2.2.2. Revue des tests empiriques sur la
soutenabilité
Les tests économétriques trouvent leur origine
dans les premières recherches effectuées par quelques
économistes surtout lorsque la crise de l'endettement a pris de
l'ampleur dans les pays du tiers monde.
Les premières analyses économétriques ont
été effectuées en 1986 par Hamilton et Flavin. Ces deux
économistes ont abordé la soutenabilité de la politique
budgétaire américaine à travers une perspective
stochastique. Ils sont les premiers à tester empiriquement le respect de
la contrainte budgétaire inter-temporelle de l'Etat américain en
faisant recours à des tests de stationnarité (ADF) aux
séries de dette et de solde primaire sur la période (1960-1984).
Ils considéraient que la soutenabilité de la politique
budgétaire signifiait la stabilité de cette dernière. Leur
test de soutenabilité reposait donc sur la stationnarité de la
dette et du déficit primaire. A terme de leurs travaux de recherches,
ils ont conclut que la politique budgétaire américaine
était soutenable.
Par ailleurs, les travaux de Hamilton et Flavin étaient
critiqués par Kremers (1988) dans la mesure où leur
régression manquait de retards et n'éliminait pas
l'autocorrélation des résidus. Il a mis en cause également
le choix du taux d'actualisation qui se basait sur un taux réel.
Pendant, la même année Wilcox (1988) a repris la méthode de
Hamilton et Flavin mais en introduisant le taux constant comme taux
d'actualisation. Il a fini par donner une conclusion contraire à celle
donnée par Hamilton et Flavin à savoir la non
stationnarité de la dette américaine.
Les troisièmes et quatrièmes études
empiriques ont été élaborées par Trehan et Walsh
(1988). Ils ont introduit les tests de cointégration des séries.
Ils ont appliqué ces tests sur les séries dette et
déficits primaires aux Etats-Unis de 1964 à 1984, et ont fini par
conclure que la
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exportateurs de pétrole de la zone Cemac : cas du
Tchad
politique budgétaire américaine était non
soutenable. Par contre, leurs études ne se sont pas
arrêtées à ce niveau, ils ont entamé une nouvelle
étude empirique en 1991 sur la même période mais en
remplaçant l'ancien taux d'actualisation constant par un taux
d'actualisation variable qui leur a permis cette fois de conclure quant
à la soutenabilité de la politique budgétaire.
La cinquième technique économétrique
d'analyse de la soutenabilité de la dette publique a été
avancée par Hakkio et Rush (1991). Ils affirmaient que l'existence d'une
relation de cointégration entre les recettes et les dépenses
totales est une condition nécessaire et suffisante à la
soutenabilité. Malgré cela, ils ont fini par rejoindre Kremers
(1988) et Trehan et Walsh (1988) en affirmant que la politique
budgétaire américaine était non soutenable entre 1960 et
1984.
Ces tests de cointégration sont une sorte de
généralisation des tests de stationnarité des
séries de dette et solde primaire. La cointégration des recettes
aux dépenses totales sous entend l'existence d'une combinaison
linéaire stationnaire entre ces deux variables. Autrement dit, la
relation de long terme entre les recettes et les dépenses est stable en
moyenne. La première à avoir profité des travaux de Hakkio
et Rush est Carmela Quintos (1995). Elle a repris leurs travaux en introduisant
une nouveauté à savoir la distinction entre la
soutenabilité forte et la soutenabilité faible. Elle qualifie la
relation de cointégration entre recettes et dépenses de
soutenabilité forte lorsque le coefficient entre les deux variables est
unitaire. Autrement dit, une soutenabilité forte signifie que les
recettes et les dépenses s'ajustent complètement. Dans ce cas, il
y a une forte présomption de la stationnarité de la série
des déficits. En revanche, Quintos qualifie cette relation de
soutenabilité faible lorsque le coefficient de cointégration est
compris entre 0 et 1. En d'autres termes, les recettes évoluent dans le
même sens que les dépenses mais de moindre amplitude. Dans cette
situation, la série des déficits n'est plus nécessairement
stationnaire.
