B. L'ineffectivité de l'autonomie financière
face à son absence de garantie constitutionnelle
Selon la Cour des comptes, la désillusion de la
consécration constitutionnelle de l'autonomie financière tient
à « la jurisprudence très stricte - du point de vue des
collectivités - du Conseil constitutionnel dans l'appréciation de
la constitutionnalité des mécanismes de compensation
financière des transferts de compétences
»38.
Effectivement, le juge constitutionnel tend à rejoindre
la position du juge administratif qui avait limité ce principe aux
seules dépenses obligatoires dès le 28 mai 1997, au sein d'un
arrêt dit « Commune de la Courneuve »39.
Ainsi, et comme le remarque fort justement la Cour des
comptes, « le transfert de compétences ouvre droit à
l'attribution de ressources équivalentes à celles
précédemment consacrées à l'exercice de la
compétence transférée », tandis que leur
création ou extension « n'ouvre droit qu'à un
accompagnement financier »40. Souvent, les élus
peuvent avoir le sentiment que l'Etat ne se décharge que des
compétences dont il ne maitrise plus le coût, ou qui lui sont trop
lourdes.
Dès lors, les collectivités territoriales
doivent faire face à des accroissements importants de charges
financières, sans qu'aucun principe ne puisse les en protéger.
Par exemple, lorsque l'aide sociale a été
transférée au département, celui-ci a vu ses charges
augmenter considérablement, sans que le Conseil constitutionnel n'exige
une quelconque compensation intégrale. Plus qu'une simple limitation aux
dépenses obligatoires, le principe de compensation ne prend pas en
compte l'évolution du coût des actions dans le temps. Ainsi, comme
l'expliquait Stéphane TROUSSEL en 2016, le transfert des allocations de
solidarité de l'Etat aux départements a été
perçu comme un véritable « piège financier
»41 puisque la compensation à l'euro près a
été fortement dégradée, à cause d'une
augmentation continue du nombre de bénéficiaires. Or, pour la
Cour des comptes, « la revalorisation du RSA devrait entraîner
une hausse de 132 M€ des dépenses sociales des départements
en 2019 contre plus de 246 M€ en 2018. »42
Par ailleurs, les règles constitutionnelles relatives
à l'autonomie financière, comme la part de ressources propres,
s'appliquent à des catégories de collectivités
territoriales. Autrement dit, elles s'appliquent à une « moyenne
». En ce sens, il est envisageable qu'une collectivité en
particulier ait un ratio de ressources propres inférieur à celui
de 2003. Cela ne posera pas de problème tant que ce ne sera pas le cas
de sa « catégorie ».
38 Christophe JERRETIE, Charles DE COURSON,
députés, « Mission « flash » sur l'autonomie
financière des collectivités territoriales », 9 mai 2018, p.
16
39 Conseil d'Etat, 9e et 8e sous-sections
réunies, 28 mai 1997, n° 163508
40 Christophe JERRETIE, Charles DE COURSON,
députés, « Mission « flash » sur l'autonomie
financière des collectivités territoriales », 9 mai 2018
41 Stéphane TROUSSEL, Président du
conseil général de la Seine-Saint-Denis, « Le transfert du
RSA aux départements a été un piège financier
», Petites affiches (n°132), 2016, p. 3
42 Cour des comptes, « Les finances publiques
locales 2019, Fascicule 2 », Rapport sur la situation financière et
la gestion des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics, septembre 2019, p. 30
De plus, l'Etat peut exercer une influence sur les ressources
des collectivités territoriales, par le biais des
dégrèvements, c'est-à-dire des réductions fiscales
accordées à des contribuables. Il l'a d'ailleurs fait
récemment, pour la taxe d'habitation, sans que le Conseil
constitutionnel n'y trouve à redire. En effet, au sein de sa
décision, celui-ci a conclu qu'en « dépit de l'ampleur
du dégrèvement, la taxe d'habitation continue de constituer une
ressource propre des communes »43.
Pour la Cour des comptes, c'est avec cette décision que
l'on mesure le caractère futile de la notion d'autonomie
financière, qui ne semble plus qu'être une coquille vide. Elle ne
peut pas protéger les collectivités territoriales d'une privation
de leurs ressources par l'Etat. Plus encore, elles sont dépendantes de
lui, et il a le pouvoir d'influer leurs ressources.
Si les collectivités territoriales disposent d'une
autonomie financière, celle-ci n'est qu'un mythe en ce qu'elle est
enjolivée par les élus locaux, qui espèrent ainsi disposer
de plus amples marges de manoeuvre financière. Pourtant, lorsqu'ils
doivent faire face aux décisions du juge constitutionnel, ou à
celles de l'Etat, ils ont conscience de la portée dérisoire de ce
principe.
De fait, l'Etat continue d'alimenter l'illusion d'un
quelconque équilibre financier, ce qui n'a pour effet que d'alimenter le
conflit entretenu avec les collectivités territoriales.
