A. La limitation des dépenses de fonctionnement par
la contractualisation
Selon Nicolas KADA, « les relations entre l'Etat et
les collectivités territoriales se caractérisent [...]
par leur mise en scène, toujours à l'avantage de l'Etat.
»74 Pour lui, le meilleur exemple appuyant cet argument
est celui de la contractualisation financière.
La contractualisation est un mécanisme financier
introduit par la loi de programmation des finances publiques pour les
années 2018 à 2022, qui prévoit un objectif
d'évolution des dépenses réelles de
72 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de
programmation des finances publiques pour les années 2018 à
2022
73 Cour des comptes, « Les finances publiques
locales 2019, Fascicule 2 », Rapport sur la situation financière et
la gestion des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics, septembre 2019, page 12
74 Nicolas KADA, Professeur agrégé de
droit public, codirecteur du CRJ (université Grenoble-Alpes) et du GRALE
(GIS université Paris-I, « Etat et collectivités
territoriales : (petite) cuisine et (grandes) dépendances »,
AIDA 2019, p. 2423
33
fonctionnement des collectivités territoriales et de
leurs groupements à fiscalité propre correspondant à un
taux de croissance de 1,2% par an.
Pour ce faire, l'article 29 de la loi75
prévoit que des contrats soient passés entre l'Etat et 322
collectivités territoriales, dont il entend « consolider la
capacité d'autofinancement » en organisant leur «
contribution à la réduction des dépenses publiques et
du déficit public ».
Si certaines collectivités refusent de se soumettre
à de tels contrats, le préfet pourra tout de même leur
imposer unilatéralement un plafond de dépenses de fonctionnement.
En ce sens, et comme le précise Jean-Éric SCHOETTL, le terme
même de contractualisation apparait « hypocrite
»76.
Dans tous les cas, si ce plafond n'est pas respecté,
les collectivités concernées se verront appliquer une sanction
sous forme de reprise financière. Ainsi, Jean-Marc PASTOR estime que
« l'absence de signature peut traduire simplement un refus de principe
de s'engager dans une démarche contraignante avec l'État, alors
que, compte tenu des sanctions prévues en cas de dépassement, les
collectivités concernées s'attacheront à respecter
l'objectif de dépenses qui leur est assigné
»77.
Il est alors aisé de comprendre que les
collectivités territoriales sont placées « sous le sceau
de [la] dépendance »78 de l'Etat, et qu'elles n'ont
d'autres choix que de se soumettre aux réformes qu'il impose «
selon sa propre recette »79.
Et pourtant, pour le Conseil constitutionnel, ce dispositif
n'est pas contraire à la Constitution. En effet, dans une
décision en date du 18 janvier 201880, et en se fondant
notamment sur l'objectif d'équilibre des comptes, il considère
que « le législateur n'a pas porté à la libre
administration des collectivités territoriales une atteinte d'une
gravité telle que seraient méconnus les articles 72 et
72-
2 de la Constitution. »
Dès lors, il faut entendre qu'un tel dispositif porte
atteinte à la libre administration des collectivités
territoriales, mais pas suffisamment pour que le Conseil ne le censure.
Par ailleurs, en 2018, la Cour des comptes «
soulignait qu'une reprise de l'inflation pourrait compromettre la
pertinence de l'objectif de plafonnement de la dépense locale. En effet,
la loi de programmation pour 2018-2022 s'est appuyée sur une
hypothèse de hausse modérée des prix, les dépenses
de fonctionnement ne baissant en termes réels qu'à partir de 2020
»81. Il faut entendre que la crise sanitaire liée
au développement du Covid-19 va probablement influer la bonne
exécution de ces contrats. Effectivement, si le gouvernement a
d'ores-et-déjà annoncé que les reprises financières
n'auraient pas lieu de s'appliquer durant la période de crise, seule une
inflation peut être envisagée
75 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de
programmation des finances publiques pour les années 2018 à
2022
76 Jean-Éric SCHOETTL, ancien
secrétaire général du Conseil constitutionnel, «
Questions sur l'autonomie financière des collectivités
territoriales : revendication politique ou principe constitutionnel ? »,
Petites affiches (n°144), 2018, p.
