A. Une communicabilité entre l'Etat et les
collectivités territoriales à renforcer
En décembre 2008, la Fondation internationale de
Finances publiques a publié un rapport au sein duquel elle a mis en
évidence « une forme d'incommunicabilité entre
l'État et les collectivités locales, qui ne s'accordent pas sur
la même grille d'analyse des problématiques, n'aboutissent pas aux
mêmes constats, et divergent sur les interprétations
»108.
En ce sens, les finances publiques nationales et locales
doivent former un tout indissociable, regroupant des acteurs aux mêmes
finalités. Or, le problème évident est que bien souvent
l'Etat, animé par la volonté d'atteindre certains objectifs,
transfère des compétences aux collectivités territoriales,
qui ne vont pas forcément avoir les mêmes objectifs que lui.
Comme le souligne Jean-Luc BOEUF, l'ambiguïté ne
réside pas dans « la qualité des analyses
»109, mais plutôt dans leur objet. En effet, en tant
qu'adjectif, l'incommunicabilité s'entend de ce « qui ne peut
être transmis par un mode d'expression déterminé ou par
n'importe quel mode d'expression ; qui n'est pas accessible à la pleine
compréhension d'autrui en raison de son caractère particulier et
foncièrement individuel. »110
108 FONDAFIP, « Sept questions préalables à la
conception d'un nouvelle gouvernance financière locale »,
décembre 2008
109 Jean-Luc BOEUF, « L'autonomie financière des
collectivités locales existe-t-elle ? », Gestion & Finances
Publiques (n°11), 2009, p. 838
110 Centre national de ressources textuelles et lexicales
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Dès lors, il est légitime de croire qu'en
l'absence de renforcement de la communication entre l'Etat et les
collectivités territoriales, celles-ci seront toujours soumises à
un lien de dépendance, nécessitant une intervention de l'Etat
régulateur.
Par ailleurs, la Fondation précitée reproche au
système financier local de n'être « ni exclusivement, ni
directement financier ». Il s'agirait, en somme, d'une organisation
de pilotage des politiques publiques à la tête de laquelle se
trouverait l'Etat. Ici, il faudrait toutefois favoriser une concertation des
différents acteurs pour réguler les évolutions des
ressources et des dépenses publiques notamment.
Par exemple, la compétence éducation
relève, selon l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946, du domaine d'action de l'Etat. Cependant, en raison de la
charge financière induite, certaines communes assurent le fonctionnement
courant des établissements scolaires. En 2008, la Cour des comptes avait
recommandé à l'Etat de clarifier le périmètre de
dépenses communales obligatoires au titre de l'Ecole, et de mettre en
place des outils méthodologiques et comptables évaluant cette
dépense. En effet, les communes ont en charge la
rémunération supplémentaire des agents qui s'occupent des
enfants durant le temps scolaire, temps déterminé par l'Etat.
Pour faciliter ce partage de compétences, la carte scolaire se construit
dans le cadre d'un dialogue entre l'Etat et les collectivités
territoriales, depuis la circulaire du 8 septembre 2003111.
A l'instar de Jean-Luc BOEUF, il faut noter que « le
débat est moins de savoir s'il faut plus ou moins d'État [...]
mais d'appréhender la question du contenu de la sphère publique
dans son ensemble. »112 Effectivement, les politiques publiques
semblent plutôt devoir être appréhendées dans leur
ensemble. D'ailleurs, n'est-ce pas pour une meilleure réalisation de
leurs objectifs que l'Etat transfère ses compétences aux
collectivités ?
En réalité, nombreux sont les domaines dans
lesquels il ne dispose plus des moyens financiers et humains
nécessaires. Cependant, cela ne l'empêche pas de
persévérer dans son rôle de chef-de-file, qu'il devrait
pourtant affaiblir, ou du moins limiter (B).
B. Un rôle d'Etat interventionniste à
limiter
Selon le professeur KADA, « l'Etat définit une
politique générale et en oriente ensuite les déclinaisons
territoriales en ciblant les financements ou en procédant par la voie
d'appel à projets. »113
Dès lors, il faut entendre que l'Etat décide des
politiques publiques qui seront développées localement, notamment
en usant de son rôle de décideur politique. Ensuite, lorsque le
budget national est voté, et que des crédits sont alloués
à certains domaines, cela influe également l'action locale.
Ainsi, si la part du budget allouée à l'éducation est plus
conséquente que la part relative à l'environnement, alors les
collectivités territoriales n'auront d'autre choix que de se focaliser
sur le développement de la première. En parallèle,
plusieurs exemples viennent au soutien de cet argument.