Effectivement, les réponses ambiguës et floues
apportées à leurs réclamations n'ont pu que les placer
dans une condition de défiance face à l'Etat, qui se veut
finalement toujours tutélaire. Il est à la tête de
décisions ayant des conséquences sur l'action publique locale, et
peut le faire de façon arbitraire. Portée par leur volonté
d'indépendance, ou plutôt d'autonomie, les collectivités ne
disposent que de très faibles possibilités de revendications
financières.
20
43 Conseil constitutionnel, décision n°
2017-758 DC du 28 décembre 2017
21
Chapitre 2 : Un conflit alimenté par l'illusion de
relations financières équilibrées entre l'État et
les collectivités territoriales
Le conflit caractérisant les relations
financières entre l'Etat et les collectivités est le fait du
mythe de l'autonomie financière. Cependant, s'il persiste dans le temps,
c'est aussi parce que, contrairement à une utopie qui désirerait
que ce constat soit faux, l'Etat exerce une tutelle sur les
collectivités territoriales.
Son interventionnisme est d'autant plus présent
à l'heure de sa volonté assumée de réduire les
dépenses de la France, afin de se soumettre aux exigences
européennes, notamment celles développées dans le pacte de
stabilité et de croissance.
Celui-ci est l'instrument européen qui permet de
coordonner les politiques budgétaires nationales et d'éviter les
déficits budgétaires excessifs. Il pose le principe
d'équilibre budgétaire, en prévoyant un volet
préventif passant par la surveillance multilatérale, et un volet
répressif passant par la procédure des déficits excessifs.
Ainsi, sauf circonstance exceptionnelle et temporaire, le déficit public
d'un Etat membre ne doit pas dépasser 3% du PIB national. Par ailleurs,
la dette ne doit pas dépasser 60% du PIB.
Au niveau local, ces exigences se traduisent par le respect de
l'équilibre budgétaire, puisque les collectivités
territoriales ne peuvent voter de lois de finances. Aussi, l'article L1612-4 du
CGCT prévoit que chacune des deux sections soit votée en
équilibre, et que chaque recette ou dépense soit inscrite au
budget selon le principe de sincérité. Comme l'a exigé le
Conseil d'Etat dès 1994, cet équilibre doit être
réel au moment de l'adoption du budget44.
Il est une condition de la légalité d'une
délibération budgétaire. Ainsi, après son vote, le
budget local doit être transmis au préfet pour qu'il y exerce son
contrôle de légalité, et un contrôle
budgétaire, en lien avec la chambre régionale des comptes, qu'il
peut saisir pour avis.
Outre ces contraintes budgétaires, les
collectivités sont aussi soumises à la règle
budgétaire contraignante dite « règle d'or » selon
laquelle l'emprunt ne peut servir l'équilibre budgétaire
puisqu'il ne peut couvrir que des dépenses d'investissement, et non de
fonctionnement.
![](Les-relations-financieres-entre-letat-et-les-collectivites-territoriales2.png)
Enfin, le législateur peut aussi assujettir les
collectivités à des obligations et à des charges tant
qu'elles « répondent à des exigences constitutionnelles
ou concourent à des fins d'intérêt général,
qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des
collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre
administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment
précise quant à leur objet et à leur portée
»45.
Cependant, cette dernière restriction est portée
par le Parlement, et non par l'Etat entendu au sens du gouvernement.
Néanmoins, les autres exemples permettent d'introduire la
réalité de la tutelle de l'Etat sur les collectivités
territoriales (Section 1), dont les actions sont muselées par les
différentes stratégies et contraintes qu'il impose (Section
2).
44 Conseil d'Etat, Braun - Ortega - Buisson, 27 mai
1994
45 Conseil constitutionnel, Décision n°
2018-727, QPC, Commune de Ploudiry, 13 juillet 2018
22
Section 1 : L'utopie balayée d'une absence
de tutelle de l'État sur les collectivités territoriales
L'absence de tutelle de l'Etat sur les finances locales est
une illusion nécessaire pour exercer son rôle d'Etat «
normateur » (I), et lorsqu'il intervient en tant que régulateur
(II).
I. Une tutelle nécessaire de l'Etat «
normateur »
Le Parlement édicte les lois. Néanmoins, les
politiques publiques sont souvent décidées au niveau national.
Comme elles ne peuvent être pilotées au niveau central, leur mise
en oeuvre doit intervenir au niveau décentralisé. Cependant,
toutes ces règles ont un coût pour les collectivités, que
l'Etat se doit de compenser : on parle de poids des normes (A). De même,
lorsqu'il décide de réformes fiscales, cela a une influence
conséquente sur les budgets des collectivités territoriales.
Là encore, et afin de leur permettre de respecter les règles
auxquelles elles sont soumises, l'Etat se doit d'intervenir (B).
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