Section 2 : Le risque de requalification par
l'administration fiscale
En principe, l'administration fiscale n'a pas à
s'immiscer dans la gestion de l'entreprise, elle n'a pas à porter de
jugement sur la qualité ou les résultats de la gestion
financière ou commerciale. Ainsi, la gestion de l'entreprise est une
mission du chef de l'entreprise. Le contribuable éclairé doit
gérer sa fiscalité au mieux de ses
intérêts137.De ce fait, le contribuable possède
une faculté des choix fiscaux afin de payer le moins d'impôt
possible.
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137COZIAN (M), Précis de l'entreprise, Paris
,Litec, 23ème édition, p163
Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
En effet, une décision prise ou un acte
réalisé quelque soit la nature, dans un intérêt
autre que celui de l'entreprise ou qu'il est engagé pour le seul motif
d'atténuer ou d'éviter la charge fiscal, est
considérée par l'Administration fiscale comme un acte anormal de
gestion (P2) mais également un abus de droit (P1).
Paragraphe 1 : L'abus de doit
L'administration fiscale dispose d'un droit de contrôle
sur la gestion fiscale de l'entreprise qui lui permet de critiquer ses actes de
gestion (B) et de décider les conséquences fiscales
nécessaires en cas de gestion abusive et même dans certains cas de
requalifier les faits contenus dans un acte grâce à la
théorie de l'abus de droit (A) .
A- La détermination de l'abus de droit
« L'abus de droit, c'est le
péché des surdoués de la fiscalité, certains
contribuables ne manquent ni d'imagination ni d'audace et n'hésitent pas
à échafauder des montages acrobatiques afin de se soustraire
à l'impôt qui serait normalement du. Ces excès
d'habilité frisent la malhonnêteté
»138.
En effet, cette procédure permet à
l'administration d'écarter le montage mis en place, de requalifier les
faits contenus dans un acte, mettant ainsi une limite à la
liberté de gestion de l'entreprise.
? Définition de l'abus de
droit
« En matière
fiscale, très originalement, l'abus de droit consiste donc à
établir une convention apparemment régulière mais qui ne
correspond pas à la volonté réelle des parties dans la
mesure où elle n'a été conclue que dans le but, si non
d'échapper totalement à une imposition plus lourde, du moins d'y
obvier partiellement »139
De sa part, le professeur Maurice Cozian ; définit
l'abus de droit comme étant « la
volonté d'échapper à l'impôt par des
procédures juridiques artificielles, c'est un trucage
réalisée par des juristes, une forme de manipulation par ceux qui
comprennent trop bien le droit fiscal, c'est-à-dire la fiscalité
en tant que science juridique »140
D'où, en se basant sur le lexique fiscal on trouve que
?l'abus de droit fait pour le titulaire d'un droit de le
détourner de sa finalité». C'est le cas d'un acte
dissimulant la portée véritable d'un contrat ou d'une convention
sous l'apparence de stipulation :
138
COZIAN ,Les grands principes de la fiscalité des
entreprises, op, cit, p163 139CADIET(L), Regards sur la
fraude fiscale, Economica, Paris1986.
140
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COZIAN, La gestion fiscale et l'abus de droit , R.F.C
N° 229, DECEMBRE 1991, P18.
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90
Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
V' Qui donnent ouverture à des droits
moins élevés.
V' Qui déguisent une réalisation,
un transfert de bénéfice ou de revenus.
V' Qui permettent d'éviter tout ou partie
d'un paiement d'une taxe sur le chiffre d'affaires Les actes de cette nature,
des lorsqu'ils sont fictifs ou que le but fiscal est la seule motivation, ne
sont pas opposables à l'administration. L'entreprise est libre dans sa
gestion, mais cette liberté ne peut être utilisée pour
frauder la loi la répression des abus de droit.
Cette notion d'abus de droit pose des limites à la
liberté de mettre en oeuvre des droits qui lui sont pourtant reconnus
par la Loi, soit expressément, soit parce qu'ils ne sont pas
spécifiquement interdits. Elle constitue donc un piège pour tous
ceux qui veulent prendre la loi au mot afin de tourner à leur avantage
tous les non dits qui y figurent. Elle englobe des réalités
très différentes en fonction de la matière à
laquelle elle s'applique. L'appréhension et le contenu de la faute
commise sont très variables.
a. Les variétés de l'abus de
droit
V' L'abus de droit en tant que
simulation
« La simulation n'est autre
chose qu'un mensonge juridique, le contribuable présente au fisc une
convention qui ne correspond pas à la réalité, cette
tricherie n'est évidemment pas innocent, c'est un stratagème
comme un autre pour payer moins d'impôt
»141.
On distingue ici trois formes de simulation : simulation par
acte fictif ou par acte déguisé ou encore par interposition de
personne.
- la simulation par acte fictif
Dans cette première forme de simulation, la situation
apparente présentée comme reflétant la
réalité à l'administration est irréelle. Ces actes
fictifs sont loin d'être exceptionnels, on peut même parler selon
le professeur Maurice Cozian d'« une
industrie de fraudes alimentaires par de fausses déguisant de fausses
ventes et de faux paiements ».
Les deux exemples les plus classiques qu'on peut cité
concernant la simulation par acte fictif sont : les baux fictifs et l'exercice
personnel d'une profession camouflée à l'arbi d'une
société fictive. Concernant la première, c'est à
dire le cas des baux fictifs, la simulation se manifeste par l'accomplissement
d'un bail fictif par une société tout aussi fictive.
Quand au deuxième exemple de simulation par acte fictif
c'est à dire l'exercice personnel d'une profession camouflée
à l'abri d'une société fictive, il s'agit en
réalité de créer une société
COZIAN , notion de l'abus de droit en
matière fiscal , op. , cit. P215
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financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
de caractère fictif qui sert à l'activité
d'une seule et même personne.Cette forme de simulation est souvent
pratiquée dans les milieux artistiques et
littéraires.142
Cependant, le fisc ne réprime pas seulement la
simulation par acte fictif sur le fondement de la théorie de l'abus de
droit, mais aussi la simulation par acte déguisé et la simulation
par interposition de personne.
V' la simulation par acte
déguisé
Dans cette forme de simulation il s'agit d'un
déguisement portant sur la nature juridique du contrat en cause, et on
peut parler de déguisement lorsque le contrat «
apparent » présenté à l'administration
ne correspond pas au contrat réel conclu entre les parties,
correspondant à leur réelle, et qui reste occulte. Dans ce cas,
le contrat n'est pas fictif mais il s'agit d'une « tromperie
sur l'étiquette juridique », l'exemple le plus
flagrant et le plus classique à citer dans ce cas est celui de la
donation déguisée sous l'apparence d'une vente.
V' La simulation par interposition de
personne
Il s'agit ici en fait d'un abus de droit par «
tromperie sur personne »143 d'une des
parties contractantes, puisqu'en fait dans ce cas une tierce personne (un
prête nom) se livre à un acte en en son nom mais pour le compte
d'une autre personne « le maître de l'affaire restant
dans les coulisses ». Dans ce cas de simulation, le fisc a
le choix de poursuivre soit « le maître réel
» soit « le maître apparent
», mais le plus souvent, l'administration poursuit le
prête-nom en faisant abstraction de la convention de prête-nom.
V' L'abus de droit par la fraude à la
loi
Il est le fruit de la jurisprudence du Conseil d'Etat et
précisément d'un arrêt du 10 juin 1981, «
Conduisent à la création d'une situation juridique purement
artificielle, qui camouflent une situation au titre de laquelle des impositions
sont légalement dues et qui continuent d'exister en
réalité derrière les apparences juridiques
».144 Ainsi, c'est l'exclusivité
de l'intérêt fiscal qui permet de réprimer cette forme
d'abus de droit. Il faudrait donc que ces fins fiscales soient exclusives de
toute autre motivation (C.E. 17 janvier 1994) puisque l'acte qui a, non pour
but, mais pour principal effet d'éluder l'impôt ne
caractérise pas un abus de droit.
142
143
CE, 25 février 1981, cité par COZIAN , in la notion
d'abus de droit en matière fiscale , op, cit COZIAN ,La notion de
l'abus de droit en matière fiscale, Op ; cit. P210
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144Abus de droit : J-Cl fiscal, études
particuliers, 1999, fasc.370
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financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
Dans ce cas, le contribuable aura intérêt
à prouver l'existence d'un objet « extra fiscal »
à son montage pour échapper à l'abus de
droit. Il peut invoquer outre les motivations fiscales, d'autres motivations
qui peuvent être familiales ou économiques. La jurisprudence de la
cour de cassation française évolue en ce sens en estimant
qu'une opération ayant des conséquences multiples dont
certaines n'étaient pas de nature fiscale ne constituant pas un abus de
droit (CE10 décembre 1996).
a- L'assimilation systématique de l'abus de
droit à la fraude fiscale
La dissimulation juridique génératrice de l'abus
de droit n'est qu'une catégorie de manoeuvres frauduleuses
caractérisant l'élément matériel de la fraude
fiscale145. Il en résulte que, l'abus de droit n'est pas
consacré comme un délit autonome mais il est plutôt
intégré dans celui de la fraude fiscale.
? Le rattachement de l'abus de droit à la
fraude fiscale
Selon Cosson, la fraude fiscale et l'abus de droit
« appartiennent à l'ensemble de la
délinquance financière146
»
Le rapprochement entre les deux notions est l'oeuvre de la
doctrine fiscale, c'est ainsi que depuis sa consécration en droit fiscal
français, la notion de l'abus de droit a été
considérée comme visant la répression des
« actes juridiques complexes dissimulant une
fraude fiscale147 ».
A cet égard, les liens étroits qui existent
entre les deux notions se manifestent incontestablement au niveau de
l'unité du but que poursuivent le contribuable fraudeur et le
contribuable coupable d'un abus de droit et qui est la soustraction à
l'impôt. Ainsi, les deux techniques visent à éluder
l'impôt normalement du par le contribuable. Ils cherchent à se
soustraire partiellement ou totalement de leurs charges fiscales
illégales ce qui les rapproche en tant que deux voies illicites
d'évitement de l'impôt. Mais ce critère de soustraction
à l'impôt ne suffit pas seul à consacrer l'abus de droit
comme une variante de la fraude fiscale.
En matière fiscale, la répression des
agissements frauduleux qui menacent les intérêts
financières et économiques de l'Etat et qui sont
concrétisés par une réduction de ses rentrées
budgétaires, entre dans le cadre de la protection et de la sauvegarde
d'un certain ordre public.
145
146
ROBBEZ -MASSON,La notion d'évasion fiscale en droit
interne français, L.G.D.J , Bibliothèque de sciences
financière, Paris 1990, p 140
COSSON,La répression pénale de la fraude
fiscale, cité par BOUZID , in l'abus de droit en matière
fiscale, mémoire de DEA en droit des affaires, faculté de
sroit de Sfax, 2002-2003, p45
147
COURTOIS ,La réforme du contentieux fiscal,
gazette du palais 1964, P85
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
Or la fraude fiscale comme l'abus de droit compromettent tout
les deux la légalité fiscale et par la même le principe de
l'égalité des contribuables devant les charges fiscales et ceci
en créant des inégalités et des discriminations entre des
contribuables normalement égaux, ce qui constitue une atteinte à
l'ordre public aux valeurs morales et justifie bien évidemment leur
répression pour essayer de sauvegarder un certain ordre public
fiscal.
Toutefois, ces liens étroits entre les deux notions ne
peuvent exclure une certaine dissociation entre eux.
? La dissociation de l'abus de droit et de la fraude
fiscale
C'est au niveau du procédé utilisé
qu'apparaît clairement la spécificité de l'abus de droit.
En effet ce dernier résulte d'une situation juridique
irréprochable. Il s'agit d'acte juridique non seulement régulier
en la forme mais qui en plus « ne violent aucune prescription de la
loi fiscale148 ».
Ainsi, le contribuable coupable d'abus de droit agit dans les
limites de la légalité, c'est selon Maurice COZIAN
« une virtuose de la fiscalité
à qui on reproche de pêcher non contre la lettre de la loi mais
contre son esprit » .Et c'est ce qui fait sa
différence avec la fraude fiscale qui, elle est «
une violation en toute connaissance de cause, donc de
mauvaise foi, d'une prescription d'ordre fiscal »
Ce détachement entre les deux notions d'abus de droit
et de fraude fiscale au niveau du procédé utilisé pour les
réaliser a poussé certains auteurs à déclarer que
l'abus de droit est une forme originale et autonome de fuite devant
l'impôt, ils estiment ainsi que l'abus de droit constitue «
entre la fraude et l'évasion fiscale une infraction originale, sui
generis149 ».
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