111 Circulaire n° 2003-134 du 8 septembre 2003
112 Jean-Luc BOEUF, « L'autonomie financière des
collectivités locales existe-t-elle ? », Gestion & Finances
Publiques (n°11), 2009, p. 838
113 Nicolas KADA, Professeur agrégé de droit
public, codirecteur du CRJ (université Grenoble-Alpes) et du GRALE (GIS
université Paris-I, « Etat et collectivités territoriales :
(petite) cuisine et (grandes) dépendances », AIDA 2019, p.
2423
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D'abord, en matière de santé et de protection
sociale, l'Etat pilote les agences régionales de santé depuis la
loi du 21 juillet 2009114, par le biais du Conseil national de
pilotage, qui fournit aux premières les directives nécessaires
à la mise en oeuvre de la politique nationale de santé sur leur
territoire. D'ailleurs, durant la période de crise sanitaire liée
au Covid-19, le Parlement a habilité le Gouvernement à prendre
des ordonnances à destination des collectivités territoriales.
Ainsi, l'ordonnance relative aux mesures de continuité
budgétaire, financière et fiscale des collectivités
territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face
aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, du 25 mars
2020115, pose plusieurs dérogations aux délais
initialement imposés en matière budgétaire. De la
même façon, les collectivités se sont vu octroyer des
délais supplémentaires pour la fixation des taux de leurs taxes
locales. En outre, le plafond des dépenses imprévues a
été rehaussé à 15% des dépenses
prévisionnelles de chaque section, au lieu de 7,5% avant la crise.
Cet exemple permet de comprendre comment les budgets locaux
peuvent être façonnés par les décisions nationales,
qui peuvent avoir un effet direct sur les dépenses de fonctionnement des
collectivités territoriales, à l'instar de l'achat de masques en
tissu. Cette dépense conséquente, résultant de la
politique nationale, n'était évidemment pas prévue dans
les budgets locaux.
Outre cet argument résultant d'une situation
exceptionnelle, en matière d'habitat, les préfets retranscrivent
les politiques nationales au niveau local, au sein des documents d'urbanisme
correspondants, ce qui prouve bien que les collectivités territoriales
ne sont pas celles qui décident de l'orientation à donner aux
politiques. Là encore, c'est l'Etat qui, en tant que chef-de-file,
impulse leurs actions.
Son ascendant se retrouve aussi à travers les contrats
de plan Etat-région qui, au service d'une politique transversale,
doivent permettre de relancer l'investissement local, en finançant des
projets d'avenir comme la mobilité multimodale, l'enseignement
supérieur, ou encore le numérique. Dès 1982, le Conseil
d'Etat avait confirmé leur nature contractuelle en estimant qu'aucune
« disposition législative [n'a] entendu conférer
à la stipulation dont s'agit du contrat de plan passé entre
l'Etat et la région Alsace une portée autre que celle d'une
stipulation contractuelle »116.
Or, pour certains auteurs, ces contrats ne sont en fait que
des actes unilatéraux aux objectifs politiques, puisque les
compétences des collectivités territoriales doivent être
limitativement énumérées, et qu'ils doivent se fonder sur
des cadres précisément identifiés.
Ces quelques exemples permettent d'illustrer la place de
l'Etat au sein des politiques locales, dont il est l'instigateur, mais aussi
parfois l'acteur principal. Au-delà de son rôle
prépondérant, il peut aussi limiter celui des
collectivités territoriales, en leur octroyant plus ou moins de
compétences, mais aussi et surtout, plus ou moins de moyens, notamment
financiers.
114 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant
réforme de l'hôpital et relative aux patients
115 Ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux
mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale
des collectivités territoriales et des établissements publics
locaux afin de faire face aux conséquences de l'épidémie
de covid-19
116 Conseil d'Etat, Assemblée, 8 janvier 1988, Ministre
chargé du Plan et de l'Aménagement du territoire, requête
n° 74361, Considérant 5
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En réalité, l'Etat semble intervenir partout, et
chaque fois que cela lui convient, sans considération des revendications
des collectivités territoriales alors même qu'elles appellent
à plus d'autonomie, et à une reconnaissance de leurs
différences par l'Etat (II).
II. Une reconnaissance progressive des
différences des collectivités
territoriales par l'Etat
Une double faculté de différenciation est
proposée aux collectivités territoriales. La première
consiste en une différenciation de compétences (A) ; la seconde,
en une différenciation des normes qui leur sont applicables (B).
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