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La société en commandite simple en droit OHADA


par Lamoussa YIMOU NASSANDJA
Université de Lomé, Togo - Master en Droit privé fondamental, Recherche 2021
  

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PARTIE I.

UNE SOCIÉTÉ AUX INCONVÉNIENTS APPARENTS

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La rareté de la SCS est une réalité incontestable reconnue par certains acteurs de la recherche scientifique42. Même en droit français où elle avait atteint son apogée jadis, elle y tend désormais à relever de l'histoire. Nonobstant les efforts qui ont été consentis par le législateur OHADA pour rendre plus attractif le régime juridique de la société en commandite simple lors de la réforme de 2014, cette forme sociale reste rare.

La SCS serait la première société commerciale qui n'est pratiquement pas pratiquée dans l'espace OHADA. Qu'il s'agisse de leurs droits politiques ou financiers, les associés de la société en commandite simple ne sont pas traités avec égalité. Les commandités ont plus de prérogatives que les commanditaires en ce qui concerne la gestion sociale et la prise de certaines décisions collectives.

La prépondérance des pouvoirs du commandité s'illustre par l'approbation du projet de cession des parts sociales d'un commanditaire à un tiers et dans l'adoption des décisions devant entraîner la modification des statuts. En outre, le régime juridique de la société en commandite simple n'est pas complet. Ce sont les règles de société en nom collectif qui s'appliquent pour des questions non réglementées par son régime juridique. Il est souvent préférable de créer directement la société en nom collectif que de constituer la SCS dont le fonctionnement fera encore recourir aux règles de la première.

Au regard de tout cela, il faut donc dire que la société en commandite simple se caractérise par des inégalités entre ses associés (chapitre I) et sa législation par renvoi souffre d'incomplétude (chapitre II).

42 Selon le Professeur CHEICK Abdou Wakhab Ndiaye, « la société en commandite simple n'est pas pratiquée dans l'espace OHADA malgré les efforts du législateur qui a complété le régime de cette société par les règles de la SNC depuis la réforme de 2014 », propos recueillis du Professeur en personne, le 09 mars 2020 à l'Université Cheick Anta Diop de Dakar lors de notre enquête sur l'existence des sociétés en commandite simple au Sénégal.

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CHAPITRE I.

LES INÉGALITÉS ENTRE ASSOCIES DANS LA SOCIÉTÉ EN
COMMANDITE SIMPLE

Les associés de la société en commandite simple ne sont pas traités de la même façon. Les commanditaires et commandités ont des statuts différents qui ne voilent pas des situations de traitements inégalitaires. Tout comme en droit public43, le droit des sociétés privilégie une appréciation souple de la notion d'égalité44. C'est ce qu'exprime la doctrine lorsqu'elle affirme que l'égalité entre associés s'apprécie in concreto et non in abstracto45. Amplement démontrée par Jean-Marc Moulin dans sa thèse46, cette relativité fait partie des rares sujets ayant fait l'unanimité en doctrine47.

Aucune règle n'impose de les accorder à tous les associés se trouvant dans des situations identiques48. Les sociétés disposent donc d'une grande marge de liberté dans leur utilisation, même si, généralement, leur attribution repose sur une différence de situations49 ou un souci de servir l'intérêt social50. Pour le Professeur NDIAYE Momath, « pour qu'il y ait inégalité, il faut tout d'abord qu'il existe une différence de traitement qui ne peut s'obtenir que par l'attribution ou l'imposition à certains associés de prérogatives ou charges dissemblables à celles qui auraient émané d'un partage proportionnel »51.

L'inégalité dans certaines formes sociétaires comme la SCS constitue une source de complications52, donc un véritable inconvénient. La société en commandite simple, au regard de son régime juridique, présente plusieurs situations d'inégalité, les unes inhérentes aux obligations des associés (Section I) et les autres tenant à leurs droits (Section II).

43 S. SCHILLER, « L'égalité en droit des sociétés », in L'égalité, Arch. phil. dr., t. 51, Dalloz, éd. 2008, p. 119, spéc. n°13, p. 125.

44 S. TORK, « Le rachat par les sociétés cotées de leurs propres actions (article L225-209 du Code de commerce) et le principe d'égalité des actionnaires », Bull. Joly Bourse, 2002, p. 509, spéc. n°4.

45 J. MESTRE, « L'égalité entre associés, (aspects de droit privé) », Rev. Sociétés, 1989, p. 399 et s.

46 J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, th., Université d'Aix-Marseille, 1999, p. 14.

47 P. COPPENS, L'abus de majorité dans les sociétés anonymes, th. Paris, 1945, n°45, p. 69.

48 S. SCHILLER, op. cit., p. 119, spéc. n°15.

49 P. CORDONNIER, De l'égalité entre actionnaires, thèse, Paris, 1924, p. 19.

50 Ibid. n°15, pp. 49 et 50.

51 M. NDIAYE, L'inégalité entre associés en droit des sociétés, thèse de doctorat, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, juillet 2017, p. 136.

