources naturelles ont une incidence
positive sur la croissance économique à long terme '(Leite et
Weidmann, 1999; Gylfason, 2010; Avom et Carmignani, 2010; Alexeev et Conrad,
2011; Cavalcanti et al., 2011) ;dans ce sens, puisque les revenus
tirés de l'exploitation de pétrole, de gaz et de minerais peuvent
en effet financer l'investissement des secteurs productifs de l'economie, on
pourrait légitimement supposer que la croissance de la
productivité est plus élevée dans les pays riches en
ressources naturelles.
Face à ces différents constats, n'est-il pas
judicieux de consacrer les revenus tirés de la vente de pétrole,
de gaz et de minerais au renforcement de la productivité globale des
facteurs, en investissant dans des secteurs productifs de l'économie
comme l'amélioration des technologies de production, des infrastructures
et du capital humain, et afin de booster la productivité pour in fine
booster la croissance du PIB ? le but ainsi poursuivi étant
d'atteindre une croissance économique de long terme. Une question
importante dans les études de développement est de savoir comment
la richesse des ressources naturelles affecte la croissance économique
à long terme. 40% des études empiriques ont conclu à un
effet négatif, 40% n'ayant constaté aucun effet négatif.
20% ont trouvé un effet positif(Havranek et al., 2016).Reste que ce
débat autour du lien entre les ressources naturelles et la croissance
économique n'apporte pas une réponse à la question de
savoir :Quelles sont les ressources naturelles qui contribuent le plus
à la croissance économique en Afrique ?Pour plus de
précision, nous subdivisons cette question centrale en deux questions
spécifiques à savoir :
· Quelles sont les ressources naturelles qui
contribuent le plus à la croissance de la productivité totale des
facteursen Afrique ?
· Quelles sont les ressources naturelles qui
contribuent le plus à la croissance du PIB en Afrique ?
|
|