B- Les amendements apportés aux dispositifs a-
L' amendement Charasse
Conformément au septième alinéa de
l'article 223 B du Code général des impôts français
, lorsqu'une société a acheté les titres d'une
société qui devient membre du même groupe aux personnes qui
la contrôlent, directement ou indirectement, ou à des
sociétés que ces personnes contrôlent directement ou
indirectement au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce132,
une partie des charges financières de ce groupe doit être
réintégrée au résultat d'ensemble à compter
de l'exercice d'acquisition jusqu'à la fin du quatorzième
exercice qui suit l'achat133. L'objectif de cette mesure est
ainsi de limiter la création artificielle de charges financières
chez la holding liée au financement d'opérations d'acquisition
« à soi-même », charges qui pourraient ensuite se
compenser avec les résultats de la société acquise par
l'application des règles de l'intégration fiscale.
En effet, la pratique a vu éclore de nombreux montages
juridiques complexes ayant pour but exclusivement fiscal de dégager des
liquidités par le biais d'une vente « à elle-même
» des filiales d'un groupe. L'administration fiscale ne voulant plus
supporter le coût de ces « rachat
131Etude par Samuel Schmidt, Avocat associé du
cabinet UGGC, Capital investissement - Privateequity, mars 2011, p. 8.
132
Article L.233-3 du Code de commerce : « Une
société est considérée [...J comme en
contrôlant une autre :1° Lorsqu'elle détient directement
ou
indirectement une fraction du capital lui conférant
la majorité des droits de vote dans les assemblées
générales de cette société ; 2° Lorsqu'elle
dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette
société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés
ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de
la société ; 3° Lorsqu'elle détermine en fait, par
les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les
assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette
société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la
majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de
surveillance de cette société. Elle est présumée
exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement,
d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun
autre associé ou actionnaire ne détient directement ou
indirectement une fraction supérieure à la sienne. »
133Marie-Antoinette Coudert, JurisClasseur
Sociétés Formulaire Fasc. Q-40, 28 Juillet 2006 p. 24.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
à soi-même », le législateur a
réagit par l'introduction de l'amendement dit Charasse - pour le nom de
son instigateur - aussi connu sous le numéro de son alinéa, le
septième de l'article 223 B du Code général des
impôts français.
L'exemple type est le suivant : une société E
étrangère possède 95 % d'une filiale F établi en
France. Elle souhaite dégager de la trésorerie tout en gardant le
contrôle de la filiale. La solution à cet effet sera dans un
premier temps de créer une holding française H à faible
capital ayant pour objet de racheter la participation de E dans F. H emprunte
pour financer l'acquisition des titres de F, et constate ainsi un
déficit fiscal à raison des charges financières
générées par l'emprunt. La société E a
touché le produit de la vente de sa participation mais conserve
toutefois le contrôle de cette dernière par l'intermédiaire
du holding. Dans un second temps, H et F vont opter pour le régime de
l'intégration fiscal, ce qui permettra une compensation entre le
déficit fiscal de la holding et le bénéfice de la filiale.
Cette compensation donne lieu à une diminution d'impôt égal
au montant déduit multiplié par le taux d'IS. Conclusion, la
vente « à soi-même » permet à E de
récupérer la trésorerie de la valeur de F, tout en
conservant son contrôle au travers de la holding. Le seul perdant de
l'affaire est l'administration fiscale, car c'est le Trésor public qui
soutiendra le poids de l'opération. Ainsi, afin d'éviter de
telles dérives, et comme l'avait proposé le Ministre
français délégué au budget de l'époque,
Monsieur Charasse, dans un amendement au projet de loi de finance rectificative
pour 1988, les intérêts des emprunts ayant servi à
acquérir auprès de son propre actionnaire majoritaire doivent
être réintégrés dans le résultat taxable du
groupe, les titres de filiales entrant ensuite dans le groupe
intégré. Le dispositif s'applique lorsqu'une
société acquiert auprès d'une société qui la
contrôle ou auprès d'une société
contrôlée par cette dernière, des titres d'une autre
société qui devient membre du même groupe
intégré que l'acquéreur. Il prévoit en pratique la
réintégration dans le résultat d'ensemble une
période de quinze exercices à compter de l'exercice de
l'acquisition d'une fraction des charges financières
dégagées par les sociétés du groupe
intégré.
b- L'amendement Carrez.
Cette disposition aussi s'inscrit dans un contexte de lutte
contre les schémas abusifs et les dissociations entre l'apparence
juridique, incarnée par des rattachements artificiels, et la
réalité économique. L'hypothèse de
l'intégration fiscale et du caractère parfois excessif de
réduction de l'assiette imposable qui peut en résulter,
étant notamment visée. Dans un premier temps l'administration
fiscale française a tenté de se placer sur le terrain de l'abus
de droit
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
pour lutter contre ces phénomènes134,
mais cela a été un échec notamment en ce que une
réponse positive serait susceptible de causer l'effondrement de
l'ensemble des opérations d'acquisition avec effet de levier. C'est pour
y remédier que le législateur français est intervenu en
introduisant une disposition anti-abus spécifique.