52 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 31ème éd., Paris, 2018, p. 661.

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SECTION I. LES INÉGALITÉS RELATIVES AUX OBLIGATIONS DES ASSOCIÉS

Les associés en commandite simple subissent une différence de traitement dans leurs obligations à la dette sociale (§ I). Parallèlement, il faut y adjoindre leur obligation de ne pas concurrencer la société (§ II).

§ I. L'INÉGALITÉ INHÉRENTE À L'OBLIGATION À LA DETTE SOCIALE

La dette est dite sociale lorsqu'elle a été contractée au nom et pour le compte de la société. Elle se distingue des pertes53. La responsabilité du commandité pour la dette sociale est objective (A) tandis que celle du commanditaire est subjectivement nuancée (B).

A. Une responsabilité objective pour le commandité

La responsabilité du commandité vis-à-vis des créanciers sociaux s'apprécie objectivement, sans faute. C'est en cela que l'obligation du commandité est lourde, donc objective. Cette obligation est d'ailleurs la caractéristique la plus remarquable des associés de la SNC54.

Le commandité répond solidairement et indéfiniment des dettes sociales55. Le caractère indéfini de cette obligation consiste, pour le commandité, à être tenu du passif social sur ses biens personnels. L'obligation solidaire suppose la possibilité pour le commandité d'être tenu de payer l'intégralité de la dette sociale en lieu et place des autres. Ici l'obligation est plus sévère que l'obligation conjointe56 prévue pour les sociétés civiles57.

La jurisprudence française en a posé l'impossibilité pour un tel associé de bénéficier de l'application de l'article 1415 du Code civil. Ce texte dispose : « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint ». La

53 K. ALEMAWO, « La condition du nu-propriétaire de droits sociaux », disponible sur http://www.ohada.com, Ohadata D-12-51, p. 11, consulté le 11 mars 2021 à 13h 15. L'auteur explique clairement, tout en reconnaissant la nuance entre les notions de dettes sociales et pertes, « les dettes sociales sont des sommes dues par la société à une ou plusieurs créanciers. Elles sont envisagées dès lors que la créance entre dans le passif social et devient exigible ».

54 J. Ch. PAGNUCCO, « L'obligation à la dette de l'associé indéfiniment responsable », RTD com. 2012, n° 55.

55 V. AUSCGIE, Art. 293-1, préc.

56 L'obligation conjointe est celle qui impose au créancier poursuivant un groupe d'associés débiteurs pour une dette collective, de diviser son action et poursuivre indéfiniment chaque associé en fonction de sa participation dans le capital social.

57 Art. 1857 du Code civil de 1956 en vigueur au Togo et dans la plupart des anciennes colonies françaises d'Afrique occidentale.

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simple qualité d'associé en nom justifie à suffisance la saisie des parts sociales détenues par celui-ci, avec son époux commun en biens, dans une autre société58.

Ainsi, le commandité est dans une situation inconfortable et son sort dépend directement du destin de la société. C'est à sa qualité de commerçant, tout comme l'associé en nom, que s'attache cette obligation au passif social59. L'ampleur des effets de la qualité de commerçant du commandité a fait dire à certains auteurs, dans un exercice de comparaison entre la société à risque limité et la société à risque illimité60, que « la société à risque limité, c'est la croisière sur un paquebot ; la société à risque illimité, c'est toujours un plaisir nautique, mais sur un voilier, en participant aux manoeuvres et en courant le risque du dessalage ».

Pour l'associé commandité, il n'y a pas une véritable séparation de son patrimoine personnel avec celui de la société. Même n'étant plus membre de la société, le commandité reste toujours tenu au paiement de la dette sociale pour le montant de la position débitrice du compte courant de la société à la date de la publication de la cession de ses droits sociaux, sous réserve des remises postérieures61.

L'obligation solidaire et indéfinie n'épargne ni le nouvel associé commandité qui entre dans la SCS en cours de vie sociale, ni le commandité sortant. Le premier est tenu du passif social, même antérieur à son entrée62. Le second, reste tenu à l'égard des tiers de la totalité du passif antérieur à son départ63. Cet aspect sévère de la responsabilité du commandité est de près la principale raison qui explique la répulsion que suscite cette société. Personne ne voudrait être dans la situation de celui-ci.

Cette responsabilité illimitée du commandité présentée, jadis, comme contrepoids de l'irresponsabilité des commanditaires eut pour conséquence néfaste, en France, la disparition progressive des sociétés en commandite simple64. Cependant, la responsabilité du commanditaire envers les créanciers sociaux est subjective.

58 Cass. 1re Civ., 17 janvier 2006, n° 55, D. 2006, p. 716.

59 A. VIANDIER, La notion d'associé, op. cit., n°248 s.

60 M. COZIAN, A. VIANDIER, Droit des sociétés, Litec, 1992, Paris, p. 426.

61 Cass. civ., 4 février 1997, JurisData n° 1997-000443, disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr, consulté le 22 avril 2021 à 22h 03'.

12 mars 1928, S. 1928, I, 226.

