3- Description des acteurs et enjeux dans la lutte contre
le trachome
Les acteurs sont des éléments qui
agissent dans un espace géographique. La théorie de l'acteur
stratégique a été élaborée par CROZIER et
FRIEDBERG. Elle stipule qu'il n'est pas possible de considérer que le
jeu des acteurs n'est déterminé que par la cohérence du
système ou par les contraintes environnementales. On doit chercher en
priorité à comprendre comment se construisent les actions
collectives à partir des comportements et d'intérêts
individuels parfois contradictoires entre eux.
Concrètement, l'acteur devra toujours s'abriter
entre deux grands objectifs : d'une part, un objectif d'autonomie,
c'est-à-dire une tendance à se soustraire au pouvoir d'autrui ;
d'autre part, un objectif d'action qui le pousse à développer ses
propres ressources pour pouvoir guider la conduite des autres acteurs. Dans les
deux cas, cela revient pour l'acteur à accroitre sa marge de
liberté afin de ne pas être soumis au bon vouloir d'autrui. Le but
de l'acteur stratégique devient donc de conquérir des marges de
liberté, indépendamment des motivations profondes de son
action.
Un enjeu est ce « ce qui est en jeu »,
quelque chose que l'on risque dans une compétition, une activité,
ou une situation vis-à-vis d'un aléa. C'est donc ce que l'on peut
gagner ou perdre en menant une action (ou en ne la menant pas). L'analyse des
besoins dans un territoire, de ses atouts et de ses limites, aboutit à
la définition des actions à mener, c'est-à-dire des
enjeux.
La description des acteurs et enjeux dans le cadre de
l'élimination du trachome dans le DS de Kolofata va consister en un
passage en revue des éléments suivants : la présence de la
secte terroriste Boko Haram, les populations déplacées internes /
réfugiées, les comités de vigilance, les forces de
défense et sécurité, les acteurs humanitaires,
l'approvisionnement en eau, l'hygiène et l'assainissement, la
pandémie à COVID-19. C'est à partir de la description des
acteurs et enjeux que va être définie la stratégie, de
laquelle va découler le plan d'action.
La situation d'insécurité persistante
dans la région du Bassin du Lac Tchad, notamment au niveau des
frontières des pays et à l'intérieur de chaque
État, occasionne d'importants déplacements forcés de
populations civiles tant à l'intérieur du même pays
qu'à l'extérieur. Ceci est à l'origine de la
présence des personnes déplacées internes et des
réfugiés de part et d'autre des frontières. Au Cameroun,
ces déplacements sont majoritairement concentrés dans la
région de l'Extrême-Nord.
Depuis 2014, la région de l'Extrême-Nord
du Cameroun est fortement touchée par le conflit Boko Haram en cours au
Nigeria, pays frontalier au nôtre. Initialement connue comme terre
d'accueil pour les refugiés nigérians qui s'étaient
installés dans les zones frontalières, la région est
progressivement devenue le siège d'une forte insécurité,
dont les effets se font sentir sur l'ensemble des populations notamment celles
des localités frontalières.
Avec la mise en place de la force multinationale, Boko
Haram s'est davantage engagé dans une guerre asymétrique, et
commet de nombreux attentats et attaques contre les populations civiles, ainsi
que des enlèvements et diverses formes d'incursions. Ceci contribue
à déstabiliser la région de l'Extrême-Nord,
conduisant à des déplacements massifs des populations. En
dépit de l'affaiblissement de Boko Haram au Cameroun ces derniers mois,
la situation humanitaire ne s'améliore pas véritablement dans la
région de l'Extrême-Nord. La commune de Kolofata dans le
département du Mayo Sava est l'une des communes les plus touchées
depuis le début de la crise.
L'arrondissement de Kolofata fait
régulièrement les frais des attaques de Boko Haram. Cette
localité située à quelques kilomètres de la
frontière avec le Nigéria, est - avec le temps - devenue une zone
militaire. Les attaques contre les villages ou les positions de l'armée
camerounaise sont très fréquentes ; ceux qui les
perpètrent sont souvent difficiles à différencier des
civils. Les demandeurs d'asile qui trouvent refuge dans cette zone
inhospitalière sont traités avec suspicion. Les humanitaires
doivent constamment solliciter l'appui des autorités civiles et
militaires pour pouvoir mener à bien leurs activités.
En 2018, on comptait plus de 12.500
réfugiés nigérians et déplacés internes qui
vivaient à Kolofata, ceci dans des conditions précaires avec un
accès limité aux services de base du fait de
l'insécurité qui règne dans la zone et aux
opérations militaires en cours. Ces personnes, parfois privées de
toute assistance, ont des besoins urgents en nourriture, eau, abris et
santé.
