A. La tutelle de l'Etat exprimée à travers
son pouvoir réglementaire
Le pouvoir normatif c'est-à-dire le pouvoir
d'édicter des normes, est composé du pouvoir législatif,
qui appartient au Parlement, et du pouvoir réglementaire, qui appartient
au gouvernement.
En effet, l'article 21 de la Constitution dispose que le
Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire. Celui-ci lui permet de
prendre des actes exécutoires aux dispositions générales
et impersonnelles. Il faut noter que l'article 72 alinéa 3 de la
Constitution reconnait également un pouvoir réglementaire aux
collectivités territoriales. Néanmoins, si celui du Premier
Ministre est autonome et originel, celui des collectivités territoriales
est secondaire et résiduel.
Effectivement, le Conseil d'Etat l'avait souligné
dès 1996, dans son arrêt dit « Département de la
Loire »46, en estimant que le Premier ministre pouvait
intervenir pour fixer les modalités de distribution des aides sociales,
rendant par là le pouvoir local subordonné au sien. Le Conseil
Constitutionnel, lui l'a exprimé dès 2002, au sein de sa
décision portant sur la loi relative à la Corse, en
considérant que « le pouvoir réglementaire dont dispose
une collectivité territoriale dans le respect des lois et des
règlements ne peut s'exercer en dehors du cadre des compétences
qui lui sont dévolues par la loi »47.
Dès lors, l'Etat, entendu au sens du gouvernement, peut
prendre des mesures ayant des conséquences sur les collectivités
territoriales. Pour mesurer l'effet de ces normes, le Conseil national
d'évaluation des normes a été créé par la
loi du 17 octobre 201348. Instance issue du Comité des
46 Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 01 avril 1996,
141958
47 Conseil constitutionnel, décision n°
2001-454 DC du 17 janvier 2002 sur la loi relative à la Corse
(considérants 12 et 13)
48 Loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant
création d'un Conseil national d'évaluation des normes
applicables aux collectivités territoriales et à leurs
établissements publics
23
finances locales, il est chargé d'émettre un
avis sur les conséquences financières des mesures
réglementaires de l'Etat créant ou modifiant des normes
obligatoires auxquelles sont soumis les collectivités territoriales et
les établissements publics de coopération intercommunale.
En parallèle, la Cour des comptes réalise
également des analyses d'impact des décisions de l'Etat sur les
budgets des collectivités territoriales, comme le montre le tableau
ci-après :
Ce tableau permet de faire le constat simple d'une diminution
de l'impact financier des décisions de l'Etat sur les budgets des
collectivités territoriales entre 2014 et 2019. Ainsi, il doit avoir
été divisé par dix en cinq ans.
Or, en 2015, dans son rapport public annuel consacré
aux finances locales, la Cour des comptes a considéré que
l'évaluation de l'impact des normes sur les collectivités locales
devait être améliorée.
Sur le fondement de ces recommandations, le Premier ministre a
adopté une circulaire le 26 juillet 201749, connue pour avoir
introduit ce que l'on nomme la « règle du deux pour un
».
Cette dernière « permet à ce que toute
nouvelle norme réglementaire soit compensée par la suppression
ou, en cas d'impossibilité avérée, par la simplification
d'au moins deux normes existantes »50.
Cette circulaire semble avoir eu l'effet escompté
puisque comme le souligne la Cour des comptes « L'impact sur le budget
des collectivités locales des décisions de l'État («
normes ») est plus faible en 2018 que les années
précédentes. »51
Par exemple, la Cour a pu constater « un effet quasi
nul des décisions de l'Etat sur la masse salariale des
collectivités en 2018 »52, à la suite d'un
report des contrats de plan Etat-région, et d'un gel du point
d'indice.
Si la tendance semble être à la baisse du
coût des décisions de l'Etat sur les budgets des
collectivités territoriales, favorisant ainsi la maitrise de leurs
dépenses par les collectivités, il faut admettre que les
conséquences des décisions nationales varient selon les
catégories de collectivités territoriales et dépendent des
modalités de leurs mises en oeuvre.
49 Circulaire du 26 juillet 2017 relative à la
maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact
50 Circulaire du 26 juillet 2017 relative à la
maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact
51 Cour des comptes, Rapport sur la situation
financière et la gestion des collectivités territoriales et de
leurs établissements publics, septembre 2018, page 13
52 Cour des comptes, Rapport sur la situation
financière et la gestion des collectivités territoriales et de
leurs établissements publics, septembre 2019, p. 29
24
Dès lors, la stratégie locale est
confisquée par la stratégie nationale. Cette tutelle, ou
plutôt cette incidence de l'Etat sur les budgets locaux est
renforcée par l'expression de son pouvoir fiscal. En effet,
comparé à celui de l'Etat, le pouvoir fiscal des
collectivités territoriales est, au même titre que leur pouvoir
normatif, résiduel et secondaire (B).
B. La tutelle de l'Etat exprimée à
travers son pouvoir fiscal
La fiscalité locale comprend une part d'impôts
directs, et une part d'impôts indirects. La première est
versée par le contribuable, qui endosse également le rôle
de redevable, tandis que la seconde est versée par deux acteurs
différents : le contribuable, et le redevable.
La fiscalité locale représente une part
déterminante des ressources des collectivités territoriales. En
2019, les recettes fiscales des collectivités territoriales
représentaient 151,6 milliards d'euros, contre 34,5 de compensations
financières (dotations).
Or, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans
sa décision du 29 décembre 200953, les
collectivités territoriales ne disposent pas d'autonomie fiscale : ce
sont les lois de finances qui déterminent les règles qui sont
applicables aux finances locales.