Le dispositif prévoit la réintégration
d'une quote-part forfaitaire des charges financières afférentes
à l'acquisition de titres de participation par une entreprise soumise
à l'impôt sur les sociétés dans le cas où
celle-ci ne peut démontrer que les décisions relatives à
ces titres sont effectivement prises par elle (ou par sa société
mère ou une société soeur établies en France) et,
lorsque le contrôle ou une influence est exercé sur la
société cible, que ce contrôle ou cette influence est
effectivement exercé par elle ou par une société du
même groupe. La réintégration peut cependant être
dispensée dans trois hypothèses135.
Si ces dispenses ne sont pas invocables, la
société redevable devra rapporter la preuve que les
décisions relatives à l'acquisition (le projet d'instruction
précise que sont également visées les décisions de
cession, de nantissement, de prêt ou de mise en location) et à
l'exercice d'un contrôle ou d'une influence, sont prises par elle ou par
une société la contrôlant (au sens de l'article L233-3 I du
code de commerce), ou par une société soeur (le projet
d'instruction relève dans cette hypothèse que la
société mère peut être établie en France)
établies en France. Certains praticiens se demandent, si la
société mère étrangère qui prend les
décisions peut être considérée comme établie
en France pour les besoins de l'article 209 IX, si elle a un
établissement en France. Même si le projet d'instruction demeure
silencieux, on peut penser que l'administration répondra par la
négative.
En l'absence de société mère ou soeur
établie en France et qui prendrait ces décisions, la
société détentrice des titres doit démontrer
qu'elle constitue un centre de décisions autonome, qu'elle prend
effectivement les décisions visées136. Cette preuve
pouvant être rapportée par le biais d'un faisceau d'indices.
En principe le dispositif est destiné à lutter
contre les schémas abusifs permettant à des groupes
étrangers de loger artificiellement de l'endettement en France et
consistant en l'acquisition de titres de sociétés
étrangères, par l'intermédiaire de holdings
françaises, endettées en vue de cette acquisition. Cette
idée ressort notamment des débats parlementaires,
134TA Montreuil 16 juin 2011, 1e ch., Sté
NordstromEuropean Capital Group n° 0905509 et 1007116
135Lorsque la valeur totale des titres de
participation est inférieure à 1 million d'euros (l'ensemble des
titres de participation qu'ils ouvrent ou non droit à déduction
sont pris en compte, ce qui limite cette possible dispense) ; lorsque
l'entreprise apporte la preuve que l'acquisition des titres de participation
n'a pas été financée par des emprunts dont elle ou une
autre société du groupe supporte les charges ; lorsque le ratio
d'endettement du groupe est supérieur ou égal à son propre
ratio d'endettement.
136Le projet d'instruction précise que tel
n'est pas le cas lorsque les droits associés à la qualité
de propriétaire sont excessivement limités.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
dans lesquels le député Gilles Carrez, auteur de
l'amendement. Le projet d'instruction se réfère également
aux débats parlementaires.
Cependant l'article 209 IX vise l'acquisition de titres de
participations, sans indiquer le lieu d'établissement de la
société cible. Dès lors les acquisitions de titres de
sociétés françaises ne sont pas automatiquement exclues du
champ d'application du dispositif. Cela laisse donc penser que des
schémas de LBO français pourraient être concernés,
et cette disposition pourrait constituer un frein à l'implantation de ce
type de montage en France dès lors que les conditions permettant
d'échapper à la réintégration ne seraient pas
réunies. Ces conditions seraient d'autant plus difficiles à
rapporter, que le plus souvent, dans les montages mis en place par des
investisseurs étrangers, les décisions sont prises en amont par
ces repreneurs et investisseurs étrangers, et non par la holding
elle-même, qui ne constitue alors qu'un intermédiaire. Les
investisseurs sont également souvent partis à un pacte
d'actionnaires par lequel ils peuvent s'opposer à la libre cession des
titres par la holding.
Dans l'hypothèse où ce dispositif s'appliquerait
aux LBO français, il faut noter que ce nouveau dispositif s'applique
prioritairement aux dispositifs de lutte anti sous-capitalisation et de
l'amendement Charasse. Ainsi il faut procéder en deux étapes pour
déterminer le montant des charges financières déductibles.
En premier lieu, il faut déterminer s'il existe de tels frais
afférents à l'acquisition de titres de participations
réputés non déductibles en application de l'amendement
Carrez. Il s'agit ensuite d'appliquer, si elles jouent, les dispositions de
l'article 212, II ou de l'article 223 B du CGI, le montant des charges à
retenir pour l'application de ces dispositions étant minoré des
frais non déductibles en vertu de l'article 209, IX du CGI.
A cet inconvénient de l'éventuelle limitation de
la déductibilité des charges financières, s'ajoute la
menace de sanctions fiscales dans l'hypothèse où les acteurs du
montage LBO ne se montreraient pas assez prudents dans leur recherche d'une
optimisation maximale.
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