3. Chapitre troisième : L'état de
l'art
3.1. La mobilisation de la notion d'évaluation dans
la recherche scientifique et professionnelle
L'évaluation est un jugement de valeur basé sur
une démarche cognitive (Martucceli, 2010, p. 33) qui mobilise des
connaissances, des savoirs, des savoir-faire et des expériences. Porter
un jugement sur une action n'est pas toujours chose facile dans la mesure
où on recherche des résultats d'un travail qui doit se faire ou
qui est en train de se réaliser, avec la finalité d'apporter des
modifications et des aménagements possibles. Un jugement résulte
toujours des objectifs fixés en amont de la conduite d'une action,
évitant erreurs et ambiguïtés. Quand juger s'invite dans le
travail ou le raisonnement scientifique, l'évaluation devient un moyen
incontournable de justifier les attentes et la vision des résultats.
Convoquée dans plusieurs discours et raisonnements
scientifiques, voire plusieurs champs disciplinaires, la notion
d'évaluation est de nos jours un instrument à juger, mesurer,
auditer, contrôler et évaluer une action qui se veut
cohérente et positive dans l'obtention des résultats fixés
en amont. Mobilisée par plusieurs auteurs dans la recherche
scientifique, les chercheurs se sont prêtés à l'exercice de
définir la notion d'évaluation en tenant compte des champs des
actions et en portant un jugement dans leurs raisonnements, au fur et à
mesure de l'évolution du concept, sachant que l'évaluation n'est
pas une discipline avec ses approches et ses méthodes formatées :
elle a pour visée essentielle d'être un outil d'aide à la
décision (Damon, 2009), à la compréhension, à
l'appréciation, voire à la revalorisation des indicateurs.
Ce chapitre nous permettra de saisir l'intérêt
d'un concept et de comprendre l'ancrage de la notion d'évaluation dans
les discours selon les champs disciplinaires et professionnels, de voir son
évolution dans les raisonnements et d'étudier les défis
qu'elle pose à la recherche scientifique.
3.2. La question de l'évaluation dans le discours
des auteurs
L'évaluation est une pratique mise en place dans
plusieurs domaines et disciplines de manière discursive, à
travers un recueil de données et l'analyse des objectifs fixés en
amont. Dans le cadre de l'évaluation d'un projet ou d'une action,
évaluer préalablement son action revient à définir
la démarche à emprunter pour l'aboutissement du projet.
L'objectif de l'évaluation préalable, comme l'avait
signifié Griggs (1984) dans ses travaux, est de permettre
d'éviter les erreurs avant qu'elles ne soient commises. Le discours de
l'évaluation raisonne
37
comme un outil de prévention. Plus une étude est
effectuée précocement, plus le projet a de chance d'aboutir dans
ses objectifs. Les propos de Griggs sont appuyés et soutenus par
Joëlle Le Marec (1996) dans sa thèse : une enquête
menée au stade de l'évaluation préalable présente
des analogies avec une étude de marché. La question est de
vérifier la faisabilité et la mise en route d'une action selon
ses attentes.
Jean-Christophe Vilatte (1993), dans ses cours sur
l'évaluation en muséologie, définit l'évaluation
comme un jugement par lequel on se prononce sur une réalité
donnée, en articulant une certaine idée ou représentation
de ce qui devrait être, et un ensemble de données factuelles
concernant cette réalité. Juger son action en amont de la
conception permet de mieux poser les indicateurs de réussite qui doivent
être en accord avec les résultats prononcés sur une
réalité de l'action. Le psychologue Jean-Christophe Vilatte,
spécialiste-formateur en évaluation présente ce que doit
être un travail d'évaluation visant à collecter des
données suivant des procédures respectant les normes et les
règles d'une enquête, une forme de dispositif
méthodiquement établie dans une requête d'informations.
Jacques Ardoino et Guy Berger (1989), dans leur ouvrage sur
l'évaluation dans le secteur de l'université, présentent
la notion d'évaluation comme un contrôle, du fait que celui-ci est
tout à la fois un système, un dispositif et une
méthodologie constitués par un ensemble de procédures
ayant pour objet (et visée) d'établir la conformité (ou la
non-conformité). Évaluer, juger et contrôler consolident
une étude en amont et forgent une réflexion de réussite
sans incertitude ni préoccupation vis-à-vis des
résultats.