3
77 Jean-Marc PASTOR, « La Cour des comptes
pointe les incertitudes autour de la contractualisation sur les dépenses
locales Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques
», Dalloz Actualité, 29 juin 2018
78 Nicolas KADA, Professeur agrégé de
droit public, codirecteur du CRJ (université Grenoble-Alpes) et du GRALE
(GIS université Paris-I, « Etat et collectivités
territoriales : (petite) cuisine et (grandes) dépendances », AJDA
2019, p. 2423
79 Nicolas KADA, Professeur agrégé de
droit public, codirecteur du CRJ (université Grenoble-Alpes) et du GRALE
(GIS université Paris-I, « Etat et collectivités
territoriales : (petite) cuisine et (grandes) dépendances »,
AIDA 2019, p. 2423
80 Conseil constitutionnel, décision n°
2017-760 DC, 18 janvier 2018
81 Cour des comptes, « Les finances publiques
locales 2019, Fascicule 2 », Rapport sur la situation financière et
la gestion des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics, septembre 2019, p. 48
à sa sortie. Ainsi, l'avenir montrera comment les
sanctions financières seront infligées ou non aux
collectivités territoriales.
En plus de limiter directement leurs dépenses de
fonctionnement, le mécanisme de contractualisation financière
exerce une incidence indirecte sur les dépenses d'investissement des
collectivités territoriales. En effet, puisque l'objectif est une
réduction de la dépense publique locale, les collectivités
territoriales ne vont pas profiter d'une limitation de leurs dépenses de
fonctionnement pour augmenter celles d'investissement.
Ainsi, l'objectif d'évolution de la dépense
publique locale apparait renforcé par la contractualisation (B).
B. Le renforcement de l'objectif
d'évolution de la dépense publique locale par la
contractualisation
Le budget d'une collectivité territoriale est
composé de deux sections : le fonctionnement et l'investissement. Ces
notions s'insèrent dans celle d'objectif d'évolution de la
dépense publique locale, qui est une sorte de bilan
général du budget d'une collectivité territoriale.
Créé par l'article 11 de la loi de programmation
des finances publiques pour la période 2014-2019, il est
déterminé après consultation du Comité des finances
locales, qui en assure le suivi. Il est exprimé en pourcentage
d'évolution annuelle à périmètre constant.
Selon ce même article, la dépense publique locale
est la somme des dépenses réelles en comptabilité
générale des sections de fonctionnement et d'investissement,
nettes des amortissements d'emprunts. La comptabilité
générale, elle, permet au comptable d'enregistrer, de classer, et
de synthétiser les données financières afin de les
analyser et de renseigner les collectivités.
Néanmoins, il faut noter que l'objectif
d'évolution de la dépense publique locale n'a pas de valeur
contraignante et reste purement indicatif. Ainsi, il ne saurait être
imposé à une collectivité pour l'empêcher de
dépenser.
Dès lors, la dépense de fonctionnement peut
être plus dynamique que la dépense globale, comme le prouve le
tableau ci-dessous, issu de l'article 11 de la loi de programmation des
finances publiques pour les années 2014 à 201982.
34
82 Loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014
de programmation des finances publiques pour les années 2014 à
2019
35
Ainsi, ce n'est qu'en 2017 que le taux d'évolution de
la dépense de fonctionnement s'est retrouvé inférieur
à celui de l'objectif d'évolution de la dépense publique
locale. Comme cela ne pouvait pas être opposé aux
collectivités territoriales, l'Etat a créé un
mécanisme contraignant relatif à la réduction de
l'évolution de la dépense de fonctionnement des
collectivités territoriales, à savoir la contractualisation.
En effet, il ne pouvait pas imposer de contrainte directe sur
la section d'investissement, car il s'agirait là d'une contrainte sur
l'économie. Sans le mécanisme de contractualisation
financière, c'est sûrement ce vers quoi elles se seraient
tournées. Les collectivités territoriales auraient alors
décidé, au profit des dépenses de fonctionnement, de
réduire leurs dépenses d'investissement.
