Depuis de nombreuses années, le monde connaît un
véritable essor en matière de flux migratoires. Les origines de
l'envol sont multiples : misère économique, crise politique,
guerre, famine... La détresse, elle, est commune. Dans ces conditions de
vie, comment ne pas se laisser envahir par le désespoir ? Tout adulte
subissant cette situation aspire à un avenir meilleur, pour lui et
surtout pour sa descendance.
En ces temps, la Belgique compte parmi les cinq pays
d'accueil les plus attractifs. De ce fait, les écoles maternelles des
territoires wallons reçoivent de plus en plus d'enfants dont la langue
maternelle, toujours pratiquée au domicile, n'est pas le
français.
À l'heure actuelle où ces établissements
scolaires ne disposent pas de moyens adéquats pour optimiser
l'intégration culturelle, sociale et linguistique de ces jeunes,
l'opération s'annonce rude. La finalité primordiale serait de
leur faciliter l'entrée au primaire, minimiser les
inégalités avec leurs pairs francophones, et éviter
l'échec scolaire.
Ce travail de fin d'études, fondamentalement
logopédique, s'est initialement axé sur le handicap majeur que
rencontre, par fatalité, un enfant de migrant dès le jour de la
rentrée scolaire : la langue. Parmi les cinq composantes
caractérisant une langue n'étant autre que la phonologie, le
lexique, la morpho-syntaxe, la sémantique et la pragmatique, il me
fallait faire un choix ciblé. Ma sélection s'est
immédiatement portée sur le domaine du lexique, entité
égale à la quintessence linguistique. Dépourvu de mots,
l'Homme se retrouverait dans une impasse communicationnelle.
L'accroissement du stock lexical chez un individu peut
s'établir de deux façons : soit par un apprentissage explicite
(enseignement drastique traditionnel), soit via un apprentissage implicite
(naturel, inconscient, engendré par les interactions sociales, la
lecture, etc.). Je corrobore les propos de la littérature scientifique
en considérant que le second s'avère tout aussi précieux,
efficace, et actif que le premier. C'est pourquoi cette étude appliquera
ce procédé.
L'avantage avec la logopédie, pour les grands comme
pour les petits, est qu'elle positionne le Jeu sur un piédestal,
convaincue de ses vertus thérapeutiques. Le « bain de langage
», type de rééducation ordinaire couramment usité en
école maternelle, ne recourt qu'à des activités ludiques.
Son credo : « Jouer en apprenant, apprendre en jouant ».
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Approuvant ce principe, j'ajouterais une persuasion
personnelle qui toutefois acquiert davantage de notoriété au fil
des années : la musique et le chant peuvent véritablement servir
de panacée à tous niveaux. En effet, l'art-thérapie gagne
du terrain. J'en suis venue à m'interroger : « Comment adapter
cette discipline à des enfants de 5 ans ? Quel est l'emblème
musical enfantin par excellence ? » Le terme est tombé : la
comptine. Il n'est pas exceptionnel qu'adultes, nous nous souvenions encore des
chansonnettes que l'on entendait autrefois. Cela signifie qu'à partir de
rythmes simples, d'une mélodie entraînante, des mots peuvent venir
se loger aisément dans notre mémoire à long terme. User de
cette méthode ludique et amusante avec de très jeunes apprenants
d'une langue seconde ne serait-il pas bénéfique pour
l'apprentissage du vocabulaire?
L'idée de cette étude est née. Des
questions ont été soulevées : « La «
comptine » et le « bain de langage » agissent-ils de la
même manière au niveau de l'apprentissage d'un vocabulaire
donné ? L'un ne s'avérerait-il pas plus efficace que l'autre ?
»
Pour mener à bien ce projet, une comparaison entre les
deux domaines était nécessaire, afin d'observer si l'un
s'avérait plus bénéfique que l'autre en matière de
construction du lexique en langue française, sur les versants productif
et réceptif. L'hypothèse de départ penchait vers une
efficacité plus marquée de la comptine, pour son
côté ritualisé, établi, l'air musical apportant
également une aide considérable au niveau de l'intégration
et la récupération en mémoire. Cette supposition se
concrétisera-t-elle ?
Quatre enfants, scolarisés en grande section de
maternelle (GSM), ayant entre 5 et 6 ans contribueront à l'obtention de
la réponse. Deux d'entre eux s'adonneront aux joies de l'atelier du
« bain de langage », tandis que les deux autres rejoindront l'atelier
« comptine ».
Au cours de ce travail, une partie théorique vous sera
premièrement exposée. Elle contera une fraction de l'Histoire de
la comptine, et traitera ensuite du bilinguisme et de ses répercussions
tout en amenant quelques informations sur l'acquisition du lexique. La seconde
partie sera basée sur la pratique, puisque je vous ferai part de la
méthodologie employée, ainsi que les résultats et leurs
analyses. Enfin, une discussion annexée à une vision plus intime
clôturera ce projet.
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UN PEU DE THÉORIE...
« La langue est un théâtre dont les mots
sont les acteurs »
Ferdinand BRUNETIERE