A. Le contrôle de l'emprunt des collectivités
territoriales par l'Etat
Aux termes des articles L.2337-3, L.3336-1, L.4333-1 et
L.5211-36 du CGCT, les communes, les départements, les régions et
les EPCI peuvent recourir à l'emprunt, sur décision de
l'assemblée délibérante. Ainsi, l'article 32 de la loi du
26 juillet 2013 de séparation et de régulation des
activités bancaires63 dispose qu'ils peuvent être
libellés en euros ou en devises étrangères à
condition de se prémunir contre les risques de change, par un contrat
d'échange de devises contre euros. Enfin, leur taux
d'intérêt peut être fixe ou variable, mais dans ce cas, la
formule d'indexation de ces taux doit répondre à des
critères de simplicité et de prévisibilité.
Comme l'a souligné le juge du Conseil d'Etat dans un
arrêt du 12 février 200364, le contrat d'emprunt est un
contrat de droit privé, qui ne peut pas faire l'objet d'un
contrôle de légalité, et ne nécessite pas de
transmission au préfet pour être exécutoire.
63 Loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 de
séparation et de régulation des activités bancaires
64 Conseil d'Etat, 6e et 4e sous-sections
réunies, 12 février 2003, « Ministère de l'Economie,
des Finances, et de l'Industrie », n° 234917
30
Dès lors, le représentant de l'Etat ne peut pas
s'opposer à un contrat d'emprunt qui lui semblerait préjudiciable
à la collectivité. Néanmoins, comme il peut demander la
transmission de tout document annexe nécessaire à
l'appréciation de la légalité des actes pris par les
autorités locales, il lui est possible de contrôler la
délibération autorisant l'emprunt, et de demander le projet de
contrat de prêt65.
Par ailleurs, l'emprunt des collectivités territoriales
est limité par la loi puisqu'il ne doit servir qu'à financer des
investissements.
L'article L1612-4 du CGCT dispose qu'il ne peut en aucun cas
combler un déficit de la section de fonctionnement, ou une insuffisance
des ressources des collectivités territoriales. En ce sens, l'emprunt ne
peut pas amortir le coût de la dette, ni servir aux financements des
dépenses de fonctionnement : on parle de règle d'or. Ce
contrôle est permis grâce au principe d'équilibre
budgétaire.
Comme le souligne le journaliste Pierre CHEMINADE, cette
règle d'or a été « renforcée »
par le Projet de loi de Finances pour 2018 qui, en son article 24 encadre
« le ratio d'endettement »66, c'est-à-dire
le rapport entre l'encours de dette et la capacité d'autofinancement,
qui est désormais décliné par catégorie de
collectivités.
La capacité d'autofinancement correspond à la
différence entre les recettes réelles de fonctionnement et les
dépenses réelles de fonctionnement. En réalité, le
ratio d'endettement vise la capacité de désendettement des
collectivités territoriales, en fixant les années aux termes
desquelles la collectivité doit sortir de la dette. Par exemple, pour
les communes de plus de 10 000 habitants, cela doit avoir lieu dans une
période comprise entre onze et treize ans.
En cas de dépassement de ce plafond, l'ordonnateur de
la collectivité devra présenter un rapport sur ses perspectives
financières qui devra établir une trajectoire précisant le
retour en dessous des seuils, et les ratios attendus pour chaque année.
A défaut, le préfet devra saisir la chambre régionale des
comptes pour avis ou recommandation. Si ces derniers ne sont pas atteints,
alors, en application de l'article L1612-10 du CGCT, le préfet pourra
suspendre l'exécution du budget de la collectivité.
Pour le gouvernement, ce contrôle permet de «
s'assurer de la soutenabilité financière du recours à
l'emprunt par les collectivités ». En revanche, pour certains
élus, comme Philippe LAURENT, « un peu comme les banques qui
contrôlent la solvabilité de leurs clients, [le gouvernement]
entend mettre sous surveillance la capacité de désendettement
»67 de certaines collectivités. De plus, ce
dispositif ne semble pas tenir compte de la spécificité des
territoires.
Cette gestion de l'emprunt des collectivités
territoriales par l'Etat n'est pas la seule preuve de la tutelle qu'il exerce
sur les collectivités. En effet, celui-ci intervient également
afin de régulariser leurs emprunts, notamment les emprunts dits
toxiques, ou à risques (B).
65 Conseil d'Etat, 13 janvier 1988, « Mutuelle
générale des personnels des collectivités locales et de
leurs établissements », n°68166
66 Pierre CHEMINADE, « Projet de loi de
finances pour 2018 : Comment l'Etat veut contraindre les collectivités
à se désendetter », La Gazette des communes, 27
septembre 2017
67 Thomas BEUREY, « Contrôle de
l'endettement des collectivités : ce que prévoit le gouvernement
», Localtis - La Banque des territoires, 9 octobre 2017
31
B. La régulation des emprunts des
collectivités territoriales par l'Etat
Les collectivités territoriales ont contracté
beaucoup de prêts combinant, au sein d'un même contrat, un
prêt bancaire et un ou plusieurs dérivés aux
intérêts évolutifs : on parle d'emprunts structurés.
