Paragraphe II : Les difficultés d'application
des deux institutions
Les difficultés d'application des amnisties et des
prescriptions pénales se manifestent par leur incompatibilité
avec les DIP et le DIH (A), avec les principes de l'ONU
(B) et enfin avec la monté du principe de
l'imprescriptibilité des crimes internationaux (C).
A- L'incompatibilité de des amnisties avec le
Droit international pénal et le Droit international
humanitaire
L'incompatibilité des amnisties avec le DIP et le DIH
est autant conventionnelle que jurisprudentielle.
En effet, relativement au DIP, on assiste depuis plusieurs
années à la création de Tribunaux pénal tant ad hoc
que universelles, dont le but est de lutter contre l'impunité dans le
monde. L'amnistie qui est une forme d'encouragement de l'impunité est
donc incompatible aux exigences du DIP. Dans une décision du 13 mars
2004, les juges du Tribunal spécial pour la Sierra Leone ont
affirmé l'incompatibilité des amnisties avec les obligations et
les conventions internationales en ces termes : « Even if the opinions
held that Sierra Leone may not have breached customary law in granting an
manesty, this court is entitled in the exercise of its discretionary power, to
attribute little or a weight to the grant of such amnesty which is contary to
the obligations in certain treaties and conversations the purpose of which is
to protct humanity.».
Aussi, l'incompatibilité des amnisties avec le DIP
résulte du fait que le DIP prône la responsabilité de
chaque individu devant ses manquements. Le préambule de la CPI rappelle
que « qu'il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa
juridiction criminelle les responsables des crimes internationaux ».
Cette position de la CPI bien que non précise sur le cas
particulier de l'amnistie, puisque ayant un caractère extrajudiciaire,
montre que la pratique des amnisties est contraire aux obligations
internationales des Etats qui doivent livrer à la juridiction
internationale, les responsables des crimes internationaux.
L'amnistie des crimes internationaux n'est pas envisageable en
DIP. Cet argument est soutenu par plusieurs auteurs comme Maison (R) qui ne
voit pas le bien fondé des amnisties en DI. C'est pourquoi elle
écrit : « Un Etat ne peut pardonner un crime, tel qu'un crime
de Droit international, que d'autres Etats sont amenés à garder
en mémoire et à poursuivre ».
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C'est dans ce sens que la Cour interaméricaine des
droits de l'homme va déclarer dans l'affaire Velasquez-Rodriguez, que
« Les Etats doivent prévenir toute violations des droits
reconnus par les conventions et enquêter au sujet de toute violation et
la punir67 ».
L'obligation de répression qui est
considéré comme un des principes du DIP est incompatible avec
l'amnistie. En effet, suivant l'article 25 du Statut de Rome parlant de la
responsabilité individuelle, il est affirmé que «
1. La Cour est compétente à
l'égard des personnes physiques en vertu du présent Statut.
2. Quiconque commet un crime relevant de la compétence
de la Cour est individuellement responsable et peut être puni
conformément au présent Statut. 3. Aux termes du
présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut
être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si :
a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement,
conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre
personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable;
b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d'un tel
crime, dès lors qu'il y a commission ou tentative de commission de ce
crime;... ». Les amnisties sont donc dans cette perspective
incompatible au DIP.
Relativement à l'incompatibilité avec le DIH,
celle-ci se fonde sur les violations ou les interprétations
erronées des conventions internationales. En effet, au regard des
articles art. 49, 50, 129 et 146, des quatre conventions de Genève de
1949, les Etats doivent sanctionner pénalement les auteurs des crimes
dans les CAI, ou ceux qui ont donné l'ordre de les commettre Ils doivent
rechercher les personnes soupçonnées d'avoir commis, ou
donné l'ordre de commettre, de telles infractions et les
déférer, quelle que soit leur nationalité, à leurs
propres tribunaux, ou les extrader. Ils doivent également prendre les
mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux
Conventions.
Quant à la mauvaise interprétation des
conventions internationales par les Etats, il faut reconnaitre que les Etats se
basent sur l'article 6.5 du PA II des CG pour appliquer les amnisties, alors
même que cet article ne concerne que les CANI. Les différentes
violations du DIH observées doivent nécessairement faire l'objet
d'enquêtes et de poursuites judiciaire de la part des autorités.
Toutefois, le DIH coutumier applicable tant dans les CAI que dans les CANI
impose aux États d'enquêter sur tous les crimes de guerre qui
auraient été commis par leurs ressortissants ou leurs forces
armées, ou sur leur territoire, et, le cas échéant, de
poursuivre les
67 Cour interaméricaine des droits de
l'homme, Affaire Velasquez Rodriguez, Arret du 29 juillet 1988, série C,
n4, §172.
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suspects. Ils doivent également enquêter sur les
autres crimes de guerre relevant de leur compétence et, le cas
échéant, poursuivre les suspects68.
Les incompatibilités des amnisties avec le DIP et le
DIH sont donc liées à la responsabilité internationale des
individus et aux violations des conventions de DIH. Qu'en est-il des
incompatibilités avec les principes des NU ?
