I.2 : Explications de la
relation entre ressources naturelles et PIB
Tout comme il n'y a pas de théorie de la croissance
faisant l'unanimité, il n'existe pas une unique explication à la
malédiction des ressources naturelles. Par conséquent cette
section de la revue de littérature présente les
différentes tentatives d'explications théoriques du lien entre
ces deux concepts. Cette revue de la littérature se divise en deux
sous-sections présentant les principales explications des effets
négatifs des ressources sur la croissance du PIB. La première
partie de cette sous-section présente les explications liées aux
institutions et au gouvernement, alors que la seconde partie se penche sur des
explications liées aux prix des biens et des facteurs de productions,
ainsi qu'à l'ouverture commerciale.
I.2.1 : Institutions et
gouvernement
Cette sous-section expose les variables importantes concernant
les institutions et le gouvernement mentionnés dans la
littérature. Beaucoup d'auteurs estiment que les pays abondants en
ressources naturelles peuvent être à la fois gagnants et perdants,
leur situation dépend de la qualité des institutions en place.
Outre cette relation, de nombreux auteurs s'entendent pour dire que la rente
associée aux ressources naturelles est généralement grande
et facilement appropriable (Bulte et al. (2005), Brunnschweiler (2008). Les
deux hypothèses précédentes permettent à Sachs et
Warner (2001) de supposer que des individus à la tête de certains
pays seraient tentés de s'approprier cette rente (rent-seeking) pour
eux-mêmes ou pour une élite, au lieu de l'investir dans des
politiques en faveur de la croissance. Cette hypothèse semble
confirmée empiriquement par Torvik (2001) qui démontre que
l'abondance en ressources naturelles entraîne une augmentation des
comportements de rent-seeking et une diminution des revenus. Papyrakis et
Gerlagh (2004) ajoutent que la corruption a un impact négatif sur la
croissance.
Selon Mehlum, Moene et Torvik (2006), la qualité des
institutions permet de déterminer si les élites en place dans un
pays s'approprieront la richesse ou l'utiliseront de manière productive.
Ils constatent aussi que le comportement de rent-seeking et une basse
qualité des institutioi1sont autant présents dans les
régimes démocratiques que dans les régimes autocratiques.
En effet, Auty (2000) rapporte qu'il y a un lien entre système
autoritaire et ressources naturelles. Cependant, cette relation n'est ·pas
intéressante dans le contexte de la malédiction des ressources
naturelles puisque l'auteur démontre qu'il y a peu de liens entre
régime autoritaire et faible croissance économique. Collier et
Hoeffler (2005) découvrent même que les démocraties des
pays en voie de développement sont plus touchées que les
régimes autoritaires par les impacts négatifs de la
présence d'une rente importante des ressources naturelles.
Depuis la publication de l'article de Sachs et Warner en 1995,
de nouvelles hypothèses reliées aux institutions se sont
développées et tous les auteurs ne s'accordent pas sur
l'importance de celles-ci dans l'explication de la malédiction des
ressources naturelles. En effet, bien que de nombreux économistes,
Mikesell(1997)notamment, s'entendent sur l'impact négatif de l'abondance
des ressources naturelles sur la qualité des institutions, d'autres ne
constatent pas cette relation. Certains articles tels que Sachs et Wamer
(1995), rejettent la qualité des institutions comme facteurs
explicatifs. Pour Mehlum, Moene et Torvik (2006) l'abondance en ressources
naturelles deviendrait une malédiction uniquement si les institutions
sont mauvaises et deviendrait une bénédiction si les institutions
sont bonnes.
D'autres études suggèrent que la taille de la
rente associée à l'exploitation des ressources naturelles
pourrait être une explication. Comme mentionné par Sachs et Wamer
(1995), le minerai et le pétrole ont une haute rente alors que 1'
agriculture génère, en général, une rente plus
faible. Selon Karl(1999), la rente serait corrélée
négativement à la qualité des institutions, ce qui
expliquerait 1'importance de l'ampleur de celle-ci. Il découvre que les
économies qui comptent sur de fortes exportations de combustible, de
minerais et de récolte (plantation de sucre) ont des indicateurs
particulièrement bas quant à la qualité de leur
gouvernance. Mehlum, Moene et Torvik (2006) ajoutent qu'empiriquement les
ressources facilement appropriables et extractibles semblent
particulièrement dommageables pour les pays ayant de mauvaises
institutions. À cela Bulte et al. (2005) viennent apporter une nuance
puisque, selon eux, seules les ressources extractibles en un seul point (mine,
pétrole) seraient corrélées négativement à
la qualité des institutions. Les ressources dont la distribution sur le
territoire est diffuse (forêt, agriculture) ne seraient pas
corrélées avec la qualité des institutions. Cette
dernière affirmation est contredite par Lucas (2009) qui montre que
l'agriculture a un impact négatif sur la croissance, car les individus
travaillant en agriculture sont dispersés, ce qui nuit au transfert de
connaissances.