Les travaux de ces auteurs véhiculent des contenus
pragmatiques et normés, déterminant la manière dont
l'évaluation doit être conduite et observer dans un environnement
de justification des résultats par objectivité. Élisabeth
Chatel (2001), dans son ouvrage, poursuit le débat sur le jugement dans
l'évaluation en affirmant qu'évaluer est réellement porter
un jugement de valeur sur le produit d'une action. Une action qui, au
préalable, est passée par la case enquête pour se
prêter à un jugement au terme d'une étude du fait des
résultats porteurs de valeurs, du fait que l'évaluation est par
nature normative, ajoute Chatel. Une action ou un projet culturel, dans sa mise
en route ou dans son étude de faisabilité, doit respecter des
normes et des valeurs indicatives qui nécessitent le contrôle et
l'évaluation sans limite des résultats.
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Certes, tous les auteurs n'ont pas la même vision ou le
même regard sur l'évaluation suivant les domaines et les
disciplines. La finalité d'une évaluation est d'améliorer
une situation ou de lier les objectifs définis en amont avec les
résultats attendus.
Mesurer c'est juger, juger c'est contrôler et
contrôler c'est évaluer l'action ou le projet qui doit être
mis en route. Selon la sociologue de travail, Marie-Anne Dujarier (2001), la
mesure des résultats sur chaque critère est liée à
une sentence sur les hommes et leur travail. Les systèmes
d'évaluation contemporains réalisent donc avant tout une mesure
associée à un jugement. Dans tous les domaines de la vie, de la
société, on retrouve l'évaluation comme socle ou support
des résultats et des objectifs à réaliser.
Le travail des hommes doit être mesuré dans
l'obtention des résultats afin de juger les performances de ces
résultats, du rendu et des objectifs préalablement
établis. Une évaluation suppose des règles (Dénis,
2009) d'après Jérôme Denis qui sont saisies en tant
qu'inscriptions : elles sont incarnées dans des documents de nature
variée qui sont eux-mêmes le résultat d'un travail de
production. Une règle résulte d'une évaluation qui vise le
respect de normes préalablement établies dans la conception des
documents cognitifs et de valeurs normées.
Plusieurs auteurs ont évoqué la question de
l'évaluation en mettant en avant dans leurs discours la qualité
de l'évaluation dans la production des données, dans
l'amélioration des conditions de vie ou des changements de situation.
Dans une perspective socio-psychologique, Valérie Boussard (2009), dans
ses écrits sur l'évaluation des performances individuelles
affirme que c'est à partir de la qualité d'un individu, de son
état, que ce dernier est défini, saisi et classé. On
mesure ainsi la performance et la qualité des résultats de
l'individu. Dans la perspective des sciences de l'information et de la
communication, Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene (2002) se posent
la question de la place de l'usager dans l'évaluation des
Systèmes de recherche d'information (SRI), ils justifient
l'efficacité de l'usager à la quête des contenus ou des
connaissances à pouvoir mesurer la capitalisation d'une acquisition des
données dans les SIC. Si à chaque étape de la recherche,
l'usager évolue de l'incertitude à la satisfaction ou
l'insatisfaction, il doit être capable dévaluer son travail tout
en mesurant les résultats de sa recherche. Danilo Martucceli (2010)
propose une lecture analytique globale de l'évaluation dans sa critique
de la philosophie de l'évaluation. Michel Vial (1999), pense que
l'évaluation est avant tout une attitude, un processus de sujet
évaluant
39
qui construit le sujet. Charles Hadji (1997) attend de
l'évaluation qu'elle devienne un puissant levier pour une amplification
de la réussite. Jean Cardinet (1989) souligne que la mesure de
l'écart au seuil de la réussite demande un nombre excessif
d'observations. Il faut donc se résigner à ne pas pouvoir situer
exactement la position de chaque élève, ce qui d'ailleurs
évite le danger d'une catégorisation déshumanisante.
Ces auteurs qui chacun dans son domaine de
prédilection, débat de la question d'évaluation suivant
leurs discours et leurs sensibilités de recherche, présente
l'évaluation comme un outil d'appréciation, de mesure et jugement
susceptible d'apporter un plus dans l'enseignement supérieur et de
recherche. La question en commun dans les discours de ces auteurs, c'est la
manière dont la notion d'évaluation est convoquée et
utilisée pour présenter leurs études. D'aucun l'utilise
comme un instrument de jugement de valeurs pour l'usager des sciences de
l'information et de la communication, d'autres se l'approprient comme un outil
de mesure sur la qualité des données observables dans la
recherche ainsi que des résultats pouvant apporter de la nouvelle
matière de réflexion.
De l'analyse analytique globale de la question de
l'évaluation de Danilo Martucceli à la question de
l'évaluation qui est avant une attitude, un processus dont le sujet
évalue son travail de Michel Vial, la distance dans le raisonnement et
la compréhension s'explique dans la manière chacun d'eux
s'approprie la notion d'évaluation. Pour Charles Hadji et Jean Cardinet,
l'évaluation un instrument de mesure de performances pour ceux qui la
pratique et l'utilise comme outil de travail.
La littérature autour de la question et de la notion
d'évaluation est riche en discours et travaux scientifiques. Dans le
cadre de notre étude sur l'évaluation préalable en amont
de la conception d'un projet culturel, nous allons faire appel à
d'autres auteurs ayant travaillé sur ce sujet. L'évaluateur n'est
ni un simple observateur (disant comment sont les choses), ni un simple
prescripteur (disant comment elles devraient être), il est un
médiateur faisant le lien entre l'un et l'autre (Vilatte, 1993). En
qualité de médiateur, l'évaluateur qui à pour
mission d'évaluer la proposition d'un porteur de projet dans la cadre
d'une recherche de subvention, il se présente comme la croie de
transmission entre le projet soumissionné et l'organisme de subvention.
Le médiateur à pour rôle d'accompagner et de conseiller le
porteur de projet dans
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sa démarche culturelle, sachant que lui-même (le
médiateur) subit les ordres venant d'en haut question de respecter les
recommandations d'une bonne évaluation préalable. La relation qui
doit exister entre le médiateur et le porteur de projet se situe au
niveau de la méthodologie de travail, des outils empruntés pour
évaluer le projet et de la présentation des ressources
disponibles pour conduire le projet. Selon le dictionnaire, la médiation
consiste à « servir d'intermédiaire entre une ou plusieurs
choses, c'est la relation entre deux renchérit le théologien
catholique français impliqué dans le domaine de la
médiation, Jean François Six (1990) que c'est l'espace vide
autour duquel on se rencontre, la table qui sépare et réduit, le
troisième terme qui fait le lien, qui permet aux deux de trouver sens,
l'un par l'autre. Le médiateur c'est l'intermédiaire à qui
le porteur de projet s'appui pour en savoir plus sur le dispositif, c'est
l'évaluateur qui donne son point de vue selon les normes
établies, c'est l'acteur qui valide le processus du projet
proposé.
Le lien dont parle Vilatte (1993), n'est pas un lien virtuel
ou superficiel mais physique et pratique pour le porteur de projet. Dans le
cadre de notre étude, le dispositif à mit en place un planning
d'échange (Cf. Annexe) entre les porteurs de projets et les
évaluateurs qui ne sont autres que les médiateurs sur la
compréhension du dispositif, sur les questions fréquemment
posées (FAQ) par les porteurs de projets. Le projet culturel qui est
soumissionné devient alors le vide entre le porteur de projet et le
médiateur pour discuter, échanger et apporter des
éléments nouveaux dans la proposition faite. Un médiateur
c'est aussi un communiquant car il est chargé de sensibiliser,
d'éduquer ou de faire émerger des projets culturels (Dufrene,
Gellereau, 2003) en relation avec les porteurs de projets qui répondent
à l'appel à proposition des organismes d'octroi de
subventions.
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