Comme le définit le Ministère du budget, « un produit
dérivé est un instrument financier, utilisé pour se
couvrir contre des risques financiers (risques de taux d'intérêt,
risque de change, etc.). Sa valeur fluctue en fonction de l'évolution du
taux ou du prix d'un produit appelé sous-jacent. »68
Dans son rapport annuel pour 2009, la Cour des comptes note
que : « ces emprunts sont facilement reconnaissables puisque la clause
qui définit le taux d'intérêt applicable comprend alors
nécessairement un ou plusieurs « si ». Ils offrent à
l'emprunteur, dans les premières années du contrat, un taux
inférieur au marché. »
Ainsi, ce type d'emprunt couvre plusieurs périodes de
taux, dont la première est marquée par un taux faible
bonifié, inférieur au cours du marché, voire nul. C'est
cette phase qui les rend attractifs et explique pourquoi les
collectivités se sont tournées vers eux. Or, les étapes
suivantes comportent des risques conséquents, et certaines
collectivités se sont retrouvées dans l'impossibilité de
rembourser leurs dettes face à des taux d'intérêt
croissants.
En 2009, après la crise des subprimes, l'Etat
français a adopté une Charte de bonne conduite, mettant en place
la classification dite « Gissler ». Cette dernière
permet de ranger les produits proposés aux collectivités
territoriales selon les risques financiers qu'ils impliquent en fonction de la
complexité de l'indice servant au calcul des intérêts de
l'emprunt, et du calcul des intérêts.
Cette Charte a été complétée par
la circulaire du 25 juin 201069, regroupant tous les produits
déconseillés, et mettant fin à la commercialisation des
produits structurés à risques.
Cette dernière rappelle que le comptable public peut
alerter une collectivité d'un risque d'endettement qu'elle n'aurait pas
perçu, et ce, même si son conseil n'est pas sollicité.
Outre l'information qu'il a souhaité apporter aux
élus, l'Etat a mis en place une aide aux collectivités et
établissements publics les plus fortement affectés par ces
emprunts, calculée en référence à
l'indemnité de remboursement anticipé.
Exercée dès 2014, cette intervention
étatique a permis de soutenir les collectivités territoriales les
plus fragilisées, en allégeant le coût de leur dette.
Ainsi, l'Etat les aide à travers son fonds de soutien aux emprunts
toxiques, créé par l'article 92 de la loi de finances pour
201470.
De plus, en vertu de l'article 92 du décret du 29 avril
201471, le comité national d'orientation et de suivi du fonds
doit émettre des recommandations sur les modalités d'intervention
du fonds, de son calcul et de son versement. Or, ce comité est
composé de représentants de l'Etat, de parlementaires et de
représentants des collectivités territoriales.
68 Ministère du budget, des comptes publics,
et de la réforme de l'Etat, « Les produits financiers offerts aux
collectivités locales et à leurs établissements publics
», instruction N° 10-019-M0 du 3 août 2010
69 Circulaire interministérielle n° NOR
IOCB1015077C du 25 juin 2010 relative aux produits financiers offerts aux
collectivités territoriales et à leurs établissements
publics
70 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de
finances pour 2014
71 Décret n° 2014-444 du 29 avril 2014
relatif au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à
certains établissements publics ayant souscrit des contrats de
prêts ou des contrats financiers structurés à risques
32
Là encore, il est aisé de constater l'influence de
l'Etat et de ses représentants sur les finances des collectivités
territoriales. En effet, si les modalités d'attribution d'une telle aide
sont objectives, il n'en reste pas moins que la décision revient
à l'Etat.
Enfin, il est légitime de penser que l'Etat s'est senti
forcé d'intervenir pour aider ces collectivités exposées
à un risque résultant des emprunts qu'elles ont pu contracter.
Par ailleurs, la loi de programmation des finances publiques pour
les années 2018 à 202272 a introduit un objectif de
désendettement des collectivités territoriales qui, pour la Cour
des comptes,
« apparait incertain, et non explicitement
intégré
|
dans leurs stratégies financières
»73.
|
C'est sûrement face à cette inaction des
collectivités territoriales que l'Etat a décidé de
renforcer ses mesures, et d'influer à la fois les ressources issues de
leurs emprunts et leurs dépenses d'investissement, ainsi que leurs
dépenses de fonctionnement. Pour cela, il a introduit un
mécanisme de contractualisation financière par le biais de la loi
précitée (II).
II. Une liberté de dépenses
entravée par la contractualisation
Les collectivités territoriales ont, comme l'Etat, deux
types de dépenses. Les dépenses de fonctionnement sont toutes les
dépenses nécessaires au fonctionnement des services de la
collectivité, et qui sont récurrentes. Par exemple, il peut
s'agir des charges de personnel, de gestion courante, ou d'achats de
fournitures. Les dépenses d'investissement sont des acquisitions
d'immeubles, des constructions ou des aménagements de bâtiments.
En somme, les dépenses d'investissement concernent les biens
répondant aux critères de durabilité et de consistance.
Il semble évident que lorsque les collectivités
territoriales se voient demander une réduction de leurs dépenses,
elles vont se tourner vers leurs dépenses d'investissement. En effet, si
ces dépenses ne sont pas récurrentes c'est que, d'une certaine
façon, elles peuvent s'en passer.
Or, porté par la volonté de renforcer son
objectif d'évolution de la dépense publique locale (B), l'Etat a
décidé de limiter les dépenses de fonctionnement des
collectivités territoriales, en passant par la contractualisation
financière (A).
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