62 Req

63 Cass. Com. 10 fév. 1970, D. 1970. 441, note A. HONORAT ; sur la situation de l'associé qui a cédé ses parts mais qui continue de s'immiscer dans la gestion, Com. 16 déc. 1997, n° 95-169, Bull. Joly, 1998, 543, n° 176, P. LE CANNU.

64 Ministère de la justice français, Compte général, Paris, 1840 à 1978. Selon les données statistiques présentées dans ce rapport, au sujet de l'évolution des sociétés commerciales sur le territoire français, le nombre des

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B. Une responsabilité subjective nuancée pour le commanditaire

L'autre type d'associé sans lequel la SCS passerait pour une SNC est le commanditaire, Cet associé est parfois assimilé à un bailleur de fonds pour marquer qu'il n'est pas commerçant65. C'est en cela que son obligation au passif social est subjective. Le commanditaire est l'associé de la SCS qui ne répond des dettes sociales qu'à concurrence de ses apports. Celui-ci ne doit pas courir le risque de voir s'ouvrir des poursuites contre sa personne, au point de faire l'objet d'une procédure de liquidation.

Mais, le commanditaire est-il absolument à l'abri de toute poursuite sur ses biens personnels ? Certes, son obligation aux dette sociales est limitée à ses apports. Mais, il y a une nuance. Sa responsabilité peut être étendue en fonction de sa faute personnelle. En outre, dans la pratique, le banquier à qui s'est présenté un commanditaire qui sollicite un prêt au nom de sa société ne renverra pas ce dernier sous prétexte que ce dernier n'est pas gérant. Il lui sera demandé des garanties fortes afin de bénéficier du prêt. Un tel commanditaire resterait tenu à l'instar d'un commandité gérant.

Le principe classique de la limitation de l'obligation du commanditaire à l'apport qu'à fait ce dernier n'est pas absolu. Ce principe est mal formulé. La doctrine a proposé de plutôt dire que le commanditaire n'a d'autre obligation que de réaliser son apport66. Il est donc libéré s'il réalise son apport. Ainsi, les créanciers sociaux ne peuvent le poursuivre personnellement67.

A défaut de libération de son apport, le commanditaire n'est pas à l'abri des poursuites par les créanciers sociaux. C'est la première exception à la règle de la limitation de son obligation. Dans ce cas, les créanciers pourraient le poursuivre en initiant une action oblique68. La jurisprudence reconnait de plus en plus cette action aux créanciers et au syndic en France depuis 188769.

sociétés en commandite simple a varié : 328 SCS constituées en 1840, 1245 SCS en 1908 (année de l'apogée des sociétés en commandite simple).

65 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de Droit commercial, L.G.D.J., 17ème éd. Paris, 1998, p. 942 ; J. HAMEL, G. LAGARDE, A. JAUFFRET, Droit commercial, t. I, 2e vol., Sociétés, groupements d'intérêt économique, entreprises publiques, par G. LAGARDE, Dalloz, 2e éd. 1980, p. 193, n°501.

66 G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., p. 946

67 CA Paris, 17 novembre 1902, D. 1903. 2. 496.

68 V. art. 1166 du Code civil en vigueur au Togo ; V. Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 27è, 2020 : l'action oblique est « l'action en justice intentée par un créancier au nom et pour le compte de son débiteur négligeant et insolvable contre un débiteur de son débiteur ».

69 Cass. civ., 4 janvier 1887, D. 87. 1. 124.

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En outre, lorsque la preuve de l'immixtion du commanditaire dans la gestion externe est rapportée, il doit être tenu pour l'acte ou les actes concernés. Une autre interrogation est celle de savoir qui d'entre le tiers créancier, le commandité et le gérant doit rapporter la preuve de l'immixtion du commanditaire dans la gestion externe. La logique voudrait que la charge de cette preuve pèse sur le tiers créancier qui entend engager la responsabilité solidaire et indéfinie du commanditaire.

Mais, de près, les premiers bénéficiaires de l'engagement de la responsabilité solidaire et indéfinie des commanditaires sont naturellement les commandités. Ces derniers se réjouiraient de ne plus être les seuls à supporter le poids des dettes sociales. Une fois l'immixtion prouvée, le commanditaire est tenu solidairement et indéfiniment en fonction du nombre et de la gravité des actes qu'il a accomplis70. D'où une autre exception au principe de la limitation de la responsabilité du commanditaire.

En dehors de la différence des associés de la SCS quant à leurs droits, il faut reconnaître que certaines fois l'insertion de clause statutaire de non-concurrence à la société peut créer une inégalité.

§ II. L'OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE À LA SOCIÉTÉ

Le législateur OHADA n'a pas expressément traité de l'interdiction des associés de concurrencer la SCS. Par une interprétation déductive de l'article 1843-3 in fine du Code civil71, la doctrine72 retient que l'associé en nom et donc, le commandité, serait rigoureusement tenu d'une obligation de non-concurrence (A), tandis que le commanditaire en serait moins concerné (B).

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard