Paragraphe 2 : le dispositif anti sous-capitalisation
appliqué aux LBO français
La France a connu une montée très grande des
montages LBO à l'aube des années 2000, à l'époque
les investisseurs étaient fort d'une législation fiscale
très flexible en raison de la quasi-méconnaissance de cette
pratique en France. Mais les réactions ne se sont pas fait attendre
notamment par la limitation de la déduction des intérêts
d'acquisition ( A) qui a été renforcée par des amendement
très contraignant (B).
A- Limitations de la déduction des
intérêts d'acquisition
En France c'est la loi de finance pour 2011 qui
révolutionne la déductibilité des intérêts
d'emprunt via deux dispositions qui viennent impacter la structuration fiscale
des opérations de LBO c'est-à-dire l'acquisition par
l'intermédiaire d'une holding . D'une part, comme le souligne l'avocat
Samuel Schmidt dans un article sur le sujet124, l'une complexifie
les règles permettant la déductibilité des
intérêts d'emprunt en élargissant le dispositif anti sous
capitalisation aux emprunts consentis par des tiers dès lors qu'ils sont
garantis par une société du groupe, quand d'autre part, l'autre
supprime l'avantage découlant du plafonnement de la quote-part de frais
et charges aux frais réels dans le cadre de l'exonération de la
remontée de dividendes de la fille à la mère. Les
développements ci-après analyseront la portée de ces
nouvelles dispositions pour les opérations d'acquisition par effet de
levier.
? Une nouvelle disposition anti
sous-capitalisation
Le périmètre des emprunts couverts par le
dispositif de lutte contre la sous-capitalisation s'est étendu au titre
des dispositions de la loi de Finance pour 2011125, à compter
des exercices clos le 31 décembre 2010.
La nouveauté dans ce dispositif est qu'en plus des
avances en compte courant servies par les associés, les prêts
consentis par un tiers n'appartenant pas au groupe sont soumis aux
règles relatives à la sous-capitalisation lorsqu'ils sont
garantis ou cautionnés par une société membre du groupe.
Les emprunts donnés par les banques s'en trouveront donc
impactés. Pour autant, nous verrons vite là encore que des
dispositions spécifiques permettent aux montages LBO de rester en dehors
du dispositif sous réserve toutefois, de respecter des conditions
strictes.
L'ancien dispositif en vigueur avant cette loi de finances
pour 2011 limitait la déduction des intérêts uniquement
pour les emprunts contractés auprès d'entreprises liées
aux sociétés
124Voir sur le sujet l'étude par Samuel
Schmidt, Avocat associé du cabinet UGGC, Capital investissement -
Privateequity, mars 2011. 125Article 12 de la loi 2010-1657
introduisant une section 3 à l'article 212 II du Code
général des impôts français .
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
qualifiées de sous-capitalisées, et ne
concernait donc pas la déductibilité des intérêts
servis àdes entreprises tiers et cela même si l'emprunt
était garanti par une entreprise liée à la
société emprunteuse.
En application du II-1 de l'article 212 du Code
général des impôts français, une entreprise est
présumée sous-capitalisée, si le montant global des
intérêts déductibles en application du I du même
article, est dû à des entreprises liées, excède
cumulativement trois limites. Tout d'abord, le montant moyen des avances
consenties par l'ensemble des entreprises liées ne doit pas
excéder une fois et demie le montant des capitaux propres : c'est le
ratio d'endettement. Ensuite le montant total des intérêts dus
à des entreprises liées ne doit pas excéder 25% du
résultat courant avant impôts, ce résultat étant
préalablement majoré desdits intérêts, des
amortissements pris en compte pour la détermination de ce même
résultat et de la quote-part de loyers de crédit-bail
correspondant au remboursement du capital du bien pris en crédit-bail :
c'est le ratio de couverture d'intérêts.