Les travaux de Hakkio et Rush (1991) et de Quintos (1995) ont
été largement critiqués respectivement par Wickens et
Uctum (1993) et par Hénin (1996). Ces auteurs s'opposent à
l'idée que les tests de cointégration soient une
généralisation plus flexible du test de stationnarité du
solde global. Ils disent que le principal intérêt des tests de
cointégration est de donner une estimation du coefficient de couverture
des dépenses par les recettes. Dans son article «
Soutenabilité des déficits et ajustements budgétaires
» Pierre-Yves Hénin (1996) affirme que : « ...la
cointégration n'est ni nécessaire à la
soutenabilité brute, ni suffisante à la
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exportateurs de pétrole de la zone Cemac : cas du
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soutenabilité nette. Son intérêt est donc
essentiellement de fonder une estimation convergente du coefficient de
couverture des dépenses par les recettes quand ces variables sont
elles-mêmes non stationnaires. » . Il partage également avec
Wickens et Uctum le fait que la stationnarité ne signifie pas une
couverture directe des dépenses par les recettes, mais plutôt une
couverture suffisante de la charge de la dette par le solde primaire. Par
ailleurs, les notions de soutenabilité forte et faible sont
également discutables dans la mesure où elles n'empêchent
pas le ratio dette sur PIB d'atteindre des niveaux très
élevés.
Notons enfin, que Bohn (1995) partageait également ces
critiques et a proposé un test de cointégration différent
des précédents. Sa stratégie consistait à tester la
soutenabilité en étudiant la relation de cointégration
entre le solde primaire et le stock de la dette.
Pour bien distinguer les disparités et les similitudes
qui existent entre ces différents tests, nous allons les regrouper dans
un tableau qui récapitule les différentes techniques
économétriques d'analyse de la soutenabilité de la dette
publique.7
A partir de ces différents types de tests et en
étudiant les spécificités de chacun d'entre eux, nous
pouvons dégager quelques enseignements sur la soutenabilité de la
politique budgétaire :
" Premier enseignement : Lorsque le taux
d'intérêt est supposé constant, la stationnarité du
déficit public global est une condition nécessaire et suffisante
à la soutenabilité. Par contre, elle est seulement suffisante
lorsque le taux d'intérêt est supposé variable. Quant
à la stationnarité du déficit primaire, elle n'est pas
pertinente pour juger de la soutenabilité ; elle n'est ni
nécessaire ni suffisante.
" Deuxième enseignement : Dans le cas
où le taux d'intérêt est variable, la stationnarité
du déficit global est équivalente à l'existence d'une
relation de cointégration entre les recettes et les dépenses
totales (charges d'intérêts incluses).
" Troisième enseignement : Lorsque le taux
d'intérêt est supposé constant, la soutenabilité
peut être justifiée par la présence d'une relation de
cointégration entre le déficit primaire et la dette publique. Par
ailleurs, si le taux d'intérêt n'est pas constant la
cointégration entre ces deux séries n'est pas une preuve sure de
la soutenabilité.
Enfin et depuis les travaux de Pierre-Yves Hénin et
Garcia (1998), toutes les études de soutenabilité se sont
focalisées sur les tests de stationnarité du ratio de la dette et
du déficit
7 Annexe 2
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global, mais également sur les tests de
cointégration entre les recettes et les dépenses totales. Nous
allons donc présenter graduellement les critères proposés
de la soutenabilité de la dette, ainsi que les tests
économétriques les plus souvent utilisés.
A) Les critères et les types de
soutenabilité économétrique
Il y a deux types de soutenabilité qui sont souvent
évoqués et prouvés par les études empiriques : la
soutenabilité « forte » et la soutenabilité «
faible ». Cette distinction est née à partir d'un examen de
la relation de long terme entre les dépenses et les recettes publiques.
Autrement dit, ces notions correspondent à différents cas de
figure concernant la relation entre dépenses et recettes et la dynamique
du déficit. D'ailleurs c'est l'économiste américaine
Carmela Quintos qui a développé ces concepts en 1995 dans son
article « Sustainability of the Deficit Process with structural shifts
». Son travail consiste plus précisément à
étudier s'il existe ou non une combinaison de ces deux variables qui
soit stationnaire à long terme c'est-à-dire stable en moyenne.
Cette relation de long terme se fonde sur cette expression :
?? = ? + ?.?? + ??
Avec
Tt : recettes totales
Gt : Dépenses budgétaires + charge de la dette
?? : Terme aléatoire
? : Constante
C'est cette expression qui permet de mettre en évidence
les 3 cas de figure de la soutenabilité mentionnés par Quintos.
Nous aborderons donc en premier lieu la soutenabilité forte suivie de la
soutenabilité faible et enfin l'absence de soutenabilité.
A1. La soutenabilité forte
Le cas de la soutenabilité forte correspond au cas
particulier où le coefficient ? de cointégration entre ces deux
variables (régression des recettes sur les dépenses) est
unitaire. En effet si ? est égal 1 alors le déficit public ( ????
?? - ?? ) est égal à -? - ? .
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La différence entre recettes et dépenses est
alors stationnaire et fluctue autour d'un niveau moyen constant. Ce constat est
équivalent à la stationnarité de la série des
déficits. Carmela Quintos (1995) affirme que tant que les recettes et
les dépenses s'ajustent complètement, le signe de (?) n'a aucune
importance sur la connotation « forte » de la soutenabilité.
Quant au ratio de dette/PIB, il suit en moyenne une tendance linéaire
à la hausse ou à la baisse.
D'après Quintos (1995), la soutenabilité demeure
forte même si le ratio d'endettement suit une marche aléatoire
ascendante. En effet, tant que le coefficient d'actualisation de la condition
de transversalité reste supérieur à la dynamique du
déficit, celle ci (la condition de transversalité) demeurera
respectée.
A2. La soutenabilité faible
Le cas de la soutenabilité faible correspond au cas
où le coefficient ? de cointégration entre recettes et
dépenses est compris entre 0 et 1. Cette valeur positive du coefficient
signifie que les deux variables évoluent à long terme dans la
même trajectoire. Plus précisément, les recettes
évoluent dans le même sens que les dépenses dans le temps
mais avec une amplitude moindre. Dans ce cas, la série des
déficits n'est plus nécessairement stationnaire.
D'après Quintos (1995), le ratio d'endettement
empruntera une marche aléatoire progressive plus accentuée que
lorsque les recettes et les dépenses sont parfaitement
cointégrées. Toutefois la condition de transversalité
serait toujours vérifiée pour la même raison
signalée précédemment.
Par conséquent, étudier la cointégration
entre les recettes et les dépenses revient à effectuer des tests
de stationnarité directement sur la série des déficits.
A3. L'absence de
soutenabilité
Finalement, s'il n'existe pas de relation de
cointégration alors certainement il n'y a pas un lien à long
terme entre recettes et dépenses. Cette situation correspond à
l'inexistence de soutenabilité. Le déficit public serait de plus
en plus creusé. Le ratio d'endettement suivra une allure exponentielle.
La condition de transversalité ne serait pas donc respectée vu
que le dégagement de surplus futur serait plus pénible à
réaliser.
Par ailleurs, ces notions de soutenabilité supposent la
stabilité du taux d'actualisation (écart entre le taux
d'intérêt et le taux de croissance). Ce qui peut parfois
être mis en cause car
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l'évolution du ratio d'endettement pourrait avoir une
incidence sur ce paramètre. Ceci n'empêche pas de faire recours
à ces notions à condition de les utiliser avec beaucoup de
prudence.
Voici donc un récapitulatif des types de
soutenabilité utilisés par la littérature récente
et classés selon les propriétés de la relation entre
dépenses et recettes :
Tableau 2 : types de
soutenabilité
Coefficient /3
|
Cointégration
|
Evolution des ratios
|
Type
soutenabilité
|
de
|
Déficit/PIB
|
Dette/PIB
|
|
/3
|
=
|
1
|
|
Oui (les recettes et les
dépenses s'ajustent complètement)
|
Ratio stationnaire
(stable en moyenne)
|
Marche aléatoire
autour d'une
tendance linéaire
|
Soutenabilité forte
|
|
0
|
<
|
/3
|
<
|
1
|
Oui (les recettes et les
dépenses s'ajustent partiellement)
|
Ratio non
nécessairement stationnaire
|
Combinaison de
deux tendances
stochastiques
(recettes et dépenses
|
Soutenabilité faible
|
|
|
|
|
|
-
|
Non
|
Ratio non
nécessairement stationnaire
|
Allure imprévisible
|
Absence soutenabilité
|
de
|
Source : Auteur
B) Des approches alternatives
Une approche alternative qui évite les limites
évoquées plus haut consiste à examiner la
propriété de retour à la moyenne de la dette. Celle-ci
revient-elle vers sa tendance déterministe après un choc ?