En outre, Collier et Hoeffler (2005a) prétendent aussi
que cette rente des ressources naturelles provoque une augmentation des
probabilités de conflits violents. Ces auteurs étudient le lien
entre ressources naturelles et guerre civile. Ils estiment que la basse
croissance offre un coût d'opportunité bas aux rébellions
contre les mauvaises institutions et les régimes non
démocratiques que l'abondance en ressources naturelles favorise. Cette
relation expliquerait donc le désir de rébellion de la
population. En étudiant le lien entre démocratie et ressources
naturelles, Ross (2001) traite du cas des pays pétroliers et
réalise que le pétrole est plus dommageable économiquement
dans les pays pauvres que dans les pays riches. Collier et Hoeffler (2005),
ainsi que Auty (2000) corroborent cette relation négative entre
démocratie et ressources naturelles. En outre, ils affirment que la
combinaison de la présence de la démocratie et de la rente
associée aux ressources a significativement nui à la croissance
des pays. Collier et Hoeffler (2005) ont évalué l'importance de
considérer les revenus anticipés, mais constatent que, pour le
pétrole, on observe surtout une corrélation entre conflits et
revenus présents plutôt que revenus futurs. Acemoglu et al. (2001)
ont supposé que le type d'institution mis en place par les
métropoles des colonies dépendait du type de ressources et de la
facilité d'appropriation de leur rente. Cependant, ces auteurs
constatent que ces caractéristiques n'ont pas une influence
significative sur le choix du type d'institution.
Un des autres impacts de l'abondance des ressources naturelles
sur les institutions est la manière dont le gouvernement gère son
budget. En effet, certains auteurs associent cette malédiction à
l'état des finances publiques. Pour Atkinson et Hamilton (2003), la
malédiction est un symptôme de l'incapacité du gouvernement
à gérer les larges revenus associés aux ressources
naturelles. Ces revenus permettraient aux gouvernements de conserver plus
longtemps de mauvaises politiques. En effet, ils trouvent que les pays
considérés comme riches en ressources naturelles ont, en moyenne,
un taux d'épargne réel négatif contrairement aux pays
pauvres en ressources. De plus, l'investissement public est, selon ces auteurs,
non significatif. Cependant, une fois mis en interaction avec la variable
rente, cette variable devient positive et significative, ce qui signifie que
les pays abondants en ressources naturelles, qui ont un plus haut taux
d'investissement public, ont crû plus vite. Papyrakis et Gerlagh (2004)
confirment cette hypothèse, l'investissement aurait un impact positif et
significatif sur le PIB. Atkinson et Hamilton (2003) affirment que la
consommation financée par les dépenses publiques explique la
malédiction des ressources naturelles. Ces auteurs démontrent que
les pays qui se sont servis des ressources naturelles pour financer leur
consommation ont une économie beaucoup moins prospère que les
autres.
Cette mauvaise gestion des dépenses gouvernementales a
aussi des répercussions dans le domaine de l'éducation (capital
humain). Cette hypothèse suppose que le gain facilement
réalisé via les ressources naturelles décourage les
individus et le gouvernement d'investir dans le capital humain et dans les
technologies du savoir (Atkinson et Hamilton, 2003). Selon Gylfason (2001), la
moitié de l'effet des ressources naturelles passe par l'impact
négatif de celles-ci sur l'éducation. Il explique cette relation,
par le fait que les industries spécialisées en ressources
naturelles sont plus intensives en travailleurs moins qualifiés et en
capital de moins grande qualité. En effet, Stijns (2006) trouve que la
richesse en minéraux, en pétrole ou en charbon n'a pas d'impact
significatif sur le capital humain. Cet auteur affirme aussi que le gaz par
habitant aurait un impact positif sur le niveau d'éducation et que les
ressources forestières par habitant sont associées à un
haut niveau d'éducation moyen. Papyrakis et Gerlagh (2004) trouvent des
résultats opposés aux conclusions de Gylfason (2001). Ces auteurs
démontrent que l'éducation a un impact positif, mais non
significatif. Bravo-Ortega et De Gregorio (2005) montrent que
l'éducation vient atténuer l'effet négatif qu'ont les
ressources naturelles sur la croissance du PIB, ce qui augmente davantage le
niveau de revenu par personne.
Un des autres aspects présentés par plusieurs
auteurs, lié à la faible qualité des institutions est la
grosseur de la dette extérieure. Comme rapportés par Manzano et
Rigobon (2001), dans les années 70, lorsque le prix des matières
premières était élevé, les pays abondants en
ressources utilisaient celles-ci comme collatéral. Dans les
années 80, il y a eu une chute des prix, ce qui explique la crise de la
dette de cette décennie et le désavantage des pays abondants en
ressources. Selon ces auteurs, à partir du moment où la variable
de l'endettement est introduite, on constate que l'abondance en ressources
naturelles capte le fait que ces pays étaient hautement endettés.
|