Pour certains, « la LPFP pour les années 2018
à 2022 a renouvelé les relations financières entre
l'État et les collectivités, ces relations ne se
caractérisant plus par des baisses unilatérales des dotations
mais par une approche partenariale reposant sur une responsabilisation et un
mécanisme de contractualisation. »83
Voilà le coeur de l'enjeu. Les relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales ne
peuvent plus reposer sur un lien de dépendance, notamment parce que les
secondes reçoivent de plus en plus de compétences, au rythme du
train de la décentralisation. Or, elles sont également
enserrées dans les griffes de l'Etat, qui est présent partout, et
maitrise toutes les décisions financières des
collectivités territoriales, de près ou de loin.
Cette situation implique à la fois une situation de
dépendance et de défiance. Pour la Cour des comptes, ces
relations financières doivent changer. Il faut revitaliser l'autonomie
financière des collectivités territoriales. L'Etat doit se faire
moins interventionniste, et les laisser gérer leur budget de
façon effective.
Quoi qu'il en soit, la métamorphose de ces relations
est plus que bienvenue par les différents acteurs des finances publiques
locales.
83 Franck WASERMAN, « Contractualisation
financière et libre administration des collectivités
territoriales », Constitutions, 2018, p. 271
36
Titre 2 - Une métamorphose bienvenue des
relations financières entre l'État et les collectivités
territoriales
Selon le Larousse, une métamorphose est une «
modification complète du caractère, de l'état de
quelqu'un, de l'aspect ou de la forme de quelque chose
»84.
Dès lors, les relations financières entre l'Etat
et les collectivités territoriales, qui sont pour l'heure
caractérisées par un lien de dépendance et de soumission,
devraient se mouvoir vers un état d'indépendance et de
coopération.
Au sein de plusieurs rapports, la Cour des comptes a
émis une vingtaine de recommandations en ce sens. Ainsi, elle
préconise d'approfondir le dialogue, notamment en définissant
conjointement une trajectoire financière pour les collectivités
territoriales. Dès lors, elle a aussi proposé la création
d'une instance dédiée à l'objectif d'évolution de
la dépense locale.
Par ailleurs, le dialogue devrait également permettre
une évolution positive pour les collectivités territoriales en ce
qui concerne le coût des normes de l'Etat sur leurs budgets.
Ainsi, il faudra avant tout repenser les relations
financières des collectivités territoriales (Chapitre 1), afin de
privilégier une coopération avec l'Etat (Chapitre 2).
37
84 Grand Larousse Illustré, édition
2020, 2112 pages
38
Chapitre 1 : La nécessaire restructuration des
relations financières des collectivités territoriales
L'article premier de la Constitution dispose que « la
France est une République indivisible, laïque, démocratique
et sociale. » Le principe d'indivisibilité doit être
entendu comme une indivisibilité de la souveraineté d'abord, qui
empêche l'attribution d'un pouvoir normatif autonome aux autorités
décentralisées. Ensuite, il décrit une unicité du
territoire, impliquant une uniformité du droit applicable.
Pourtant, il existe des dérogations à ce
principe, qui passent notamment par une asymétrie normative. Ainsi, les
collectivités d'Outre-mer, ou à statut particulier, se voient
reconnaitre de plus en plus de droits que les collectivités
territoriales de droit commun n'ont pas.
Puisque certaines doivent assumer des charges qui ne
relèvent pas d'autres, alors même qu'elles sont soumises, dans
l'ensemble, aux mêmes principes budgétaires, cette situation
créé des déséquilibres financiers entre les
collectivités territoriales. Il convient de les abolir dans un souci de
respect des principes constitutionnels afférant aux relations entre
collectivités territoriales (Section 1), comme le principe
d'interdiction de tutelle budgétaire entre deux collectivités.
En parallèle, l'Etat doit également
réduire, voire abolir, le lien de subordination qu'il impose aux
collectivités territoriales, et tenter de les percevoir comme ses
égales, des acteurs financiers avec qui il peut coopérer afin
d'impulser des actions, et non à qui il impose ses choix et visions de
politiques publiques (Section 2). Partant, leurs relations ne pourront s'en
trouver que plus saines, puisque portées par la coopération.
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