B- Incompatibilité avec les principes de
l'Organisation des Nations Unies
Les Nations-Unies ont condamné par leurs principes et
politique, l'impunité des crimes graves touchant à la
sensibilité internationale. L'ONU affirme que les amnisties, les
prescriptions pénales et toute autre forme d'impunité sont
incompatible à sa politique. Les Etats doivent selon elle veiller
à ce que: a) les auteurs d'atteintes graves aux droits de l'homme et au
droit humanitaire soient traduits en justice69; et b) les victimes
aient droit à un recours utile, y compris à
réparation70.
Les Nations-Unies dans sa politique, obligent les
différends Etats à mettre en place les des mécanismes
d'enquête et de réparation des violations des droit de l'homme.
Les amnisties et les prescriptions pénales sont prohibées. C'est
ainsi que l'un des Principes fondamentaux et directives concernant le droit
à un recours et à réparation des victimes de violations
flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves
du droit international
68 Voir la Règle 158 de
l'étude du CICR sur le DIH coutumier, op. cit., note 1.
69 Par exemple, les Principes de
la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage,
l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de
crimes de guerre et de crimes contre l'humanité prévoient que les
crimes de guerre et les crimes contre l'humanité «doivent faire
l'objet d'une enquête, et les individus contre lesquels il existe des
preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être
... traduits en justice et, s'ils sont reconnus coupables,
châtiés» (résolution 3074 (XXVIII) de
l'Assemblée générale). Les Principes relatifs à la
prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires
et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces
exécutions prévoient: «En aucun cas ... une amnistie
générale ne pourra exempter de poursuites toute personne
présumée impliquée dans des exécutions
extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires» (résolution 1989/65,
annexe, Principe 19, du Conseil économique et social). La
Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les
disparitions forcées prévoit que «[l]es auteurs et les
auteurs présumés [d'actes de disparitions forcées] ne
peuvent bénéficier d'aucune loi d'amnistie spéciale ni
d'autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de
toute poursuite ou sanction pénale» (résolution 47/133, art.
18, de l'Assemblée générale), alors que la
Déclaration sur l'élimination de la violence à
l'égard des femmes, de 1993, prévoit que les États
devraient «agir avec la diligence voulue pour prévenir les actes de
violence à l'égard des femmes, enquêter sur ces actes et
les punir conformément à la législation nationale, qu'ils
soient perpétrés par l'État ou par des personnes
privées» (résolution 48/104, art. 4 c), de
l'Assemblée générale). La Déclaration et le
Programme d'action de Vienne, adoptés en 1993 par la Conférence
mondiale sur les droits de l'homme, affirme que «[l]es États
devraient abroger les lois qui assurent, en fait, l'impunité aux
personnes responsables de violations graves des droits de l'homme telles que
les actes de torture, et ils devraient poursuivre les auteurs de ces
violations, asseyant ainsi la légalité sur des bases
solides» (A/CONF.157/24 (partie I), chap. III, par. 60).
70 Par exemple, la
Déclaration universelle des droits de l'homme proclame: «Toute
personne a droit à un recours effectif devant les juridictions
nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux
qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi» (art. 8).
40
humanitaire, adoptés par l'Assemblée
générale en 200571, réaffirme cette obligation
lorsqu'il dit : « En cas de violations flagrantes du droit
international des droits de l'homme et de violations graves du droit
international humanitaire qui constituent des crimes de droit international
[par exemple des «crimes de guerre»], les États ont
l'obligation d'enquêter et, s'il existe des éléments de
preuve suffisants, le devoir de traduire en justice la personne
présumée responsable et de punir la personne
déclarée coupable de ces violations ». Cette
affirmation est une volonté manifeste des NU pour mettre fin aux
pratiques d'amnisties et de prescription pénale pour les crimes
internationaux.
Aussi, l'Ensemble de principes actualisé pour la
protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre
l'impunité, dont la Commission des droits de l'homme a pris acte avec
satisfaction en 2005, affirme essentiellement la même norme dans son
Principe 1972, comme quoi « Les États doivent mener
rapidement des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales
sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire
et prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs
auteurs, notamment dans le domaine de la justice pénale, pour que les
responsables de crimes graves selon le droit international soient poursuivis,
jugés et condamnés à des peines appropriées
».
Parlant spécifiquement du cadre des amnisties et des
prescriptions pénales, le principe 24 vient donner des limites
d'applications aux Etats, si ceux-ci mettaient quand même les
impunités en oeuvre. Pour ce principe, « Y compris lorsqu'elles
sont destinées à créer des conditions propices à un
accord de paix ou à favoriser la réconciliation nationale,
l'amnistie et les autres mesures de clémence doivent être
contenues dans les limites suivantes:
a) Les auteurs de crimes de droit international graves ne
peuvent bénéficier de telles mesures tant que l'État n'a
pas satisfait aux obligations visées au Principe 19 ou qu'ils n'ont pas
été poursuivis par un tribunal - international,
internationalisé ou national - compétent hors de l'État en
question... ».
Enfin, plusieurs autres principes comme le principe 31 ou 32
nous permettent de comprendre que la politique des Nations-Unies est
incompatible aux institutions prônant l'impunité. Cette
affirmation d'incompatibilité entre les amnisties, les prescriptions
pénales et la politique de
71 Résolution 60/147, annexe, de
l'Assemblée générale.
72 Résolution 2005/81 sur l'impunité,
par. 20.
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l'ONU est dans une certaine mesure la conséquence de la
monté de la notion d'imprescriptibilité des crimes au rang de
principe en DIP.
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