Enfin, le montant des intérêts qui sont dus
à la société par l'ensemble des entreprises qui lui sont
liées ne doit pas excéder celui des intérêts qu'elle
doit elle-même à des entreprises qui lui sont liées : c'est
le ratio d'intérêts servis par des sociétés
liées. L'entreprise qui remplirait ces trois critères peut
néanmoins renverser la présomption simple de sous-capitalisation
en apportant la preuve que le ratio d'endettement global de cette entreprise,
à savoir le rapport entre le montant total de ses dettes, et celui de
ses capitaux propres, n'est pas supérieur au ratio d'endettement du
groupe auquel elle appartient. Le ratio d'endettement du groupe sera
déterminé à partir du rapport entre l'ensemble des dettes
des entreprises du groupe, à l'exception de celles envers des
entreprises appartenant au groupe. Le montant des capitaux propres sera
minoré du coût d'acquisition des titres des entreprises
contrôlées et retraité des opérations
réciproques réalisées entre les entreprises appartenant au
groupe126. En conséquence, l'entreprise
présumée sous-capitalisée au regard des trois ratios
cumulatifs et qui n'a pas apporté la preuve contraire ne pourra obtenir
la déduction de la fraction des intérêts dus à des
sociétés liées excédant le plus élevé
de ces trois ratios, sous réserve que cette fraction soit d'un montant
supérieur à 150 000 euros.
En outre, la déduction de cette fraction
d'intérêt pourra toutefois être différée au
titre des exercices suivants après réfaction d'une décote
de 5%. Par ailleurs, les intérêts non déductibles
constatés au niveau du résultat propre d'une
société membre d'un groupe cette fois fiscalement
intégré ne peuvent pas être reportés et
imputés sur les résultats propres de
126Etude par Samuel Schmidt, Avocat associé du
cabinet UGGC, Capital investissement - Privateequity, mars 2011, p. 3.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
cette société au titre des exercices
ultérieurs mais ils peuvent toutefois être
transférés au groupe auquel la société appartient
et être ainsi déduit du résultat d'ensemble.
Avant l'entrée en vigueur de ce dispositif, les
montages LBO devaient seulement prendre en compte dans le calcul des ratios de
sous-capitalisation les intérêts résultants des
opérations de refinancement intra-groupe. Tandis que les
intérêts résultant des emprunts contractés par le
holding en vue de racheter la cible, c'est-à-dire les
intérêts de la dette d'acquisition étaient déduis
sans contrainte particulière, dans la mesure où
l'établissement bancaire est tiers au groupe, et non lié. Le
prêt qu'il octroie se libère donc du champ d'application du
dispositif anti sous-capitalisation de l'ancien article 212 du Code
général des impôts. Mais désormais, les nouvelles
dispositions introduites par la loi de finance pour 2011 impliquent la prise en
compte de l'endettement bancaire.
? L'extension du régime aux prêts
consentis par des tiers et garantis par des sociétés du
groupe
La lecture de l'article 212 du Code général des
impôts français modifié par la loi de Finance pour 2011
nous apprend que les intérêts rémunérant la part non
garantie n'ont pas à figurer dans les calculs de sous-capitalisation.
Par ces nouvelles dispositions, le législateur français a voulu
appréhender les pratiques consistant à détourner le
dispositif anti-abus en préférant contracter un emprunt bancaire
garanti par une société du groupe plutôt que
d'élaborer des systèmes de financement intra-groupe tombant sous
le coup des ratios de sous-capitalisation127. L'objectif est la
prise en compte du contournement du dispositif anti-sous-capitalisation par le
biais de l'utilisation du mécanisme communément appelé
« back to back » qui consiste à substituer à
un prêt intra-groupe un prêt bancaire hors groupe garanti par une
société du groupe. Enfin, comme le souligne encore Samuel
Schmidt128, le texte n'évoque que deux niveaux
d'interposition maximum entre la société débitrice du
prêt et la société garante ce qui pose la question de
savoir si au-delà des deux niveaux d'interposition le texte s'applique
toujours129.
Toutefois, les montages LBO se verront en partie mis à
l'abri du nouveau dispositif. En effet, le législateur français
prévoit plusieurs exceptions à l'application du nouveau
dispositif anti sous-capitalisation. Concernant ces montages, deux de ces
dispositions nous intéressent. Tout d'abord la fraction des emprunts
garantis exclusivement par un nantissement des titres ou des créances du
débiteur n'entre pas dans le champ d'application du nouveau dispositif,
ce qui
127Cette pratique est communément
appelée « back to back » et cache à l'administration
fiscale des situations avérées de sous-capitalisation.