Néanmoins, les collectivités disposent de
certaines marges de manoeuvre puisque la loi du 10 janvier 198054
les autorise à voter le taux des quatre taxes directes. Toutefois, au
gré des réformes du panier fiscal des collectivités
territoriales, celles-ci constatent une perte progressive de leur
faculté. Ainsi, cette dernière est aujourd'hui restreinte aux
seules communes, EPCI, et départements. De cette façon, l'Etat
met en place une sorte de mutualisation des services.
Actuellement, ce sont les directions des services fiscaux qui
fixent les bases d'imposition des quatre taxes directes, et l'Etat qui
décide de la variabilité des prix, à travers les
revalorisations annuelles fixées par lois de finances.
En parallèle, la fiscalité des
collectivités territoriales est très encadrée, notamment
par la mise en place d'impositions partagées. Cela donne des
résultats ambigus avec des assiettes fixées localement, sur
lesquelles s'applique un taux national. C'est le cas de la redevance des mines,
qui est partagée entre la commune et le département. Cette
répartition bipartite souffre d'une distinction supplémentaire
puisque pour les communes, il faut encore partager le produit reçu selon
que le territoire reçoit l'exploitation, ou l'extraction des minerais.
Enfin, une partie est versée à un fonds national de
répartition.
Néanmoins, et comme le démontre la Cour des
comptes, « les produits de la fiscalité
transférée par l'État aux collectivités locales ont
augmenté de 2,1 Md€ en 2017, soit de 6,2 % après 3,9 % en
2016. »55 Cela peut s'expliquer par une volonté de
compensation de la baisse de ses transferts financiers, couplée à
celle d'accorder plus de semblant d'autonomie aux collectivités.
En effet, le diagramme ci-dessous montre que les concours
financiers ont eu tendance à diminuer entre 2010 et 2018, tandis que les
dégrèvements ont connu une évolution annuelle
supérieure au montant de la diminution des concours financiers.
Probablement pour compenser les conséquences de ces diverses
décisions, l'Etat a augmenté la part de fiscalité
transférée dont bénéficient les
collectivités territoriales.
53 Décision n° 2009-599 DC du 29
décembre 2009, Loi de finances pour 2010
54 Loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant
aménagement de la fiscalité directe locale.
55 PLF 2019, Jaune budgétaire
25
Pourtant, cette évolution prouve que les
collectivités territoriales restent des majeures sous contrôle de
l'administration. Il faut distinguer le contrôle de la tutelle. Ainsi, la
tutelle de l'Etat sur les collectivités territoriales pourrait
être définie comme le régime juridique visant à
protéger leurs patrimoines lorsqu'elles ne disposent plus de la
capacité de le faire. En ce sens, il s'agirait d'agir en leur nom et
pour leur compte. Le contrôle, lui, permet à l'Etat d'intervenir,
après que les collectivités ont agi comme bon leur semblait.
Toutefois, le tableau permet d'introduire l'idée selon
laquelle l'Etat peut influer les comportements des collectivités
territoriales et ce, à travers deux types d'action. D'abord, il peut
supprimer ou réformer les impôts locaux. Ensuite, il peut
procéder à des dégrèvements, c'est-à-dire
à des réductions totales ou partielles d'impôts. Ces
décisions ont forcément des conséquences sur les budgets
des collectivités locales, et notamment leur partie « recette
».
Par exemple, en juillet 2009, l'Assemblée nationale
écrivait que la réforme de la fiscalité locale des
entreprises entrainerait, pour les collectivités locales, « une
perte considérable de produit fiscal, supérieure à 27
milliards d'euros »56.
Un autre exemple est celui de la taxe d'habitation. En effet,
l'Etat a décidé d'une suppression progressive de cette taxe,
perçue par les communes, pour 80% des contribuables en 2020. La
suppression sera totale pour 2023. Or, elle ne sera remplacée par aucun
impôt. Pour les communes, les conséquences pourraient se faire
ressentir fortement, mais elles devraient disposer de la part
départementale de la taxe foncière. Le risque de
déséquilibre budgétaire est alors supporté par le
département qui, lui, disposera d'une part de la taxe sur la valeur
ajoutée.
Comme le montre ce raisonnement, souvent, pour compenser de
tels dégrèvements, l'Etat tente d'atténuer la perte subie
par les collectivités, par le biais d'autres recettes fiscales. La
décision
56 Rapport d'information déposé en
application de l'article 145 du règlement relatif aux relations
financières entre l'État et les collectivités
territoriales, par la Commission des finances, de l'économie
générale, et du contrôle budgétaire, et
présenté par MM. Jean-Pierre BALLIGAND et Marc LAFFINEUR, 21
juillet 2009
26
d'attribution de ces ressources ne tient qu'à lui.
Parfois, et selon le principe de compensation, il n'a d'autre choix que celui
d'augmenter la part de ses dotations à destination des
collectivités territoriales (II).
II. La tutelle indirecte de l'Etat passant par ses
dotations
Les recettes des collectivités territoriales sont
constituées d'une part de ressources fiscales, mais aussi de concours
financiers de l'Etat. En effet, depuis 1996, il existe une « enveloppe
normée » qui regroupe les différents concours de l'Etat,
dont le principal est la dotation globale de fonctionnement, aussi
appelée DGF.
Généralement, les dotations de l'Etat
s'inscrivent dans une logique de compensation visant à stabiliser les
budgets locaux. Par exemple, elles peuvent être créées pour
donner suite à la suppression d'un impôt local.
Certaines permettent d'influer l'action des
collectivités territoriales en faveur de politiques
déterminées : ce sont des dotations forfaitaires (A). D'autres
ont vocation à réduire les inégalités de ressources
des collectivités : on parle de dotations de péréquation
(B).
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