Wickens et Uctum (1993) et Bohn (1998) montrent que cette
propriété est satisfaite pour la dette publique
américaine. Fève et Hénin (1998) retiennent comme
critère de soutenabilité la stationnarité du ratio dette
sur PIB. Ils proposent une approche (feedback augmented Dickey et Fuller) qui
teste conjointement la stationnarité du ratio dette et la correction du
déficit primaire en réponse à un stock de dette
hérité. Ce test permet d'une part, d'éviter les
problèmes liés à la faible puissance des tests de racine
unitaire classiques lorsque l'échantillon est faible ou lorsque l'on est
en présence d.'une quasi racine unitaire, et d'autre part, renforce le
critère de soutenabilité retenu. Selon eux, la
stationnarité
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du ratio dette PIB est une condition nécessaire mais
pas suffisante de la soutenabilité. Une condition suffisante de la
soutenabilité impose des contraintes additionnelles à la moyenne
et à la variance de la dette publique. Les équations auxiliaires
associées à leur test FADF assurent que le solde primaire
réagisse positivement en présence d'un choc de dette.
? Les tests de soutenabilité pour les pays en
voie de développement
Le cadre théorique couramment utilisé pour les
pays industrialisés n'est pas forcément pertinent pour les pays
en voie de développement. L'importance des revenus du seigneuriage, le
caractère concessionnel de la dette, le volume important des dons, sont
autant de sources de financement des déficits qui ne sont pas prises en
compte dans la plupart des modèles théoriques.
Lorsque les revenus du seigneuriage sont pris en compte, le
surplus primaire peut être défini
comme suit : Surpt = Tt -
Gt + rct ?? avec ? la base
monétaire réelle.
?? ?
Dés que la possibilité de monétisation de
la dette est introduite, une politique budgétaire qui implique des
déficits budgétaires plutôt que des surplus. La plupart des
pays en voie de développement reçoivent un volume important de
dons et de prêts subventionnés. Par ailleurs la dette est souvent
renégociée en des termes plus concessionnels. Comment ces sources
de financement peuvent-elles être incorporées dans l'analyse de la
soutenabilité de la politique budgétaire ? Une des approches
serait de modéliser les processus de décisions des institutions
internationales qui allouent ces ressources aux pays en voie de
développement. Une approche plus empirique serait de faire
l'hypothèse que les séries reflétant les financements
concessionnels passés vont prévaloir dans un futur
indéfini. Aussi ces flux de financement pourrait être
intégrés afin d.'obtenir une mesure ajustée de
Surpt qui serait utilisée dans les tests de la
contrainte de solvabilité. Pour ce qui concerne les prêteurs
officiels, ces approches alternatives semblent toutes préférables
à l'hypothèse de rationalité des prêteurs et de la
condition de transversalité qu'elle implique. Probablement la condition
de non-jeu de Ponzi n'est pas applicable aux dons ni à la dette
concessionnelle. Pour appliquer des tests de la contrainte de
solvabilité en présence de dette concessionnelle, Cuddington
(1997), propose de séparer la dette concessionnelle et les dons (qui
peuvent être considérés comme une dette concessionnelle
à un taux de -100%), de la dette non concessionnelle.
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En notant Bi, la dette concessionnelle et ri
le taux d'intérêt sur la dette concessionnelle, la contrainte
de financement du gouvernement devient :
Bt = (1 + n - 1)Bt_1 - Surpt -
Bi + (1 + r1_1)Bi_1
Ici le deuxième terme de l'égalité
représente le déficit primaire incluant les flux d'aide et de
dette concessionnelle. Une autre spécificité des pays en voie de
développement est l'importance de la dette extérieure dans la
dette publique. La question serait plus axée sur l'analyse d'une
solvabilité extérieure pour plusieurs raisons. La majorité
de la dette est libellée en monnaie étrangère d.'une part
et d'autre part, la composante interne de la dette publique est assez peu
connue. Une caractéristique des pays en voie de développement est
l'absence et la difficulté d.'obtention de données longues et
fiables permettant d.'appliquer les outils de l'économétrie des
séries temporelles dans des conditions satisfaisantes.
Pour éviter le problème lié à
l'absence de données longues, Hénin et Fève (1998) ont
proposé une nouvelle procédure de tests de la
soutenabilité effective de la dette qui exploite l'information
apportée par les séries de dette et les séries de solde
courant considérées conjointement. Leur approche consiste
à associer une équation d'accumulation de la dette à une
équation de réaction du solde courant, Bt+1 = (1 + i)Bt - NXt+1 =
Bt - CA le compte courant.
Dans leur application, la dette extérieure et le solde
sont alternativement normalisés par le PNB et par les recettes
d'exportations. L'apport de cette approche bivariée réside dans
le gain de précision et de robustesse. D'autre part, elle résout
le problème lié à la brièveté de leur
échantillon.
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