128Etude par Samuel Schmidt, Avocat associé du cabinet UGGC,
Capital investissement - Privateequity, mars 2011, p. 5.
129Pour en savoir davantage, voir la documentation
pratique Francis Lefebvre, feuillet rapide, 56/10, en date du 24/12/2010,
n°10.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
exclut l'emprunt contracté par le holding de reprise en
garanti duquel sont affectés les titres et créances de la cible.
Ensuite, la fraction des emprunts dont le remboursement est garanti
exclusivement par le nantissement des titres d'une société qui
détient directement ou indirectement une participation au capital du
débiteur, et ce lorsque les deux structures sont membres du même
groupe fiscal intégré, sort également du cadre des ratios
de ce dispositif , ce qui par ailleurs permet de recourir au nantissement des
titres d'un sous-holding qui lui détient des participations dans des
sociétés d'exploitation130.
Ainsi, si de nouvelles règles renforcent le nombre des
contraintes auxquelles devront réfléchir les repreneurs avant de
se lancer dans un mécanisme de rachat par effet de levier, force est de
constater que le cas particulier des LBO après un travail
résolument agressif des lobbys qui ont réussi à faire
échapper du dispositif le socle fondamental du mécanisme,
à savoir les intérêts servis en rémunération
de la dette bancaire garanti par le nantissement des titres de la cible,
schéma de base du montage LBO.
Les intérêts versés en
rémunération d'un emprunt bancaire garanti par les titres d'une
telle holding seraient donc inclus dans le calcul des ratios de
sous-capitalisation précédemment décrits. Selon les
résultats, et compte tenu de l'aspect cumulatif des ratios, il se peut
qu'une fraction des intérêts ne soit plus déductible. Cette
situation viendra augmenter la part d'impôt que devra régler la
holding de reprise et pourra ainsi remettre en cause l'intégrité
financière de certains LBO. Il est donc primordial de prendre en compte
ce risque. Ainsi, il faudra soit éviter de donner les titres d'une
holding luxembourgeois en garantie de la dette d'acquisition ou encore
conseiller aux repreneurs - dans la mesure du possible évidemment -
d'augmenter la part d'apport en capital à la holding ce qui diminuera
d'autant son ratio d'endettement et pourra le faire sortir de la
sous-capitalisation.
? Le plafonnement de la quote-part de frais et charges
au montant des frais et charges réellement engagés n'est plus
d'actualité
Le régime mère fille appliqué sur option
par la holding permet à ce dernier d'appréhender les
bénéfices de la cible sous forme de dividendes
exonérés sous réserve de la réintégration
d'une quote-part de 5% au titre des frais et charges exposés pour la
gestion du portefeuille de titres comme il l'a été vu
supra.
La structuration fiscale des montages LBO sera certainement
obérée par la suppression du plafond réel car tant qu'il
était possible de plafonner la quote-part de frais et charges au montant
des frais réels, il était avantageux, comme le font souvent les
praticiens de réduire la
130Etude par Samuel Schmidt, Avocat associé du
cabinet UGGC, Capital investissement - Privateequity, mars 2011, p. 6.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
durée de l'exercice précédent la
période d'intégration, et de distribuer massivement les
réserves pendant cet exercice pour profiter du plafonnement aux frais
réels, ou encore de ne pas procéder au versement de dividendes
lors du première exercice d'intégration pour attendre le
deuxième exercice et bénéficier ainsi de la neutralisation
de la quote-part de frais et charges. Les anciennes pratiques deviennent alors
contre-productive dans la mesure où, comme l'analyse Samuel Schmidt, la
réduction de la durée de l'exercice précédent
l'intégration et la distribution massive de dividendes seraient soumises
à une quote-part de 5% qui ne pourra faire l'objet d'une neutralisation.
Selon lui toujours, il ne sera donc plus bénéfique de
différer la remontée de dividendes à compter du
deuxième exercice de l'intégration fiscale afin de
bénéficier de la neutralisation de la quote-part du fait de
l'intégration fiscale. En effet, le « frottement fiscal
»131 lié à la réintégration de la
quote-part est neutralisé en cas d'application du régime de
l'intégration fiscale mais uniquement pour les dividendes versés
à compter du second exercice.
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