L'arrondissement de Mora compte des populations
déplacées dans les localités de Mémé et
Igawa-Mémé. La localité de Mémé
située à 21 kilomètres de Mora compte six camps de
déplacés pour plus de 2.000 âmes, des populations venues
d'environ 30 villages de la région. Au lieu dit
Igawa-Mémé, deux camps des déplacés partagent des
sites voisins. Ici, le quotidien est tout aussi difficile et les histoires
pratiquement similaires. 93% de la population s'est déplacée en
raison du conflit lié à Boko Haram, tandis que 6,6% des
déplacements ont été provoqués par des inondations,
la sécheresse et autres facteurs climatiques, et 0,4% par d'autres
raisons non spécifiées.
Le camp de déplacés
d'Igawa-Mémé abrite deux sites équidistants de 500
mètres. Les populations déplacées internes y logent dans
des abris de fortune, faits de vieilles bâches et de paille. Chaque abri
accueille 4 à 6 personnes, tous sexes et âgés confondus.
Les besoins immédiats exprimés se résument en nattes,
bâches, canaris, couvertures, ustensiles de cuisine, eau et aliments. La
grande majorité de la population est composée d'enfants et de
femmes. Ils viennent principalement des villages
Sanda-Wadjiri, Bia, Kalniwa et Kolofata. "Nous vivons dans la pure
résilience depuis que nous sommes ici en 2015. Les conditions de vie
sont rudes. On n'a pas d'eau, pas de denrées alimentaires, pas de
matériels de couchage et nous habitons dans ces maisons en
matériaux provisoires. Ici même, nous ne sommes pas à
l'abri de Boko Haram", raconte une dame rencontrée sur place. Il est
à noter qu'il n'y a ni latrines ni points d'eau sur le site de
recasement temporaire des refugiés. Les représentants des
réfugiés ont exprime leur souhait d'être
transférés à Minawao, ou même à
Banki.
Les membres des comités de vigilance sont le
plus souvent recrutés dans les communautés locales ; ils
partagent généralement la même identité ethnique ou
politique, les mêmes intérêts collectifs, et leurs
perceptions des menaces sont similaires. Ils agissent comme des milices
locales, et jouissent généralement d'une grande
légitimité en raison de leurs racines communautaires. Ils peuvent
identifier, pister et combattre les insurgés assez efficacement
grâce à leur familiarité avec les langues, la
géographie et la culture locales. Ils sont supervisés avec
succès par les autorités de l'État - et les acteurs
internationaux -, et ils accompagnent ceux-ci dans le renforcement de la
légitimité de l'État au sein des communautés
locales.
Ils sont ainsi de nombreux jeunes à
s'être réunis en comités de vigilance, encouragés
par le Gouvernement. Ces volontaires se retrouvent en première ligne
face aux kamikazes et aux raids djihadistes. Les comités de vigilance
renseignent les forces de défense et servent d'éclaireurs ou de
guides. Ils affrontent parfois directement les mouvements terroristes et
contribuent à protéger les communautés, notamment contre
les attentats suicides. Ils peuvent reconnaitre les djihadistes, et surtout le
visage de certains cadres locaux de Boko Haram traqués. En
échange, ils reçoivent de l'armée des médailles,
des vivres et d'autres formes de récompenses et
gratifications.
Pour l'approvisionnement en eau potable des
populations, la localité de Kolofata dispose de plusieurs
systèmes d'approvisionnement. Un réseau d'adduction d'eau
desservant les populations à travers les branchements particuliers et
les bornes fontaines est présent. Celui ci n'est pas toujours
fonctionnel. On recense 8 forages équipés de pompes à
motricité humaine. Des puits traditionnels et des Mayos (cours d'eau
temporaires) sont également utilisés. Compte tenu de
l'insuffisance des infrastructures fonctionnelles, les populations ont recours
aux vendeurs d'eau ambulants pour satisfaire leurs besoins. À titre
indicatif, un bidon de 20 litres est vendu à 100 F CFA.
Pour ce qui est de l'hygiène et
l'assainissement, la défécation à l'air libre est
pratiquée par la plupart des groupes vulnérables. Au site des
refugiés, seulement 4 latrines sont disponibles soit un ratio de plus de
150 personnes par latrine. Selon les propos recueillis, les 4 latrines
existantes sont utilisées exclusivement par les femmes. Le reste
pratique la défécation à l'air libre dans les espaces
environnants. La défécation à l'air libre désigne
l'action de déféquer hors des habitations (ou hors des toilettes
publiques), par exemple dans les champs, les forêts, les buissons, les
lacs, les montagnes, ....
La pandémie de la COVID-19 a eu un impact
considérable sur les programmes d'élimination du trachome. Le 1er
avril 2020, afin de réduire le risque de transmission du COVID-19, l'OMS
a recommandé que la distribution de masse de médicaments, les
initiatives de détection des cas actifs de complications du trachome et
les enquêtes épidémiologiques soient reportées
jusqu'à nouvel ordre. Cet avis a été renouvelé dans
un guide publié le 5 mai 2020. Cette pandémie a favorisé
la promotion du lavage régulier des mains, le respect de la
distanciation physique, le port des masques de protection du visage, l'usage
des gels hydro alcooliques, la limitation des contacts et des
déplacements humains.
|